Ce fut uniquement lorsque tout prit fin que je m’autorisais à regarder autour de moi. Mes yeux se révulsèrent aussitôt et je rendis le peu que j’avais dans l’estomac. Mais ce n’était rien comparé à ce qui maculait déjà le sol. Ne pas regarder… Ne surtout pas regarder…
Je vacillais, tombais à genoux alors que dans ma poitrine mon cœur explosait. Oh mon dieu… Non !
Je tordais mes doigts en observant chacune de mes sœurs, essayant d’en trouver une qui… Elles sont toutes mortes… Je passais une main à ma nuque, et mes doigts se prirent dans mes cheveux poisseux de sang, légère douleur qui me rappelait dangereusement que rien de tout cela n’était un cauchemar. J’étais encore en vie. Comment est-ce possible ?
Je levais les yeux vers l’autel et le vis. Un cri mourut à mes lèvres. Comment avait-il pu franchir notre cercle ? Puis nous décimer sans ciller ? Je reculais précipitamment sans quitter des yeux l’assassin et butais sur le corps d’Abigaïl. Non, pas sur son corps, sur ses restes, sur ses intestins, tu les vois, non ? Il l’a éventrée… Ses cris, tu t’en souviens ? Elle était consciente quand il a commencé…
J’allais perdre raison, je ne devais pas perdre la raison. La créature me fixait. Je me saisis de ma dague et pris conscience que je refusais de mourir. Je refusais de finir comme elles. Un vent lourd balaya la plaine et attisa notre feu qui illuminait la scène mieux que le soleil ne le pourra jamais.
Les menhirs étaient tachés d’un rouge qui luisait encore. Les sacs d’herbes sur l’extérieur du cercle contenaient aussi nos vêtements de tous les jours. Nous étions nues pour ce sabbat. Nues et sans défense. C’était mon premier Samhainn. J’avais été introduite dans notre cercle, quitté le statut d’apprenti. J’étais enfin une vraie sorcière ! Et lui un vrai démon. Abi avait voulu nous prévenir. C’était la plus sensible. Elle avait compris que cette nuit était différente, que le voile était vraiment très fin, et qu’avec nos rituels, nous risquions d’énerver ce qui se trouvait derrière. Nous avions ri… Oui, j’étais de celles qui s’étaient esclaffées, enivrée tant par le vin que par la magie de cette nuit si spéciale. Ce vin dans lequel nous avions déversé quelques gouttes de notre sang, après nous être entaillées la main avec la même dague que je pointais désormais vers le monstre. Ce dernier ne m’avait pas lâché du regard. Grand, musculeux, il avait la peau d’un rouge si sombre qu’elle aurait paru presque noire sans les flammes toutes proches. Ses pieds n’étaient que deux sabots massifs et sur son crâne nu se dressaient deux cornes fourchues. Mais de tous ces attributs, c’était bien son sourire, large et qui m’était vraisemblablement destiné, qui me fit me figer, comme un cerf pris par les phares d’une voiture. Je tremblais si fort que j’avais l’impression que j’aurais pu me désarticuler ou ne pas l’entendre lorsque de sa voix basse et profonde il s’adressa à moi.
« Il semble que j’en aie oublié une… Es-ce toi qui m’as préparé ce festin ? »
Il désigna sur l’autel nombreux mets, fruits en tout genre, rassemblés par chacune et installés comme offrandes à l’année qui finissait, mais aussi le corps de chacune de mes sœurs. Je me ressaisis et reculais encore, prenant soin d’éviter de marcher sur… Si je sortais du cercle, pourrait-il me suivre ? Tant que Samhainn n’est pas fini, la porte restera ouverte, c’est Abi qui te l’a appris. Cela signifie que tant que le soleil ne s’est pas levé, je serais à sa merci. Je déglutis douloureusement. Il n’avait pas bougé, il semblait surtout s’amuser de la situation. Prenant mon courage et ma folie à deux mains je demandais froide et cynique :
« Le repas est terminé, tu peux retourner chez toi.
– Qui te dit que je n’ai plus faim ?
– Je suis encore en vie.
– Bien joué. Mais tu sais… Tu restes très appétissante. Je pourrais me montrer gourmand. »
Son regard à la pupille fendue descendit le long de mon corps, tant est si bien que ma nudité m’effraya. Les légendes des anciens sabbats, des orgies avec des créatures imaginaires, s’imprimaient à ma rétine. Non, non, il ne pense pas à ça. Tu deviens folle, c’est normal, tu deviens folle.
« Ta peur et tes pensées sont bien plus délicieuses que tous tes fantasmes petite sorcière. Baisse cette arme, tu risques de te blesser.
– Tu les as toutes tuées…
– J’avais faim. Et c’est vous qui m’avez appelé. Un banquet comme ça ne se refuse pas. »
Je secouais la tête, dans quel monde avais-je atterri ? J’essayais de faire appel à mes pouvoirs, mais c’était comme si la peur, la terreur les avait court-circuités. Je ne ressentais que l’imminence de ma mort. Pourquoi suis-je encore en vie ? Pourquoi moi et pas une autre ? Pendant que je me perdais dans mes états d’âme sans descendre d’un pouce la lame, je vis le démon se pencher vers l’un des corps et fourrager dans les entrailles pour en ressortir un organe que je ne pus ni ne voulus reconnaître. Il le regarda d’un air circonspect avant de se tourner vers moi. Là, malgré tout ce qui venait de se passer, malgré l’impression que mon monde venait de s’effondrer, malgré les corps, le sang, malgré les viscères et tout le reste, je sus reconnaître ce qui traversa ce visage inhumain : une inquiétude sérieuse. Devais-je prendre encore plus peur ? Sa question tomba comme un couperet :
« Vous faites des doggy-bag ? »
La fin est vraiment bien trouvée aussi !
J'ai beaucoup aimé ton écriture, que tu maitrises du début à la (presque) fin ! Le thème me plait particulièrement aussi (sorcières, démon, tripes…).
La "note de l'auteur" fait aussi son petit effet : on devrait avoir plus de ce genre de recommandations :P
Bon, je pense que tu devines qu'il y a un "mais" qui arrive…
Perso, la réplique de fin ne me fait pas rire ^^' Je comprends bien la volonté comique, le fait que ça sorte de nulle part, l'absurde… Mais je trouve que c'est un peu faible pour être une fin au récit. En plus de ça, ça donne l'impression que tout le reste du texte n'est qu'une excuse pour la vanne, ce qui dévalorise tout le travail que tu as fourni dessus. Et puis l'image qu'on se fait du démon à mesure de la lecture n'est pas en accord avec ce qu'il dit là : on dirait que tu n'as pas trouvé de fin pour ton histoire, et qu'un rigolo est passé derrière toi, a conclu à la va-vite un truc qui le faisait rire, et l'a publié x)
En bref, je trouve la blague maladroite.
Et j'ajoute que j'aurais voulu en lire plus ! vraiment c'était agréable à lire, et si yen avait eu d'autres j'aurais enchainé les chapitres ! :D
J'espère que je n'ai pas été trop dur niveau critique, en tout cas sache que je serai heureux de lire un prochain texte de toi si tu en publies d'autres ;)
La dernière réplique du démon… ! Je m'y attendais tellement pas que je n'ai pas pu m'empêcher de rire malgré l'horreur de la situation !
J'ai beaucoup apprécié ta manière de décrire les émotions du personnage principal, l'utilisation de la première personne et encore plus, l'écriture de ses pensées en italique, nous permet vraiment d'entrer dans sa psyché et de partager son désespoir et sa peur.
Halloween me manquait, j'ai été servie !
Merci pour cette histoire :)
Et oui, je suis fan d'Halloween
Une chouette scénette d'horreur avec plein de sang et de filles nues :p
Et l'on sent bien la terreur de la narratrice. Tu nous fais croire à un duel en elle et le démon... ça rend la chute encore plus drole