Scène 1

Il était 7 heures quand son téléphone sonna. Le temps d'avaler son café, d'enfiler sa veste et il était en route. Le centre ville n'étant pas très loin, il le rejoindrait en longeant les quais. Malgré l'horreur qui l'attendait, Jo profita des rayons du soleil levant. Des éclats de lumière se reflétaient déjà à la surface de l'eau. Il s'arrêta pour les contempler sans s'avouer qu'il en profitait pour reprendre son souffle.

La place de l'Opéra se trouvait à deux rues de là. Il les maudissait. Avec sa jambe raide, les pavés lui faisaient vivre un enfer. Mais, cette fois, il n'avait pas oublié sa fidèle amie. Quand il avait enfin compris qu'il ne se remettrait jamais vraiment de sa blessure, il avait abandonné sa béquille et l'avait échangée contre plus de style : une canne noire empruntée au vieux voisin.

La place était cerclée de rubalise, maintenant à distance les curieux. Jo montra sa carte de flic et franchit le périmètre de sécurité. Son coéquipier l'attendait.

- Salut Max ! On a quoi ?

- Jo ! Te voilà ! On a une jeune femme de type caucasien, environ 25 ans, identité inconnue pour l'instant. Elle semble être tombée depuis le toit, là.

Jo leva les yeux. Une rangée de statues gardait le sommet de l'Opéra avec gravité. Au sol, la victime portait une robe blanc cassé fourmillante de fins détails. Des perles et de délicates dentelles soigneusement cousues, mêlées à une superposition habile de tissus, rendaient l'habit digne des plus beaux bals. 

Le haut du visage de la jeune femme était recouvert par un masque doré. Jo s'approcha. Il mit des gants et l'ôta. Il fut surpris. Avec les années, les macchabbées ne lui faisaient plus rien mais elle... Elle était sublime. Une beauté si fragile. Ses cheveux auburn étaient couchés avec soin, encadrant finement son visage. Sa peau était si claire qu'elle paraissait transparente. Y risquer une caresse serait un crime pour les doigts du coupable.

- À première vue, je dirais qu'elle s'est rompu le cou.

La légiste venait de tirer Jo de ses pensées.

- L'heure du décès ? demanda-t-il apres avoir salué sa collègue.

- Ce matin, il y a une ou deux heures, poursuivit-elle en plaçant le masque doré dans une pochette d'indices.

- T'as d'autres éléments ?

- Pas pour le moment. Je l'examine dans la journée et je te fais un rapport plus précis.

- On a aussi trouvé ça dans son sac, intervint Max.

- Une carte ?

- Oui, on dirait une carte divinatoire.

Cette carte avait-elle prédit la fin tragique du conte ? La victime était allongée sur les marches comme si elle s'était simplement assoupie en attendant le prince qui la libèrerait d'un cauchemar.

- Tu l'as trouvée dans cette position ? reprit Jo.

- Je n'ai rien touché avant ton arrivée, confirma la légiste.

Jo jeta un dernier coup d'oeil à la victime. La mort lui allait si bien. C'était la deuxième fois qu'une telle pensée le traversait ; la mort était fascinante quand elle donnait à ses proies une expression de sérénité enfin conquise.

- Attends ! l'interpella Max alors que Jo repartait vers le bureau. Il y en a un deuxième.

- Un deuxième quoi ?

- Un deuxième corps.