Après cette journée difficile, Caleb s’était juré de ne plus parler de ses rêves. Ils avaient cessé d’être aussi violents ou virulents. Les créatures qui y apparaissaient semblaient toutes converger vers un point et la voix, bien que douce, lui laissait entendre que ce n’était que le début de son histoire. Bien sûr, il ne parla pas non plus à son père des visites qu’il recevait de temps en temps dans sa chambre. Le Maymaygwashi était revenu, souvent. Parfois d’autres créatures s’aventuraient aussi mais leurs relations étaient bien différentes. Elles restaient là à l’observer et l’enfant pensa qu’elles veillaient sur lui pour une raison qui lui échappait totalement.
L’orage était une source de stress immense pour lui mais Caleb s’était aussi rendu compte que parfois, il était le seul à l’entendre. Quand il levait les yeux vers le ciel et qu’il voyait l’oiseau-tonnerre fendre les nuages, il savait. Il savait que personne d’autre que lui ne se rendait compte de ce qu’il se passait. Il serrait les dents et les poings et attendait que ça passe. Une part de lui n’arrivait pas à comprendre pourquoi cette créature avait cet effet sur lui mais il la voyait comme une menace. Chose qui selon lui était totalement ridicule. Il l’avait lu quelque part que cette créature était intelligente et bienveillante et qu’elle était synonyme d’un renouveau ou encore qu’elle était souvent dépeinte sur des totems. Que pouvait-il bien craindre d’elle? Pas grand chose en réalité.
Les années s’étaient écoulées ainsi, créant un fossé entre Caleb et son père. Leurs discussions se limitant à quelques politesses et l’enfant fuyant dès que James cherchait à renouer le lien avec lui. Jamais Caleb n’avait pu lui pardonner de ne pas l’avoir écouté, de ne pas avoir cru en lui. Le pire s’étant produit lorsque l’adulte avait proposé à son fils de voir un spécialiste pour l’aider à y voir plus clair. Vraiment? Caleb était entré dans une colère noire et jamais plus le sujet n’était revenu mais il avait essayé et le garçon avait eu le sentiment profond d’une trahison.
Ses années de collège ne se déroulèrent pas à l’image de ses années de primaire. Il y eut bien sûr quelques moqueries par ci par là de ses camarades, mais exceller en arts plastiques et en langues lui valut une certaine notoriété qu’il n’appréciait cependant pas forcément. Si vis à vis des autres élèves cela lui avait permis de voir une petite amélioration de leurs regards, il avait découvert que son sens de l’art et des mots bien utilisés avait charmé ses enseignants. Aux premiers temps il choisit de ne pas en tenir compte mais, au fil des mois, devait bien reconnaître qu’il avait appris à en jouer afin de s’attirer un peu de sympathie et avoir ainsi la chance qu’on le laisse un peu tranquille. Lorsqu’enfin arriva sa première année de lycée, les choses évoluèrent vraiment en amorçant un certain nombre de changements. Un nouveau départ, de nouvelles possibilités et libertés. Son 15ème anniversaire approchait à grand pas et ce fut au cours de l’une de ces soirées que James franchit la bas de sa porte en esquissant un sourire maladroit.
- Dis moi, tu ne m’as toujours pas dit ce que tu voulais pour ton anniversaire. T’as pas une toute petite idée qui pourrait marquer le coup?
- Que tu n’entres pas dans ma chambre sans frapper ce serait déjà pas mal non? Lacha Caleb en lui lançant un regard noir.
- Caleb s’il te plaît. Soupira son père excédé par son comportement. Ne me parle pas sur ce ton. J’essaie d’être sympa avec toi, de te faire plaisir. Tu pourrais y mettre du tien.
- Ok..Et bien je veux la vérité, pour mon anniversaire, ce serait une bonne chose. Tu ne crois pas. Renchérit l’adolescent en se levant.
- La vérité? De quoi tu me parles encore? Souffla le père de famille en se passant les mains sur le visage.
James était totalement perdu. Il vit son fils ouvrir le tiroir de sa table de chevet, en tirer un petit livret qu’il lui lança. D’un simple coup d'œil, il le reconnut. Leur livret de famille. C’était à son tour de se poser mille questions et il restait coi. Les secondes s’écoulaient lentement et finalement Caleb brisa le silence qui s’était installé en marmonnant.
- Sur elle. Je veux la vérité sur elle, sur ma mère. L’autre jour je cherchais un truc dans le bureau, je n'ai pas fait exprès de tomber là-dessus mais t’as jamais voulu m’en parler. Je veux tout savoir! D’où elle vient, qui elle était. C’est pas trop demander sérieusement! J’ai juste son nom, son prénom. J’aurais pu faire des recherches moi-même mais merde, c’est pas à moi de chercher ça, tu me le dois!
- Calme toi s’il te plaît. Chuchota James en espérant désamorcer la tempête qui menaçait d’éclater dans l’esprit de son fils. C’est délicat et tu étais trop jeune pour que je t’en parle et puis…tu as commencé à ériger un mur entre nous, comment voulais-tu que je t’en parle.
- Ben tiens, ça va être de ma faute maintenant. T’as aucune idée de ce que je vis chaque jour, chaque nuit. Tu n’entends pas cette voix qui passe son temps à m’appeler Waban comme s’il me connaissait depuis toujours. T’as aucune idée de ce que je vois, de ce qu’il se passe dans ma vie parce que tu ne m'as pas cru au moment où j’avais le plus besoin de toi. C’est pas moi qui suis en tort c’est toi! T’es mon père, tu aurais dû m’écouter. C’était ton rôle! Finit par lui hurler Caleb avant d’ajouter. Maintenant t’as le choix, soit tu m’en parles, soit tu sors de ma chambre!
- Ta mère, je l’ai rencontré quand j’étais très jeune. J’étais avec tes grands-parents en vacances. Nous avions prévu de nous rendre dans un petit chalet en montagne…Commença à raconter James en venant s’asseoir sur le bord du lit de son fils.
- Non mais, je t’ai pas demandé de me raconter tes souvenirs de jeunesse tu sais? Passe à l’essentiel! S’agaça une fois de plus le jeune adolescent en dévisageant son père. .
- Nous étions partis pour le Canada. La route était longue mais je savais qu’une fois que nous aurions passé le vent et le froid, je pourrais assister à un spectacle à nul autre pareil. Les choses ne se sont évidemment pas passées comme il le fallait. En panne, mon père nous a dit que nous pourrions rejoindre le chalet à pied si nous faisions vite mais nous n’étions pas prêts pour ces conditions climatiques. Nous nous étions perdus et le froid nous rendait la marche impossible. Je ne sais pas exactement ce qu’il s’est passé mais quand j’ai ouvert les yeux nous étions au chaud et en sécurité. Des hommes se tenaient près de moi, leurs tenues et leur langue ne me disaient rien mais je savais qu’il ne nous voulait pas de mal et là, j’ai croisé le regard d’une jeune fille de mon âge. Elle était des rares qui parlaient parfaitement notre langue et j’ai su qu’elle s’appelait Nirvelli. Dans sa langue sa voulait dire “la fille de l’eau”. Elle était très douce, avait une longue chevelure noire et de grands yeux noisettes. Malgré son petit air triste, elle m’inspira tout de suite confiance et une sympathie hors du commun.
- La fille de l’eau. Murmura Caleb comme si c’était la seule phrase qu’il avait retenu de l’histoire de son père.
- Nous ne sommes pas restés longtemps dans leur village mais Nirvelli et moi nous sommes arrangés pour nous revoir dès que nous en avions l'occasion. Il faut que tu saches que dans ces tribus, le chef et le chaman sont les deux entités de pouvoir que chacun écoute et respecte aveuglément. Ils ont des codes et des règles très strictes mais ta mère voulait vivre une autre vie. C’est ainsi que, des années plus tard, nous nous sommes installés ici, à New-York et que nous t’avons eu. Conclua James en détaillant son fils comme s’il le voyait pour la première fois.
- Je comprends pas trop. Le chef et le chaman ne voulaient pas qu’elle quitte son village? L’interrogea l’adolescent en faisant la moue. C’est interdit chez eux?
- Ce n’est pas tout à fait interdit, c’est plus compliqué que ça. Mais moi je n’étais pas comme eux et par son rang, elle se devait d’avoir un mariage qui allait dans le sens de leurs principes.
- C’était la fille du chef? Sérieusement? T’as épousé la fille d’un chef? Pouffa de rire Caleb.
- Non, pas du chef, du chaman! Le corrigea James.
- C’est quoi au juste un chaman? Une sorte de grand sorcier ou un truc comme ça?
- En quelque sorte on peut dire ça. Et avec ce que tu m’as hurlé tout à l’heure…j’en arrive à me demander si…
- Si quoi? Oh non stop! Tais toi! Ne me dis pas ça! C’est des conneries!
Malgré lui, la peur l’avait gagné. Caleb recula avant de sortir de sa chambre comme une véritable furie. Il imaginait très bien la suite des paroles de son père et refusait en bloc de l’entendre. James était resté seul, poussait un gros soupir avant de sursauter au fracas de la porte d’entrée. Il aurait pu choisir de courir après son fils mais se retint malgré lui. La révélation avait été un peu brutale, il s'en rendait bien compte et comprenait malgré lui que Caleb ait besoin de temps pour assimiler et digérer tout ça.
L’adolescent parcouru une bonne distance avant de se rendre compte qu’il n’avait ni son portable, ni sac à dos mais il continuait d’avancer en se parlant à lui-même.
- Un chaman! Non mais sans rire! Il est grave lui! Comme si ça existait vraiment! Et l’autre il me sort ça comme ça! Comme si tout était normal! Non mais non! Et c’est moi qu’il voulait envoyer voir un psy!
La peur le faisait râler, pester, il ne remarquait pas les regards tantôt surpris, tantôt méfiants des gens qu’il croisa et s’en moquait bien. Ses jambes le guidaient sans qu’il n’y fasse vraiment attention et soudain il se retrouva devant la maison de ses grands-parents. Simon était là, finissant de tailler ses rosiers il pencha la tête en le voyant arriver et sourit.
- Tiens, je ne m’attendais pas à ce que tu nous rendes visite aujourd’hui! Tout va bien mon grand?
- Ça va. Je peux rester chez vous quelques jours? Mon père me..Souffla Caleb en embrassant son grand-père.
- Vous vous êtes encore disputés? Il sait que tu es là? Tu es chez-toi ici. Rentre, vas embrasser ta grand-mère, elle est dans la véranda. Répondit son grand-père en le poussant à l’intérieur sans attendre de réponse à ses questions.
Il attendit que le jeune homme soit hors de vue pour attraper son téléphone et contacta James qui répondit à la première sonnerie. Une part de lui était rassuré de savoir que son fils était en sécurité et après avoir raconté l’origine de ce départ précipité demanda à son père de ne pas poser de questions à Caleb. La peur d’une véritable fugue était omniprésente dans leurs esprits et James assura qu’il apporterait quelques affaires pour son fils avant d’être coupé net.
- C’est mieux que tu ne viennes pas. Je préviendrais Caleb quand j’irais chercher ses affaires et ne t’en fais pas, ça va passer. Il est sous le choc et il ne sait pas contre qui diriger ses émotions. Tu es son père, c'est normal qu’il te fasse “payer” en quelque sorte. Rappelle-toi quand Nirvelli te parlait de tout ça, tu n’y croyais pas. Nous non plus d’ailleurs mais je pense que c’est parce que nous n’évoluons pas dans le même état d’esprit. Le petit lui ressemble beaucoup et pas seulement physiquement. Il va falloir faire avec.
James, d’abord contre cette idée, céda finalement avant de raccrocher le téléphone. Intérieurement il était dans tous ses états et remonta dans la chambre de son fils pour commencer à préparer un sac pour ce dernier. Cela faisait bien longtemps qu’il n’avait pas mis le nez dans les affaires de son fils. Il découvrait malgré lui ses carnets de dessins qui s’étaient multipliés au fil des années. Si l’hésitation était bien présente, il ne put s’empêcher de les ouvrir, de les feuilleter et tomba des nues. A côté de chaque dessin était inscrit des annotations, des caractéristiques spécifiques et des dates avec des horaires bien précis. James ne parvenait pas à comprendre ce que tout cela signifiait et retenait à peine les larmes qui s’écoulaient le long de ses joues. Caleb avait eu raison de lui dire qu’il ne savait pas, qu’il ne pouvait ni savoir ni imaginer ce qu’il se passait dans sa tête et dans sa vie. Il se rendit à l’évidence, il avait failli à la tâche et Nirvelli, où qu’elle soit, devant lui en vouloir, tout comme leur fils.
De son côté Simon s’apprêtait à prévenir son petit-fils de l’arrangement convenu mais en poussant la porte de la véranda le trouva en larmes dans les bras de sa grand-mère. La pauvre femme peinait à comprendre ses paroles entrecoupées de sanglots et caressait ses cheveux comme lorsqu’il était petit. Elle fronça légèrement les sourcils en regardant son mari, les bribes de mots qu’elle avait fini par comprendre l’avaient mise sur la piste. C’était donc ça? Maddy poussa un petit soupir. Ils avaient toujours vu qu’il était différent, un peu inadapté et dans son monde mais il leur avait toujours paru si fort. Et maintenant? En le voyant ainsi, elle redoutait la suite, l’avenir. Saurait-il y faire face?
De la famille, c’était certainement elle qui était la plus terre à terre. La magie, le folklore, ce n’était que des histoires à dormir debout. Dans son enfance, elle avait eu une éducation stricte et ce n’était que grâce à Simon qu’elle s’était adouci au cours des années. Ils n’avaient eu que James et si elle avait été totalement contre sa relation avec Nirvelli, de part sa naissance, celle de leur enfant avait changé la donne. Elle avait tout de suite aimé ce petit être et savoir que le jeune couple comptait bien l’élever ici, à New-York, avait apaisé les dernières craintes qu’elle avait eu et l’épouse de leur fils avait trouvé sa place parmi eux.
Lorsque James leur avait parlé des rêves de sa femme, parce que celle-ci n’avait pu se contenir de lui en faire part quand ils devenaient trop envahissants, le couple était passé de la stupéfaction à une sorte de déni de la réalité. Les rêves n’étaient que des rêves rien de plus et la jeune femme devait souffrir de stress post-natal. Il leur fallut la disparition de Nirvelli et le début des nuits agitées de Caleb pour comprendre, pour accepter ce fait. Ces rêves n’avaient rien d’anodin.
Je plussoie les commentaires précédents : une histoire intrigante et qui me semble prometteuse. En toute honnêteté, j'ai eu du mal à percevoir son potentiel au début -- selon mes critères, donc ne le prends pas mal -- mais je me montre bien souvent assez inflexible, malgré ma recherche de nouveauté. C'est pour cela que je me suis accroché, et je ne regrette pas. Hâte de voir la suite !
Concernant les ellipses, elles sont là oui, mais comme je ne suis pas un grand fan des récits qui se font désirer au démarrage, elles me conviennent. En toute objectivité, ça m'évite de m'ennuyer (et en toute subjectivité, je fais pareil donc je suis solidaire ^^') Après, j'ai le même type de commentaires aussi...
Le seul "vrai commentaire" que j'ai à te faire, c'est peut-être que les grands-parents mériteraient un rôle moins secondaire dans la vie de Caleb. Quand je lis la scène, et les impressions de ces-derniers, je comprends qu'ils ont observer leur petit-fils avec attention sur plusieurs années. Ajouté à cela le "vous vous êtes encore disputé [avec ton père]" qui laisse entendre que ce n'est pas leur premier rodéo entre le marteau et l’enclume, je pense que ça mérite une petite ligne pour qu'on voit mieux qu'ils occupent une place importante dans l'entourage du héro, au moins depuis que la distance s'est installée entre père et fils.
Fin du pavé !
A la revoyure au fil de l'histoire.~
j'ai un peu le même ressenti que Michael en dessous, donc je vais éviter les redites et rebondir sur ta réponse, ne te restreins pas , l'heure des coupes arrivera plus tard ;) Si tu trouves tes chapitres trop longs tu peux toujours recouper, redistribuer plus tard :)
Ahaha, oui je prendrais le temps de tout réécrire sans me restreindre car en réalité j'ai déjà tout en tête (même ce genre de petits passages, donc ce n'est qu'une question de temps)
J'aime bien l'histoire de la maman et l'enjeu de l'héritage chamanique pour Caleb. Je me réjouis qu'il parte à la découverte des origines de sa maman !
J'ai été très surpris de cette grande ellipse de temps où tu le fais passer de l'enfance à l'adolescence, ça a bousculé mes repères et il m'a fallu un peu de temps pour l'accepter et te suivre (mais j'avais un peu l'impression de manquer des épisodes). Puis surtout comme j'ai l'impression que tu n'avais jamais vraiment mentionné clairement que Caleb n'avait pas de maman et ne savait pas ce qui lui était arrivée, j'ai été un peu surpris qu'il s'emporte sur son père pour exiger des explications. J'aurais mieux fulminé avec lui, si cette colère était un peu plus préparée. Mais ce n'est qu'une impression perso.
En tout cas, je suis curieux de voir où tu nous entraines avec cette histoire !
Il va vraiment falloir que je cesse avec mes ellipses mais normalement il m'en reste une seul à faire mais elle viendra dans quelques temps!
J'avais mentionné le fait que sa mère avait disparu dans le premier chapitre (que je dois retravailler pour que ce soit plus clair du coup!)
Mon soucis principal est que j'essaie de me restreindre pour ne pas faire des chapitres trop long mais je crois que je vais faire autrement!
En tout cas encore un grand merci à toi de prendre le temps de lire et de me faire tes retours qui me sont d'une grande aide!