Le 29 février, les gens en faisaient toujours tout un foin. Sluburgub ne comprenait pas trop pourquoi. C’était loin d’être aussi important que le trouze févrembre ou le quintouze juillobre. C’était juste un jour qui trainait sur le calendrier et qui ne touchait personne. Contrairement au trouze févrembre. Très dangereux comme date, ça.
Bon, d’accord, le fait que trois années sur quatre, cette date se retrouvait effacée de la mémoire collective, c’était étrange. Mais pas dangereux pour la santé. En fait, peut-être qu’ils auraient aussi dû l’effacer la quatrième année. Mais au tout début, ils l’avaient oublié. Une sombre histoire d’afterwork galactique qui avait un peu trop duré. Et donc les humains avaient commencé à se dire que c’était là pour équilibrer leur calendrier ou un truc dans le genre. Quelle connerie, franchement. Comme si le calendrier avait besoin d’être équilibré.
Sluburgub, lui, était chargé de la surveillance de ce coin de l’espace. Ce n’était pas le boulot le plus passionnant du monde. Mais c’était bien plus sympa que celui de son copain Glurbarg qui devait surveiller un endroit complètement vide. Lui, au moins, il avait les petites formes de vie pour le distraire un chouia.
Il ne savait pas s’il fallait vraiment les surveiller. Les humains avaient l’air d’assez bien se débrouiller. Bon, ils se mettaient juste sur la gueule de temps en temps. Mais dans l’ensemble, ils survivaient plutôt bien ensemble. Et puis, ils s’inventaient des histoires marrantes, comme ce 29 février un an sur quatre.
Le plus drôle dans cette histoire, c’était de les voir prendre conscience de l’existence de ce jour les trois autres années, celles où on aurait dû passer du 28 février au 1er mars. Ils se réveillaient, regardaient leur téléphone pour la date et bloquaient pendant quelques secondes sur ce qu’ils voyaient. Puis, ils se précipitaient sur leur Internet pour voir ce qu’en disaient les autres. (Les humains étaient vraiment très intéressés par ce que disaient des gens qu’ils ne connaissaient pas, n’avaient jamais vu et ne verraient jamais.)
En général, les autres parlaient de complots, de fin du monde et du règne des brocolis sur le monde. Même si pour ce dernier point, Sluburgub n’était pas très sûr. C’était compliqué de naviguer dans toutes les théories bizarres des humains.
Mais cette année, c’était tranquille. C’était une de ces années où le 29 février était admis.
Il soupira, s’étira, regarda si Glurbarg était connecté.
— Quoi de neuf ? demanda-t-il par tchat galactique.
— Je viens de voir passer une météorite, répondit aussitôt Glurbarg. Elle vous fonce droit sur vous.
— Loin ?
— Quelques heures.
— Sûr qu’elle va sur nous ?
— Ouais, mais elle va passer à côté, comme d’hab. La dernière assez rigolote, c’était au temps des dinos.
— Je vais quand même surveiller ça.
Glurbarg ne répondit rien pendant un très long moment. Peut-être que c’était le passage de la météorite qui perturbait les communications.
Il scanna les alentours. Effectivement, il y avait une météorite d’une bonne taille et d’une bonne vitesse qui fonçait droit sur son secteur. Mais son ami avait raison, elle allait passer loin-loin de la Terre. Ils allaient juste la remarquer quand elle serait déjà passée.
Sluburgub poussa un profond soupir. Son boulot était certes plus sympa que celui de son copain Glurbarg, mais surveiller la Terre, c’était globalement assez ennuyeux. Ca ne bougeait pas comme du côté des autres galaxies où ils avaient déjà appris à aller dans l’espace, découvrir de nouveaux mondes. Ici, ils y réfléchissaient très fort à aller dans l’espace, mais ils ne faisaient rien. Et Sluburgub était convaincu que quand on en parlait beaucoup, on n’agissait pas assez.
Franchement, il aurait bien voulu qu’on le réaffecte ailleurs. Mais à moins d’un cas extrême, ça n’allait pas arriver de sitôt.
Il tenta de rétablir les communications. Mais rien à faire, la météorite avait dû tout bousiller sur son passage. Dommage.
Il se leva de son siège, passa dans le mini jardin qu’il s’était aménagé pour avoir quelqu’un à qui parler, arrosa quelques plantes qui avaient soif, discuta quelques instants avec d’autres. Puis, il lança la bouilloire, resta un moment face au hublot à fixer la planète bleue qui tournait, tournait, tournait sur son jour supplémentaire.
— Pourquoi tu me regardes comme ça ? demanda-t-il à un ficus particulièrement expressif. Toi aussi, t’y aurais pensé. Après tout ce temps. Eh, pas la peine de me donner ce regard, hein ! Si t’avais été dans ma situation, t’aurais aussi pensé à ça.
Il fit une pause, le temps de siroter ce qu’il appelait café, mais qui n’en avait ni la texture ni l’odeur.
— Mais si je le fais… enfin, tu vois, quoi. Il n’y aura plus rien à surveiller. Je pourrais aller ailleurs.
Le ficus le jugeait, il le sentait. C’était bien trop expressif, un ficus.
Sluburgub revint vers la console de commandes, balada son regard de la planète tranquille à la météorite qui approchait à vue d’oeil.
Puis, sans davantage d’hésitation, il appuya sur un bouton.
Les aimants du vaisseau dévièrent légèrement la course du caillou. Trois fois rien. Mais assez pour qu’à présent, il se dirige droit sur la Terre.
Sluburgub se cala confortablement dans son fauteuil, sirota son café. Et regarda la planète partir en fumée pendant son jour en trop.
Mais ce qui m'épate peut-être le plus, c'est, à mon avis, cette capacité, ce don de pouvoir faire une nouvelle originale en deux pages. Bravo !
Alors au début j'ai eu de la sympathie pour ce fonctionnaire de l'espace mais la chute m'a beaucoup refroidit ^^
J'espère qu'il sera muté dans un endroit bien pire que son ami qui surveille "Rien".
En tout cas merci pour cette histoire que j'ai vraiment apprécié :)
Pas totalement dans l'humour, mais sans en être dépourvu.
J'ai beaucoup aimé, satané ficus !!
Touche de tragédie à la fin, vraiment très agréable !
J'aime bien ce ton léger et cette ambiance décalée. Un clin d’œil à Douglas Adams ? J'ai vraiment l'impression de lire une anecdote du Guide du Voyageur galactique en lisant ta nouvelle.
Enfin bref, joyeusement déjanté, drôlement sanguinolent comme d'habitude ;-)
On a le droit de voter pour toi cette fois ?
Bon ben merci les jobs ennuyeux de la galaxie, hein ! On n'avait rien demandé nous, comploter sur la prise de pouvoir des brocolis nous suffisait.
Toujours aussi foufou, je n'avais rien lu de toi depuis longtemps et ça fait plaisir <3
Sinon, sans rire, j'ai bien ri.
PS: Je crois que "Elle vous fonce droit sur vous." c'est pas français. C'est "Elle vous fonce droit dessus" ou "Elle fonce droit sur vous", non ?
"Le ficus le jugeait, il le sentait. C’était bien trop expressif, un ficus." J'adore cette phrase !
Bon, ta réputations de tueuse en série est confirmée avec cette nouvelle, pauvre humanité... Je pense que tu as conscience que les grenouilles vont y passer également ?
Bref, excellent récit, j'ai bien ri !
Le nom du personnage donne déjà le ton. :-) Tu manie si bien cette combinaison d’humour et d’absurde. Cette histoire est très originale et très chouette. J’ai eu du plaisir à la lire, mais la chute… ouin !
Coquilles et remarques :
— un jour qui trainait sur le calendrier [adepte de l’orthographe rectifiée ?]
— Mais au tout début, ils l’avaient oublié [oubliée (la date)]
— Puis, ils se précipitaient sur leur Internet [Pas de raison de mettre une virgule après « Puis ».]
— des gens qu’ils ne connaissaient pas, n’avaient jamais vu [vus]
— Elle vous fonce droit sur vous. [« Elle vous fonce droit dessus » ou « Elle fonce droit sur vous ».]
— Ca ne bougeait pas [Ça ; il est recommandé de mettre la cédille]
— passa dans le mini jardin [« mini-jardin » ou « minijardin »]
— Puis, il lança la bouilloire [Pas de raison de mettre une virgule après « Puis ».]
— qui approchait à vue d’oeil [d’œil ; ligature]
Tu m'as bien fait rire... au début. Après j'ai un peu flippé... et si c'était vrai!
Cela dit j'aime toujours autant ton optimisme.
Big up au ficus, de loin le meilleur personnage créé depuis bien longtemps. Je le trouve quand même un peu aguicheur, est-ce bien nécessaire ?
"Ouais, mais elle va passer à côté, comme d’hab. La dernière assez rigolote, c’était au temps des dinos." : le bon vieux temps...
Bref, je découvre ta plume pour la première fois, et elle vaut clairement le coup d'oeil.
Vraiment drôle et sympa, je ne suis pas fan de SF mais la j'adore, le perso est super attachant, et sa facon de parler aussi . Mais hey comment tu oses détruire ma planète Slubtruc ! Genre juste car tu veux quelque chose de plus fun è_é
Pourquoi ça ne m'étonne pas de toi de détruire ainsi la planète ? Heureusement, yavait au moins un ficus sérieux dans l'histoire qui a essayé de le raisonner. Parce que bon, il risque juste de se retrouver avec un coin vide à surveiller qui sert à rien, comme son pote ='D
Mais bon, malgré ses qualités, le ficus n'aura pas réussi. RIP ='D
Déjà au bout de 2 lignes, tu me donnes le sourire avec tes dates complètement alambiqués !
J'adore le ton de cette nouvelle
Bisouuuus !!!
Et puis la suite my my, elle est trop bien cette nouvelle ! C'est si chill en vrai, juste super comfy à lire, même la fin XD (qui d'ailleurs ne m'étonne pas de toi huhu)
Autres passages que j'ai adorés :
"Les humains étaient vraiment très intéressés par ce que disaient des gens qu’ils ne connaissaient pas, n’avaient jamais vu et ne verraient jamais."
Et aussi : "Le ficus le jugeait, il le sentait. C’était bien trop expressif, un ficus."
Bravo et merci pour ce petit moment trop sympa dans l'espace (à rire des pauvres humains comme si on en était pas haha, ça fait toujours du bien)