Une chanson dans la tête, la fin d’un amour, on ne sait comment ça arrive. Ça arrive c’est tout. Il faut faire avec, ou sans.
Ce matin, une musique tourne en boucle sans avoir la joie d’une valse à 3 temps. « Ne me quitte pas », le ton est donné, un matin déguisé en dimanche soir.
Je suis à tes côtés, tu t’éveilles doucement et tends la main vers moi. Elle est encore chaude de sommeil, un croissant à elle seule. Je tremble. Tes doigts ne sont plus étreinte, dans ce lit se confirme l’évidence, c’est fini.
Brel vole ce qu’il reste de souffle entre nous et repart pour un tour.
L’amour dure sept ans dit-on, pas deux, alors je pensais que nous avions le temps, encore.
Un matin ordinaire, je t’aurais raconté que le frère Jacques aurait écrit cette chanson pour sa maîtresse, Suzanne Gabriello, chanteuse comme lui. On aurait disserté sur les différentes façons de magnifier le mal, on aurait… Mais ce n’est pas un matin normal. Mes histoires te lassent. Qu’y a-t-il de pire ? La trahison ou l’ennui dans les yeux de l’être aimé ?
Brel refusait de quitter sa femme, sa maitresse a eu le courage de clore leur relation. Je ne pense pas le pouvoir. Et je n’ai pas ce talent pour que ma lâcheté devienne belle au moins aux yeux des autres. Ne me quitte pas Les mots sont justes, ils résonnent.
Tu te retournes et regardes ailleurs, ironie des expressions.
Certains diraient que j’aurais pu m’en douter puisque c’est ainsi qu’a commencé notre relation. Tu venais dans cette boutique du Cellier, rue du Tipi je crois, pas souvent mais pour les grandes occasions. Je t’y voyais déambuler, tantôt d’un pas lent, tantôt virevoltant, avec toujours dans le regard une pointe de désir envers mes proches. Tu les approchais, les frôlais, tu t’intéressais, te lassais, je t’ai même vu en caresser un une fois, furtivement certes, mais quand même. Ils étaient grands, brillants, performants et tellement lumineux, tu ne pouvais rester insensible aux possibles qu’ils te promettaient. Qu’avais-je à t’offrir, moi ? Petit, simple, banal pourrait-on dire, ce n’est pas une insulte, c’est ainsi, je suis sans apparat. Il aura fallu un geste malencontreux en te retournant, tu m’as bousculé et même fait tomber. Te confondant en excuses, tu as tendu la main vers moi et m’a regardé pour la première fois. Je ne saurais jamais vraiment pourquoi mais c’est avec moi que tu es partie ce jour-là. Tu m’as demandé où aller, il faisait un froid glacial, je t’ai guidé jusqu’à cette brasserie qui sentait le bois et la fermentation. Nos premiers contacts, tes yeux, tes mains, j’étais déjà à toi.
Ainsi, nous avons passé la soirée ensemble et veillé jusqu’au petit matin, 6h27 exactement. Impossible de nous séparer, jusque dans les toilettes où tes fesses étaient devenues progressivement chaudes et rouges. En quelques jours, nous commencions à avoir nos habitudes : réveil par une douce
musique, rappel d’un rdv chez le dentiste ou penser à acheter des fleurs pour l’anniversaire de ta soeur, le tout avec des petits coeurs deci delà, tous ces petits riens qui comblent nos solitudes.
Cette douceur, cette légèreté me changeait de Caroline, mon ex. Elle savait ce qu’elle voulait, ça se sentait, et ça m’avait plu. En ce temps-là, j’avais besoin de quelqu’un qui me prenne en mains pour éviter de me perdre je crois. Caroline (non, je n’ai plus son numéro je te l’ai déjà juré), m’avait fait le coup de « ce que j’aime chez toi c’est ta curiosité, la façon dont on peut parler de tout », quite à en rajouter : « les sujets se lient tous seuls, on part d’un et on arrive sur un autre et encore un autre, on ne voit pas le temps passer ». Nous semblions bien partis pour faire un bout de chemin ensemble. C’était sans compter sur ce jour où j’ai compris que les destins s’écrivent à chaque instant.
Nous étions partis pour une balade sur la rive Nord de la Loire. Ayant remarqué que depuis ces dernières 48h, elle râlait davantage, était plus brusque dans ses paroles, ses gestes - j’avais mis ça sur le compte d’un syndrome grippal - j’avais mis du coeur à l’ouvrage pour cette escapade. J’avais préparé des cartes, des itinéraires de randonnée, repéré le café sympa où boire un chocolat chaud ensuite ; elle n’avait plus qu’à profiter. Est-ce toute cette énergie engagée qui a fait que je me suis assoupi un instant ? Ou quelques virages qui m’ont déboussolé ? Je ne sais pas, toujours est-il que j’ai dû partir dans les nimbes quelques secondes je pense, une à 2 minutes tout au plus. Et là, le silence fut interrompu par des aboiements. Oui, ses aboiements. Pas d’autres mots. Elle vociférait que tout était de ma faute, qu’on était perdus à cause de moi, qu’on ne pouvait se fier à moi, qu’elle serait en retard... J’ai hésité à rétorquer mais ai préféré fermer mon clapet et laisser passer la déferlante. Je n’aurais peut-être pas dû car peu après, sans bruit, elle m’a tout simplement pris par la main, ramené et laissé là où nous nous étions rencontré! Pas un regard, juste un soupir, moins de 7 jours, fin de l’histoire. Gougeate, ça se dit pour une femme ?
Nous, toi, c’était différent.
Epatée par la connivence que nous avions établi en peu de temps, tu avais l’impression que je savais tout de toi. C’était vrai. Pas de sujet tabou entre nous, aucun, même ceux qui font rougir les uns et pâlir les autres. J’acceptais tout ce qui venait de toi, tu portais attention à toutes mes propositions, suggestions. Nous défiions le temps et l’espace, voyages dont nous finissions épuisés et ivres de toutes ces heures passées ensemble. Tes proches ne comprenaient pas ce que tu me trouvais, j’étais habitué. J’aimais quand face à eux tu prenais ma défense.
Le temps est passé. Tes amis, nous les avons moins vus. Au début cela m’allait bien. Tous les deux, encore et toujours. Tu as commencé à moins sortir, tu ne voyais plus l’intérêt disais-tu. Aller dans la foule, le froid, la chaleur, attendre, tout était effort. Alors j’ai commencé à répondre à la moindre de
tes attentes, alimenté chacune de tes envies, comblé le moindre vide. J’ai menti pour toi, supporté les annulations, les excuses bidon envoyées au dernier moment pour justifier tes absences aux repas des copains ou de la famille. Puis, tu t’es mise à moins me regarder, au profit de ta maudite tablette ou de ton ordinateur. Les yeux rivés dessus, tu oubliais les heures, mangeant devant, vite fait. J’étais devenu transparent. Télétravail disais-tu au début, tu t’es confortée dans ce mensonge. Moi aussi probablement.
Et il y a eu ce jour où tu as accepté l’invitation de Lucie à son mariage. Je t’avais aidé à lui trouver un cadeau répondant aux exigences de « original et pas trop cher », t’ai donné des idées de tenue, de coiffure, tu voulais être à la hauteur de l’exception. Malgré tout, tu restais insatisfaite de ce que je te proposais. Tu n’en n’avais finalement fait qu’à ta tête, avais choisi dans ta garde-robe le pull bleu et la jupe blanche, noué une queue de cheval, mis un brin de rouge à lèvres, tu étais magnifique. Alors j’ai laissé passer. Cette envie retrouvée de voir tes amis valait bien ces heures perdues. J’avais préparé quelques vidéos et musiques qui sauraient agrémenter la soirée et ravir même les danseurs les plus récalcitrants. C’était une très chouette journée. C’est ce que tu diras le lendemain, du fond du lit, encore assommée par cette soirée trop arrosée. Moi, je voyais rouge. Pierre m’avait ramené chez nous, car toi, sans scrupule, tu m’avais demandé de réserver un taxi et tu étais rentrée, sans rien dire. Sans moi. Je te crois lorsque tu répètes encore maintenant que tu m’as cherché partout quand tu t’en es aperçue mais quand même. Avant, tu serais revenue me chercher, tu aurais demandé à quelqu’un dans la rue de me contacter, moi qui m’enorgueillissais d’être le seul dont tu connaissais le numéro par coeur. Là, rien ne t’avait empêché de dormir et ça c’était nouveau.
Tu te sers de moi, tu me fais tout porter, les moindres détails de ta vie, tes humeurs, tes états d’âme, tes avis, tes colères, tes lubies. Je sature, tout simplement, je manque d’espace.
Ta nouvelle histoire avec Max ? Le comble, c’est grâce à moi que tu l’as rencontré ! Comment pouvais-je faire autrement ? Tu étais triste, il te faisait rire, la joie te chauffait les oreilles après ces heures passées ensemble à discuter. Brûlants, nous, nous ne l’étions plus que lorsque nous allions à la plage alors que tu savais que je ne supportais pas ça. Avec lui, tu retrouvais un autre rouge aux joues, aux lèvres, au coeur, alors je n’ai rien dit ni tenté de court-circuiter votre relation.
« Ne me quitte pas » chante encore le belge gauche, envie furieuse de le faire taire, ne l’écoute pas, quitte-moi ! s’il te plait. Je ne peux pas le faire alors toi, trouve le courage! Oui, certains feront des commentaires, tout le monde a toujours quelque chose à dire aujourd’hui, surtout sur la vie des autres. Et alors ? Oui, j’existe à travers toi, grâce à toi, mais sache que rien n’est unilatéral.
Regarde.
A force d’être tout le temps ensemble, tu n’arrives plus à rien faire par toi-même. Tu es là et passes ton temps à te cacher derrière moi. Je dicte ta façon de conduire ta vie, où tu vas, comment, je palie au moindre effort de mémoire en te rappelant tout, tout le temps, même l’important. Tout ça, en te donnant l’illusion que c’est toi qui décides. Tu ne sais plus attendre sans moi, les silences deviennent épidermiques, la solitude n’en parlons pas, même pour respirer correctement tu fais appel à moi. Tu as désappris. Et moi, je n’y suis pour rien, quoi que certains disent.
L’un prend souvent le dessus sur l’autre dans les couples, ça arrive sans le vouloir vraiment. On n’y a pas échappé, ça voulait dire qu’on était ensemble au moins. Je n’ai pas l’illusion de croire que je serais le dernier alors utilise-moi une dernière fois stp, appelle Max pour lui dire « oui » et vis ! Sans fil invisible, sans filtres, et remet-moi stp à la place où je dois être et reprends la tienne. Je ne suis qu’un téléphone, je te rappelle.