TEXTES

1

De là où iel vivait, ne pouvant que rêver ses souhaits, nombreux, décriés par la maisonnée au point de se demander si celles et ceux la composant ne cherchaient pas à l’enfermer, il y en avait un qui, plus que tous les autres, hantait ses pensées, et sa contrariété grandissante chaque jour, décida à leur insu de le réaliser.

Si soudain, qu’aucun, qu’aucune, ne sut quelle direction prendre. Les appels et messages se succédaient, remplis d’inquiétudes et de reproches, et iel riait de les laisser dans cet état, son plan en tout point parfait.

L’entourage avait beau, par la suite, essayer de lea culpabiliser, cela ne fit qu’accroître son désir malgré l’appréhension, grande, comme pour tout premier pas vers l’inconnu, nouant le cœur.

 

 

 

2

Dans sa première auberge, iel observait le plafond, la fenêtre, le visage rempli d’émerveillements, d’impatience et d’euphorie.

Arriva dans la soirée sa voisine de lit. Iel ne put s’empêcher :

- Vous aussi vous êtes en voyage ?

- Holà, non ! Simplement de passage. Je retourne chez moi après une réunion de famille.

Sa joie refroidie, iel n’osa plus s’avancer. Ce fut sa voisine qui reprit :

- Et vous, donc, vous voyagez si je comprends bien ?

- Oui. Je commence tout juste.

- Et pour visiter quoi ? Aller où ?

- Ça, je ne sais pas. Je verrai bien.

- Quel courage ! Je ne le pourrais pas.

Et disant cela, elle libéra une araignée coincée dans l’encadrement de la fenêtre. La discussion ne reprit pas.

Iel réfléchissait : « Oui, aller où ? » et se répondit :

- Je veux juste aller là où j’en ai envie. Pour l’instant.

 

 

 

3

Reprenant sa route, iel s’imagina le Monde jonché de milles passages impossible à choisir, de chemins et de paysages comme lus dans les carnets, vus dans les livres d’images, de destinations à visiter deux, trois jours, puis repartir ailleurs ; flâner sans se préoccuper d'autres choses que du moment présent, être fasciné soudainement d’un lieu et de s’y arrêter, puis recommencer.

 

 

 

4

Hélas, les jours suivants n’étaient que désillusions à cause de l’entourage : leurs manifestations incessantes sur la dangerosité du Monde plongeait son être dans une immense colère, puis dans une profonde tristesse, et enfin, ce que toutes et tous attendaient, la peur du prochain et de l’inconnu. On lui répétait :

- As-tu entendu cet enlèvement à tel endroit durant une simple promenade, un sport, un jeu, pour se rendre au travail ? Cela t’amuse de prendre ces risques ? Ton insouciance nous désole !

Iel souhaitait leur déclarer qu’aucune sécurité n’existait, et encore moins les gens dans sa condition ; nulle part, pas même dans sa propre maison ! De jour comme de nuit ! « Alors pourquoi ? Pourquoi préférer leur donner toute la place ? Pourquoi n’est-ce pas eux qu’on enferme, vu qu’ils sont dangereux ? » Ces questions, jamais vraiment répondues, étaient toujours balayées par une logique inculquée des temps anciens.

 

 

 

5.

Comment leur décrire l’immensité parfois difficile à concevoir du Monde en dehors des livres, des cartes et des écrans ; ces visions réduites qui ne sont pas les leurs ? Si seulement iel s’exprimait mieux, ah, voilà ce qu’iel leur dirait :

 

 

 

6

- Je ne veux plus comprendre vos sentiments ni vos inquiétudes, je souffre de ce que vous nommez « sécurité ». Vous acceptez qu’à certaines conditions, un accompagnant par exemple, et c’est pour moi une profonde insulte. Je ne suis plus enfant, et encore moins fragile ! Pourquoi cela vous semble-t-il compliqué ?

Malheureusement, rien n’était sûr de leur compréhension, enfermé dans leur propre vérité, et iel l’accepta : « Si votre bonheur est dans cette cage, je ne peux que vous souhaiter qu’il soit le meilleur possible. »

Ainsi, iel coupa toutes communications.

 

 

 

7

Cet acte, et son comportement depuis son départ, lea fit un jour culpabiliser.

S’arrêtant en chemin, iel pleura.

 

 

 

8

Ce fut un crapaud qui trouva son âme inerte, lui offrant un chocolat chaud en échange de son histoire. À la fin, l’animal lui confia ceci :

- Tu sais, ce n’est pas égoïste de vouloir vivre sa propre vie.

Le crapaud raconta ensuite son aventure, s’avérant être aussi un voyageur ; « un vagabond » corrigeait-il souvent sans qu’iel ne sût la raison.

Il partit en lui souhaitant bonne route. Iel le remercia et, cette phrase dans son esprit, reprit sa marche.

 

 

 

9

Tant d’endroits à contempler, tant de lieux à traverser, la frustration constante de ne pas avancer « comme on se l’imagine » gâchait ses journées ; iel en avait bien conscience, sans se contrôler, espérant visiter les Grande Villes, grimper les Montagnes, dévaler les Vallons, les Vallées, plonger dans les Océans, contempler les Mers, apercevoir l’horizon changer, s’arrêter dans des Villages, marcher dans les Champs, discuter avec les habitants et habitantes. Suffisait de prononcer « J’aimerais me rendre là-bas… » puis constater l’ampleur de la réalité, décourageante :

- Il faut continuer, de toute façon. S’arrêter donnerait raison au Monde.

Et apprit à faire fit de ses attentes, à accepter les aléas.

 

 

 

10

Dans l’intention de prouver, à soi-même affirmait-iel mais la vérité était tout autre, ses capacités, iel sortit des sentiers et s’enfonça plus profondément dans la forêt. Une longue marche qui causa grands torts : la faim, la soif et les refuges, pauvres cabanes de fortunes, remirent en question son choix.

 

 

 

11

Par chance, ou simple logique hasardeuse, iel posa le pied sur un chemin qui, plus tard, dévoila des bâtiments parmi les arbres : un village ou une ville d’aspect bucolique, rempli de personnes qui lui offrirent soins et nourritures. Iel les remercia le front au sol, voulant les payer sans réussir à leurs faire accepter. On lui réclama de conter son aventure, du comment iel avait réussi à traverser la forêt, et iel avoua n’avoir rien accompli de glorieux :

- J’ai très vite compris qu’essayer de revenir sur mes pas, tourner à gauche ou à droite causerait ma perte, même si je pense que c’est une solution peu fiable également. A chaque refuge, avec des branches j’ai créé des flèches vers la direction à prendre lors de mon réveil. Je n’en reviens pas d’être en vie.

Son erreur fut de mésestimer le temps que cela lui prendrait et du peu de vivre qu’iel emportait jusqu’à sa prochaine destination ; pour ne plus la réitérer, iel acheta une tente, un matelas, un duvet, d’autres vivres et beaucoup d’eaux. Les disposant dans son nouveau sac, se remémora les arbres centenaires d’un passé féerique révolu, du ciel obstrué derrière les cimes où la lumière crevait les interstices, l’odeur de la forêt humide, pendant et après une légère bruine, le son des feuilles ballottées par le vent qu’avait conservé son esprit avant son mal être. Pour sa seconde tentative, on lui offrit une carte détaillée des sentiers avec une boussole, et traçant son itinéraire, partit rejoindre une des Grandes Villes.

 

 

 

12

Iel y recroisa le crapaud qui l’avait aidé. Ce dernier avait perdu ses couleurs vert-marron, devenu écarlate ; il fallait dire que c’était ce dernier qui l’avait reconnu. À sa question, l’animal répondit :

- Ah, je viens de déjeuner, et, oh, c’était excellent, mais si chaud ! J’ai l’habitude, pourtant j’en pleure encore !

Autour d'un gouter qu'iel offrit, apprit, non sans quelques effets mystérieux, la raison de sa présence.

 

 

 

13

- On raconte que, quelque part à cet endroit, là-bas, au loin, il serait possible d’observer l’ensemble du Monde.

Contrairement à ce dernier, iel n’avait jamais envisagé de voyager pour trouver des légendes, et l’idée lui plut :

- Que dit-elle d’autre cette histoire ?

- Oh, rien à part cela. N’est-ce pas déjà suffisant ?

- Vous vous dites vagabond, mais ne seriez-vous pas un explorateur ?

- Un explorateur marche pour revendiquer ses trouvailles ; moi, je me contente de vérifier et d’observer.

- Accepteriez-vous que je vous accompagne ?

- J’en serais ravi !

Tous deux partirent le lendemain à l’aube, et se surprirent d’arriver au pied de la Montagne en début de soirée ; l’arpentèrent les jours suivants jusqu’à apercevoir une fabuleuse demeure construite au bord d’un ravin, incrustée dans la roche.

 

 

 

14

La construction ne laissait aucun doute sur le sang y ayant habité. Avec son ami, iel traversa les portails géants bloqués par la neige éternelle, visitèrent les quelques jardins praticables où la végétation glacée n’avait pas eu le temps de reprendre ses droits, saillante parmi les reflets bleutés des pierres ; l’intérieur ne différait guère : les couleurs sous la glace brillaient joliment, reflétaient la lumière de toutes parts, les meubles et coffres ouverts renforçaient ce vide magnifique, les murs hauts et larges s’étaient changés en miroirs. Son ami, tout aussi ébloui, fouillait chaque recoin du rez-de-chaussée, son écho raisonnant, et rien qu’au premier étage, leurs souffles se coupèrent face aux sommets.

 

 

 

15

Dans leurs déambulations iel constata l’absence de trésors, de vaisselles, d’objets quelconques ou hors du commun ; rien, pas même des ossements ni d’armes. Que la demeure fut-elle construite comme cela ou qu’un évènement provoqua un ordre, un meurtre, un décès de la Haute, un pillage, pour que rien d’autre n’existât, iel se demandait comment le crapaud pouvait entreprendre de sérieuses recherches.

- Notre but premier est de monter. On verra si dans les tours, reste des traces de ce passé inconnu.

Ainsi parlait son ami.

 

 

 

16

Tous deux arrêtèrent de compter les marches, puis vint les grandes questions, d’autant que vivres et combustibles diminuaient :

- Allons-nous mourir de cette façon ?

Le crapaud ne répondit pas.

- Êtes-vous certain de la direction ?

- Non, je ne sais pas.

Son expression découragea. Néanmoins, tous deux continuèrent, et ce qui ne fut pas flagrant le devint lorsque le crapaud leva les yeux au bon endroit :

- Ces gardiens sculptés, on en voit à chaque escalier, non ? Leurs présences indiqueraient peut-être le bon chemin ; oh ! leurs visages tournent vers la même direction !

Son regard se perdit légèrement, puis s’effondra :

- Je me doutais qu’il faudrait plusieurs jours pour atteindre la plus haute tour, question de logique, mais je n’aurai pas cru cela aussi difficile. Je ne suis plus sûr de rien.

- Au point où nous en sommes, autant s’y fier, ne pensez-vous pas ?

Cette supposition s’avéra concrète, certes, ne rendant pas leur avancée plus simple. Les pièces se raréfiaient, remplacées par d’autres marches s’éloignant, se croisant, pour enfin se rejoindre en un escalier unique. Au sommet, l’air glacial les frappa telle une bénédiction sous un ciel pur, la légende bien réelle, et ensemble se perdirent dans ce que représentait les Grandes, Moyennes et Petites Villes, les Villages et Hameaux scintillants, les ombres des reliefs et le dégradé des eaux, devant la courbe du soleil descendant :

- Merci d’avoir accepté.

- De rien, c’est normal.

Sensation étrange de dormir au-dessus du Monde.

 

 

 

17

Quand vint la descente, la surprise se mêla à la peur, suivie de cris.

Iel ne gardait aucun souvenir de cette erreur : dans sa chute, la vue s’était fondue en ténèbres angoissantes alors qu’iel vivait cette liberté toujours plus grande. Des liens seraient ses membres, son cœur, dans des râles qui étaient en réalité les siennes, et chaque fois qu’iel les arrachait, ceux-ci revenaient :

- Laissez-moi ! Je ne comprends pas votre entêtement, si seulement je parvenais à vous oublier !

Des larmes de rages perlaient, l’étouffement lea gagnait.

Iel préféra se tuer.

 

 

 

18

Iel se réveilla au milieu de ce qui fut une écurie, vide, tel les autres pièces bleutées, et distingua son ami courir à son chevet. Près d'un feu, iel apprit être tombé malade. La gêne et la confusion se mélangeant dans son esprit, iel ne pouvait que balbutier :

- Par ma faute vous êtes resté ici. Pardonnez-moi.

- Oh, que non ! Je n’ai pas fait que vous garder, ne vous en faites pas. Je n’avais qu’à vous déposer non loin de moi. Certes, je me suis occupé de vous, mais ce n’était pas là une contrainte. Au fond, c’est plutôt à moi de m’excuser : j’en ai profité pour continuer quelques recherches.

S’empressait de répondre son ami à peine remis de ses larmes. Cependant, iel ne voulait plus dépendre de quelqu’un ; surtout, la solitude lui manquait :

- À mon rétablissement, je partirais. Et vous ?

- Moi, je compte rester. J’aimerais écrire l’histoire de ce lieu, et peut-être trouver d’autres réponses à son sujet. Quand j’aurai fini, ou quand j’en aurai assez, je m’attellerai à une autre légende.

- Dans ce cas, je vous laisse mes vivres.

Et tous deux se recroiseraient, tels étaient les voyages.

 

 

 

19

Seulement, continuer dans cette contrée était impossible : manteau usé, chaussettes trempées, pantalons déchirés ; aucune provision ! Aussi, iel descendit s’équiper convenablement. Certaines personnes riaient à son allure, glissaient : « avec ta graisse naturelle, ça devrait suffire. » qu’iel ignora.

 

 

 

20

Le chemin menant aux pieds du château s’était légèrement découvert de son manteau, dévoilant une couleur plus chaude là où se reflétaient les rayons du soleil qui, sans aucun doute, se marierait avec la saison approchante ; iel repensa à son ami dans un hiver éternel, comme le reste de la Montagne, et n’étant pas alpiniste, se créait de nouvelles routes dans la neige, contournant chaque obstacle, la plus haute Tour pour seule guide derrière ses pas, du moins par beau temps.

Des jours à glisser, tomber, pour parvenir de l’autre côté. A sa surprise, la glace persistait dans les villes et villages en contrebas, croyant l’hiver revenu. Iel vit une mer ou un océan séparé du ciel par une ligne blanche, éclatante sous le jour qui ne se couchait plus. Son corps épuisé, murmura « magnifique », et pour la première fois, se surprit de vouloir retourner au seul endroit où iel pourrait réellement se reposer.

 

 

 

21

« Revenir », ah, son corps et son esprit réclamait leurs dus au mépris de la raison :

- Personne ne me laissera repartir.

Pourtant, l’inverse se produisit : l’entourage ne mentionnait jamais son escapade, à l’exception de quelques curieux et curieuses, et d’autres jugeant sans l’écouter. Que cela signifiât un déni ou une résignation, iel n’en avait que faire ; les comportements à son égard n’étaient plus systématiques, et put préparer son prochain voyage sans crainte.

 

 

 

22

L’entourage tenait néanmoins à réaliser un repas avant son départ, en guise d’au revoir ; quelques proches et connaissances vinrent pour l’occasion, toutes et tous de leur petit commentaire ou de leur admiration, mais un, parmi le groupe, s’exprima sans retenue :

- Il faut dire qu’elle n’est pas facile à vivre. Je comprends votre désarroi.

Cet ami de l’entourage, qu’iel n’avait jamais aimé, adorant donner son avis sur ce qui ne le concernait pas : « moi je dis, je dirais… », « Moi je fais, je ferais… » possédait ce pouvoir terrifiant de convaincre aisément les autres :

- Moi je n’aurai jamais laissé passer ça.

- Penses-tu, nous avons essayé ! Pas moyen !

- Franchement, tu n’as pas honte de les inquiéter comme ça ? Il faudrait la serrer un peu plus. Moi, c’est ce que je fais avec les miennes.

Un autre renchérit :

- C’est vrai, ça… En solitaire ? Vraiment, c’est dangereux !

- C’est même irresponsable.

- Faudra pas venir pleurer s’il t’arrive quoi que ce soit !

Toute la table riait. Iel ravala sa haine.

Entamer un voyage avec leur bénédiction, était-ce trop demander ? Ah, le simple fait qu’iel tenait un tant soit peu à chacun et chacune pour la réclamer devrait les honorer !

- Comment est-il possible que le Monde se dicte sous ces personnes ? Que le Monde lui-même n’y trouve rien à redire ?

Le bercement du train ne l’aida pas à s’endormir, et ce, deux nuits durant.

Au port, la rancœur s’était atténuée ; pas suffisamment pour ignorer « ces personnes-là » occupant l’espace à infantiliser leurs homologues mieux préparées, dépitées de se faire rabaisser, voir contredire. « Pas à moi » se promettait-iel, et s’infiltra dans un petit groupe en retrait, qu’iel suivit à l’embarcation, puis abandonna au bout d’un temps.

 

 

 

23

Malgré les remous du bateau, quelques étoiles se reflétaient dans l’eau rose de l’aube s’élevant depuis quelques jours. La ligne blanche aussi, gagnait en luminosité.

 

 

 

24

Naïvement, à la première plaque de glace iel cru que le bateau s’arrêterait :

- Y a-t-il un rivage ?

- Disons qu’à cette distance, non. Quand la glace sera plus épaisse, il faudra continuer à pied pour l’atteindre.

Et ce fut le cas. Face à l’étendue, la horde de voyageurs et voyageuses, explorateurs et exploratrices, scientifiques, curieux et curieuses, reçurent une « bonne chance » et un « bon courage » déroutant de l’équipage.

Iel aussi, frémit.

 

 

 

25

En effet, sans ombres, cette surface faussement plate, tantôt moelleuse, tantôt sec, poudreuse, glacé, si belle et hélas souillée par ses bottes ; cette neige traîtresse dissimulant grottes et crevasses se brisait sous son poids, recouvrait les roches sous des mottes ; les nerfs à bout, iel se rendit à l'évidence : tout ce calme n'était que mensonge. Le soleil perpétuel l’usait en tout point, sans force iel gâchait plusieurs heures à planter sa tente, et par mauvais temps ne risquait aucune tentative.

Un jour, le Monde devint blanc sous ses yeux : ses affaires, petits points dans l’infini, s’éloignaient sous le bruit assourdissant provoqué par son cerveau tétanisé ; iel hurla, trébucha jusqu’à eux et s’enferma, attendant que le Blanc fut la neige seule.

 

 

 

26

Iel rebroussa chemin, ne recroisant plus cet « Enfer Blanc ».

Au port quelques personnes attendaient déjà, d’autres arrivèrent, et chacun, chacune, racontait leurs mésaventures en guise de bonjour.

 

 

 

27

Le bateau accosta quinze jours plus tard. À leurs visages, le capitaine rit, le regard point surpris de les récupérer dans cet état :

- C’est un endroit monstrueux pour nous. Nous ne sommes pas les bienvenus. Je vois que peu ont survécu… Ou pas encore revenu. Je n’oublie jamais un visage.

Les malheureux et malheureuses préférant s’isoler, iel se retrouva en tête à tête avec ce dernier, heureux d’être écouté :

- Une fois, une personne partit aussi pour traverser ces dangers, et je la crus morte. Mais, huit mois après, elle est remontée dans le bateau… Pour repartir là-bas !

- Ah ? Mais pourquoi ?

- Pour le plein de vivres. Puis, je ne l’ai plus croisé. Cela faisait une bonne dizaine d’années qu’elle effectuait ses aller-retour, toujours plus espacés, sans explications. Chaque mois, je me disais que je la reverrais, peut-être, mais cela va faire cinq-six ans maintenant… Si elle est toujours vivante, il est fort possible que je ne sois plus là pour l’accueillir.

- C’est terrifiant…

- Ah, ça ! C’est pourquoi j’aime vous emmener là-bas. Ce n’est pas qu’un travail : c’est aussi pour rencontrer des surprises comme cette personne.

Un silence, puis il reprit :

- Mais, quand je ne serai plus là, je ne sais pas s’il y aura une relève.

 

 

 

28

De retour au pays illuminé des rayons chauds et étouffants du soleil, iel gardait toujours en image son vécu dans le continent Blanc.

Refusant d’oublier, car cela arriverait, griffonna dans un carnet ses aventures. Des notes qu’iel considérait parfois comme inutiles, parfois insolites ou banales, semblables à tel récit, différentes d’un autre ; certains jours, ses yeux brillaient de joies d’écrire des mots bancals et ratés, des phrases très peux jolies, voir mauvaises, puis en avait honte, voulait tout arrêter, se disant que cela ne valait pas les journaux des Grandes Voyageuses et Grands Voyageurs, qu’iel n’arrivait pas à mettre en place tous ses souvenirs, pour de nouveau relativiser et reprendre.

 

 

 

29

Lorsqu’iel quitta l’auberge, son sac alourdi lea combla de bonheur.

 

 

 

30

La maison familiale devint un pied-à-terre, sa chambre un entrepôt où se conservaient ses récits, s’y’arrêtant juste pour récupérer quelques carnets vierges.

- Ah, tu t’en vas déjà ! Mais qu’est-ce que sont ces petits-enfants qui partent comme ça ?

Iel haussa les épaules, entendant néanmoins, la porte franchie, un « Bon voyage ! »

 

 

 

31

Il lui était enfin possible de se faire entendre, de tenir tête, d’exprimer ses envies sans se justifier, sans qu’on lea retienne ; simplement répondre :

- C’est comme ça que je veux vivre.

Son cœur s’enflammait.

 

 

 

 

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