Peu de personnes au monde, voire même dans chaque dimension qui existe, peuvent se targuer de dire qu'elles savent ce que ça fait d'expérimenter le plus immense choc au monde, de comater pendant on ne savait combien de temps et ensuite, de se réveiller péniblement en essayant de reconstituer tous les souvenirs encore présents au fond de leurs mémoires. Mais définitivement, Chuck, oiseau jaune triangulaire, protecteur d'œufs et ennemi des cochons, flambeur vantard et insupportable crétin (à ses heures perdues), pouvait maintenant dire avec fierté qu'il faisait partie de ce type de personnes.
Enfin, « avec fierté »… déjà, pour ça, ça nécessiterait d'être vivant et réveillé et s'il remplissait ce premier critère, c'était loin d'être le cas pour le second, son esprit étant très très loin d'un quelconque monde réel. En fait, il essayait de reconstituer tout ce qui s'était passé ces 2 dernières heures. Au moins, il se souvenait déjà de qui il était et d'une bonne partie de ce qu'il avait fait depuis qu'il était né, c'était déjà ça.
La journée était tranquille sur Piggy Island. Les cochons ne s'étaient curieusement pas manifestés de toute la journée et tout le monde a pu vaquer à ses occupations et/ou surveiller les œufs (il n'y avait que Terence qui… faisait son Terence, à savoir rester planté à une place spécifique et ne pas y bouger). De plus, Stella était récemment revenue dire bonjour et avait amené toute sa bande : Luca, Willow, Poppy & Dahlia étaient donc là et pour chacune des deux parties, c'était toujours cool de les voir, surtout qu'ils ne se côtoyaient pas souvent. Donc, tout le monde s'amusait et la journée semblait se dérouler sous les meilleurs auspices.
Ça, c'était ce dont Chuck se souvenait sans peine. Après, il se souvenait qu'à un moment, Matilda et les Blues avaient commencé à se plaindre qu'il faisait bien trop chaud, ce qui était vrai. D'abord, il ne s'en était pas trop préoccupé. Puis, tout le monde avait entendu Red pousser un cri. Pas quelque chose de douloureux ou d'horrible, mais il avait juste eu un peu mal. Et quand on lui avait demandé, il avait dit que les œufs… étaient devenus soudainement brûlants. Mais ça n'aurait été que quelque chose de mineur s'ils n'avaient pas commencé à s'enflammer. Oui, ils s'enflammaient. Bien évidemment, après que toute la bande fut prise de terreur, tout le monde a commencé à les asperger d'eau. Ça n'arrêta absolument rien, à la grande surprise (et l'horreur) des oiseaux. De plus, ce feu… ne ressemblait pas à un feu normal. C'était ridicule de le définir comme ça, mais son esprit fortement embrumé n'avait pas d'autre manière de le définir, dans le sens où ils se rendirent vite compte que les œufs semblaient rester les mêmes. Et puis… les dernières choses dont il se souvint furent du feu… un cri puissant et horrible, sûrement l'un des plus horribles qu'on puisse entendre… et tout qui explosa. Tout fut rapide… et il sombra à ce moment.
Il n'entendait plus rien. Et une partie de lui ne semblait pas avoir envie de se sortir de cet état. Et puis, des petits bruits commencèrent à se faire entendre. Puis ils devinrent un peu plus forts. Puis, un peu plus. Puis, encore un peu plus. Puis…
« OOOOOOOH, CHUCK, TU TE REVEILLES UN JOUR, BON SANG ? »
Et il ouvrit les yeux pour voir qui était le ou la propriétaire de cette voix semblant si douce et pleine d'amour (ironie/20). Et ce fut avec une grande surprise qu'il vit Frosty, qui haletait, le souffle court, et regardait l'oiseau jaune avec un air extrêmement blasé et énervé. Chuck commença à bouger ses muscles et se rendit aussitôt compte que c'était une mauvaise idée, car ces derniers avaient décidé de lui faire mal. Il fut pris d'une grande angoisse : à quoi il ressemblait, là, maintenant ? Et pourquoi Frosty était là ? Il était supposé protéger son œuf à lui, qui se trouvait toujours dans l'espace, qu'est-ce qu'il faisait là ? Et où étaient les autres ?
Bon, pensa-t-il, se poser des questions sans rien faire d'autre, ça n'aide en rien. Essayons de faire quelque chose qui peut aider.
« Ecoute, mec, je pense que si je n'avais pas littéralement embrassé le char du Caporal Pig avec la langue, je serais bien plus réveillé et en meilleur état. »
Ce fut les premières vraies paroles de Chuck, prononcées alors qu'il se levait péniblement. Et, déjà, il rêva d'en avoir eu de meilleures.
« Je ne comprends pas et je n'ai pas le temps de comprendre ce que tu me dis, lui répondit Frosty en soupirant. Ça fait, à vue d'œil, 5 heures que tu es endormi et 1 heure que je t'ai crié dessus en espérant te réveiller plus tôt. Autant te dire que question voix cassée, je suis sur le fil du rasoir ! »
A ces mots, l'oiseau jaune écarquilla presque les yeux.
« Autant de temps que ça ? »
« Si je te le dis ! »
« OK, OK, lâcha le coureur d'une voix trahissant un certain épuisement moral. J'imagine que je devrais être désolé pour ta voix, mais la vérité… c'est que j'ai beaucoup trop mal, beaucoup trop de questions en tête et que je ne sais pas pourquoi je suis dans cet état-là. J'ai besoin de… »
« C'est bon, dit l'oiseau de glace d'une voix s'étant adoucie. Je sais ce que c'est ou, en tout cas, je le comprends, vu ta tête. Tu as besoin d'être dans un endroit plus sûr. »
« Il y a… beaucoup d'endroits sûrs sur Piggy Island. Je pense qu'on… pourra trouver quelque chose, il faut juste que… »
« Chuck, le coupa l'habitant de l'espace. Tu penses vraiment qu'on est toujours sur Piggy Island ? »
« Qu'est-ce que tu veux dire… »
L'oiseau, alors qu'il prononçait ces mots, se mit à ouvrir bien grand ses yeux… et eut la bouche bée en réalisant à peu près sa situation et celle de son ami.
Les deux n'étaient pas sur l'île. A la place, ils se trouvaient dans une ville. Qui n'était pas Pig City. Il y avait énormément d'immeubles, de maisons, de magasins. Il n'y avait plus d'herbe, les sols étant faits de béton. Et surtout, il y avait… des gens. Clairement des humains, leur physique et leur façon de se déplacer étaient reconnaissables (en tout cas de ce que lui et les autres oiseaux savaient par les livres) entre mille. Aucun visage familier, à part celui de Frosty. Et en fait, tout ce que Chuck commençait à ressentir, c'était juste une immense crainte, sa soudaine boule au ventre et son visage soudainement livide en étaient la preuve. Alors, déjà, lui, toute la couvée et leur probable descendance avaient été attaqués par quelque chose d'indescriptible. Ensuite, il avait mal partout et n'était pas en état de faire quoi que ce soit de trop physique. Et, cerise sur le pompon, Frosty était le seul visage amical présent avec lui et le sort des autres, ainsi que de leurs petits, était incertain.
En se redisant cela dans sa tête, le coureur commença à transpirer. Même s'il avait commis pas mal d'erreurs et qu'au moins chaque membre de la tribu lui a hurlé dessus une fois (sauf Terence, évidemment), c'était sa famille et s'il en restait loin, c'était la meilleure façon pour lui de dépérir. Après tout, merde, son auto-exil à cause de ses médiocres compétences en karaté l'avait bien prouvé, il était le genre de gars qui voulait tout le temps être dans la lumière et aimé par les autres, mais qu'il se retrouve seul et toutes ses faiblesses lui revenaient droit dans la gueule ! Il ne pouvait pas rester seul…
« Santa Madonna ! Alors, il est réveillé ? Je préférerais que nous ne restions pas ici longtemps, nous risquons d'être vus ! »
Chuck se retourna, cette forte voix à l'accent italien extrêmement prononcé lui étant plus que familière. Et ce fut avec une grande surprise qu'il vit le Chef Pig, semblant extrêmement agité et tournant la tête de tous les côtés.
« Avant que tu ne demandes ou que tu ne te jettes sur lui, il est avec nous deux depuis le début et n'en sait pas plus, répondit immédiatement Frosty. Je lui ai demandé de faire le guet, histoire que rien de mal ne se passe. On est dans un monde qui nous est inconnu, il faut prendre le maximum de précautions. »
Cela découragea le casse-cou de la tribu de demander au cuisinier des explications. Au pire, si les cochons avaient été encore une fois responsables de tout ça, ça ne l'aurait pas plus dérangé que ça. Mais, étant donné que le second du Roi Pig ne semblait pas plus rassuré que lui, ça écartait toute responsabilité de la part de ces abrutis à peau verte. Bon. Maintenant, on faisait quoi ?
« Sinon, reprit avec hésitation le Chef Pig, les curieux appareils de l'une de ces enseignes sont en train de diffuser des informations dont… je pense qu'il serait bon que nous en prenions connaissance. »
Les deux oiseaux le rejoignirent et ce qu'ils virent confirma ses dires.
Lesdits « curieux appareils » montraient un homme tiré à quatre épingles assis sur un fauteuil en train de parler de choses dont les trois ne comprenaient pas la moitié. Et ça alternait avec des images (pour eux, c'était des images) montrant des… trucs absolument indescriptibles, également. Des espèces de têtes géantes et ignobles montées sur ce qui devait être des sièges dotés de jet-packs. Et surtout, surtout, Red et plusieurs cochons menés par un oiseau femelle violet, tous semblant essayer d'échapper ou de se débarrasser de ces têtes.
« Qui est cette fille ?, demanda Chuck.
« Gale, lui répondit le Chef. Sur l'île voisine, c'est elle qui gouverne notre peuple. »
Il n'eut pas besoin de plus pour comprendre que le Chef voulait parler de l'île où habitait Stella. Néanmoins, même s'il était soulagé de voir que ses amis (peut-être tous) étaient encore là, une seule question trônait encore dans l'esprit de Chuck, pendant qu'il fixait les images repassant en boucle sur l'écran.
Bon sang, Red, qu'est-ce que tu fiches ?