Va savoir pourquoi, ce jour-là, quand nous sommes entrés dans ta chambre alors que la vie avait commencé à te quitter et que ton corps était déjà immobile, tu as ouvert les yeux. Qui t’a dit que celui que tu attendais tant pour pouvoir partir enfin venait d’arriver, à toi, condamné au silence depuis tant d'années et mourant ? Où as-tu trouvé cette force immense qui t’as gardé, une dernière fois, les yeux grands ouverts.
Ce dernier jour de tes yeux ouverts, j’ai reconnu cet étrange regard, semblable à celui de ton petit fils au moment de sa venue au monde. Regard de départ de celui dont les certitudes lâchent les unes après les autres comme les fils d’une corde trop tendue, usée aux vents d’une vie, contre regard d’arrivée de celui qui sait encore.
A cet instant précis, dans cette fin et dans ce commencement, ces deux regards infinis se rejoignent au plus haut et ne font qu’un. Je le sais, je l’ai vu.
Tu n’as pas pu parler, mais cette fois ce n’était pas par empêchement des autres.
Dans cette chambre au blanc jauni c’était toi et ce n’était pas toi. Tu avais autre chose en plus, quelque chose de plus grand, quelque chose qui me faisait peur, car je te voyais là, alors que tu étais déjà parti et restais impuissante à te retenir. Ma pudeur égalait ma peur de te voir si fragile.
Toi, tu étais au-delà de tout ça, tu savais l’infiniment précieux de la vie, seul cadeau de la mort. Tu as réuni toute ta volonté à regarder ton unique petit fils et lui, bien plus grand que moi, a tenu ton regard sans jamais le lâcher. Il l’a tenu jusqu’à ce que la nausée et la chaleur le prennent et jusqu’à ce que ta tête tremble à vouloir emporter tout cet amour avec toi et à vouloir donner tout cet amour en toi, et tout ça en même temps, et tout ça dans ce peu de temps qui dure une éternité.
Vos mains étaient jointes, petites mains tièdes si douces sur les tiennes, déjà transformées, séches et creuses.
Lui était si sûr que son amour suffirait à te sauver.
Moi, je m’étais mise au pied de ton lit, plus loin, pour vous laisser ensemble. Je n’avais rien compris. Je te faisais signe de dormir encore un peu, te priant de bien vouloir te reposer en attendant que tu ailles mieux, te faisant comprendre par gestes que nous reviendrions demain, te souriant de tout mon cœur pour te rassurer.
Non, je n'avais rien compris.
Toi, tu as raclé au fond de tes forces pour me dire de tous tes yeux, soudain immenses et noirs comme la nuit, ton amour pour moi, ta fille.
Je n’ai pas pu soutenir la force de l’amour contenue dans ce regard, même si mon cœur a explosé en silence quand je l’ai croisé.
Je n'étais pas prête.
Pas prête à te dire adieu.
Tout ce que je peux dire c'est qu'il savait que tu l'aimais. Tu étais là pour lui.
Nascana
Dommage que tu n'aies pas été éligible, j'avais beaucoup aimé ton texte sur cette femme délaissée, si seule, si loin de tout ; c'était très beau, et très triste, et ton écriture était emplie de douceur et de mélancolie.
A bientôt et merci encore pour tous ces mots que tu me dis.
Merci Arielleffe, à bientôt !
C'est beau ce que tu dis, de confier ici une de tes étapes d'un deuil si douloureux. Je vois tout à fait l'enfant et le vieil homme se comprendre sans se parler, s'aimer sans avoir besoin de le dire et ensuite à ton tour de recevoir son amour. C'était poignant, comme tu l'as raconté, comme tu l'as sûrement vécu et compris désormais. Son départ a dû être déchirant pour toi.
Je suis sûre que maintenant que les mots sont posés, écrits noir sur blanc, pensés, dits, écrits, tu as franchi une étape décisive.
C'était vraiment beau. Merci pour ce partage.
Biz Vef'
Oui, tu as bien tout compris... (Pour l'étape décisive, je ne sais pas encore, il y avait tant de ratés dans ce départ et surtout tant de souffrance, mais c'est vrai que le fait d'avoir partagé m'a fait énormément de bien). Surtout je me plais à penser que les pensées de ceux qui sont venus lire et les émotions ressenties lui feront du bien à lui, là où il se trouve.
Donc bravo ^^
J'ai longuement hésité à écrire ces mots, mais cette "mise en mots" m'a permi de prendre beaucoup de recul et de rendre un hommage. C'était ce qu'il y avait d'important pour moi. Par contre au bout du 11 ième commentaire, je m'aperçois que j'ai touché, plus que je ne l'aurai imaginé, les uns et les autres. Tel n'était pas mon objectif au départ, je ne souhaitais que rendre un hommage, qui selon moi n'avait pas été assez rendu.
Merci pour ta lecture et pour ton commentaire ! A bientôt !!
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J'ai tout de suite pensé à ma grand-mère que j'ai perdue l'année dernière. Au fond, même si on ne leur dit pas, j'imagine qu'ils savent qu'on les aime. Mais ça n'empêche pas de traîner des regrets avec soi tout au long de sa vie.<br />
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Bon je ne sais pas trop quoi raconter à vrai dire, je suis toute remuée.<br />
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Merci pour ce texte magnifique Aranck :)
Oui, bien sûr, les êtres qu'on aime le savent, mais il est tellement difficile d'accepter l'inexorable, surtout dans un délai très court, que les attitudes qu'on a sont souvent complètement à côté de la plaque. Ne pas voir pour que rien n'arrive...
Pour ta grand-mère je compatis, la mienne est morte la même année que mon père et je pense aussi bien souvent à elle. Nos disparus ne cessent d'ailleurs de nous manquer. Mais c'est ainsi je crois.
Merci encore pour tout ce que tu dis !
Elle est très forte cette lettre, très belle, vraiment très très belle. Je ne sais pas trop quoi te dire de plus, c'est émouvant au plus haut point.
Beuh j'aurais aimé te faire un commentaire bien plus long mais, parfois, le court est l'ami du bien.
Félicitations !
Oui, je sais c'est pas très gai tout ça, ces mots sont très importants pour moi, c'est pourquoi peu importe le concours, je ne pouvais pas en rajouter un de plus. Merci de ta visite et à très bientôt !
C'est terriblement réaliste, cette petite lettre. Terriblement terrible que de réaliser toutes ces occasions où on ne dit pas ce qu'on devrait dire en pensant qu'on aura le temps plus tard.
Buh. Jolie participation.
Dans cette situation extrême que tu nous décris, la communication ne passe plus que par le regard, et quels regards tu nous offres ! Magnifique.
Et je suis d'accord avec toi à cent pour cent pour ce que tu dis sur l'écriture !
On perçoit bien une part de toi dans ce texte, même si je ne saurais dire exactement laquelle ni jusqu'à quel point. Mais c'est une situation susceptible de toucher n'importe qui je crois. Et qui me rappelle aussi inévitablement ce que j'ai vécu il y a moins de deux mois.
Quoi qu'il en soit, merci pour cette production très touchante et bravo pour ta participation !
Donc vraiment bravo :) (C'est seulement le deuxième texte que je lis, mais ça y est, je sais déjà que je vais avoir un mal de chien à voter !)
Merci en tous cas pour ta lecture et ce très gentil commentaire.
A bientôt !
Il y a quelque chose de très réaliste dans ton texte ; je crois qu'il peut parler à énormément de monde. Personnellement le thème de l'incommunication entre les êtres humains me touche et m'intéresse beaucoup.
Merci pour cette lecture !
A bientôt
~ Liné
A bientôt !
Très belle participation, bravo Aranck !
C’est très gentil à toi d’être passée par ici.
Ce texte ne m’a pas fait que du bien lorsque je l’ai écrit, mais je crois que je le porte en moi depuis un certain temps. Le mettre en mots précis et le donner à lire est, par contre, quelque chose d’éminemment positif. Encore un grand merci (pour tout !)
oui ce texte m'a permi de passer un cap en l'offrant à la lecture. De prendre plus de recul peut-être aussi. Tes commentaires me touchent beaucoup !