Troll farceur et elfe farci - Naheulband & Pen of Chaos

Par Pouiny
Notes de l’auteur : https://youtu.be/tVd2pkLGCxg

Il n’y eut qu’assez peu de belles choses qui me soient arrivées, l’année de mes 18 ans. Mais mon anniversaire en fut une, inoubliable.

 

Je fais partie de ceux qui, nés peu avant Noël, ne parvenaient jamais à organiser de vraies fêtes malgré toute leur bonne volonté. Il était courant, dans mon enfance, que j’invite des camarades de classe et qu’ils refusent de venir ou oublient de me dire qu’ils ne pouvaient pas. J’ai passé plusieurs anniversaires à attendre l’arrivée de plein d’amis pour que quasiment personne ne se présente. En grandissant, je n’avais tout simplement plus d’amis à inviter, si bien que j’avais laissé les fêtes pour juste manger un gâteau avec ma sœur, mes parents et ma grand-mère.

 

Mais en changeant d’établissement pour ma dernière année de lycée, quelque chose avait évolué. Je m’étais inscrit dans un club de jeux de rôles, j’avais rencontré des amis, de vrais amis comme je n’en avais jamais eu. Alors, voulant marquer le coup pour l’année de ma majorité, j’ai pris mon courage à deux mains et je les ai invités. Ils ont tous accepté, sans hésiter.

 

Mon père, pour l’occasion, avait accroché la boule disco. Elle brillait en tournant dans toute la grande pièce. Il avait installé un vidéoprojecteur, que j’avais branché à mon ordinateur. Il avait également sorti des amplis qu’il utilisait d’ordinaire durant les concerts du groupe de musique de ma mère, et nous avait prêté des micros. Nous étions prêts pour la meilleure soirée karaoké de notre vie.

 

J’avais eu l’idée en voyant ma sœur chanter à tue-tête le générique de Fullmetal Alchemist. J’avais demandé à tous les invités, tous étaient d’accord. Alors, pendant des mois, j’avais appris à placer des sous-titres de karaoké sur des vidéos. J’avais suggéré que tout le monde me propose des chansons afin que chacun y trouve son compte. Il y en avait au total quarante. Je fis les sous-titres pour la moitié d’entre elles, pendant un mois, aidé par un ami qui faisait le reste.

 

Nous étions une dizaine, mais nous étions tous unis par les mêmes passions : le jeu de rôle, les univers de médiéval-fantasy, les vidéos sur YouTube. C’était naturellement que nous nous sommes tous réunis, comme bien d’autres jeunes de notre âge, sous les musiques du Naheulband. Inspirées directement de la série audio et dérivée en bande dessinée Naheulbeuk, les chansons mettent toutes en scène un univers classique de jeu de rôle avec beaucoup d’humour. Et la première chanson que j’avais décidé de placer pour le début de cette soirée karaoké était le « Troll farceur et elfe farci ».

 

Il n’y avait comme lumière dans la pièce que le vidéoprojecteur, une petite lampe de chevet pour pouvoir utiliser le clavier de l’ordinateur, et la boule disco de mon père. Nous étions tous affalés dans les canapés, certains s’étaient emparés des micros. Mais ceux qui n’en avaient pas chantaient tout aussi fort. Les paroles qui se répétaient, en plus du refrain qui revenait souvent, permettant à ceux qui ne connaissaient pas de facilement prendre le bateau en route. C’était cette répétition qui avait rendu les sous-titres particulièrement longs et insupportables.

 

Tout le monde était uni dans le chant, et tout le monde s’amusait à exagérer certaines blagues de la chanson. J’avais l’impression de n’avoir jamais connu une ambiance aussi chaleureuse auparavant. Et c’était grâce à moi, pour moi, qu’ils étaient là. Je pense que mes yeux, à cet instant, devaient briller aussi intensément que la boule disco au-dessus de moi.

 

Les musiques se sont enchaînées, faisant parfois des pauses dans le karaoké pour que mes parents puissent afficher de vieilles photos de moi enfant ou que l’on puisse m’offrir mes cadeaux. Jusque-là, il me semble que les seules personnes qui m’en avaient fait étaient de ma famille, puisque quasiment personne ne venait à mon anniversaire. Mais là, ils en avaient tous un pour moi. Un ours en peluche, un collier représentant un globe terrestre… Elle me murmura en s’excusant « il a été fait main, mais la personne s’est trompée, la terre est à l’envers! » ; je me suis dit que ça me correspondait bien.

 

Il y eut des jeux, des blagues, des rires. Même sans la chanter, « le troll farceur et l’elfe farci » restait dans l’ambiance de la fête. Un ami particulièrement féru de ces chansons de Naheulbeuk les mettait sans cesse sur les amplis et chantait fort par-dessus alors que l’on goûtait le gâteau qui avait été fait spécialement pour moi. Tous réuni autour de la table, il se créa quelque chose ce soir-là qui ne partit jamais : une guilde de faux mages, dont on avait tant rêvé avec ma sœur depuis des années, venait de prendre forme. La guilde de Kalh’Ydnah, regroupant les pires énergumènes que j’ai pu rencontrer, naquit le jour de mes 18 ans.

 

Cette soirée fut si incroyable, si intense, si chaleureuse et en même temps si sage et enfantine que je n’eus à cœur que de la reproduire à chaque année qui passait. Je changeai les chansons, on s’inventait des jeux, certains organisaient une partie sur un coin de table, mais toujours le Naheulband perdurait, et pour taper du poing sur la table avec l’ancêtre Gurdil ou chanter au nom du troll du Chaos, tout le monde s’arrêtait, même bien des années plus tard. Je sais que cela peut paraître aberrant de penser que la plus belle fête possible pour un garçon de dix-huit ans soit d’entonner des airs stupides en lançant des dés avec un verre de jus d’orange ou une bière tout au mieux. C’est cette incompréhension qui fait très certainement de Kalh’Ydnah la meilleure et la plus étrange des guildes, et que je ne pourrais jamais remercier assez ses membres de rester à mes côtés plus de cinq ans après. Et sûrement aussi, la raison pour laquelle la chanson « Troll farceur et elfe farci » est un rituel de passage obligé pour chaque nouveau membre qui veut s’amuser en notre compagnie.

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