Nouvelle n°2 : « Tu t’es libéré » - Paula & Arthur
Samedi 21 décembre 2024. 8h27. Caen. PadelShot, club house.
Paula grelote. Doigts engourdis par le froid, bonnet enfoncé jusqu’aux yeux, écharpe remontée au-dessus du nez, elle jette un coup d’œil à son téléphone. Soulagement. Une bonne quinzaine de minutes s’offrent à elle avant sa séance de padel avec Neema. Génial ! Elle pousse la porte du club house. Regard vers le bar. Arthur, le coach (sourire à la Matteo Berrettini) est installé, une tasse de café entre les mains. Paula va à sa rencontre. Il est vraiment superbe, mais… trop jeune et surtout très suffisant. Outre son physique, ce qu’elle apprécie aussi, chez lui, c’est son style. Une attirance assez superficielle à première vue. Aujourd’hui, c’est total look Lacoste crème (survêtement et doudoune), baskets Adidas blanches et chaussettes beiges égayées de fraises bien rouges. On peut dire qu’il ne passe pas inaperçu.
Le jeune homme de vingt-sept ans lève les yeux vers Paula. Son regard émeraude réchauffe, instantanément, le corps tout entier de la jeune femme. En une fraction de seconde, le froid s’est éclipsé. Quelle magie, l’attraction homme-femme !
Arthur : Hello. – 2,5 degrés ce matin !
Paula : Coucou Arthur… Ne m’en parle pas…
Arthur : Un café ?
Paula : S’il te plaît.
L’arôme corsé s’est mêlé au parfum d’Arthur. Le mélange pourrait incommoder mais, il n’est pas sans déplaire à Paula qui le trouve subtil et captivant. De ses mains graciles, elle porte la tasse à l’effigie du club, logo vert Stabilo d’un goût incertain, à ses lèvres charnues, hydratées par son baume. Ces dernières ne laissent d’ailleurs pas Arthur indifférent. Paula lui plaît. Elle lui a tapé dans l’œil dès leur première rencontre, en juillet dernier. Néanmoins, il est peu probable qu’un jour, il le lui avoue. Sa fierté ordonne, ses envies profondes fléchissent. En effet, il n’a jamais fait le premier pas avec une femme. Excepté avec Jade. Jade l’exception d’Arthur. Celle qu’il a désirée, chérie, aimée. Celle qu’il n’aurait jamais quittée. D’ailleurs, Paula lui ressemble sous quelques aspects. Son tempérament, sa douceur, son érudition, ses grands yeux gris et son regard profond. Certaines de ses expressions aussi. Sa façon de tenir sa tasse de café, à deux mains, par le dessous, ou encore de remettre sa mèche de cheveux derrière son oreille. Arthur aime la gestuelle et la délicatesse des mains féminines. Outre le regard, c’est ce qui capte, en premier, son attention. Des mains non soignées entérinement directement toute forme de rapprochement futur, même pour une jolie femme à la tête bien faite. Ce faisant, il se rend régulièrement chez Sylvie, sa manucure, pour soigner les siennes. Peu commun pour un homme, certes. Mais non déplaisant.
Avec Paula, une certaine nostalgie est née en lui, ce qui a décuplé sont attrait pour la jeune femme. De temps en temps, il se demande si cette attirance est saine, si ce désir ne cache pas quelque chose qu’il ne sait pas encore définir. Enfin, peu importe, elle lui plaît et c’est bien assez rare qu’une femme s’empare de ses pensées comme Paula sait le faire, à son insu. Alors, dès qu’il le peut, il lui lance des regards appuyés ; fait preuve de galanterie. Elle est la seule à qui il propose toujours quelque chose à boire, à qui il ouvre toujours la porte, à laquelle il parle souvent de tout et de rien car, généralement, les filles et les femmes l’ennuient rapidement. Mais Paula, non. Elle est brillante, fine, agile avec les mots, juste, honnête, tranchante, parfois… et il adore ça ! Que d’émulation intellectuelle en sa présence. Il adore l’écouter, surtout quand elle évoque ses connaissances sur le fonctionnement du monde, ses théories sur la réincarnation, sur le corps, l’âme et l’esprit. Elle est différente et il la trouve fascinante.
Un téléphone se manifeste.
Paula : Neema ne vient pas... Pas de padle aujourd’hui. Ouf ! Mes mains n’auraient pas survécu.
Arthur : Deuxième café alors ! J’ai cours dans 30 minutes, on a le temps !
Arthur se réjouit. A ses côtés, il se sent si bien. Son aura caresse la sienne et l’englobe, parfois, tout entière. D’ailleurs, cette sensation inconnue jusqu’alors le surprend dès qu’elle s’immisce dans son corps. Son être se tend sous cette douce volupté enivrante.
Arthur : Paula…
Les regards s’accrochent et, sans se quitter.
Arthur : Tu sais, Jade…
Paula : Dis-moi.
Arthur : Je n’en ai jamais parlé à personne…
Ses yeux se baissent un court instant. Ses doigts jouent avec le zip de sa veste de jogging. Moment de répit. Paula lui prend la main. Il la regarde à nouveau, fixement.
Arthur : Elle a eu une leucémie. Elle est morte, il y a quatre ans…
Paula reste muette. Parfois, aucun mot n’est assez puissant pour avouer sa peine. Elle serre plus fort sa main.
Arthur : T’es la première à qui je le dis. Mais j’avais besoin que tu le saches. Ça fait des semaines que j’y pense…
Paula : Tu sais que je suis là pour toi Arthur. Tu peux me faire confiance. Je suis désolée ; je n’ose imaginer ce que tu ressens.
La tendresse est palpable. C’est fort, sincère, plein.
Paula : La maladie et la mort sont des expériences. Chacun d’entre-nous les traverse. Je t’ai déjà parlé de Christiane Singer. Cette superbe et brillante femme.
Arthur : Oui …
Paula : Dans un de ses livres, elle a écrit : Il n’est que l’expérience à terme qui libère. Avec Jade, tu as expérimenté les choses les plus dures de l’existence humaine. Toi, tu es là, avec moi, aujourd’hui. Tu es blessé mais tu vis. Tu apprends donc grâce à cette expérience et tu peux la surmonter en gardant en toi toutes les belles choses que tu as apprises.
Arthur : Tu as raison Paula. Tes mots sont toujours si justes. Ça me fait du bien.
Paula : Tu vois, en me le disant, tu t’es libéré. Et, à présent, tu pourras m’en parler à chaque fois que tu en ressentiras le besoin.
Paula et Arthur sont, désormais, unis dans la confidence.
Ainsi, s’ouvrir à autrui est gage de liberté. Une forme de lâcher-prise, un « oser » difficile mais qui, au final, engendre douceur, ouverture du cœur et apaisement.