Elle devina le mal de tête avant même d’ouvrir les yeux.
A tâtons, elle enfila ses vêtements.
Elle sortit en ignorant son miroir. Affronter son reflet était au-dessus de ses forces.
Un jus d’orange, un coup de brosse et elle s’accouda sur son balcon.
Après trois cigarettes, son mal de crâne s’estompa quelque peu. Un chewing-gum, du parfum, ses cheveux attachés en chignon, elle prit son cartable.
Un sourire bien en place sur ses lèvres, elle se rendit à l’école en fredonnant une comptine.
Elle salua ses collègues d’un hochement de tête chaleureux.
Ils s’empressèrent de chuchoter entre eux dès qu’elle eut le dos tourné.
Cela lui importait peu. Elle avait cessé de pleurer du jugement des autres depuis bien longtemps.
Elle prépara sa classe et récapitula en pensée son cours de la journée avant que les élèves n’arrivent. Sacha, toujours le premier, la salua avec entrain. Louise, plus calme et réservée, s’assit à sa place sans un mot.
Pauvre gamine. Ses parents avaient divorcé récemment et sa mère avait attaqué son père en justice pour des raisons qui la dépassaient. Comment peut-on infliger ça à ses propres enfants ?
Jusqu’au déjeuner, la journée se déroula normalement. Ses élèves étaient pour une fois sérieux et Pierre ne se moqua de Louise qu’une fois. Durant la récréation, comme tous les jours ou presque, le directeur la “convoqua” dans son bureau pour la draguer lourdement. Cette fois, il ne posa pas sa main sur sa cuisse mais lui donna une tape sur les fesses avant de partir. Elle subissait cette humiliation quotidienne sans broncher uniquement parce qu’elle inventait chaque jour une nouvelle torture à lui infliger dans un monde parallèle.
Lorsque les enfants partirent déjeuner, elle alla s’asseoir dans sa voiture pour fumer. Une camionnette se gara à côté d’elle.
Elle retrouva ses élèves le cœur plus léger. Dieu merci pour la nicotine et cette sensation de vertige merveilleux qu’elle procure. Elle attaquait la création du cadeau pour la fête des mères quand le premier bruit suspect se fit entendre.
Un claquement, une remarque cinglante d’une de ses collègues qui finit dans un cri de terreur. L’alarme anti-terrorisme une minute après.
La meilleure façon d’agir, c’est de rester calme. Elle barricada la porte de la classe avec les tables, expliquant aux enfants qu’ils allaient faire un jeu.
“Mais Maîtresse, le cadeau de la fête des mères ?” demanda Sacha.
Elle les fit asseoir par terre et “jouer au jeu des muets”.
Inconscients du danger, ils riaient.
Le premier coup de feu se fit entendre. Elle essuya son front couvert de sueur.
Des travaux à côté de l’école, expliqua-t-elle aux enfants.
Ils acquiescèrent, mais leurs petits visages étaient devenus pâles.
Elle avait envie de tous les serrer contre elle, caresser leurs cheveux et leur dire que tout irait bien mais cela ne ferait qu’accentuer leur angoisse.
Elle les observa un par un. Son regard s’attarda sur Louise. Ils étaient si innocents, elle ne pouvait pas les laisser mourir. Pas ici. Pas aujourd’hui. Pas pour payer un crime qu’ils n’avaient pas commis.
Elle sortit son paquet de cigarettes et prit une bouffée revigorante. Elle regarda ses doigts cesser de trembler.
“Maîtresse, tu fumes ?”
Elle ne répondit pas et attrapa son revolver dans son cartable. Le temps était venu.
Elle ordonna aux enfants de ne pas bouger, décala les tables et sortit de la classe. Elle ne mit pas longtemps à les retrouver. Ils étaient dans le bureau du directeur et ce dernier était salement amoché. Il gémit son nom en la voyant. Elle lui jeta un regard indifférent et ne put résister à la tentation de lui décocher un coup de pied bien placé.
“Thibault, Rodrigue. Rentrez chez vous.”
Les deux hommes se figèrent. Les vieilles habitudes ne meurent pas. Cet instant d’hésitation était tout ce dont elle pouvait rêver. Deux tirs. Deux battements de cœur s’éteignirent.
“C’était tes amis.”
Elle n’avait pas besoin de se retourner pour savoir à qui appartenait cette voix.
“”La camionnette toute à l’heure, c’était vous.”
“Ils étaient tes amis.”
“Pas après ce qu’ils ont fait à Stan.”
“Oui, c’était nous.”
Un ange passa. Ils se tenaient tous les deux en joue.
“Tu ne tireras pas.”
“Toi non plus.”
“Rentre avec moi.”
“Non.”
“Rentre avec moi ou je te tue.”
La mort était une délivrance qu’elle attendait depuis si longtemps.
“Et après ça, j’assassinerai toutes les personnes de cette école.”
Son doigt pressa la détente. Il tituba, observant la tâche rouge sur sa poitrine s’agrandir.
“Tu ne t’es jamais remis d’avoir perdu ce procès, Jacques. C’est comme ça qu’il aurait dû finir il y a bien longtemps. Maintenant, seul Dieu peut te juger.”
Il s’effondra. Un dernier coup de feu et les gémissements du directeur s’éteignirent. Un seul coeur battait dans le bureau couvert de sang et de cadavres.
Elle tourna les talons, sortit de l’école, alluma une cigarette et fredonna une comptine.