Les jours passaient paisiblement sur la pointe du continent. Le vieillard, le jeune homme et Sterenn avaient créé une vie cadencée comme du papier à musique. Ensemble, ils prenaient le petit-déjeuner, époussetaient les étagères et balayaient la chaumière. Le vieillard s’occupait de ses pièges et l’Artiste et Sterenn se chargeaient de trouver des fruits et du miel. Parfois, le vieil homme parvenait à récupérer du lait des chèvres sauvages qui peuplaient la forêt. Elles le connaissaient bien, depuis toutes les années qu’il avait passé ici, et acceptaient sa présence. Elles apprenaient désormais à connaître Sterenn. La jeune fille suivait les conseils de son père à la lettre et bientôt, les animaux la laissèrent les toucher.
Sterenn apprenait vite. Le vieillard ne cessait de le répéter et force était de constater qu’il disait vrai. Elle réussissait tout ce qu’elle entreprenait : qu’il s’agisse des tâches ménagères, de la lecture, l’apprentissage des plantes et le nom des étoiles, Sterenn voulait tout savoir et étudiait chaque chose avec plaisir. Seule l’écriture lui résistait encore et plus pour longtemps. Le vieil homme disait que c’était de famille, et l’Artiste hochait la tête tout en pensant que la Déesse était sans doute derrière tant de talents. Ils en discutaient parfois plus sérieusement. Sa nature d’automate pouvait être la source de ses dons, mais l’hypothèse ne satisfaisait entièrement ni l’un, ni l’autre. Le vieillard se renfrognait s’il entendait le nom de la Déesse prononcé trop souvent. L’Artiste, lui, avait du mal à se retenir de lever les yeux au ciel si son hôte insistait que c’était grâce à lui, à sa dévotion et aux années dédiées à sa création, que Sterenn était si douée. La conversation déviait le plus souvent sur l’unique chose que la jeune fille ne parvenait pas à faire : parler. Le soir venu, lorsqu’ils étaient tous assis devant l’âtre, les deux hommes essayaient de réveiller sa voix. Ils avaient tout essayé : le miel et le thé, les chants et les poèmes, multiples vérifications de ses rouages. Tout restait sans effet. Cela mis à part, Sterenn devenait chaque jour plus humaine. Elle souriait aux blagues de son père, riait aux histoires de l’Artiste, et n’hésitait pas à exprimer ni sa joie, ni son mécontentement. Elle le faisait juste sans un son.
L’Artiste avait arrêté de compter les jours. Il se rappelait vaguement qu’il habitait chez le vieil homme et sa fille depuis environ six mois mais il ne s’en souciait guère. Lui qui avait tant vagabondé ne pensait pas au départ. Vivre au bout du monde avait son charme. Et puis, sa quête n’avait pas encore complètement abouti. Certes, Sterenn était là et la Déesse lui avait simplement indiqué d’aller la voir. Mais son mutisme lui disait plus clairement que n'importe quel rêve prémonitoire qu’il devait encore rester. Elle ne pouvait pas parler ? Qu’à cela ne tienne ! Il serait sa voix. Mieux : il l’aiderait à trouver la sienne.
—Quel genre de voix aimerais-tu avoir, Sterenn ? lui demanda-t-il un jour.
Ils avaient pris l’habitude d’arpenter la lande ensemble. Elle parce qu’elle y découvrait constamment de nouveaux sujets d’émerveillement, lui parce qu’il pouvait la contempler tout son saoul. Ce jour-là, le temps était clément. Une brise agitait les arbres au loin et apportait avec elle le parfum des fleurs de printemps. Le soleil brillait haut dans le ciel. L’Artiste portait à son bras gauche un châle sur lequel Sterenn avait brodé des oiseaux de mer, au cas où elle aurait froid. La jeune fille était accrochée à son bras droit. Ce bout de terre aurait aussi bien pu être l’entièreté du monde. La jeune fille pencha la tête sur le côté, yeux mi-clos, réfléchit un instant avant de pointer du doigt l’horizon. Le jeune homme suivit sa direction avant de se tourner vers elle :
—Comme l’océan ? Forte comme le roulis et écrasante comme la tempête ? Combien de marins as-tu l’intention de faire sombrer sous ton courroux ? Moi qui croyais t’avoir fait peur avec mes contes de sirènes, je t’ai en vérité donné de l’inspiration !
Elle le tapa sur l’épaule, souriante, avant de tracer dans l’air, du plat de la main, une ligne droite et légère. L’Artiste acquiesça :
—Ah, tu désirerais plutôt une mer d’huile. Malheureusement, je crains que tu ne puisses pas avoir l’un sans l’autre. Tu te lasserais vite du calme des eaux sans vent, de toute façon. Ne me regarde pas comme ça, je t’assure que si. Il n’y a rien de plus ennuyeux que de ne pas pouvoir s’exprimer à sa guise. Il faut que tu sois capable de crier, de hurler même ! s’écria-t-il en levant les bras bien au-dessus d’elle.
Sterenn leva les yeux au ciel, sans pouvoir cacher son amusement. Quand il se lançait dans une de ses envolées lyriques, il se transformait. Son visage se métamorphosait, ses gestes devenaient si étrangers à l’Artiste qu’elle connaissait que pour un peu, elle aurait cru qu’un autre avait pris sa place. Toutefois il reprenait bien vite son propre rôle. Sterenn ne s’en lassait pas. Mais il utilisait parfois son bagout pour l’amener sur des chemins qu’elle préférait éviter. Sterenn n’avait pas envie de parler de sa voix absente et de ce qu’elle pourrait être. Il y avait tant de choses qui existaient bel et bien et dont elle ignorait l’existence ; elle le savait d’instinct, ça aussi, que le monde était vaste autour d’elle.
Elle pointa du doigt la forêt devant eux. Le visage de l’Artiste s’assombrit aussitôt.
—La forêt des Fonds Sombres, oui. Je ne t’en ai jamais parlé, vraiment ? Je n’en sais pas grand-chose. J’y suis passé pour venir ici, et j’y suis retourné une fois pour y trouver un cadeau. Il caressa une mèche de cheveux qui reposait sur l’épaule de Sterenn. Il y a des créatures étranges et dangereuses. Sans la Déesse, ils ne m’auraient pas laissé repartir.
La jeune fille se mit sur la pointe des pieds ; d’un geste du poignet et d’un regard curieux, elle lui demanda ce qui se trouvait au-delà des bois.
—Derrière les Fonds Sombres, ma chère, il y a le monde ! On a beau marcher, on n’en voit pas la fin. Il y a des fleurs de toutes les couleurs, des maisons plus grandes que des arbres, et surtout, il y a des gens ! Toutes sortes ! Petits, gros, joyeux, aigris, il y a autant d’hommes qu’il y a de gouttes dans la mer. Ils parlent des langues bien différentes de celle-ci, inventent des jeux… Ils dansent, aussi.
L’Artiste tendit soudain la main à son amie, qui la prit. Il l’attira vers lui avec un sourire et murmura :
—Connais-tu le mot « danse », Sterenn ?
Elle secoua la tête. Il guida sa main gauche sur son épaule, plaça son bras sur le sien. Il tendit le bras droit et Sterenn fit de même. Leurs doigts enlacés, en miroir l’un de l’autre, Sterenn et l’Artiste s’observaient. Le visage du jeune homme avait gardé des traces de ses aventures. De petites cicatrices par-ci, par-là, des trous dans les lobes de ses oreilles. Des fossettes creusaient ses joues rosies par le froid. Lentement, il se mit à les balancer d’un pied sur l’autre. Puis il fit un pas sur le côté, et un deuxième, et Sterenn le suivit. Il la fit pivoter à droite. Elle écarquilla les yeux mais se retint fermement à lui. Le sourire de l’Artiste s’élargit.
Ils bougeaient de plus en plus vite. Ils dansaient, ils tournaient, virevoltaient. Ses pieds suivaient aveuglément ceux du jeune homme. Ils étaient devenus un axe qui faisait vriller le sol comme une toupie. Et plus ils dansaient, plus elle sentait son cœur accélérer. L’Artiste chantonnait un air et ils marchaient sur ce rythme. Sterenn connaissait peu de chansons, mais celle-ci devint sur-le-champ sa préférée. Il la faisait tourner et elle riait, elle riait tant qu’il se mit à rire lui aussi, si bien qu’ils durent s’arrêter tous les deux de danser. Pliés en deux, ils ne pouvaient pas s’arrêter. Sterenn s’assit par terre avec un soupir satisfait. L’Artiste s’allongea à côté d’elle.
La tête de Sterenn tournait encore, si bien que le ciel glissait de sous son dos pour rouler sur le bout de son nez. Les nuages en cercle se mordaient la queue au-dessus d’elle. Soudain, un groupe de mouettes perça la nuée blanche. Voyant le vol désordonné de ces oiseaux, Sterenn tapa le bras de son ami et les pointa du doigt. Il s’étira et dit :
—Je ne sais pas où elles vont. Elles ont sans doute des nids cachés dans la roche. Peut-être des œufs à couver, à moins qu’ils n’aient déjà éclos. Ou alors, il se redressa sur ses coudes, l’air penseur, elles ont décidé de poser leurs bagages dans un pays plus chaud. Il parait que de l’autre côté de la mer, la terre est couverte de sable rouge. Leur soleil n’est pas le même que le nôtre. : il a avalé ses six frères et ils brûlent en lui. Du coup, il y fait beaucoup plus chaud… Que dis-tu ? Tu voudrais aller de l’autre côté ?
Sterenn acquiesça avec enthousiasme. Le jeune homme lui sourit. Toutefois, elle remarqua son hésitation.
—C’est une excellente idée. Tout le monde devrait voyager. Dans quelques années, quand tu seras prête, nous pourrons y aller ensemble.
« Prête ? » songea Sterenn en ouvrant des yeux ronds. De quoi parlait-il ? Elle se rassit et lui serra l’épaule. Il ne la repoussa pas. Toutefois, il fuyait son regard. Elle avait tout ce dont elle avait besoin : des jambes pour marcher, une sacoche pour porter ses affaires et un manteau contre le froid. Ses pas n’étaient plus hésitants comme ils l’avaient été autrefois. Elle était prête ! Mais l’Artiste fixait résolument le sol. Il finit par lâcher :
—Le monde est vaste, Sterenn, et le temps poursuit sa route. Un jour, tu auras l’opportunité de partir. Pourquoi ne pas profiter encore un peu de cet endroit ?
La main de Sterenn retomba. Le soleil brillait mais sûrement il s’était éteint, car sa chaleur ne l’atteignait plus. Pourtant elle n’était pas pieds nus et son châle était sur ses épaules. Mais le jeune homme était toujours tourné vers l’océan et son visage, d’ordinaire bavard, restait fermé. Alors Sterenn se leva et partit. Presqu’aussitôt l’Artiste se mit à la suivre mais elle accéléra. Elle n’avait pas envie de le voir et surtout pas de l’entendre. L’entendre ! Il passait ses journées à lui raconter le récit de ses voyages, de ses rencontres. Pourquoi lui avait-il parlé du monde si c’était pour le lui refuser ?
Elle claqua la porte de la chaumière derrière elle. L’Artiste y rentrait à peine que déjà, elle s’était enfermée dans sa chambre. Le vieillard, qui avait entendu le raffut de leur retour, avait passé la tête hors de son établi. Il trouva son invité seul et déconfit.
—Qu’est-ce que tu as fait ?
—Je… commença le jeune homme avant de se taire brusquement. J’ai trop parlé.
Le vieil homme hocha la tête d’un air compatissant et, une fois dans l’établi, retourna à son bureau en sifflotant. L’Artiste, lui, attendit un peu devant l’âtre. Voyant que son amie ne reviendrait pas, il retourna à la lande.
Il avançait à grandes et furieuses enjambées, à la merci des bourrasques glacées. Tout haut, il enrageait :
—Est-ce ma faute si je voulais lui dire ce qu’il y a de meilleur sur cette terre ? Qu’aurais-je dû lui dire ? Que les gens peuvent être si méchants que j’en pleure, que le pain manque parfois et que la neige endort plus sûrement que les plantes ? Je n’allais pas lui parler des seigneurs et de leurs haches, des enfants de paysans aux ventres gonflés et aux yeux vitreux ! Bien sûr qu’il fallait que je lui parle des châteaux, des tours de pierre et des fées, des arbres qui grattent les nuages et de baisers ensorcelés. Qu’est-ce qu’un pauvre type comme moi aurait pu raconter d’autre à une fille comme elle ? Un miracle sur pattes ! Une statue éveillée ! Oh, quand elle m’a dit qu’elle voulait partir, je l’ai tout de suite imaginé : dès le premier village, dès le premier imbécile qui aurait la chance de poser les yeux sur elle, les cris d’effroi, la peur ! Il se planta sur le rebord de la falaise avec la méchante envie de bondir une seconde fois. Je ne suis pas aveugle. Sterenn est une beauté. Mais elle n’est pas humaine pour autant. Elle est… unique. Ils la rejetteraient sur-le-champ. Et c’est là, ma chère Déesse, que j’ai besoin de réponses. Pourquoi l’avoir faite ainsi ? Quitte à la rendre vivante, ne pouvais-tu pas lui laisser une place parmi les hommes ? À ce rythme, elle devra rester ici toute sa vie. Il en bégayait de colère. Coincée entre la mer et le ciel, avec ce vieillard qui sera trop content de la garder pour lui. Et là, c’est moi qui ne le supporterais pas !
Il s’assit, laissant ses jambes pendre dans le vide. Il fixa ses souliers de cuir et le sable à une centaine de mètres sous lui. Le vertige lui piquait la nuque. Il croisa les bras et reprit sa tirade, à mi-voix cette fois :
—Déesse, qu’est-ce que je dois faire ? La prendre avec moi et fuir ? Mais où aller, avec quel argent ? C’est la saison des guerres. La moitié des nobliaux du continent se battent. Partir, c’est prendre le risque d’être pris au milieu. Et le problème de Sterenn reste. Avec une écharpe et des gants, cela dit, on n’y verrait que du feu… Non, elle est trop jolie. Nous attirerions toujours l’attention. Sans parler de ces maudits Fonds Sombres.
Le jeune homme se tut un moment. La lande lui parut soudain très petite et l’océan très vaste. Dans les profondeurs de la falaise, dans les caves, les radeaux fantômes d’hommes qu’ils ne connaitraient jamais gisaient sur le sable et, quelques mètres en-dessous d’eux, des cristaux multicolores brillaient alors qu’il n’y avait personne pour les voir. L’Artiste se demanda ce qu’il en était de lui. Il était là, dans l’herbe folle, les doigts tachés d’encre rose et il n’avait rien à faire. Le silence de la Déesse le tourmentait plus que de raison. Peut-être l’ignorait-elle parce qu’il s’était détourné de sa mission de vagabond, ou parce qu’il n’avait pas trouvé la voix de Sterenn. Sterenn, charmante Sterenn aux yeux insondables. Il prit le temps de regarder le soleil se noyer dans les flots avant de revenir sur ses pas.
Le vieil homme avait construit une petite annexe à la maison, une chambre pour sa fille. Accolée à l’un de ses murs, c’était une petite pièce recouverte du sol au plafond de tapis ramassés au fil des années. Seul un cercle de verre, maintenu par une croix noire forgée, laissait passer les rayons de lune. Il lui montrait l’extérieur. En se mettant sur la pointe des pieds, elle pouvait voir la falaise battue par les vents. C’est de là qu’elle vit avec soulagement l’Artiste rentrer, une fois la nuit tombée. Elle dut faire un effort pour se rappeler pourquoi elle ne voulait plus lui parler. Elle avait hâte qu’il change d’avis.
Une fois sûre que tous étaient endormis, elle prit le petit miroir rond que son père lui avait offert et se rapprocha de la fenêtre. Là, miroir en main, elle se regarda sous toutes les coutures. Lorsqu’elle se perdait dans ses pensées, les strates de ses épaules et les articulations de ses poignets disparaissaient. Sa peau était aussi lisse et unie que celle de son ami et de son père, que les personnages que ce dernier dessinait encore parfois, auprès du feu. Mais ici, elle ne voyait qu’elle. Son mécanisme n’avait plus de secret pour elle. Son père lui en avait expliqué le fonctionnement avec force démonstrations. Alors pourquoi son visage ne bougeait pas comme celui de l’Artiste ? Elle ferma les yeux. Le noir de ses paupières lui servait de toile. Elle pouvait y voir tous ses souvenirs à sa guise. L’Artiste lui apparut. Elle étudia le pétillement de ses yeux, le plissement de son nez lorsqu’il souriait, son menton tremblant quand il mimait des pleurs et le rouge de son front qui l’enflammait lorsque la colère envahissait un de ses personnages. Mais elle avait beau tirer la langue et gonfler ses joues, elle ne devenait pas une princesse, une sorcière ou un chevalier. Sterenn restait Sterenn. Elle jeta le miroir sur son lit et se glissa sous ses couvertures.
Même ses rêves ne lui laissaient pas de liberté. Elle ne voyait jamais qu’une mer d’arbres, sans fin, qu’elle parcourait pendant une éternité. Ce n’est qu’après plusieurs lunes et plus encore de soleils qu’elle atteignait une clairière. Les racines des chênes et des pins laissaient peu à peu apparaître des carreaux blancs et noirs, jusqu’à ce qu’ils recouvrent le sol. Elle prenait alors place sur un siège en bois, creusé dans une vieille souche, et attendait que les cinq autres soient à leur tour pris. Parfois, elle tournait la tête et voyait que celui à côté d’elle était spécial. De l’eau y jaillissait à gros bouillons, coulait à flot entre ses racines et prenait des teintes azur et or. Elle se réveillait toujours avant que quiconque ne la rejoigne.
Le lendemain matin, alors qu’elle faisait la vaisselle, le vieillard lança nonchalamment :
—J’ai cru comprendre que vous vous étiez disputés, l’Artiste et toi.
Sterenn lui jeta un regard d’avertissement. Il leva une main, l’autre reposant sur le manche de son balai :
—Je dis ça comme ça, c’est tout. Je ne veux pas que tu aies de la peine.
La jeune fille savait qu’il disait vrai et elle hocha la tête. Rassuré, le vieil homme dit avec un peu trop de joie :
—Ne t’inquiète pas, ma chérie. Les désaccords, ça arrive. En attendant que vous vous réconciliez, tu pourras m’aider avec mon nouveau projet ! J’ai retrouvé de vieux dessins et je me disais qu’il était temps que je me remette au travail. Mais cette fois, nous le ferions ensemble. Qu’en dis-tu ? Père et fille, côte à côte, la main à la pâte !
Elle acquiesça. Elle ne savait pas trop de quoi il parlait. L’établi débordait de feuilles volantes et de plans mystérieux qui se résumaient la plupart du temps à quelques lignes sibyllines. Savoir duquel il parlait était impossible. Mais le vieil homme paraissait content, alors Sterenn était contente aussi. Du moins, jusqu’à ce qu’il dise :
—Ce jeune homme est bien gentil, mais je mettrais ma main au feu qu’il invente la moitié de ce qu’il raconte. C’est un beau parleur, pour sûr. Ma Sterenn, écoute ton vieux père : il y a des gens dans ce monde qui mentent comme ils respirent. Pas qu’il soit une mauvaise personne, non, non, je ne dis pas ça. Seulement, ne crois pas tout ce qu’il te dit.
Sterenn jeta le bol qu’elle tenait dans la bassine d’eau. Il venait d’agir exactement comme elle le redoutait. Son père considérait l’Artiste comme le jeune homme le plus agréable du monde un jour, et le lendemain comme un coquin qui parlait trop. Son opinion paraissait changer avec le vent. Sterenn était peut-être née hier, mais elle aurait voulu ignorer ce qui se passait qu’elle n’aurait pas pu. Elle était muette, pas aveugle. Elle avait noté les tics nerveux de sa moustache quand l’Artiste lui prenait le bras avant d’aller sur la lande. Elle avait remarqué les corvées qui s’allongeaient tandis que le vieillard, assis à côté d’elle, taillait des animaux en bois qu’il lui présentait avec fierté. Il prenait désormais de longues heures pour préparer ses vêtements, tenait à ce qu’elle l’assiste dans les moindres tâches sous prétexte d’apprentissage. L’Artiste, pendant ce temps, restait seul avec ses mots et ses peintures. Il ne se plaignait pas de ces mises à l’écart, ne les mentionnait jamais. Au contraire, il souriait à pleines dents dès que père et fille réapparaissaient. Une tempête grondait dans le torse de Sterenn quand elle y pensait. « Injuste » lui venait à l’esprit. C’était un mot salé comme l’eau qui s’écrasait contre la roche en vagues furieuses. C’était un mot qui la perçait comme une flèche. « Injuste » la poussait vers l’Artiste et voulait lui prendre la main. Seulement, une nouvelle question sans réponse la tourmentait désormais. Pourquoi le vieillard désirait tant garder l’Artiste près de lui malgré sa frustration à son égard ? Une promesse secrète devait les lier. Mais quel que soit leur arrangement, ni l’un, ni l’autre ne le mentionnait jamais, et Sterenn n’avait pas les mots pour creuser cette affaire. Elle se contenta donc de frotter les couverts jusqu’à ce que les bulles de savon remplissent le salon, en rêvant d’amis sincères et de pères moins encombrants.
Ainsi les jours s’écoulaient, hier se confondant avec aujourd’hui et aujourd’hui avec demain.
Jusqu’à ce que demain ne vienne pas.
Un saut dans le temps, six mois déjà. Le grand voyage ne va plus tarder maintenant que Sterenn veut voler des ses propre ailes
Des sièges vides, je suppose que nous sauront qui les occupent dans la suite! pas assez de temps pour tout lire!
A très vite!
Ça me fait plaisir de te voir lire cette histoire, j'espère que la suite te plaira ! Pour ce qui est sièges vides, la réponse n'est pas pour tout de suite; c'est surtout un indice pour les histoires d'après, notamment celle que j'écris en ce moment, Les dieux en exil. Quoi qu'il en soit, vu qu'on est sur Discord, tu finiras bien par avoir le fin mot de l'histoire :)
À bientôt !
Une histoire sublime et des personnages toujours plus attachants. Tu prends ton temps pour le déroulement, c'est tout doux. résultat : un petit bout de quotidien devenu magique. J’ai envie de faire plein de compliments !
Juste un petit point, le long monologue de l’artiste quand il déroule ses tourments.
Peut être le rythmer avec des attentes de réponses qui ne viennent pas, puisqu’il invective la déesse. J’ai un peu décroché à ce moment, après peut être que ce n’est que moi et les monologues.
En tout cas, bravo !
Et cette clôture me donne envie d’aller tout de suite à la partie suivante, j’applaudis.
A bientôt,
Contente de te revoir par ici ! Le rythme est en effet tranquille, et j'avais peur que certains ne le trouvent lent. Tant mieux si ce n'est pas trop le cas :) Je note ta remarque pour le monologue, il pourrait être aéré sans trop de difficulté en effet, et ça pourrait le rendre plus lisible.
Merci et à bientôt !
Dommage que Sterenn n'ait toujours pas trouvé sa voix. Je suppose que ça aura un effet cathartique, si jamais ça arrive.
L'émerveillement et la curiosité de Sterenn pour les choses anodines de son quotidien la rendent si attendrissante. On a envie de la protéger.
La scène de la danse avec l'Artiste est adorable ! J'aime la formulation de tes phrases. J'ai eu la tête qui tourne tout en lisant x) Aussi, ça fait plaisir de voir le développement de leur relation.
Comme le vieillard, l'Artiste se montre lui aussi possessif. ça ne m'a pas choquée. Mais, je ne peux pas m'empêcher de me questionner sur l'évolution de leurs sentiments. Sterenn est jeune, après tout.
Quoi qu'il en soit, l'appel à l'aventure ne va pas tarder à se faire entendre. Et, je reviendrai pour ça !
La scène de la danse est une de celles que j'ai eu le plus de plaisir à écrire, donc je suis contente de voir qu'elle te plaise - et que ta tête tourne x) Et je suis également ravie de te voir questionner la relation entre Sterenn et l'Artiste. c'est un élément clé de leur histoire.
Merci pour ton commentaire et à bientôt !
Ps : j'adore la couverture, je la trouve magnifique.
Ce chapitre pose en effet la croisée des chemins. Des réponses sont amenées dans le chapitre suivant, promis ! Quant au vieillard, j'aurais tendance à être d'accord moi-même x)
Merci pour ton commentaire (et contente que la couverture te plaise, j'ai passé pas mal de temps à chercher la meilleure possible !) et à bientôt :)
Ah Sterenn, pourquoi es-tu Sterenn ? On t'ouvre les portes du monde avant de les cadenasser, on te fait vibrer d'émotions avant de te remettre à ta place de trophée. Quelle vie compliquée quand on t'expose à deux formes d'amour !
Au bout du monde, tu nous livres une fin des temps. L'évasion, la liberté et les rêves sont légions, mais la Déesse semble vouloir les laisser mariner un peu plus le temps que la poupée continue d'apprendre à l'école de la vie.
J'aime beaucoup ses nouvelles interactions, sa façon de communiquer pour contrer son mutisme. Manquerait plus qu'elle tombe amoureuse de l'Artiste pour nous peindre collectivement le canevas de l'amour interdit !
Hâte de voir comment la situation se débloquera aux yeux de la Déesse !
Très beau chapitre !
Encore merci pour tous tes commentaires, qui m'ont fait très plaisir ! D'autant plus que tu vises généralement juste : Sterenn est relativement tiraillée entre les deux formes d'affection qu'on lui porte, entre l'Artiste et son père.
Pour ce qui est d'une potentielle romance interdite avec l'Artiste... Disons que la situation est sur le point d'être renversée à ce stade de l'histoire. Tout est prêt à basculer - et la Déesse va effectivement avoir son rôle à jouer.
Merci encore et à bientôt, sur ton histoire ou la mienne :)