Un Silence Mélodieux

Un Silence Mélodieux

Je m'appelle Aaron et laissez-moi vous raconter mon histoire. Tout commence en 1897, âgé de 21 ans j'habitais dans l'état du Mississipi aux États-Unis. Ma passion numéro une, jouer de la musique. J'étais dynamique, ouvert d'esprit, j'avais des cheveux brun et je portais des lunettes qui recouvraient mes yeux vert. J'ai commencé le piano à 8 ans.

 

L'unique paradoxe dans tout cela était que j'étais sourd. Je suis né d’une malformation congénitale. Après un dépistage néonatal, le médecin généraliste a déclaré que mon tympan était inexistant et que je vivrais jusqu’à la fin de ma vie avec une surdité profonde. C’est-à-dire que je n’entends pas des sons de plus de 90 décibels. Le spécialiste a expliqué ce dysfonctionnement à cause d'une infection du cytomégalovirus pendant la grossesse. Après cette annonce, ma mère s'obstinait à penser que c'était sa faute et s'en veut encore terriblement. Personne ne s'y attendait. Fils unique, cette surdité a été aussi douloureuse pour moi que pour mes parents.

 

Mais ma différence que certains qualifiaient comme un handicap, est en fait devenu un atout et ma force. Vous devez sûrement connaître le renommé pianiste et violoniste, Van Beethoven. Il avait lui aussi eu une perte d’audition à 27 ans, et avait eu l'idée de composer avec un piano posé au sol pour percevoir les vibrations des notes. J’ai donc repris cette invention, puis pour apprendre une nouvelle musique, j'observe le placement des mains et synchronise avec les partitions.

 

Jour comme nuit, je jouais sans m'arrêter. Je ne comptais plus les heures, tout semblait s'accélérer lorsque j'étais en contact avec mon instrument. Chaque jour je progressais, je me risquais à de nouveaux accords, m'appropriais de nouvelles partitions.

 

Une belle après-midi de mai s'annonçait et je sortais faire des emplettes pour mon piano. L’accordeur m’avait signalé que les feutres qui permettent d'atténuer le son du piano lui avait paru endommagés et les notes lui avait semblé plus fluides et moins harmonieuses. Ainsi les cuirs ne remplissaient plus leur travail.

 

Longeant le trottoir jusque chez le facteur de piano, je remarquai des affiches sur les murs des bâtisses. Je m'approchai, le portrait d'un homme en noir et blanc était représenté avec inscrit Miller Reese Hutchison puis « RECRUTE PERSONNES SOURDES OU MALENTENDANTES POUR UNE EXPÉRIENCE D'APPAREIL AUDITIF EN ALABAMA » J'ai donc extirpé un prospectus au facteur.

 

Plus je lisais, plus cela m'intéressait. D'un coup je pensai : cette expérience est faite pour moi. Participer aux nouvelles avancées et à l'évolution de la science devenait un rêve réalité. Je pouvais également remporter une bourse de 1000 étalons d'or. Je m'empressai d’écrire une lettre à l'adresse indiquée pour leur signaler que je me portais volontaire. J'envoyai un pigeon voyageur à ma mère ; trois jours plus tard je la retrouvai devant chez elle. Elle pris place sur mon trycicle à moteur Mercedes-benz et nous partions pour Montrose en Alabama.

 

Trois heures et demi plus tard, nous arrivâmes en début d’après-midi devant la grande bâtisse. Je restais planté là, le regard émerveillé devant l’édifice dont nous n’en voyons pas la fin. Nous rentrâmes et nous patientâmes, non sans stress pour ma part. C'était un grand événement, je sortais de ma zone de confort.

Alors que j'étais plongé dans mes pensées, la porte s'ouvrit. Dans l’entrebâillement, je perçus de lourdes vibrations rauques : "Davies"! Ma mère se redressa mais, mes jambes étaient en plomb. Lorsque ma mère me prit par la main, comme si elle était nostalgique ; mes jambes se décrochèrent du sol.

Assis derrière son bureau, l'homme nous serra la main

« -Enchanté M.Miller Reese Hutchison »

Il nous présenta 2 sièges en velours rouge.

« -C'est très courageux à vous de vous porter volontaire, et il faut dire que je ne m'attendais pas à autant de participations. À qui dois-je m'adresser ? »
Je levai ma main
« -Mon fils, Aaron Davies»
«Bien, mon garçon, quel âge as-tu ? »
Je lui signai *21 ans*
Bien sûr M.Miller avait appris la langue des signes au vue de ces rencontres avec des personnes non-entendantes.
« Oh, hum hum, je ne vais pas t'appeler mon garçon alors. » lâcha-t-il en pouffant de rire.
*Quel âge avez-vous ?* lui fis-je comprendre
«-19 ans. »
Effectivement, c'est très jeune pour se dévouer à des recherches aussi fastidieuses, je fus surpris et admirateur mais je le gardai pour moi.

Le jeune chercheur aguerri me fit passer tout examen de type ORL. Il me fit asseoir sur un siège et ausculta mes oreilles. Avec un otoscope il vérifia l'état du conduit auditif et de la membrane tympanique.

«- Si je dois faire un bilan auditif, l'oreille externe est en très bonne santé. La cochlée et le nerf auditif sont en bon état aussi, cependant j'ai pu observer une absence de tympan. Pour faire simple, une oreille normalement constituée, a une fine pellicule transparente au bout de son orifice, afin que le bruit émis fasse trembler votre tympan, qui à son tour va résonner dans les osselets. Seulement, il vous manque cette membrane. Mais ne vous en faites pas nous allons arranger ça. Si vous êtes d'accord pour poursuivre les analyses, revenez ici à 9 heures la semaine prochaine. »


 

Nous remontâmes dans mon petit véhicule, et je retournai chez mes parents durant la procédure de l'expérience. La semaine suivante j'étais invité à me représenter au cabinet de M.Hutchison. Après encore 2 patients, il m’accueilli dans son bureau. Il me semblait que les rendez-vous étaient plus long cette fois.

Ce jour-là, l'homme à la blouse blanche me fit passer un électroencéphalogramme. Un test qui consiste à positionner environ 20 électrodes sur le crâne pour enregistrer l'activité électrique cérébrale. J'étais allongé, les yeux fermés. Il me mima quelques fois de respirer profondément. Ce que je fis et je l'apercus s'intéressait à la courbe verte qui se dessinait sur sa mâchine.

Un test très impressionnant au premier abord mais un diagnostique qui, m'a t-il dit, permet de détecter une tumeur au cerveau, un œdème, si je ne suis pas tendencieux aux crises d'épilepsie ou même de vérifier la présence d'une narcolepsie.

J'ouvris mes yeux ; j'entrapercus une lumière éblouissante au-dessus de ma tête puis des doigts me tripoter le cuir chevelu. C'était M.Miller qui me décollait les disques de métal. Je me concentrai alors sur sa bouche et repérai son pouce en l'air et son air allègre :

  «-Vous avez fait un bon somme M.Davies. Le diagnostic ne reflète aucune suspicions de maladies encéphaliques, pas de fragilités neuro-vasculaires, c'est très bon signe ! »

J'enchaînais tous les rendez-vous jusqu'à ce que je fus le dernier sur la liste.

« - Bravo, jeune homme, vous avez passé tous les tests ! Vous êtes admis pour participer à notre projet. Je vais m'atteler dès que possible à la confection de cette prothèse électrique, pour que vous puissiez, vous et tous les sourds, entendre, comprendre et parler intelligemment. » 

L'ingénieur m’avait gentiment loué un gîte proche du lieu de travail en Alabama pendant une durée indéteminée.

J'eus même la chance de m'introduire dans le laboratoire expérimental. Derrière un lourd rideau de plastique rigide, se trouvait des tables expérimentales, des microscopes notamment, des flacons d'eau distillée, et plusieurs outils de biologie et d'ingénierie -scalpel, seringues, gants en latex, compas, lamelles de verre.-

M.Miller, à la tête de l'équipe :

« - Après 3 tentatives échouées je suis heureux de vous présenter : L'Akouphone !  » déclara l'inventeur. On me dévoila un microphone rond en carbone ; relié à un arceau métallique amovible, muni d'un interrupteur.

 

«-Cette aide auditive électrique fonctionne avec une batterie en carbone ainsi que des piles Akouphone n°5 de 3 volts. Le microphone permet de capter le bruit, qui peut être complémenté par une boîte de résonance. Puis l'écoutille au bout du métal permet de rapporter le son jusqu'au conduit de l'oreille. » précisa-t-il

 

Ses compagnons de travail et moi l’applaudissons. Il me plaça l'oreillette et laissa pendre le microphone sur ma poitrine.

 

«- Bonjour Aaron, ici le docteur Miller, comment te sens-tu ? »

Il ne bougea presque pas les lèvres, et soudain j'entendis sa voix, son timbre. Puis je compris les mots :

«-Je me sens très bien » répondis-je 

Je perçus alors une mélodie inaudible, comme un brouhaha indescriptible. Pourtant si ça ne venait que de moi, je dirais que ma langue a fait un terrible effort dans ma bouche pour pasticher la langue anglaise. J'entendais tous les micro bruits. Je pivotai lentement sur moi-même comme si je découvrais un nouveau monde, bien différent de celui dans lequel je suis né. Un monde dont personne ne m'avait parlé, que j'avais seulement imaginé. Un espace que je n'avais jamais pris le temps d'observer.

 

«-Deuxième expérimentation : les sons de plus haute intensité. » 

 

Le groupe de chercheurs se mit à discuter bruyamment. Ils avaient obéi tels des robots. Les discussions se mêlaient les unes aux autres, parfois des mots jaillisaient d'une oreille, puis d’autres m'interpellaient.  « STOP !» cria le cerveau du plan. 

«-Sur une échelle de 1 à 10 vous entendiez comment Aaron ? » 

«-10» tentai-je de prononcer

J'enlevai d’un coup le mécanisme de mon visage pour le lui rendre. Je m'extasiai un instant devant cette fabuleuse avancée qui prenait vie et qui donnait vie au monde qui m’entourait.

 

«-C'est noté, il va falloir que j'effectue quelques réglages, et je pense que d'ici une semaine vous pourrez le porter.»

 

Je gesticulai mes mains indiquant l'appareil :

*Le porter ?*

 

Je rentrai chez moi au Mississipi, épuisé par ce mois rempli de découvertes, de réflexions, et de joies. Content de retrouver le confort et la routine de mon petit chez moi. Je m'assis au piano, accompagnai le couvercle. Je fis glisser mes doigts sur les touches, effleurai le trio de pédales, puis je jouai. Je commençai les premières notes qui me vinrent à l'esprit : L'Ode à la Joie de Beethoven. J'avais mis la musique en fond sur mon gramophone et je jouais par dessus, formant une harmonie musicale. Je me concentrai sur les vibrations et les tonalités des notes. Puis tout à coup en fouillant dans une boîte, je retrouvai les paroles. 

 

 « Lauft, Brüder, euer Rennen, 

Glücklich wie ein Held fliegt zum Sieg ! » 

«Parcourez, frères, votre course,

Joyeux comme un héros à la victoire! » 

 

« Möge die Freude, die uns ruft, uns in ihrer Klarheit empfangen ! » 

«Que la joie qui nous appelle. Nous accueille en sa clarté !  » 

 

Je ne dormis pas beaucoup cette nuit là car je passais la soirée à jouer, à lire ce texte puissant de Schiller. Je repensai aussi à cette aventure éprouvante dans laquelle je m'étais lancée, et tous ces moments avec le jeune scientifique.

 

Une semaine passée et, Miller Reese Hutchison débarqua devant chez moi ; en costard vert foncé, une cravate en damier rouge et blanc, les cheveux toujours tirés vers l'arrière ; il sonna. Je lui prie de rentrer et je lui servis café, thé et petits biscuits. Il me présenta gaiement son chef-d'œuvre achevé, rangé dans une malette verte et rouge sur laquelle était gravé en doré "Acousticon"

 

«-Le voilà, le vrai, l’unique. »

 

Il me le tendit et d'un sourire bienveillant je le repoussa doucement. 

Je fis l'effort pour une fois, et je contractai mes cordes vocales :

 

*Je préfère poursuivre mon existence sans sons, j'arrive très bien à me débrouiller, et je ne veux pas me cacher de mon handicap. Au contraire, je veux montrer que c'est possible de s'en sortir. Je suis épanoui dans le silence, moi et ma musique.

Et entendre des bruits, l'autre fois, m'a déstabilisé et m'a fait rendre compte que j'ai peur d'être déçu : de ma musique, de la voix de mes proches. Je préfère me fier à mon imaginaire qui au final n'est pas bien différent de la réalité. Puis j'aime me dire que je peux me déconnecter du monde réel quand je le souhaite. En tout cas, je vous remercie profondément pour toutes les vies que vous allez changer, vous avez fait un travail incroyable.*

 

Le garçon toujours professionnel me distribua mon dû de 1000 étalons d'or, me serra la main et parti. Je me sentis libéré.

 

Deux mois s'étaient écoulés, nous étions en 1899 quand je sortis dans la rue. Je fus surpris de voir des affiches étalées sur les vitrines des magasins, et sur les panneaux d'affiche de Luldlow. 

 

Miller Reese Hutchison était posté là et un écriteau exprimait «Dictographe Corporation» Le début de sa propre entreprise je présume. Un peu plus loin «Venez découvrir l'Acousticon, le dispositif qui va changer la tonalité de votre vie ! Remerciement à Davies Aaron et à Gould Lyman. »

 

J'appris plus tardivement que Gould Lyman était un ami d’enfance du pionnier ; sourd à cause de la scarlatine, une maladie infectieuse provoquée par le streptocoque du groupe A. Lyman fut donc le premier à accepter de porter l'engin. Hutchison voyagea en Europe où il promu son aide auditive à la reine Alexandra du Danemark et il déménagea à New York pour être plus proche de ses expositions universelles en Louisiana et au Missouri.

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Romaing
Posté le 08/10/2024
Hello, j'ai beaucoup aimé ta nouvelle, l'histoire est touchante !

Je n'ai pas grand chose à dire sur le fond à part un petit point qui me semble incohérent :
"J'envoyai un pigeon voyageur à ma mère"
Si je ne dis pas de bêtise on utilisait le télégraphe à cette époque.

J'ai quelques soucis sur la forme. Je trouve qu'il y a parfois trop de détails et des choses inutilement explicitées. Ca rend la lecture un peu lourde par moment.
Quelques exemples :

"L’accordeur m’avait signalé que les feutres qui permettent d'atténuer le son du piano lui avait paru endommagés et les notes lui avait semblé plus fluides et moins harmonieuses."
Selon moi, "qui permettent d'atténuer le son du piano" est inutile, "les feutres du piano" suffisent je pense.

"Trois heures et demi plus tard, nous arrivâmes en début d’après-midi"
Je pense que garder une seule des indications temporelles suffit, "trois heures et demi plus tard" ou "en début d'après-midi"

"Ce jour-là, l'homme à la blouse blanche me fit passer un électroencéphalogramme. Un test qui consiste à positionner environ 20 électrodes sur le crâne pour enregistrer l'activité électrique cérébrale."
Là c'est toute la deuxième phrase qui me semble superflue. Si un lecteur ne sait pas du tout en quoi consiste un électroencéphalogramme, il ira se renseigner si ça l'intéresse. Si tu tiens à décrire ce que c'est, je ne pense pas que cela soit utile d'être aussi précis sur la procédure.

A mon avis, en explicitant un peu moins de manière générale, ton texte sera bien plus fluide et on appréciera que davantage l'histoire :)

Ah, et un petit problème typographique récurrent (je suis tatillon) : il y a beaucoup de phrases de dialogue où tu utilises à la fois le guillemet et le tiret, un seul des deux suffit ;)
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