UN SOURIRE

Par Ju.C

     On est mardi. Il fait incroyablement beau aujourd’hui, l’air est froid, mais le soleil me réchauffe. C’est un jour particulier pour moi. Je me détache de cette vie professionnelle qu’on nous impose. C’est mon jour de repos. Cela peut paraître étrange pour certains, mais travaillant dans la vente, mon samedi est pris par mon travail. Un travail qui aujourd’hui est synonyme de réussite sociale, jugé par ce que l’on porte, la voiture que l’on conduit ou la taille de notre appartement. Tout cela ne m’atteint pas, j’ai la chance de pouvoir faire mes propres choix, sans me sentir prisonnier de ceux qui m’entourent. Alors, pendant cette journée, je profite de l’air frais, sans aucune responsabilité. Je prépare ma balade habituelle, en sachant pertinemment où elle commencera.

     Il y a un café que j’apprécie plus que d’autres en ville. J’y ai travaillé quelques saisons d’été. Mais l’endroit m’aide à me déconnecter. Puis, il est rempli souvenirs et de moments de rire sincère. La clientèle est variée, certains sont des habitués, j’en profite pour leur dire bonjour. Je ne suis pas quelqu’un d’extraverti ou de social, mais j’apprécie d’une certaine façon ces gens, ils font d’une certaine façon partie de ma vie. La vue sur la place Saint-Didier y est agréable, une vue d’ensemble, et pourtant nous sommes cachés par un arbre planté à l’ouverture du café. On y voit toutes sortes de personnes. Des professeurs marchant à forte allure, surement en retard ; des gens aller et venant, se baladant entre les différentes boutiques qui suivent la place ; des gens cherchant un endroit ou consommer une boisson chaude ; les livreurs se battant au téléphone pour trouver l’appartement de leur destinataire ; des étudiants sortants ou allants dans leur lycée respectif. La place est vivante, inspirante et en même temps reposante, un cocktail des plus agréables pour une personne ayant la tête remplie comme la mienne. Elle offre le meilleur point de vue pour apprécier cette fusion humaine. On en apprécie les disputes entre livreur et riverain, les interactions courte de deux connaissances qui se croise, des parents d’élèves discutant de l’éducation de leurs enfants. Je pourrais rester ici toute la journée.

     Je suis un habituer de ce café, je connais les lieux, ceux qui y travaillent. Alors je salue l’équipe, je me prépare mon café, prends quelques nouvelles. Comme il faisait très beau, je décide de m’installer dehors. Pour m’accompagner, il y a un petit carnet que j’emmène partout avec moi. Il m’aide à évacuer le trop plein. J’y écris mes sentiments, mes pensées, mes souvenirs, mes envies, ma vision du monde. Il est important pour moi. Il me soulage, c’est étrange, et en même temps je trouve ce lien ridicule. Je ne suis pas quelqu’un de matériel, je me débarrasse de ce qui ne marche plus, je pourrais même me débarrasser d’un vase juste fissurer, sans essayer quelconque réparation. Mais ce carnet, j’y tiens. Il y a mes pensées les plus joviales, les plus sombres, mes rêves et mes espoirs. Des fois j’y penses, mais je sais que je ne suis pas le seul à faire ça, et quand je lève la tête, j’observe les personnes assises sur cette terrasse, espérant voir quelqu’un écrire tout comme moi. Je pense que tout le monde devrait faire comme moi, il y aurait peut-être moins de tension dans nos relations humaines. Puis cette fois-là, en levant la tête, j’ai aperçu quelque chose d’inhabituel.

     Elle passait là, entre les livreurs se disputant, les professeurs râlants, et les passants hésitant. Un pas déterminer, un sac sur chaque épaule, mais rien d’artificielle. Un jean large et une veste de la même matière un peu grande d’ailleurs, une écharpe marron en laine tressé. L’ensemble était harmonieux, sans être extravagant. Je ne suis pas tomber amoureux, non, mon cœur est pris depuis quelques années maintenant, puis elle n’était pas du tout mon genre. Cependant, elle avait sur elle quelque chose que je n’avais encore jamais vu durant mes trois années de vie en Avignon. Une chose banale, qui peut paraitre anodin, et en même temps unique à chacun. Un sourire. Mais pas n’importe lequel, un sourire seul, honnête, aussi grand que le quart de lune qu’on pouvait apercevoir la nuit dernière. Ce sourire est d’une rareté paralysante, je le sais, car en regardant attentivement les gens sur la place, personne ne souris, ou du moins, pas de cette manière. Je n’ai pu décrocher mon regard de son visage, elle me regarda aussi, un bref instant, surement pour observer ce chaos ordonner que nous propose cette belle petite place. Comment une action aussi banale, peu me paraître aussi précieuse. L’humain ne souris pas seul, il a besoin de quelqu’un d’autre, d’une bonne nouvelle, d’une photo, d’un souvenir. Mais là non, était-ce une tentative originale pour l’aborder ? Impossible. Je l’ai vu arriver, et personne n’était attentif à son passage. Cela ne peut être qu’un souvenir, mais son sourire resta fixe et naturel pendant trop longtemps. Un souvenir est éphémère, superflue et rapide, on en sourit, on en rigole le temps d’un moment, puis nous revenons à nos pensées claires et organiser. Son sourire est toujours là, et il se lisais aussi de dos. Ce n’est pas un souvenir. Pourquoi ce sourire me fascine, au point de m’en rendre jaloux, jaloux de son bonheur, jaloux de ses pensées. Pourquoi je ne souris pas comme elle, pourquoi je ne vois personne sourire comme elle ? A-t-elle trouver le vrai bonheur ? Non, celui-ci est propre à chacun, je suis en plus convaincu qu’il se construit. Et si une mauvaise nouvelle la frappe ? Ou ira ce sourire ? Que deviendra ce moment si important à mon âme ? Ces questions se bousculent dans ma tête, il faut que je fasse le tri.

     Je me suis alors confié à mon carnet, j’y ai décrit ce moment en quelques lignes. Je ne veux pas l’oublier. Je veux me rappeler de toutes ces questions, je veux trouver une réponse. Ce sourire m’apprendra quelque chose, j’en suis sûr. Il est à présent un souvenir qui me fera, j’espère, monter un sourire proche du sien, le temps d’un moment. Hélas je sais que juste après, une nostalgie remplacera cet acte. Je sais qu’il ne sera pas le même. Je ne me connais que trop bien. Donc je retourne me confier, comme on se confie à son conjoint sur l’oreiller le soir, avant de s’endormir. Je lui partage la joie et la jalousie que j’ai ressentis lors de ce moment, et je lui pose les mêmes questions que je me suis poser : pourrais-je vivre ce moment ; aurais-je le droit de sourire honnêtement un jour ... ? En tout cas, je l’espère, cela avait l’air si agréable. Le réalisme me rappelle que ce n’est pas ce carnet qui m’apportera la réponse à toutes ces questions. J’espère que je ne suis pas le seul à l’avoir remarqué. Mais est-ce que d’autres se sont posés autant de question ? Suis-je bizarre de penser qu’un sourire puisse être fascinant ? Il est vrai que j’ai tendance à trop réfléchir. Cette femme me fais me poser tellement de questions aujourd’hui. Il y a des jours plus simples. J’aurais surement dû l’aborder ; non. Je n’ai pas le courage pour un geste aussi sociale. Pas que je sois timide, disons que je n’aimerai pas qu’on me dérange. Si j’avais eu le courage de lui demander d’où lui venait son sourire, alors j’aurais eu mes réponses. Encore un regret de plus, parmi tant d’autres, celui-là sera quand même moins fort que certains. Un moment de plus, parmi tant d’autres, mais restera fort par sa banalité et sa spontanéité. Je ferme mon cahier. Finis mon café, il était d’ailleurs un peu froid, une fâcheuse habitude que j’ai de l’oublier. Et me remis en route. Le hasard fit que je pris la même route qu’elle. Et la chance me fit à nouveau croiser sa route.

     Elle était assise sur la terrasse d’un café, à quelques rues de celui où j’ai l’habitude d’aller. Et en revoyant son visage, j’ai compris. C’était le sourire d’une femme sincèrement amoureuse, s’en allant retrouver son conjoint. Il c’était surement partager certains de leur secret la nuit dernière, sous ce quart de lune, la tête sur leurs oreillers respectif. En face d’elle, cet homme, qui j’espère, savait la chance qu’il avait, d’avoir à ses côtés une femme aussi amoureuse. Je n’ai jamais su, il était de dos. Ce sourire était donc bien le résultat d’un partage, il venait d’un futur proche, où elle s’imaginait déjà partager une boisson chaude avec la personne qui faisait battre son cœur. Son pas déterminer était lier à l’impatience de retrouver son bien-aimé. Oui, j’ai compris, car quand je suis arrivé au coin de la rue, juste en face de la terrasse du café, elle était là, assise en face de moi, assise en face de lui. Elle était en pleure. Et la nostalgie me pris, son sourire me manquait déjà...

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez