11 Octobre :
J’ai bien conscience d’être quelqu’un d’extraordinaire, lecteurs. Il est donc normal que l’on recherche ma compagnie, ma sagesse, mes multiples talents… Cela dit, serait-il possible d’avoir une journée, une seule, tranquille chez moi ?
Nous avions à peine fini de déjeuner que la sonnette retentit dans le hall d’entrée.
« Vous attendez quelqu’un ? » demanda François à la cantonade.
« Pas que je sache… » répondit ma mère en me jetant un coup d’œil suspicieux. « À moins que tu n’aies oublié de nous prévenir, Ingrid ? »
Voyez comme ces traîtres sautent sur l’occasion pour m’accuser. C’est d’une tristesse, d’être ainsi vue et traitée par les siens ! Ces gens ignorent le pardon. Une fois, vous inventez une formule mathématique et dupez le reste du pays, et depuis tout le monde se méfie de vous ! Quelle audace !
« Je n’ai invité personne, en revanche, je crois savoir de qui il s’agit, » intervint mon père en se levant de sa chaise.
Il disparut dans le couloir. Nous entendîmes le bruit d’une porte s’ouvrir et une voix retentir :
« Haha, Charles ! Ça fait longtemps ! Je passais dans le coin et je me suis dit que j’allais passer. Je peux entrer ? Merci, trop aimable.
-Je reconnais pas qui c’est… » marmonna mon frère. « Maman ? Ingrid ?
-Aucune idée, » lâchais-je avant de me tourner vers ma mère.
« Moi oui, » grinça-t-elle.
Elle se redressa et nous prit une main chacun, avant de murmurer avec une grimace désolée :
« Les enfants, préparez-vous…
-Ah, la petite famille Karlsen ! » s’exclama l’invité surprise en déboulant dans le salon.
C’était un homme étrange. Pas dans son apparence, bien que légèrement excentrique : beaucoup de gens portent des costumes trois pièces, même gris ; peu d’entre eux se sentent obligés de porter une cravate et des boutons de manchettes bleu électrique. Je le dévisageais brièvement : ses yeux étaient légèrement rapprochés et son menton un peu faible, et il avait une chevelure poivre-sel si gonflée que je la soupçonnais d’être un postiche. Non, ce qui le rendait incongru à mes yeux, c’était son attitude. Premièrement, qui débarque chez quiconque ainsi, sans être invité ou crier gare ? Je n’aimais pas plus sa manière de décrypter la pièce du regard, comme s’il y cherchait un défaut. Et il se tenait là, face à nous, à l’aise au point de me mettre en colère. Pour un peu, on aurait pu croire que nous n’étions pas à notre place !
« C’est formidable, dites-moi, réunis ainsi autour de la table à manger, si chaleureux… » déclara-il.
« Oui, c’est ce qui arrive lorsqu’on mange dans une maison. On se retrouve avec d’autres personnes, » fit ma mère en haussant un sourcil, sarcastique.
Sa froideur sembla ne pas affecter l’inconnu. Il se contenta d’émettre un petit rire et de dire :
« Oh, Rose, toujours aussi drôle ! Combien d’années ça fait ? Dix, douze ?
-Bientôt vingt, en fait, » lança mon père qui était revenu entre-temps. « Depuis la fin de nos années fac…
-Bien sûr, évidemment, tu as raison ! » Il l’attrapa par les épaules et se tourna vers nous : « Votre père est incroyable, vous savez ? Un vrai génie des sciences physiques ! On a rarement fait plus tenace et productif que lui dans la recherche sur le nucléaire, vous la saviez, ça ?
-François, Ingrid, voici Claude Vercran, » nous présenta mon père, « un ancien camarade de classe. Il travaille dans… dans quoi, déjà ?
-Oh, rien d’important, j’ai juste une petite boite sur le marché de l’électronique. Vous en avez peut-être entendu parler, ça s’appelle Star-all. »
François émit un petit son étranglé tandis que je tentais de garder une expression neutre. Ce type, patron d’une des plus grosses chaines internationales d’appareils électronique ? Impossible ! Peu importe ses raisons pour être ici aujourd’hui et peu importe qui il était, il m’était plus antipathique à chaque fois qu’un mot sortait de sa bouche. Quel genre de m’as-tu-vu lâche ce genre d’infos avec autant de fausse désinvolture ? S’il voulait des compliments de ma part, il allait en être pour ses frais. Je me contentais donc de lui offrir un sourire poli qui n’engageait à rien. Pas déstabilisé pour un sou, il poursuivait :
« Quel dommage qu’on se soit perdus de vue pendant toutes ces années ! Si seulement tu avais accepté de bosser pour moi, à l’époque, ce ne serait pas arrivé.
-Je t’ai déjà dit que j’avais déjà signé un contrat, à l’époque. En plus, je vois mal en quoi un ingénieur en sciences nucléaires aurait pu t’aider avec ton business de téléphones et d’ordinateurs.
-Ah, mais c’est que j’ai des intérêts partout, Charles, tu me connais ! La polyvalence, c’est la clé du succès !
-Pourquoi as-tu décidé de nous rendre visite aujourd’hui, Claude ? » coupa ma mère, désormais debout, les bras croisés.
J’aime rarement autant ma mère que lorsqu’elle déploie son aura meurtrière à d’autres que moi. Alors là, vous imaginez ! Je jubilai en voyant Vercran vaciller sous les yeux revolver de Rose Karlsen. Il finit par articuler, armé d’un sourire factice :
« À vrai dire, je suis pour affaires. Non, non, pas avec toi, Charles. J’ai bien reçu le message, tu n’es pas intéressé. En revanche, j’adorerais engager ta fille. »
Pas besoin de pouvoir divinatoire pour voir que, si je n’intervenais pas fissa, ma mère allait lui arracher la tête. Je glissais donc :
« M. Vercran, c’est très aimable de votre part. Seulement, il se trouve que j’ai été recruté par quelqu’un d’autre pas plus tard qu’hier. Je ne me vois pas leur faire faux bond.
-Allons, Mademoiselle la Pythie, » dit-il sur un ton qui me fit serrer les poings, « ne voyez-vous pas dans votre avenir une possibilité de travail commun ? »
Je plantais mes yeux dans les siens et articulai avec lenteur :
« Pas vraiment, non. »
Il se pencha vers moi et, pendant un instant si court que je me demande si je ne l’ai pas imaginé, je crus voir ses prunelles briller de rage contenue. Ce fut pourtant d’un ton égal qu’il dit :
« Une forte tête, comme sa mère et son père ! Décidément, c’est de famille. Mais rassure-toi, petite, » et je sentis ma mâchoire se crisper à ces mots, « rien ne presse. Prends le temps qu’il te faut, réfléchis à ma proposition ! Cela pourrait s’avérer très avantageux pour ton futur, et lucratif aussi. »
Il sortit un petit carton blanc et la glissa dans ma main.
« Voici ma carte de visite. Il y a mon numéro de téléphone et mon email. Quand tu auras pris une décision définitive, tu pourras me contacter. »
Il me servit un nouveau sourire. Je rêvais de lui décoller son dentier jauni de ses vieilles gencives bavardes, mais je m’abstins, évidemment. Au lieu de ça, je murmurais quelques remerciements quelconques et après des salutations écourtées par le regard meurtrier de ma mère, il s’en fut. Celle-ci se rassit et posa son front dans le creux de sa main et s’exclama :
« Quelle tempête, ce type. Je ne m’y ferai jamais. Non, je ne veux jamais m’y faire !
-C’était le patron de Star-all, » chuchota François, les yeux dans le vague. « Papa, pourquoi tu nous as jamais dit que vous étiez amis ?
-Parce que nous ne le sommes pas, » déclara mon père en prenant place, lui aussi, à table. « Nous ne sommes jamais entendus. Ce qui l’intéressait chez moi, c’était mes travaux. On peut dire qu’il a vu du potentiel en moi, j’imagine… rien de plus. »
Je jetais un coup d’œil à la carte de visite qu’il m’avait laissé. Un design simple représentant sa compagnie, une étoile à huit branches, quatre courtes et quatre longues, entièrement noire : le symbole de Star-all. Une part de mon cerveau me hurlait de faire place à la sérotonine, mon talent de devineresse avait été reconnu par un homme d’affaires exceptionnel ! De l’autre côté… je n’arrivais pas à me sortir de l’esprit cette lueur cruelle que j’avais entraperçue.
Je fourrais la carte dans ma poche et décidais de ne plus y penser, ce que je fis jusqu’à maintenant. Je ne pense pas accepter sa proposition, mais si par hasard, il s’agissait vraiment d’une occasion en or… J’en toucherais un mot à Charlotte bientôt. Elle saurait sans doute quoi faire.
15 Octobre :
La fin justifie les moyens. C’est à la fois ma nouvelle devise et mon excuse. Excuse parce qu’elle explique clairement pourquoi il s’est passé plusieurs jours sans que j’écrive quoi que ce soit : j’ai été assez occupée pour tout vous dire ; devise parce que c’est la seule chose qui arrive à faire taire mes scrupules.
Mon plan ne rencontre pour l’instant aucun obstacle. Le seul problème, c’est qu’il tient en équilibre sur un fil de funambule ! Il est bourré de failles et du coup, je passe mon temps à colmater les trous. C’est bien simple, au point où j’en suis, je ne suis si prophète ni mathématicienne, je suis maçon ! Dieu merci, pour l’instant mon secret est bien gardé. Mon frère n’a pas craché le morceau, ce qui ne manque pas de me surprendre, et mes parents se tiennent bouche cousue. Mais laissez-moi vous résumer comment ce sont passé ces cinq derniers jours…
Le 12 Octobre fut accaparé par l’entreprise de M. Monier. Il a fallu me rendre là-bas et pour tout vous dire, je n’ai pas été déçue du voyage. Qui eut cru que l’admiration frisant l’adulation du businessman était partagée par presque tous les employés de sa compagnie ? Ah, je vais trop vite, revenons à un récit plus chronologique.
Le rendez-vous avait été fixé en début d’après-midi. Ma mère m’avait accompagnée et nous sommes toutes deux restées bouche bée devant la gigantesque tour, bleu miroitant de noir, grouillant de fourmis aux bras chargés de dossiers naviguant d’un étage à l’autre. Beaucoup d’étages par ailleurs, plus d’une vingtaine à vue de nez. Mes pieds dansaient tous seuls sur l’asphalte et il fallut que ma mère m’arrache à ma contemplation rêveuse pour que nous entrions dans le bâtiment. Une dame au chignon impeccable, à l’uniforme délavé et au sourire digne d’une publicité pour dentifrice nous attendait à l’accueil.
« Bonjour, en quoi puis-je vous aider ? » lança-t-elle en manquant de m’aveugler avec sa dentition.
« Nous venons rencontrer M. Monier. Enfin, ma fille est là à sa demande. »
Léger froncement de sourcils de la standardiste qui ne se départit pas de son sourire.
« Votre fille ?
-Oui, moi. Je m’appelle Ingrid Karlsen. Il se peut que vous ayez entendu parler de moi... »
Ce fut au tour de ma mère de froncer les sourcils. Quoi, un peu de fausse modestie n’a jamais tué qui que ce soit ! La jeune femme écarquilla les yeux mais se reprit rapidement :
« Mais, bien entendu. Suivez-moi, je vous prie. »
C’est donc dans un silence uniquement rompu par le claquement de ses talons aiguilles que nous avons emboité le pas à notre hôtesse. Nous avons traversé un corridor et deux escaliers vides, avant de pénétrer dans un ascenseur rutilant. La standardiste ne comptant pas faillir à son rôle, elle se lança dans une menue conversation :
« J’ai suivi avec intérêt votre aventure, Mme Karlsen. Qui eût cru possible que des pouvoirs tels que les vôtres existent de nos jours ?
-C’est vrai, c’est incroyable. La nature m’a offert ce don et je me suis dit qu’il était grand temps que j’en fasse profiter le reste du monde.
-Un acte d’une grande charité...
-Oui, je sais, je suis formidable. »
Elle sourit sans parvenir à cacher son trouble, cherchant sans doute à savoir si je plaisantais ou non. Cependant, c’est la vérité : un cerveau tel que le mien est un cadeau que je sers sur un plateau d’argent à la société ! Et au fond, changer ma bosse des maths en pouvoir prophétique était simplement un moyen de mieux faire avaler la pilule au peuple. J’irais même jusqu’à dire que déguiser la vérité était un acte de bonté. Quelle bonne âme je suis. Dire que mon frère s’acharne à dire que je suis égoïste ! M’enfin, ce n’est qu’une preuve supplémentaire du gouffre intellectuel qui nous sépare.
Les portes s’ouvrirent. Deux larges colonnes de bureaux, de chaises et d’employés transpirant dans leur cravate de chanvre nous traçaient une route entre elles. Je m’engouffrais dans ce tunnel de dalles blanches éclatantes en m’accrochant à l’ancre qu’était la main de ma mère. Mes chaussures cirées résonnaient étrangement. Au fur et à mesure que j’avançais, les têtes se relevaient. Les yeux rouges d’avoir fixé des crans trop longtemps dépassaient des petits murs de plastiques en mauvais état séparant les bureaux des uns des autres. Un frisson me parcourut. Je reconnaissais le fonctionnement à présent... les langues qui se délient, les coups d’œil en coin, l’excitation qui grimpe sans m’atteindre car trop différente de la mienne... Et l’explosion !
« C’est la Pythie !
-Oh mon...
-Je n’en crois pas mes yeux, c’est le plus beau jour de ma vie ! »
Un bruit sourd derrière moi m’indiqua que mes charmes renversant avaient fait une victime au sens figuré. Quelle célébrité digne de ce nom n’a pas de fans prêts à s’évanouir pour elle, n’est-ce pas ? À l’évidence, je n’avais pas à m’inquiéter sur ce point.
À ma droite, je sentis ma mère se raidir. Un tel spectacle n’était pas pour lui plaire. Elle ne comprend pas l’importance que peut revêtir un fandom quand on cherche à percer ; à ses yeux, ça ne va réussir qu’à me pourrir l’esprit. Mais je ne lui en veux pas pour ce décalage avec mon propre ressenti. Ce genre de phénomène ne peut être pleinement compris que par ceux qui les génèrent...
« Si tu redresses encore le menton, tu vas te retrouver à fixer le plafond, » me siffla-t-elle soudainement.
Hm. Certes. Peut-être m’étais-je un peu emballée. Je repris une posture plus correcte en réprimant une remarque qui aurait été immédiatement cataloguée comme de l’insolence. Nouvelle règle, lecteurs : à moins qu’elles ne servent un but préalablement défini, les joutes verbales ne doivent jamais se dérouler en public. Le risque de se retrouver avec une mauvaise réputation ou pire ! se couvrir de ridicule est trop fort, croyez-moi. Or je connais ma mère. Vous me trouvez peut-être acerbe et pleine de répondant mais cette femme a la langue qui claque comme un fouet et elle s’en sert mieux qu’Indiana Jones lui-même.
Une voix résonna tout à coup au milieu des acclamations, celle de M. Monier :
« Mme Karlsen...
-Vous pouvez m’appeler Pythie, » répondis-je impulsivement.
Un brouhaha accueillit mes propos et c’est avec un air quelque peu étonné que Monier reprit :
« Chère Pythie...
-Oui ?
-Suivez-moi dans mon bureau, le contrat est prêt et le dossier à votre disposition. »
Je m’apprêtais à acquiescer quand ma mère s’exclama :
« Un instant, j’ai quelque chose dont je dois discuter avec ma fille.
-Mais, le contrat... »
Le regard de ma mère se durcit et elle dit d’un ton qui ne souffrait aucune contestation :
« Le contrat attendra. »
En moins d’une minute, elle parvint à clouer le bec à cette pie de Monier, traverser la foule d’un pas plus sûr que celui de Moise séparant la Mer Rouge et nous enfermer dans un bureau diligemment prêté par un employé. A peine étions-nous à l’intérieur qu’elle m’agrippa les épaules :
« Ingrid Karlsen, il va falloir cesser ce petit jeu !
-De quoi tu parles ?!
-De ton nouveau surnom. Pythie, vraiment ? Toute cette histoire te monte à la tête, je savais depuis le début comment ça se terminerait mais là, ça dépasse toutes mes attentes.
-Ce n’est pas terminé ! » Je me tortillais pour me dégager de son emprise, mais je jure que cette femme a des mains d’acier. « OK, tu as raison, j’y suis allée un peu fort avec le surnom. Mais c’est pas grave, j’arrête ! Et puis il y a plein de personnes qui m’appellent déjà comme ça...
-Excepté que maintenant, c’est officiel. Tu as verbalement donné ton aval et tu peux être sûre que dans une poignée d’heures, si ce n’est pas déjà fait, la nouvelle se répandra partout sur Internet.
-Et alors ? C’est qu’un surnom ! »
Ma mère lâcha prise. L’expression sur son visage me brouilla le cœur : pourquoi avait-elle l’air à la fois aussi énervée et inquiète ? Elle s’accroupit pour être à ma hauteur et me regarda en face.
« Te laisser t’embarquer dans ce... ce plan, c’était sans doute une mauvaise idée. Et en tant que mère, je devrais sans doute t’ordonner de laisser tomber. Mais, » dit-elle en haussant le ton en voyant mes sourcils se froncer, « je sais aussi que cela reviendrait à te demander de faire la même chose, mais dans mon dos. C’est pourquoi je tiens à te dire deux choses : la première, c’est que ton père, François et moi, nous continuerons à te soutenir. Bien que je maintienne que c’est de la folie, que tu es beaucoup trop jeune pour une telle... Bref. La seconde, c’est que je veux que tu aies constamment à l’esprit que tu peux arrêter à tout moment. Il n’est pas trop tard pour faire demi-tour, aujourd’hui ou demain ou n’importe quand. D’accord ? »
Je hochais la tête sans un mot. Il est rare qu’elle soit aussi sérieuse quand elle me parle et cela seul méritait que je sois attentive. Je suppose qu’une mère s’inquiète toujours pour son enfant... d’où son aveuglement.
La paranoïa maternelle ! Voilà la cause de ses paroles ! Toute personne sensée (en l’occurrence, moi) comprendrait que pour gagner dans la vie, il faut parfois jouer quitte ou double, au risque de tout perdre. Heureusement que je suis capable de prédire l’avenir et d’éviter ce genre de désastres ! Toujours est-il que je me trouvais là, face à ma mère soucieuse de ma soi-disant jeunesse insouciante et qu’il me fallait la rassurer. Tenter de la rouler dans la farine aurait été une grossière erreur, n’oublions que c’est elle qui m’a élevée : toute mes astuces et ma roublardise, je la tiens d’elle. Alors j’ai utilisé la méthode que tout menteur qui se respecte (à tort sans doute) connaît. J’ai mélangé un peu de vérité au sirop qui allait l’aider à faire avaler la pilule.
« Je serai prudente. Tu sais bien que je ne ferai rien qui puisse compromettre mes chances de gagner, n’est-ce pas ?
-Mais gagner quoi ? » répondit-elle doucement.
« Tout, bien sûr. »
J’aurais eu du mal à être plus honnête que ça.
Même si elle ne me croyait visiblement pas totalement, elle semblait avoir accepté ma décision. Elle se redressa, retira d’un vif geste de la main une poussière imaginaire sur son pantalon et me fit sortir du bureau.
Employés, DRH et autres nous attendaient, dans l’expectative. Leurs yeux ronds comme des billes ne firent que s’agrandir quand ma mère annonça avec naturel :
« Nous revoilà. M. Monier, j’ai cru comprendre que votre temps était précieux ; que diriez-vous de nous montrer ces contrats ? »
En une poignée d’heures, l’affaire était conclue. Ma mère n’a peut-être pas le don inné de Charlotte pour le business, mais je connais peu de gens suffisamment téméraires pour essayer de la lui faire à l’envers. Ainsi, j’avais accès à tous les chiffres de ventes des années précédentes concernant tous les produits de la boîte, les enquêtes de satisfaction menées auprès des clients, les détails marketing, les différents prix... Et un mois pour avoir des résultats- pardon, pour « recevoir l’illumination divine qui me permettrait de dire ce qui allait arriver à la marque au cours des prochaines années ».
Qu’on soit bien clair, ce n’est pas possible. Comment, vous exclamez-vous à cette phrase, chers lecteurs, mais que viens-je de lire ? Est-ce qu’Ingrid Karlsen avoue d’elle-même que sa bosse des maths n’est pas si géniale que cela, que sa combine a des limites ? D’abord, ce n’est pas une combine, c’est un plan et malgré vos sarcasmes et vos doutes, jusque-là il se déroule comme sur des roulettes. Je m’explique : ce n’est pas que calculer de la façon la plus précise l’évolution de la boîte, cette étude implique aussi de prédire tout rebond qui pourrait avoir des répercussions sur le marché, comme une guerre, une crise financière, une épidémie. Il me faudrait des années pour calculer tout ce schmilblick et le temps, c’est de l’argent. C’est là qu’on voit que mon génie ne s’arrête pas qu’aux statistiques et qu’il a aussi une grande application pratique. Mon idée est de donner une prédiction qui s’étendrait jusqu’à quelques mois, un an maximum. J’ai déjà une vague idée de ce que le résultat va être, mais ne mettons pas la charrue avant les bœufs. Quand j’ai les résultats, au lieu de leur dire : « Comme Vénus se trouve en Scorpion, vos affaires vont être fructueuses ! » ou « Les feuilles de thé m’ont révélé un grand chien noir sur votre chemin, vous n’avez plus qu’à plier boutique », je leur donne la clé pour s’améliorer ! Et je sais déjà qui va pouvoir m’aider... Le lendemain, nous sommes repassés chez Monier pour récupérer les derniers codes accédant aux registres de la boîte et répondre à quelques interviews. Les journalistes m’adorent, que puis-je dire de plus ? Je ne refuse jamais de leur parler et ils sont des plus courtois, je dois dire. La nouvelle de mon partenariat avec cette marque intensifia l’attention que le public me portait. Désormais, chaque pas que je faisais à l’extérieur était soit accueilli avec des roses ou avec des insultes. Ceux qui me croient voient en moi plus qu’une devineresse mais bel et bien une envoyée des dieux, la Pythie ; les sceptiques me haïssent avec une flamme bien disproportionnée par rapport à ce que je fais, me semble-t-il.
Mais je mentirais si je disais que je n’aimais pas ça.
C'est un plaisir de retrouver Ingrid et son orgueil qui se promène dans les couloirs des grandes entreprises. On sent qu'elle va se planter tout net, mais la question est de savoir "comment ?!". Claude Vercran a l'air parfaitement imbuvable, le personnages est bien marqué et c'est chouette, de voir la fierté d'Ingrid se heurter à une autre. "Je rêvais de lui décoller son dentier jauni de ses vieilles gencives bavardes", j'aime beaucoup. On est tout de même rassurés de voir que Rose n'est pas idiote et, si elle est consciente qu'elle ne peut pas contrôler sa fille, la surveille. On la sent à la fois forte et impuissante.
A très vite !
Si tu veux continuer à lire la Pythie, je te conseille de lire la nouvelle version réécrite que j'ai fini il y a peu (celle avec la couverture rouge). Mais ravie de voir que le clash Vercran-Ingrid se démarque dans ta lecture !
À bientôt :)
Pas grand chose à dire sur cette partie, j'imagine qu'il faut lire le suivant pour avoir l'ensemble. Je suis curieux de voir quelle sorte de prédiction elle va bien pouvoir faire pour Monier. Et si elle se réalisera.
Hâte également de voir l'impact de ton nouveau personnage haut en couleur sur la suite de l'histoire.
J'aime beaucoup tes comparaisons également, ca rend l'ensemble très agréable à lire.
A bientôt!
Merci pour ton commentaire. Oui, à la base ce chapitre et le suivant ne faisaient qu'un, mais avec la longueur j'ai dû couper. Il faudra sans doute que j'ajuste un peu pour le rendre plus simple à lire d'une traite.
À bientôt :)
Ca sent le premier antagoniste à plein nez xD Je suis un peu étonné qu'elle signe le contrat malgré sa première impression très négative. Mais bon ça peut se comprendre.
C'est intéressant de développer la personnage de la mère qui est caractérielle et pas niaise, on sait d'où vient l'intelligence d'Ingrid. Mais j'ai peur que ses avertissements ne suffisent pas...
Quelques remarques :
"lorsqu’on prend mange dans une maison." prend en trop
"d’émettre un petit rire et dire : " -> et de dire
"ce genre d’info ave" -> infos avec
"qu’on se soit perdu de vue" -> perdus
"dans les siens et articulais" -> articulai
"s’avérer très avantageux pour ton future," -> futur
"Ah, je vais trop vite" mais à la place de ah
"-Oui, je sais, je suis formidable." xD
"-Mais gagner quoi ? » répondit-elle doucement. « Tout, bien sûr. »" mdr j'aime ce genre de répliques^^
"elle semblait avoir accepter ma décision." -> accepté
"Ma mère n’a peut-être le don" -> peut-être pas
Un plaisir,
A bientôt !
Merci pour ton commentaire ! Je n'avais pas vu que j'avais fait autant d'erreurs, je vais corriger ça de ce pas. Et quel antagoniste, je ne vois pas de quoi tu parles OxO x)
J'ai beaucoup aimé la première partie.
La découpe est bien faite, et la fin ne pose aucun problème. J'ai peut-être trouvé le passage sur le signature du contrat un peu longue, mais c'était quand même bien rythmé.
Le premier vrai méchant serait-il arrivé ? Hâte de le revoir
petites coquilles: futur(e), si prophète au lieu de ni.
A bientôt :)
Bonne année ! !
Merci pour ton commentaire et tes remarques ! Je vais corriger les coquilles.
À bientôt et bonne année à toi aussi ! :)
J'attends aussi de voir comment va être mis en avant le fil conducteur des personnes qui sont contre Ingrid (je pense à un personnage en particulier mais j'attends de voir s'il ressurgir)
A bientôt !
Oui, il reste quelques chapitres avant que le calme ne tourne à la tempête ! J'ai essayé de rendre la période de "calme" aussi distrayante que possible, car je pense que ces chapitres sont nécessaires pour rendre crédible sa réputation de devineresse. Mais pas d'inquiétudes, Ingrid a des ennuis- et des ennemis- qui l'attendent au tournant !
À bientôt