La sirène ne bougeait pas.
Elle fixait Hyacinthe de ses yeux orangés et vitreux, prête à bondir sur lui. Lui et sa jument s’étaient retrouvés face à elle par hasard, sur la plage de Virgade… Cependant qu’Hildegarde tractait sa charrette, guidée d’une lanière, il avait repéré d’étranges bruissements dans un dépôt d’algues brunes.
« Un phoque, s’était-il dit tout en s’approchant. La marée l’aura fait s’échouer jusqu’ici. »
Il ne s’était méfié que trop tard. Ce ne fut qu’en remarquant le torse dénudé et humide que Hyacinthe Aubrin-Sceau se rendit compte de son erreur.
L’étrange créature, à moitié enfouie sous cet amas de varech odorant, les avait aperçus la première. Elle s’était immobilisée sans un bruit, comme pour faire la morte. Hyacinthe trembla face à cette poitrine, dans un mélange de honte adolescente et d’effroi. Le bas du corps, dissimulé par la végétation, demeurait invisible ; mais celui-ci se terminait supposément par une queue de poisson… Ces écailles brillantes que Hyacinthe remarquait désormais sur la peau grisâtre ne laissaient guère de doute.
Ils se dévisagèrent ainsi pendant une éternité. Lui, les bras ballants, qui n’osait pas même avaler sa salive ; et ce monstre, appuyé de ses coudes contre la grève. Ni l’un ni l’autre n’osait remuer un sourcil. Au loin, la mer s’illuminait. Ses mouettes gouailleuses couvraient le ressac de leurs piaillements ; Hildegarde, indifférente, reniflait.
Cette surprise passée, Hyacinthe comprit trois choses. Premièrement qu’il ne pouvait utiliser ce terme de « monstre », puisqu’il se déclinait au masculin : ce qu’il avait en face de lui était une femme, à n’en pas douter. Deuxièmement, que c’était en réalité la sirène qui se trouvait dans une situation de vulnérabilité : coincée sous le poids de ce banc d’algues, elle avait tenté à grand-peine de s’en échapper à tâtons. Et troisièmement, qu’elle devait le trouver bien stupide, à la zieuter ainsi… Comptait-il l’égorger, oui ou non ?
« Bonjour, lança-t-il au débotté. Vous allez bien ? Je m’appelle… »
Il s’était rattrapé juste à temps ; gare, il ne fallait jamais donner son nom à une créature féérique… C’était un coup à se retrouver envoûté, esclave des Royaumes Incertains. Sa tante, la grandissime Véronique Sceau, l’avait bien mis en garde sur ce point.
« Je suis le neveu d’une sorcière, reprit-il avec un peu d’embarras. On respecte vos semblables, par ici. Vous n’avez rien à craindre de moi. Et vous, vous êtes… »
Pour toute réponse, la sirène lui renvoya un feulement. Ses dents effilées reflétaient la lumière du soleil levant qui, de son point de vue, surgissait probablement entre les épaules de Hyacinthe. Celui-ci se maudit à nouveau ; non, il ne pouvait quand même pas lui demander comment elle s’appelait ! D’abord parce que c’était hypocrite de sa part ; ensuite et surtout car connaître le véritable nom d’un démon revenait pour un humain à le conjurer, à s’en assurer la soumission et la possession. Les lois de la magie allaient dans les deux sens.
Les mains palmées de cette nymphe des eaux se crispèrent sur du sable. À tout le moins, Hyacinthe l’avait suffisamment rassurée pour la convaincre de se mouvoir à nouveau… Mais elle ne parvenait à trouver de meilleure prise. Lorsqu’il avait croisé son regard, Hyacinthe l’avait cru fixe et colérique. En fait, les yeux de son interlocutrice n’avaient tout simplement pas de paupières… comme tous les poissons, d’ailleurs.
Des cris, au loin, arrachèrent Hyacinthe à ses observations ; ce n’étaient pas des mouettes, cette fois-ci, mais des hommes. Il jeta un coup d’œil derrière lui : d’autres paysans arrivaient avec leurs montures, leurs attelages, leurs grosses voix. Eux aussi étaient venus ramasser le goëmon accumulé durant la nuit, pour le revendre aux hauts-fourneaux des verreries… À Virgade, c’était une manière d’arrondir les fins de mois. Surtout lors de la morte-saison.
« Il faut vous cacher », décida aussitôt Hyacinthe.
Par chance, ces paysans commencèrent leur ouvrage par les mottes d’algues les plus éloignées de la côte. Il eut donc tout le temps de remplir sa charrette d’une belle cargaison odorante. La pluie hésitait encore à tomber tout à fait ; ses gouttelettes claires se mêlaient au sel des embruns sur le front de Hyacinthe, ainsi qu’à celui de sa sueur. Son corps et la pelle ne faisaient qu’un. Lorsqu’il repassa devant les badauds, sa rossinante au bout d’une laisse, le vieux meunier de la côte se moqua de lui :
« Déjà fini ! Tu ne l’as remplie qu’à moitié, ta carriole… Les petits bras de Môssieur Aubrin-Sceau fatiguent vite, on dirait !
— C’est Hildegarde que je ménage, fit mine se vexer Hyacinthe. Elle vient tout juste de mettre bas. Et puis, de quoi te plains-tu ? Ça fera plus de goëmon pour toi.
— Bah ! Puisque tu rentres tôt, tu diras à la Mam’zelle Sceau qu’elle doit encore me livrer ses bougies… Ça urge !
— J’aimerais tant t’aider… Malheureusement, je suis bien trop épuisé pour ça. Môssieur Aubrin-Sceau rentre se coucher, tu n’as qu’à dire tout ça à ma cousine toi-même ! »
Des rires gras retentirent dans le dos de Hyacinthe alors qu’il s’éloignait vers le sentier côtier. Ces gars du village s’engonçaient, depuis toujours, dans une compétition virile et épuisante… toujours les mêmes vannes, les mêmes poncifs. Du haut de ses dix-neuf ans, il avait déjà appris à ne pas rentrer dans leur jeu ; c’était le seul moyen de le gagner. Les nœuds de son estomac se dénouèrent ; d’ici quelques minutes, il serait à la maison.
Pour le confort des travailleurs, la mairie avait disposé sur la pente des Falaises Jaunes un long chemin en rondins, ancrés dans le sol sableux puis la lande. Hyacinthe apercevait déjà la villa ancestrale des Sceau, sur son plateau rocheux ; la frontière entre ce précipice et la civilisation. Il s’arrêta un moment à l’enclos pour cracher sa salive et reprendre son souffle : à marcher trop vite sur cette pente, il s’était fait un point de côté. Hildegarde, qui avait mieux supporté l’effort, grignotait déjà du foin dans l’auge. Comme le véhicule s’était arrêté, une tête humanoïde surgit soudain de la masse brunâtre entreposée sur le plateau arrière. Ses yeux de feu épiaient les alentours avec vivacité.
« Pas… encore, lui intima Hyacinthe entre deux ahanements. On pourrait nous…
— Tu n’es pas seul, s’égaya soudain la voix d’une jeune fille à la fenêtre de la maison. Tu t’es enfin trouvée une petite amie, Hyatt ? »
La sirène se rétracta aussitôt dans son fourré d’algues, mais trop vite ; une floppée du chargement tomba aussitôt près des roues dans un grand « splotch » et révéla encore davantage sa silhouette. Impuissant, Hyacinthe vit alors s’ouvrir la porte de service : un nez crochu en sortit, suivi du reste de sa cousine… Azalée. Elle n’avait que trois ans de plus que lui ; aussi, ils avaient toujours été proches. Perchée sur son petit escalier, elle le dévisageait de deux yeux aussi ronds qu’écartés. Son sourire fondit dès qu’elle aperçut la créature qu’il avait ramenée chez eux. Tout en laissant tomber à terre sa truelle et son arrosoir, elle s’écria aussitôt :
« Sainte-Mère ! Mais où as-tu trouvé ça ?
— Parle moins fort, ragea Hyacinthe. Tu vas nous faire repérer… Et rends-toi utile, va plutôt chercher Tante Véronique !
— Mais enfin, tu sais bien qu’il n’y a que moi ici ! C’est la quinzaine des foires, tout le monde est parti avec Mère pour Fort-d’Orée !
— Eh bien, aide-moi au moins à faire rentrer cette démone, alors… Grouille, Zal ! »
Agacée, Azalée consentit néanmoins à agripper une des épaules de la sirène pour aider son cousin. Ensemble, ils la hissèrent jusqu’à la buanderie… Le plus vite possible, avant qu’ils ne se fissent repérer par un passant. Puis, tandis que Hyacinthe traînait leur invitée sur le plancher ciré, Azalée courut dans toute la maison pour claquer les portes, fermer les volets et tirer les rideaux. La femme-poisson laissait sur son passage une longue traînée d’eau poisseuse, d’une odeur si piquante qu’elle masquait déjà celle, plus écœurante, de l’huile de lin. Après discussion, Azalée et Hyacinthe décidèrent de l’installer dans la salle de bain.
Dans son malheur, elle avait de la chance : il y avait là l’unique baignoire de Virgade, et la première. La mère d’Azalée, Véronique, l’avait d’ailleurs inaugurée en grandes pompes ; c’était une preuve tangible d’ascension sociale pour sa famille. Bien entendu, la matriarche n’y était pas pour grand-chose. Sur le papier, toutes les possessions immobilières du clan lui appartenaient : c’était son dû, par tradition, car elle dirigeait les enchanteresses de leur clan. Mais ce n’était pas le commerce des talismans, des sortilèges et des exorcismes qui avait enrichi les Sceau ; c’était celui des chandelles, sceaux et savons que les autres membres de la famille, ces profanes, avaient fabriqué et vendu à grands prix… jusqu’à bâtir plusieurs fabriques dans tout le pays. Hyacinthe appartenait à cette longue lignée de Sceau dénués de tout pouvoir magique, condamnés à trimer pour leurs parentes sorcières ; l’idée d’emprunter et souiller ainsi la magnifique baignoire de la grandissime Véronique lui procurait donc un petit plaisir coupable. Azalée, qui lui apportait un baquet rempli d’eau, s’alarma :
« On ne pourra pas la garder là bien longtemps ! Les gens ne tarderont pas à poser des questions, lorsqu’ils verront la maison toute claquemurée… Bon sang, Hyatt, tu ne pouvais pas la remettre à l’eau ? Si un de ces bouseux la découvre, elle finira dans une exhibition de monstres… ou sur une table de dissection !
— Tu plaisantes, s’indigna Hyacinthe. Le phare… Les baigneurs… Les bateaux, au loin ! On l’aurait repérée tout de suite, grosse maligne. Tu sais bien que les sirènes doivent remonter à la surface pour respirer !
— Les naïades, tu veux dire ? Une sirène, c’est une femme à corps d’oiseau.
— Hein ? Mais on s’en fout !
— Bon, bon, pesta Azalée tout en croisant les bras. Qu’est-ce qu’on fait, alors ? Je te préviens… Il est hors de question que j’essaye de la renvoyer dans son monde par un sortilège ! Même en suivant les instructions d’un grimoire, c’est bien trop dangereux. Et très en dessous de mes capacités. Mère pourrait s’en charger… mais elle ne revient qu’après-demain !
— Tantine ? Je ne pense pas qu’elle réagirait très bien à tout cela, maugréa Hyacinthe. Elle penserait d’abord à nous, et pas à… notre invitée. Zal, si elle lui faisait du mal…
— Mets-toi un peu à sa place, l’interrompit sa fille tout de go. Son rôle, c’est de nous protéger des chasseurs de sorciers ! Pas d’aider des sirènes en goguette !
— Alors on n’a pas le choix, admit Hyacinthe. La seule solution, comme tu disais, c’est de la remettre à la baque. Il faudra attendre minuit.
— C’est une nuit sans lune, le rassura Azalée d’un air satisfait. Il n’y a jamais personne sur la plage à cette heure… Et ce sera marée haute ! À deux, avec la carriole, ça ira vite.
— Non, décréta-t-il d’un bras levé. J’irai seul. »
Ses yeux étaient revenus, par réflexe, vers le sujet de leur conversation. La sirène… non, la naïade les observait avec un intérêt farouche. Agrippée de ses paumes visqueuses à la vasque de porcelaine, elle s’y était contorsionnée pour caler sa magnifique queue argentée. La nageoire caudale et striée pendait sur le rebord, telle une serviette grise ; un léger mouvement de va-et-vient, presque félin, l’agitait. Quant à Azalée, son front s’était marqué d’une ride colérique. Elle paraissait s’offenser de cette défiance envers son autorité naturelle d’aînée :
« Comment ça, seul ?
— Il n’y a pas de risque zéro. À deux, on sera moins discrets… Imagine qu’on se fasse choper par les garde-côtes de la préfecture ? Non, insista-t-il en secouant la tête. Tu vas rester ici. Comme ça, si les choses tournent mal, si quelqu’un me repère de loin… Tu me fourniras un alibi plus tard.
— Ce serait plus logique d’inverser nos rôles… Tu n’as aucun pouvoir, Hyatt. Je suis plus à même de me défendre !
— C’est moi qui me suis engagé à la protéger, insista-t-il. C’est moi qui nous ai embarqués dans cette histoire, Zal. C’est MA merde. »
Sa cousine se pinça le nez, mais n’insista pas. Azalée avait beau se réfugier derrière son statut de sorcière, elle n’avait jamais fait preuve d’une grande ténacité.
« Ce que tu peux être têtu, soupira-t-elle. Très bien, faisons comme ça. Et puisque tu ne veux pas éveiller les soupçons… je ferais mieux de courir au potager, non ? Les gens vont se poser des questions si j’arrive en retard. À ce soir. »
Et elle les planta là, tous les deux. Hyacinthe avait obtenu gain de cause, mais l’hostilité passive d’Azalée ne lui avait pas échappé. Il s’en voulait de l’avoir rabrouée ainsi ; mais la laisser gérer cette situation, c’était faire ce que sa tante aurait voulu. Même absente, son influence hantait chaque acte, chaque respiration de sa fille… La grandissime Véronique était pour eux une figure protectrice mais terrifiante. Hyacinthe ignorait ce qu’elle était capable de faire à une innocente, une étrangère au clan qui le mettait en danger par sa seule présence. Il ne voulait pas le savoir. Soucieux, il récupéra le seau en bois et en déversa le contenu dans la baignoire. Sa cousine l’avait averti que la naïade ne devait en aucun cas se dessécher, sans quoi elle développerait des lésions. D’un air appréciateur, cette dernière trempa son doigt puis agita plusieurs fois les longues nageoires de son corps, dans un exercice d’éclaboussement modéré. Sitôt Azalée partie, la créature s’était tout à fait détendue. D’ailleurs elle s’allongeait déjà contre l’appuie-tête, pour s’exclamer dans un son de scie à métaux :
« Mais quelle conne ! »
Hyacinthe sursauta, et glapit :
« Tu sais parler ?
— Tout le monde sait parler, le nargua-t-elle de cette étrange voix glissante. Tu veux une médaille ?
— Mais, depuis tout à l’heure… Tu n’as pas pipé mot !
— J’avais aucune envie de parler avec cette teigne. Toi, ça va.
— Zal n’est pas… m-méchante, bafouilla-t-il. Ce sera une grande sorcière.
— Peut-être. Mais ce sera toujours une teigne. Tu as vu comment elle a déchargé toute sa contrariété sur toi ? À sa place, tu n’aurais pas fait ça.
— Heu… Tout le monde a sa personnalité.
— Mouais. Tu ressembles à un galion, et elle à un mérou crevé. Vous flottez tous les deux, mais la comparaison s’arrête là. »
Les pieds de Hyacinthe, pourtant arrimés au plancher, chancelaient. Il n’aurait su dire ce qui le perturbait davantage : parler avec une créature qu’il ne connaissait jusque-là que par des gravures, ou l’entendre proférer ces jugements lapidaires et impertinents. Le choc de leur rencontre passé, il avait été commode de la traiter comme un animal exotique et sauvage ; mais ces soudaines paroles l’avaient ramené à son embarras initial. Fasciné, il continuait à fixer la sirène, qui le dévisageait avec une égale intensité. Comme ils s’enlisaient dans le silence chacun de leur côté, il tenta une banalité :
« Pour quelqu’un qui vient du fond des mers… tu parles très bien ma langue.
— L’ondéen ? Tu trouves ? Je ne m’en rends pas bien compte, ça vient naturellement. Parler, c’est comme chanter mais en beaucoup moins dur, non ? Je ne comprends pas pourquoi vous autres humains avez autant de mal avec le langage. C’est tellement… primitif.
— Mince, s’étrangla-t-il. Mais si tu comprends tout… ça veut dire que tu connais mon nom ?
— Ne t’inquiète pas. C’est ta cousine qui me l’a donné, pas toi. Donc ça ne compte pas. C’est la Loi des démons. Et puis… ce n’est même pas ton nom complet. “Sceau” n’est qu’un pseudonyme, sais-tu ? Un alias que tes ancêtres se sont choisies lorsqu’elles ont émigré en Pluvède, pour échapper aux bûchers. Et elles l’ont transmis à leurs descendants… sans doute pour les protéger de mon peuple. Va savoir !
— Pourquoi auraient-elles fait ça ? Mes aïeules vous ont juré protection, au contraire !
— Je ne sais pas, ronchonna-t-elle en haussant les épaules. Les humains sont bizarres.
— C’est vrai. »
En réaction, la tête de la sirène pencha sur le côté. Ses prunelles aussi semblaient s’incliner, légèrement rétrécies… En cela, elle rappelait à Hyacinthe cet ami d’enfance qui, comme il n’arrivait pas à faire le moindre clin d’œil, courbait ses sourcils de la plus étrange des manières. Il comprit qu’elle tentait, vainement, de s’adapter à lui, de se faire comprendre au mieux. Sa survie en dépendait. Il s’en émut :
« Mais… tu es en danger ? Ailleurs qu’ici, je veux dire.
— Le monde féérique n’est pas sûr, en ce moment, confirma-t-elle. Des problèmes politiques, des luttes de pouvoirs. Trop d’esprits, et plus assez de sorciers pour les invoquer sur la Terre ! Ce n’est pas une situation idéale. Toutes les déités voudraient se manifester dans le Réel, mais les couloirs liminaux qui nous permettaient d’entrer dans le monde physique sans rituels se referment tous les uns après les autres…
— Ma tante m’a parlé de ça. Elle dit que la magie elle-même est en train de mourir, que nos deux mondes finiront un jour par se séparer complètement… Et que ce sera une catastrophe.
— Peut-être, oui. En attendant, c’est chacun pour soi… Mes sœurs, depuis la nuit des temps, connaissent un fil de la Toile dimensionnelle qui communique directement avec un de vos courants marins. On ne l’utilise qu’en cas d’urgence, mais un autre camp de démons a essayé de s’en emparer… Je les ai combattus, mais, lors du combat, je suis tombée en arrière en plein dans la Mer astrale ! Et je me suis réveillée ici.
— Ah, ça rejoint ce que dit ma famille. L’anse de Virgade attirait les naïades depuis toujours… Tes sœurs ont toujours emprunté ce passage pour aller et venir à leur guise. On va te guider jusqu’à chez toi, ne t’inquiète pas ! »
La main de Hyacinthe s’était élancée, comme pour la déposer sur celle de sa protégée en consolation ; mais il s’en était retenu in extremis. D’une part à cause de l’intimité inhérente à un tel geste… D’autre part en raison des griffes acérées qu’il remarquait désormais entre chacune des deux palmes ; en plus de son pouce opposable, elle ne possédait en effet que trois doigts. Par chance, la femme-poisson ne s’offusqua pas de son expression apeurée. Il s’assit sur le rebord de la baignoire, réticent à achever cette conversation. Tout en dénouant ses longs cheveux aux accents bleutés, la visiteuse commentait les alentours :
« Sympa, ta baraque. Ce n’est pas le palais du Roi-Endormi d’Au-delà-les-Tréfonds… mais c’est pas mal.
— Heu, merci… mais tout ici appartient à Tante Véronique.
— Ah bon ? Mais pourtant, tu habites là. Tu m’as invitée, ça fait de toi le maître de maison… Je ne comprends pas.
— C’est un truc d’humains, lâcha-t-il avec une pointe de ressentiment. Des problèmes d’héritage… C’est un peu long à expliquer.
— Pas grave ! J’ai tout mon temps. »
Et expliquer, il le fit. Longuement. Ils ne se reverraient sans doute jamais ; aussi, il pouvait se confier sans garde-fous de choses qu’il n’avait jamais osé formuler à voix haute. Elle aussi, parlait ; de la guerre éternelle des Succubes et Incubes, des prières des mortels qui se raréfiaient, des perles de jade et de sagesse qui sommeillaient dans les Enfers. Ils bavardèrent tant et si bien que la lumière filtrée au travers des rideaux déclina tout à fait, et que la pluie, au-dehors, se mit à tomber de plus en plus fort, jusqu’à devenir une terrible tempête… Au bout d’un moment, l’eau qui coulait le long des vitres réveilla en Hyacinthe un besoin autrement moins poétique. Cependant qu’il s’en allait vers les latrines, son interlocutrice l’appela d’une voix plaintive :
« Tu me laisses ?
— Juste deux minutes, hasarda-t-il d’un ton amusé. Pourquoi, tu as peur ?
— Non, rit-elle. J’ai peur de m’ennuyer ferme sans toi, c’est tout.
— J’ai des livres à te prêter, si tu veux.
— C’est qu’on n’y voit pas très clair ici… Ce doit être la lumière de la surface ! J’y vois flou, mes pupilles ne sont pas adaptées. Mais merci quand même.
— Ah ! Alors je pourrais te lire quelque chose, peut-être ?
— Tu en fais déjà trop pour moi, se récria-t-elle en détournant les yeux. Je prends trop de place ici… Tu dois me trouver irritante.
— Non, non ! Pas du tout, se défendit Hyacinthe. Ça me ferait vraiment plaisir. Je ne pensais pas que les naïades lisaient elles aussi, sous l’eau… Tu aimes quel genre d’histoires ? »
Il sentait ses joues roussir. D’un air timide qu’il ne lui reconnaissait pas, la sirène lui demanda s’il ne s’y connaissait pas plutôt en poésie. Ce n’était pas la spécialité de Hyacinthe, qui ne consommait que des romans d’aventure. Heureusement il dénicha, dans la vieille chambre inoccupée de son cousin Narcisse, un vieux recueil aux pages écornées et rosâtres. Alors que la nuit tombait, Hyacinthe préparait leur veillée : il avait trouvé un peu de morue séchée dans le cellier, un bocal de câpres ainsi qu’un peu de caviar d’algues. Une fois allumées les bougies de la salle de bain, il alimenta le poêle et changea l’eau dans laquelle surnageait son hôte… Celle-ci ne craignait en rien le froid, mais appréciait néanmoins la chaleur.
Hyacinthe approcha un fauteuil en osier du grand bassin blanc et s’y installa. Ils dégustèrent leur pique-nique d’intérieur, aussi salé que sauvage. La sirène avait refusé les couverts et le pain qu’il lui avait tendus, parce qu’elle en ignorait l’usage ; mais elle avait consenti à manger en tenant une serviette sous son menton. Les poissons, elle les avait avalés d’un seul claquement de ses crocs filiformes. Lorsque la mâchoire s’était rouverte, un squelette immaculé en était ressorti. Pas un seul morceau de viande sur les arêtes ! Hyacinthe aurait dû se sentir dégoûté, terrifié ; il ne l’était point.
Leurs assiettes finies, il entama alors la lecture de « La foule pressée pour la messe ».
La diction de Hyacinthe, hésitante, butait parfois sur certains mots à rallonge dont il apprenait l’existence ; sa mère lui avait appris ses lettres, mais on ne l’avait jamais encouragé à étudier. La lecture des grimoires ne lui aurait été d’aucune utilité, et il n’hériterait rien de l’affaire familiale ; savoir déchiffrer un contrat, faire une facture, c’était tout ce qu’on avait exigé de lui. Cette inculture le rattrapait désormais, et il regrettait d’avoir choisi cet ouvrage. L’absence d’illustrations l’avait abusé ; il s’était attendu à des poèmes de Cour, des balades chevaleresques… mais en aucun cas à ce débordement d’obscénités.
Les quatrains, fort bien tournés au demeurant, employaient un langage fleuri, ou plutôt un double-langage. Pour détourner la censure, supposément, mais aussi pour étaler un florilège de comparaisons sensuelles. L’effet semblait, paradoxalement, plus choquant ; si l’auteur s’était borné à appeler les choses par leur nom, Hyacinthe aurait simplement pouffé. Mais lorsqu’il comprit, bien trop tard, ce que désignaient vraiment ces « étamines graciles qui dansent sous le vent », il ne put réprimer un grognement effarouché. La sirène, qui avait écouté patiemment, s’en étonna :
« Pourquoi tu t’arrêtes ? C’est très beau.
— C’est… Ce n’est pas…
— C’est très beau », l’interrompit-elle d’un air catégorique.
Hyacinthe ne contestait pas la qualité de l’ouvrage ; mais il ne pouvait plus continuer à lire cette œuvre à côté d’une jeune fille, toute démoniaque qu’elle fût. C’était le genre de torchon qu’on lisait d’une seule main, pour reprendre une expression courante… Il se rappelait d’ailleurs qu’il avait trouvé cette horreur sous le lit du cousin Narcisse. Certaines des pages les plus dépravées lui paraissaient d’ailleurs un peu collantes…
La belle, d’une voix plus grésillante que jamais, le taquina :
« Allons, si tu ne lis plus… Je vais devoir terminer l’histoire moi-même. »
La main palmée de la sirène trouva son épaule ; Hyacinthe, confus, sentit son humidité à travers la toile de sa chemise. Puis les doigts pianotèrent jusqu’à sa clavicule, joueurs, et il comprit ce qu’elle essayait de faire. Parvenait à faire.
Tétanisé sur sa chaise, les yeux rivés sur les siens, Hyacinthe protestait :
« Nous ne devrions pas…
— Effectivement, le coupa la naïade qui caressait désormais sa joue. Heureusement, nous sommes tous deux capables de garder un secret.
— Nous n’appartenons pas au même monde…
— C’est ce qui rend la chose si existante, continua-t-elle en plaçant un doigt sur ses lèvres. J’imagine… Ou est-ce le livre ? Petit gredin, va ! Me voilà tout excitée… Qui de nous deux est la sirène, ici ? Ça monte ! Finis donc ce que tu as commencé. »
Lorsqu’elle approcha sa bouche, son corps réagit d’un réflexe salutaire et entier. Il se leva d’un coup, s’empara des bras féminins et les repoussa vers la baignoire, fermement. La sirène ne se débattait pas ; le corps fléchi en arrière, elle le toisait. Sereine, certaine de sa puissance de séduction.
« Alors, s’enquit-elle d’un sourire gouailleur. Quel est le vrai problème, au juste ? Ne me mens pas. »
Elle attendait une réponse, patiemment. Car elle avait dû le sentir ; il ne l’avait pas projetée avec assez de force pour lui faire du mal… Et ses poings, toujours accrochés aux écailles, ne la relâchaient point. Hyacinthe tremblait ; il se sentait esclave, prisonnier. Le corps en feu, les yeux plissés de honte, il finit par bredouiller :
« Je… JE N’AI JAMAIS FAIT ÇA ! »
Sa bouche se tordit ; il avait envie de pleurer. Voilà, elle n’allait pas tarder à se moquer de lui, comme Azalée et leurs parentes, comme ces horribles chipies du village… Mais les rires auxquels il s’attendait ne vinrent pas. Sa poigne se relâchée. La sirène, avec une douceur assurée, serpenta alors entre ses bras et se redressa, elle aussi. Appuyée d’une main au rebord, elle murmura dans le creux de son oreille :
« Moi non plus, qu’est-ce que tu crois ? Enfin… pas avec un mortel. Il me semble donc que nous désirons tous les deux quelque chose de neuf. »
La nuque de Hyacinthe s’enflamma sous sa bouche. Il n’avait ni jambes, ni bras, ni tête ; les seules parties de son corps qui comptaient à présent étaient celles qu’elle l’embrassait.
Il accueillit sa bouche dans la sienne, déjà entrouverte, et se laissa plonger.
Ses membres se détendirent tout d’un coup, et la naïade le serra contre elle pour l’enlacer. La peau, lisse et rugueuse à la fois, rappelait celle d’un coffret ouvragé ; un alliage d’argent et d’ormeau. Et sous cette nacre, sa chaleur.
Maintenant seulement il se rendait compte qu’elle s’était tenue en équilibre sur sa propre nageoire caudale, solidement engoncée dans ce lit liquide et improvisé. Pour accomplir un tel exploit, elle devait posséder une grande force, supérieure à celle d’une humaine ordinaire… Force qu’elle n’avait pas utilisée contre lui, un instant plus tôt.
Il était à elle, entièrement à elle.
Il se laissa faire lorsque les mains de sa ravisseuse trouvèrent sa ceinture.
Et tout disparut.
Quelques instants plus tard, il se réveilla en sueur. Non. À dire vrai, il n’avait pas dormi d’un œil ; mais tout cet intermède s’était déroulé ainsi qu’un rêve, sur cette frontière vaporeuse qui séparait le fantasme de la lucidité. Hyacinthe, les yeux ronds, tentait de reprendre ses repères ; cette baignoire… Comment s’était-il retrouvé dedans ? Ah, oui. Il s’en souvenait, maintenant. Il n’était qu’à demi-nu. Sa chemise, il l’avait jetée à l’autre bout de la pièce ; mais son pantalon s’entortillait au-dessus de ses pieds comme une paire de menottes, et gênait sa mobilité.
« Une queue, pensa-t-il. Maintenant, je suis vraiment un homme-poisson. »
Un ronflement disgracieux le tira de cette torpeur. À côté de lui, recroquevillée entre son coude et l’émail, sommeillait les yeux grands ouverts la naïade. Hyacinthe s’en amusa ; n’était-ce pas d’habitude les femmes qui se plaignaient, lorsque leurs amants s’endormaient aussitôt l’amour consommé ? Mais sa sirène était sans doute épuisée ; sur ses bras graciles bleuissaient des ecchymoses, des motifs d’écailles éraflés. Elle avait dû se débattre un long moment, sous cette énorme masse d’algues, avant de renoncer… Encore maintenant, elle dégageait une odeur rance de varech. Mais lui aussi puait… de ses propres secrétions.
Ils puaient ensemble, et c’était magnifique.
Hyacinthe éternua ; leurs débats s’étaient déroulés sur un fond d’eau tiède, désormais glacée. Aussi, il s’extirpa de cette couche aussi étroite qu’inconfortable. Au diable le romantisme ! Le froid, de toute manière, se rappelait à son anatomie d’une manière bien cruelle. Les pieds trempés, il renoua son pantalon tout aussi humide. Quelle gageure ce serait de nettoyer cette pièce !
« Hyatt, l’interpela une voix féminine à l’autre bout de la maison. Qu’est-ce que tu fiches torse nu ? »
D’un sursaut, Hyacinthe se maudit ; il avait oublié de fermer la porte de la salle de bain. À quelques mètres de lui, dans le couloir, Azalée le foudroyait du regard. Ses cheveux étaient décoiffés, ses habits crottés de boue ; elle ramenait avec elle une demi-douzaine de paniers, alourdis de légumes. Après cette journée de travail sous la pluie, ce n’était pas le moment de la contrarier… Hyacinthe bredouilla, chercha une explication à son état ; mais Azalée jetait déjà un œil vers la baignoire, interloquée. Les fusils de ses yeux se changèrent en soucoupes.
« Je le savais, articula-t-elle d’un ton sidéré.
— Je regrette, grimaça-t-il en guise d’excuses. Zal, tout s’est passé si vite… »
Il se sentait coupable. Pas d’avoir cédé aux avances de la sirène, non, mais bien d’avoir menti : il ne regrettait rien du tout. Peut-être était-ce cela, le bonheur d’être enfin adulte… La honte… de ne pas avoir honte ?
Ensuite, les choses s’enchaînèrent rapidement. Azalée pressait son cousin, avec raison… La nuit tombait déjà, et les baleiniers revenaient toujours au port avant l’aurore ; les feux des sémaphores brilleraient bientôt pour les guider. Hyacinthe eut à peine le temps de se changer ; tandis qu’il rassemblait quelques affaires, Azalée réveilla leur visiteuse et prépara son transfert dans la carriole. De peur que le moindre bruit attirât l’attention sur eux, ni Hyacinthe ni la sirène n’échangèrent un mot durant leur trajet. Celui-ci se déroula sans heurt, à la lueur d’un lampion. La bruine présageait d’un épais brouillard ; au moins, le climat jouerait pour eux.
Hildegarde, elle aussi, s’exécutait sans renâcler : comme Hyacinthe avait écourté la récolte du goëmon, sa jument avait pu se reposer. Ils s’avancèrent ainsi, dans la nuit fraîche. La marée, haute, martelait désormais les abords du chemin de rondages.
Très vite, Hyacinthe se retrouva les bottes dans l’eau ; la naïade, déposée à ses pieds, rampait puis pataugeait déjà pour rejoindre les grands fonds. En quelques secondes, elle retrouva l’aisance et la rapidité de sa race… À la faible lumière de sa lanterne, Hyacinthe s’émerveillait de ses prouesses aquatiques. Les mouvements joyeux qu’elle imprimait sur la surface de son élément, tous en clapotis, s’accordaient à ses formes généreuses. Comme il craignait qu’elle s’en allât déjà, Hyacinthe se risqua à crier :
« Attend ! J’ai quelque chose pour toi… »
Il s’avança dans l’eau glacée jusqu’à la taille, et la naïade revint vers lui du même mouvement. Le feu de la lampe à pétrole sublimait la curiosité de ses traits, accentuait le frémissement de ses épaules. Hyacinthe, qui fouillait de sa main libre dans la poche de son manteau, en ressortit une bouteille et la lui tendit. La naïade, surprise, l’accepta néanmoins de bonne grâce et s’enthousiasma :
« Je peux l’ouvrir ?
— Non, je l’ai fermée hermétiquement… pour préserver le papier. Tu liras ça par transparence, lorsque tu auras plus de lumière.
— On dirait une page arrachée… Un souvenir de ce livre que tu m’as lu ?
— Non, avoua-t-il d’un air dépité. C’est un de mes poèmes.
— Pour moi ? Tu écris vite, dis donc.
— J’ai de l’entraînement. »
Il ne révéla pas qu’il avait écrit maints poèmes, par le passé, pour quelques filles qui s’étaient révélées déjà prises, trop âgées, trop riches… ou peu susceptibles de s’intéresser à lui en retour. La naïade hocha la tête, comme pour signifier qu’elle comprenait.
« Je t’ai donné un prénom, s’excusa-t-il d’avance. Dans le texte. C’était trop bizarre de rédiger ça pour une inconnue, alors… j’ai improvisé.
— Ça ne me dérange pas, la rassura-t-il d’un rire franc. Sauf si c’est un nom moche. Mais je te fais confiance… Je suis sûre qu’il sera très joli. »
Ils restèrent face à face, une seconde de trop ; Hyacinthe n’en pouvait plus. Il s’approcha d’elle pour l’embrasser une dernière fois… mais ses bras se refermèrent sur du vide. La créature s’était déjà enfuie dans les flots qu’elle n’aurait jamais dû quitter. Transi par l’émotion et la mer glacée, Hyacinthe crut voir çà et là une ombre, un émergement marin, un bruit d’écume…
Las. Ce n’était que le ramdam du ressac, l’immensité combinée de l’océan et de la nuit. Il n’y avait plus que lui, ici. Lui et son ridicule. Un fidèle compagnon, et le seul.
Hyacinthe n’aurait su dire combien de temps il attendit là, immobile. Ses bottes, plantées dans le sable, luttaient contre le courant. Conscient d’approcher une frontière liminaire entre la terre et la mort, il s’était mis à trembler… à moins que ce ne fut le froid ? Celui-ci l’entourait mais ne l’atteignait plus.
Au bout d’une ou deux éternités, toutefois, il se fit une raison et rentra chez lui. L’absence de son amante l’avait comme infecté. Un sentiment de néant si total qu’il craignait d’en être devenu transparent, invisible… Fut-ce pour cela que nul ne remarqua son passage, sur le chemin ? Il voulait crier sa douleur au monde entier mais ne trouvait personne. Ce fut ainsi qu’il regagna ses pénates, pour se déshabiller et se sécher. Contrairement à son père, congédié de la demeure ancestrale suite à son veuvage, Hyacinthe avait droit à sa chambre attitrée : en vertu du sang de sa défunte mère, il comptait parmi les rares hommes autorisés dans ce saint des saints. Azalée, en le voyant arriver, s’était déjà couchée. Fourbu, il se jeta sur le lit et s’endormit aussitôt. Sans être sûr de vouloir se réveiller.
Il le fallut bien, pourtant. Un rhume tonitruant le tira de sa torpeur, dans une suite d’éternuements si puissants qu’il dût se soulever du matelas pour ne pas perdre l’équilibre. Nul besoin de passer une main sur son front pour comprendre qu’il avait de la fièvre… Ses muscles étaient en feu, sa peau grelottait. Tudieu, quelle idée de rester aussi longtemps dans la flotte ! Malgré sa faiblesse, il parvint à effectuer une toilette sommaire et s’habiller. Même s’il gardait le lit aujourd’hui, il lui faudrait au moins prévenir ses collègues goëmoniers de son état. À travers une lucarne, il pouvait voir le soleil percer les nuages ; bon sang, il devait être au moins onze heures ! Azalée était sans doute déjà partie pour le potager communal… Avec un peu de chance, elle lui avait peut-être laissé un peu de maté sur le réchaud ?
Lorsqu’il descendit vers la salle à manger, néanmoins, Hyacinthe eut la surprise d’y trouver sa cousine… ainsi que dix autres femmes de sa famille, attablées. Il n’avait pas fait deux pas dans leur direction que chaque paire d’yeux noirâtres s’était déjà rivée sur lui, en silence. Hyacinthe se sentait nu face à ses parentes. Partout les mêmes pommettes anguleuses aux nez aquilins, aux sourcils pointus. Une volière coiffée de crêpe et de dentelle, dont fils et époux restaient absents. Tous les âges s’étaient rassemblés ici.
D’abord l’impressionnante Véronique Sceau, suzeraine officielle du Grand Convent de Virgade, qui s’était attribuée la place d’honneur. Lovée dans son fauteuil ouvragé, elle maniait la matéière avec une autorité bienveillante. À sa droite se tenait sa fille Azalée, l’héritière désignée, celle qui transmettrait les savoirs occultes ; pour l’instant, son autorité se bornait à distribuer des tasses à sa mère. À gauche, la tante Jasmine, sorcière elle aussi, essuyait la bouche de sa petite Anthéa qui allait sur ses dix ans. Plus loin la dernière tante, Marguerite, aussi dépourvue de pouvoir que Hyacinthe mais bien moins timorée, tenait compagnie à Mamie Marjolaine. Cette dernière n’écoutait point les paroles de sa fille ; elle souriait bêtement, les yeux dirigés vers un interlocuteur invisible. L’aïeule s’était éloignée chaque année un peu plus du pouvoir et du bout de table, à mesure qu’avançait sa sénilité.
Une telle réunion n’aurait pas alarmé Hyacinthe en temps normal… Mais même les cousines éloignées étaient venues de Précipe : l’arrogante Camélia Sceau-Houillon, sa fille Violette Sceau-Leféal, la bigleuse, sa petite-fille Hortense, la chipie… Il y avait même Églantine, la sinistre sœur de Camélia déshonorée depuis longtemps, ainsi que sa misérable bâtarde, Garance. Toutes se tassaient à l’autre extrémité de la nappe blanche. Les rapports entre les deux branches de la famille étaient pourtant polaires… puisque Tante Véronique s’était élevée au rang de suzeraine à la suite d’un duel magique contre Camélia, fille de la précédente cheffe du convent. Depuis, les Sceau de Virgade et de Précipe, comme on les appelait désormais, ne se voyaient plus que pour les affaires ou les enterrements. Pour que la grandissime Véronique les eût autorisés à rompre le pain chez elle, la situation devait être grave.
« Enfin levé, lâcha la matriarche d’une voix aussi éraillée qu’irritée. Assieds-toi, Hyatt. »
Une goutte de sueur perla sur son front, sans que sa maladie n’y fût pour rien. On ne l’invitait pas à déguster des tartines ; une chaise, à l’autre extrémité de la table, lui avait été réservée, mais nul n’avait songé à y placer des couverts. C’était à un véritable tribunal qu’on le convoquait ! Qu’avait-il fait pour mériter pareil traitement ?
« B-Bonjour à toutes, bégaya-t-il. Tu reviens de Précipe plus tôt que prévu, Tantine… Je vous croyais toutes à la foire.
— C’est ta faute si nous l’avons manquée, pesta Véronique. Lorsque le postillon m’a averti de ce qui s’était passé ici, nous avons tout de suite repris un fiacre… Nous venons à peine d’arriver. Ces tarifs de nuit coûtent une fortune, merci bien ! Alors, assieds-toi donc… Ne t’avise pas de me le faire répéter. »
Tout en avalant sa salive, Hyacinthe se posa sur l’unique siège libre. Ces femmes continuaient à l’observer en silence. Les tasses avaient été distribuées, mais personne n’avait encore osé y toucher. Véronique, sans cesser de dévisager son neveu, émiettait d’inexistantes miettes de pain entre ses doigts. Visiblement, elle attendait de lui un rapport. Il risqua un regard vers sa cousine Azalée, qui lui rendit une moue encourageante… comme pour lui signifier que dire la vérité demeurait la meilleure option.
« Je ne vois pas ce que j’ai fait de mal, assuma Hyacinthe. J’ai protégé le secret des sorciers, empêché les infidèles de s’en prendre à une divinité… Zal a approuvé ma conduite, et tout s’est déroulé comme prévu. J’ai tenté, du mieux, que je pouvais, d’honorer les pactes de respect mutuel et d’alliance qui nous lient au monde des esprits.
— Ne me redis pas ce que je sais déjà, s’agaça Véronique. Et cesse de tourner autour du pot. Cette naïade… Tu as succombé à ses charmes, si j’ai bien compris ? »
Hyacinthe n’aurait pas davantage sursauté s’il avait été frappé par la foudre. Trahi, il invectiva sa cousine :
« Tu leur as tout dit.
— C’est notre suzeraine, se défendit-elle aussitôt. Je me devais de l’avertir, et…
— Peu m’importe vos chamailleries, les coupa Véronique d’un geste dédaigneux. Nous avons des affaires autrement plus importantes à régler pour le moment. C’est d’un démon dont il est question ici, Hyatt ! Il est possible que tu te sois fait envoûter par son chant…
— Je suis assez grand pour savoir si je suis sous influence ou non.
— C’est ce que pensent tous les ensorcelés, pauvre crétin ! Tu es un danger pour toi-même, et pour nous tous… Alors nous devons analyser les faits calmement, pour nous assurer que rien d’équivoque ne s’est produit. Il en va de notre sécurité. »
Les mains de Hyacinthe se crispèrent sur ses genoux ; non… Dans les contes, c’était en chantant que les sirènes perdaient les marins. Or, la naïade n’avait pas émis une seule note de leur soirée. Et de toute manière… il savait, au plus profond de lui-même, que le charme qu’elle avait exercé sur lui n’avait rien de surnaturel. Elle s’était contentée, tout au plus, d’attirer une abeille affamée vers son parfum. Les frustrations adolescentes de Hyacinthe, son manque d’expérience, son désir de faire enfin ses preuves l’avaient jeté dans ses bras. Mais tout cela, il ne pouvait pas l’avouer devant la famille entière ! C’était trop humiliant, trop personnel… L’évocation seule de cette étonnante nuit d’amour, face à ces femmes, faisait désormais monter en lui un haut-le-cœur. Mais Véronique n’en démordait point :
« Zal n’était pas présente, j’ai donc besoin de détails pour prendre les décisions qui s’imposent.
— Comment ça ?
— A-t-elle pris ta semence, Hyatt ?
— Quoi, s’étrangla celui-ci.
— A-t-elle pris ta semence ?
— Maman, s’écria la petite Hortense d’un sourire édenté. C’est quoi, la semence ?
— Chut, la sermonna Violette d’un doigt ferme. C’est quelque chose de très sale, Hortense. Notre Grandissime gronde ce jeune homme parce qu’il a sali ses habits du dimanche, voilà tout.
— Bon, ça suffit, s’exaspérait l’intéressé qui se levait déjà de sa chaise. Je refuse de me donner en spectacle et de vous…
— ASSIS », hurla Véronique d’une voix caverneuse.
Aussitôt les cuisses de Hyacinthe se dérobèrent à sa volonté ; contraintes par le sortilège de sa tante, elles se laissèrent chuter d’un coup sec sur le plat du siège… si brutalement qu’elles arrachèrent à leur propriétaire un cri de douleur. Secoué, il tenta de bouger les pieds : en vain. Ceux-ci s’étaient comme rivés au sol, retenus par des clous invisibles… Voilà, c’était plié ; il se retrouvait impuissant, condamné à subir cette violation de son intimité. Azalée détournait le regard. Nul ne commenta l’évènement… excepté Tante Jasmine, cette lèche-bottes, qui, comme d’habitude, se lamentait aux côtés de sa sœur Véronique :
« Bon sang ! C’est dans ce genre de circonstances que ton petit Narcy aurait pu se rendre utile. C’est un mage, mais un mâle aussi… Il aurait su trouver les bons mots pour tirer à son cousin les vers du nez, lui !
— Et évidemment il n’est plus là, approuva la grandissime. Dieu seul sait où il se trouve, cet ingrat !
— Tu le saurais, persifla Tante Marguerite en sa qualité d’aînée. Si tu arrêtais de jeter ses lettres aux ordures…
— Mais tu es monstrueuse, s’indigna Jasmine. Pauvre Véro, se faire traiter comme ça ! Après tout ce qu’elle a fait pour notre famille !
— Justement.
— Je peux me défendre seule, ordonna Véronique à Jasmine qui s’apprêtait sans doute à répliquer quelques insultes hypocrites. Quant à toi, Marguerite… tes insolences n’amusent personne ici. Ne me force pas à te coudre la bouche. »
Une fois de plus, le silence retomba. Échauffée par la conversation, Tante Véronique s’était levée pour pérorer de plus belle :
« Je suis très sérieuse, Hyatt. Les unions entre les démons et les humains sont fertiles, chacun le sait… Et les monstres qui en naissent peuvent détruire des pays entiers. Ils vont et viennent de l’Astral au Réel, et sèment le chaos des deux côtés… Si cela arrivait, ce serait la fin de tout ! Nous ne pouvons pas permettre à cette engeance maléfique de voir le jour. S’il y a un risque, le moindre risque, que tu aies… fécondé cette créature, je dois le savoir. »
Hyacinthe frémit lorsqu’elle se plaça derrière le dossier de sa chaise. Il courba le dos.
« Par pitié, implora-t-il. Tantine, fais au moins partir les autres. Je ne veux pas…
— Le convent de Virgade n’a pas de secrets pour moi, insista celle-ci sans une once d’empathie. Il est donc juste que je n’ai pas de secrets pour eux. »
Les yeux de Hyacinthe, baissés vers le sol carrelé, commençaient à larmoyer. Véronique se fit caressante, sa voix consolante :
« Allons ! Nous sommes en famille, tu peux tout nous dire… Parlons technique. L’as-tu bien… pénétrée ? T’es-tu retiré à temps ? Quant à ta précieuse semence… J’ose espérer que tu n’en as pas mis partout ! Si ta sirène est rusée, elle l’aura récupérée à temps pour s’en… imprégner. Alors ? Qu’en a-t-elle fait ? »
Un peu de la colère que Hyacinthe avait éprouvé en premier lieu remonta en lui ; il était plus facile de défendre les secrets de sa bien-aimée que les siens propres. Au fond, ce n’était pas les moqueries graveleuses qu’il craignait vraiment ; c’était l’idée que leur laideur se contamine à ses propres souvenirs, les souille… Hyacinthe ne pouvait le supporter. Ces instants merveilleux, ils ne les laisseraient jamais se ternir de déshonneur. Son courage retrouvé, il trouva la force de relever ses yeux humides vers Véronique et de lui lâcher, avec mépris :
« Ne t’inquiète pas trop pour ça… Techniquement, elle l’a avalée. »
La grimace dégoûtée et déconfite de Véronique aurait pu réjouir Hyacinthe… s’il n’avait pas eu aussi peur de se reprendre un mauvais sort en représailles. Heureusement, sa tante semblait trop choquée pour réagir de la sorte.
« Ventre-Saint-Gris, toussota la cousine Églantine. Mais c’est répugnant ! Je ne puis en supporter davantage.
— C’est nous qui avons exigé de tout savoir, s’indigna Garance dans un apparent sursaut de conscience. Quant à toi, Maman… Ne t’avise pas de juger notre cousin. Tu n’as pas démérité dans ta jeunesse ! J’en suis la preuve vivante.
— Je ne comprends pas, songea à voix haute Grand-Mère Marjolaine. Comment a-t-elle fait pour avaler… une chose pareille ? Et pourquoi ? Ça ne m’a jamais paru très nutritif, ce truc-là.
— Ne t’inquiète pas pour ça, soupira Marguerite. Il est temps de reprendre tes cachets, Maman. »
Une main offusquée sur la poitrine, Véronique se désintéressait enfin de son neveu.
« Bon, conclut-elle sans le remercier. Je suppose qu’à la lumière de ces informations… Un enfantement n’est pas à l’ordre du jour. Cela règle au moins la question.
— Moi je suis triste pour Hyatt, hésita la petite Anthéa qui avait toujours un mot gentil et maladroit pour chacun. Je suis sûre qu’il ferait un très bon papa, même pour un poisson. »
La tante Jasmine éclata d’un rire nerveux. Maintenant que la tension de Véronique était retombée, chacun y allait de son commentaire. Hyacinthe aurait préféré partir, mais ses semelles étaient toujours engluées au sol par une force invisible. Seule Azalée croisait les bras sans mot dire ; lorsque son cousin la fusilla du regard, elle s’apeura. S’imaginait-elle qu’il l’avait oubliée, cette rapporteuse ?
Au bout d’un moment, le vacarme fut interrompu par des éclats de cuillère. En tapotant la porcelaine de sa tasse, dans un effet d’annonce, Camélia Sceau-Houillon réclama l’attention de chacun… puis s’égaya :
« Merci, cher cousin… pour cette rafraîchissante honnêteté. Notre grandissime suzeraine pourrait prendre exemple sur toi. »
Puis elle se retourna pour zieuter l’arrière de sa chaise, et ainsi tancer sa rivale de toujours d’un ton goguenard :
« Voyons ! Dis-lui pourquoi nous sommes véritablement ici, Véro. C’est toi qui louvoies depuis tout à l’heure…
— Je ne vois pas de quoi tu parles, se récria sa cousine germaine.
— Pauvre folle ! Tu te crois maligne à rabrouer ainsi ton neveu ? Tout le monde voit bien ce qui t’intéresse, au fond… La séduction fonctionne dans les deux sens, ma chère. Tu espérais secrètement que ton Hyacinthe ait engrossé cette sirène, n’est-ce pas ? Ce sont les pouvoirs surnaturels d’un tel hybride qui t’intéressent. Cela fait longtemps que le convent des Sceau tente d’apprendre le nom d’une démone des mers, en vain… Je suppose qu’un demi-dieu, en guise de rejeton, constituerait un lot de consolation satisfaisant pour ta lignée. Et une façon de dominer la mienne !
— Tais-toi, l’avertit Véronique dont les narines s’étaient rétrécies en fentes. Tu dépasses les bornes, sorcière…
— Mais voilà, l’ignora Camélia sans perdre sa bonne humeur. Tu as élevé un petit puceau pas dégourdi. Il n’a pas su saisir l’opportunité qui s’offrait à lui, cet imbécile ! Quand repassera la prochaine sirène sur les plages de Virgade, Véro ? Dans cinquante ans, cent ans ? Admets-le… Tu voulais nous impressionner, nous, les brebis galeuses de Précipe ! Mais tu as loupé ton coup.
— Qu’elle SORTE, gueula Véronique à la ronde. Elle et sa SMALA DE MALHEUR ! OUSTE !
— Mais il pleut à torrent, protesta Azalée.
— JE. M’EN. MOQUE. SORTEZ TOUTES ! DEHOOORS !!! »
Les mégères ne se firent pas prier. Tandis que leurs dix chaises râclaient le sol, Hyacinthe sentit ses pieds se détendre. Il parvenait de nouveau à remuer les orteils ; sa tante venait de lever le mauvais sort, probablement par inattention. Maintenant, elle se saisissait de la nappe dans un grognement de rage. Tout en se relevant, Hyacinthe la vit tirer sur cette toile pour en balancer la vaisselle… Le maté se répandit au sol, dans un millier d’éclats d’émail. Véronique éructait des reproches sans queue ni tête à l’égard de sa parentèle.
Hyacinthe n’en avait cure ; il se dirigeait déjà vers l’extérieur.
Il n’eut pas un mot pour les femmes qui rattachaient leurs châles dans le vestibule, ne prit pas même un couvre-chef à la patère ; la seule idée de rester une seconde de plus dans cette baraque lui était devenue insoutenable.
Seule Azalée le suivit. Hors d’haleine, elle parvint à le rattraper sur la lande des Falaises Jaunes. La pluie battait déjà leurs visages : drue, glacée, intransigeante. Foutée par le vent qui maltraitait les volants de sa robe, Azalée hélait son cousin :
« Hyatt… Mais enfin, attends ! Où vas-tu ?
— Chez mon père, maugréa celui-ci. Pour de bon. Je récupérerai mes affaires plus tard… Ne me suis pas.
— Tu es malade ! Il ne faut pas…
— TA GUEULE, aboya-t-il tout en se retournant vers elle. Tout est de ta faute. Après ce que ton frère a subi, me faire un coup pareil !
— Non, s’obstinait-elle d’un air désolé. Je ne voulais rien de tout cela…
— Mais bon sang, tu SAVAIS ce qui allait se passer ! C’est ta mère, bordel…
— Je… Je n’ai pas pensé à mal…
— MENTEUSE. Tu voulais te faire bien voir. Tu sais quoi ? Je commence à comprendre pourquoi Narcy t’en veut… Tu n’es qu’un cafard, Zal. Toujours à rejeter la faute sur les autres ! »
Azalée porta la main à sa bouche, choquée… mais ne trouva rien à répondre. Hyacinthe lui accorda un dernier regard de rancœur… puis il s’en alla.
Il ne revint pas au manoir des Sceau le lendemain, ni le jour suivant ; d’une part parce qu’il avait la grippe, mais aussi, certainement, pour ne pas céder aux multiples remontrances d’Azalée :
« Tu insultes notre convent, notre suzeraine… Maman ne l’oubliera pas de sitôt ! Et si elle te le faisait payer ? »
Hyacinthe s’en fichait. Ce chapitre de sa vie était bel et bien terminé.
Heureusement, son père l’avait hébergé sans protestations depuis lors. Philibert Aubrin n’avait pourtant guère de place chez lui. Moins d’une lieue séparait son domicile du manoir, mais les deux lieux n’offraient pas le même confort. La chaumière paternelle ne disposait que d’une grande salle commune, d’une casemate séparée pour la toilette et de bâtiments pour les bêtes. Lorsque Philibert avait épousé Dahlia Sceau, vingt-et-une années plus tôt, beaucoup avaient crié à la mésalliance : la fille des plus riches commerçants du village méritait mieux qu’un humble ouvrier agricole ! Aujourd’hui Philibert avait dormi sur une natte de jonc, malgré ses rhumatismes, et insisté pour offrir à son fils le grand lit au matelas de paille, le temps qu’il couvât sa maladie. Hyacinthe s’en voulait un peu… mais cela faisait trop longtemps qu’on ne s’était pas occupé ainsi de lui.
Dès la fin de sa convalescence, il se remit donc au travail tel un acharné : en partie pour remercier son père de cette hospitalité, mais aussi pour ne plus repenser aux évènements des derniers jours. Le souvenir de son amante marine le hantait autant que les vilénies de sa famille maternelle. Petit à petit, le goëmon s’accumulait dans les charrettes : la récolte était bonne, ce mois-ci, de même que la pêche à pied… Même si ces incessantes tempêtes ne facilitaient pas la tâche. Il fallait s’acquitter de cette besogne au plus vite, car les moissons commençaient le mois suivant : les ouvriers n’auraient alors plus le temps de parcourir les plages.
Le père n’avait, tout ce temps, posé aucune question à Hyacinthe sur les motivations de son départ. Philibert Aubrin, qui n’avait jamais été du genre prolixe, n’évoquait les sujets fâcheux que d’une manière oblique. Un jour vint, cependant, où il se jeta à l’eau. Lui et son fils étaient occupés à jeter des poignées de varech séché dans un de ces fours extérieurs qui parsemaient la côte ; dans les tranchées tapissées de pierres, les algues se réduiraient en lave puis en cendres. Le vent, en cette fin d’après-midi, portait la fumée au loin. Tandis que Hyacinthe remuait la mixture à l’aide d’un pifon, Philibert, appuyé de deux mains sur sa bèche, se lança :
« Ta tante Marguerite m’a payé un pot à la taverne, hier.
— C’est gentil de sa part, marmonna Hyacinthe qui l’avait vu arriver avec ses gros sabots.
— Apparemment Zal et toi avez aperçu une sirène, il y a une semaine ?
— Une naïade, le corrigea son fils d’un air sombre.
— Ah, pardon… Je ne connais pas ces choses aussi bien que toi. »
Hyacinthe cessa son manège, dévisagea son interlocuteur. Les yeux de son paternel brillaient d’intensité, et sa barbe, pourtant fournie, ne cachait rien du sérieux de son expression. Hyacinthe soupira… Philibert Aubrin ne lâchait jamais l’affaire lorsqu’il fallait mettre les choses à plat…
« Tu as bien fait de la cacher, décréta son père avec une fausse légèreté. C’était courageux.
— Merci », opina Hyacinthe qui sentait ses joues rosir.
Enfin il obtenait un peu de reconnaissance à ce sujet ! Philibert, pensif, continua :
« Enfin… je suppose que tu as toujours été vaillant. Timide, certes. Mais vaillant. C’est peut-être pour ça que tu plais aux filles.
— Tu délires ? Je ne suis pas populaire pour un sou.
— Il me semble pourtant que tu obtiens des résultats. »
Hyacinthe rebaissa derechef ses yeux vers le sol. Tante Marguerite n’épargnait décidément aucun détail dans ses commérages… Son père dut remarquer sa gêne, car il ne s’éternisa pas sur ce sujet.
« Il y avait ce type que je connaissais dans le village, devisait-il tout en bêchant les laminaires. Lui aussi, il avait eu sa petite histoire avec une sirène, dans le temps… Ça s’est beaucoup plus mal terminé, mais elle est repartie dans les flots. Il y en a toujours une qui dérive vers les côtes de Virgade et s’y échoue, à peu près à chaque génération… Mais ce n’est jamais la même. Quoique…
— Quoique ? »
La déception mélancolique de Hyacinthe, exprimées en un souffle, avaient dû se voir ; car son père lui adressa un petit sourire compassionné, et tenta de le ménager :
« Une sirène, ce n’est pas une femme… C’est une vague, fiston ! Rien qu’une vague. Qui se forme et se déforme au gré du vent, en changeant de forme et d’apparence à chaque fois… Mais en oubliant tout ce qu’elle a été auparavant. Il y a dix mille vagues par marée… ou une seule. Ça dépend du point de vue, comme on dit.
— En oubliant, répéta son fils avec effroi. Tu es sûr ?
— Et pourquoi pas ? Ta future femme t’oubliera aussi, lorsqu’elle rejoindra l’obscurité de la mort. Ne le prends pas personnellement. »
Un ange passa. Hyacinthe, assis sur la lande, accusait le choc.
Mais quelle buse il avait été ! Les divinités ne connaissent ni le Bien ni le Mal… Elles n’étaient pas capables d’aimer, en tous les cas pas au sens où l’entendaient les mortels. Véronique et toutes les sorcières du convent l’avaient pourtant prévenu maintes fois de ce fait, durant son enfance !
Hyacinthe s’encercla les genoux des bras. La brise fouettait son visage, telle une gifle. Il aurait dû passer à autre chose, oublier cette aventure sans lendemain… Mais c’était plus fort que lui, il devait savoir. Au bout d’un moment, il interpela Philibert :
« Pourquoi elle revient toujours ?
— J’en sais rien, avoua son père sans cesser de travailler. Mais bon, c’est une déesse de la mer… Peut-être qu’elle est amoureuse de la côte de Virgade, justement. Alors elle cherche à retrouver son estran préféré… à retomber amoureuse d’un homme du coin. C’est logique, pour une vague, d’être attirée par une terre, non ? Enfin… Qui sait ce qui se passe dans sa tête !
— Tu m’as l’air bien renseigné sur le sujet, s’étonna Hyacinthe. Pour un profane… »
Il ne demanda pas à son père lequel de ses compagnons était tombé amoureux d’une naïade. Philibert Aubrin, concentré sur sa tâche, poursuivit :
« Tes tantes connaissent tout des légendes, des contes de fées… Des trucs de bonnes femmes ! Mais elles ne peuvent tout de même pas tout savoir, contrairement à ce qu’elles prétendent. Pour les chants de marins, les récits paillards de femmes-poissons… Pour connaître ça, il faut avoir du poil au menton, Hyatt. »
Il accompagna cette dernière remarque d’un clin d’œil. Un peu rassénéré par cette marque de solidarité, Hyacinthe le nargua :
« Tu ne connais tout de même pas le nom de cette naïade ?
— Voilà que tu parles comme ta tante, s’esclaffa Philibert. C’est une obsession dans sa famille, ma parole… Quatre siècles que ces fichues sorcières essayent de capturer cette coquine de sirène ! Je parierais même que c’est pour ça que les Sceau ont bâti leur baraque en haut des Falaises Jaunes. Un genre de pavillon de chasse… histoire de lui extirper son nom, de la conjurer et d’ajouter une invocation à leur palmarès. Comme si elles ne fréquentaient pas déjà assez les démons ! Je lui ai déjà dit que ça ne servait rien de s’acharner, à la Véro. Mais elle ne m’a pas écouté.
— Ah bon ? C’est la première fois que j’entends ça.
— Elle n’aime pas qu’on lui fasse la leçon, ça c’est sûr. Mais quand je suis certain d’avoir raison, moi, je l’ouvre… Et pour moi, les sirènes ne sont pas des démons comme les autres ! C’est une vague, c’est de l’eau… C’est changeant. Ça n’a pas d’identité fixe. Alors pour moi, la sirène, elle est inconjurable, tu piges ? Parce qu’elle n’a pas de nom à donner.
— Non, songea Hyacinthe en silence. Mais elle pourrait en recevoir un. »
D’un seul coup, il avait compris.
La démone avait accepté sa bouteille, son poème. Le prénom qu’il lui avait donné, le seul qu’elle n’aurait jamais… Son vrai nom, désormais.
Elle s’était bel et bien offerte à lui, et plus profondément qu’il ne l’avait cru de prime abord.
Hyacinthe sut alors ce qu’il était : un mage. Il venait de passer son premier contrat avec un démon, celui qui lui confèrerait ses pouvoirs. La sirène lui avait fait ce présent, au prix de son autonomie véritable, au risque, peut-être, de se retrouver asservie à une lignée de sorciers…
« Je pourrais courir au manoir, réfléchissait Hyacinthe. Je pourrais tout dire à la famille, leur annoncer que j’ai conjuré la démone. Je deviendrais le plus célèbre sorcier de l’Histoire des Sceau. Je serais respecté, adulé, craint. Je serais Véronique. »
Cette pensée fit monter en lui une légère nausée.
« Ces magiciennes perdent leurs temps, lâcha-t-il à son père. De toute façon la sirène ne leur doit rien… Moi, j’espère que personne ne l’attrapera jamais !
— Moi aussi, fiston. Qu’elle reste libre, va ! Qu’elle reste heureuse en ses amours. »
FIN
Ravi’e de profiter des Histoires d’Or (oui je suis en retard pour faire mes commentaires, on ne commentera pas…) pour découvrir plus de nouvelles sur PA, j’adore ce genre !
Quelques remarques au fil de ma lecture :
"— C’est Hildegarde que je ménage, fit mine (de) se vexer Hyacinthe."
"il y avait là l’unique baignoire de Virgade, et la première" Hmm, logique que ce soit la première si c'est l'unique, non ?
"Un alias que tes ancêtres se sont choisies (choisi)" Accord avec "alias" ^^
"qu’elle s’était tenue en équilibre sur sa propre nageoire caudale, solidement engoncée dans ce lit liquide et improvisé" Je n'arrive pas à visualiser sa position ? C'est quoi le "lit liquide" ?? Parce qu'on peut pas s'appuyer sur de l'eau quoi...
"elle s’apeura" Il me semble que la forme pronominale de "apeurer" n'existe plus aujourd'hui... Bon, après un mot désuet ça peut coller au ton de ta nouvelle, mais je signale au cas où :P
"Elle et sa SMALA DE MALHEUR !" J'ai haussé un sourcil à l'argot algérien - c'est voulu... ?
"— Merci », opina Hyacinthe" La virgule introduisant une incise doit aller à l'intérieur des guillemets :P
Bon déjà ça parle Bretagne, forcément ça me plaît x) Et j’apprécie d’autant plus que ça ne s’arrête (ni ne commence, d’ailleurs) pas aux korrigans ou autre légende un peu vue et revue, mais plutôt qu’il y ait de vrais détails de la vie locale (comme la récolte du goëmon), qui ancrent vraiment le conte dans son environnement, et le concept plus global des deux mondes voisins, ainsi que de la puissance des noms.
Ta plume est très sympa, fluide et tout, on se laisse embarquer sans problème aux côtés de ton personnage. Même la scène du “tribunal” avec tous ces personnages hauts en couleur est bien gérée - j’ai peut-être bien eu 2-3 moments de confusion au milieu de toutes ces femmes différentes, mais globalement pour une scène avec tant de personnages qui parlent, c’était un tour de force !
Le ton du conte est présent, et fonctionne bien, mais en même temps je trouve ça très cool qu’on s’en détache un peu avec quelques éléments plus… euh, modernes, peut-être ? avec la façon dont ça aborde la sexualité, de manière assez factuelle et “crue” plutôt qu’avec des jolies métaphores qui font litote. Et ça sert le propos, à mon sens, ou tout du moins ce qui me semble être les thèmes de ce texte : la sortie de l’adolescence (aussi bien via le prisme physique / sexuel, que du côté de l’indépendance), le carcan et les influences familiales, l’appartenance et les dynamiques de pouvoir au sein d’une relation… Du coup, mon petit cœur apprécie d’autant plus la fin : non seulement Hyacinthe s’est débarrassé de l’ascendant de sa famille magicienne, puisqu’il pourrait faire mieux qu’elles et donc se débarrasse de ce complexe, mais surtout il n’en abuse pas et respecte la confiance de sa sirène, c’est beau <3
La Pluvède que je décris ressemble effectivement beaucoup à ma Bretagne natale, sans en être une copie. J'ai puisé mon inspiration dans ces fours à goëmon (creusés dans le sol) qu'on trouve encore partout sur les côtes, même s'ils ne sont plus utilisés. J'adore que mes personnages aient une vie professionnelle, ça aide à les "ancrer" dans leur monde et les crédibiliser comme tu dis ! Pour la sirène/naïade, je fais référence au mythe de Marie-Morgane (prénom qui, à en croire les étymologistes, signifie "née de la mer").
Et oui, honnêtement il y a trop de personnages dans la scène du tribunal familial, surtout pour une nouvelle... Mais je ne sais pas, j'avais envie de vraiment mettre en scène un Hyacinthe submergé par le nombre, cerné. Mes nouvelles et romans se passent dans le même univers où d'autres membres de la famille réapparaissent, donc ce passage sert aussi à introduire des caméos / figures récurrentes (Garance et Anthéa devraient avoir leurs propres nouvelles dont elles seront les protagonistes, notamment). Dans la logique de l'univers que je décris, ç'aurait été bizarre que ces membres de la famille ne soient pas présents à l'évènement...
Pour l'ambiance effectivement on a un petit côté conte de fées mais je me réserve le droit de m'en détacher. C'est plutôt un récit d'adolescence : premiers amours, prise d'indépendance, découverte des valeurs personnelles, etc.
Jolie surprise que ce conte ! Je ne savais pas du tout à quoi m'attendre, et j'avoue que la longueur de la nouvelle m'a fait un peu peur, mais je n'ai pas regretté le voyage !
D'abord, j'ai trouvé ta plume très agréable à lire : fluide, riche et variée. J'ai été transportée assez facilement dans une petite ville bretonne et je me suis laissée guider.
Le début est relativement classique, mais la force de l'histoire ce sont ces différentes parties, qui portent chacune leur propre ton. Dès la première réplique de la sirène, par exemple, on sort un peu du conte pour un ton plus moderne, qui évolue tranquillement vers une romance (du côté de Hyacinthe en tout cas). J'ai trouvé charmante la scène où Hyacinthe lit les poèmes en rougissant et avoue à la sirène qu'il est vierge. Et j'ai trouvé émouvant qu'il s'enflamme pour elle et qu'il soit triste au moment de se séparer d'elle.
Ensuite, nouveau changement pour cette scène à la fois désolante et drôle du tribunal matriarcal ! Pauvre Hyacinthe XD Je n'aurais pas aimé être à sa place. En tout cas les répliques et réactions des femmes sont savoureuses !
Quant à la fin, j'ai beaucoup aimé le personnage du père qui s'avère beaucoup plus sage que les magiciennes. Et la découverte finale de Hyacinthe vient joliment conclure l'histoire de manière inattendue : à la fois romantique et en forme de pied de nez de Hyacinthe envers celles qui ont exercé un pouvoir sur lui toute sa vie. Pied de nez dont il décide de ne pas abuser, et c'est tout à son honneur !
Merci pour ce moment de lecture !
Et oui mes nouvelles sont longues (un peu moins de 10 000 mots) mais comme j'écris de la Fantasy il y a de la mise en place à faire, de l'exposition... C'est un peu incompressible. Je suis content que tu aies pensé à la Bretagne en lisant ces lignes car c'est exactement mon inspiration pour la côte de Virgade !
Et oui, c'est une romance aussi pour la sirène ; les sentiments sont réciproques. Mais comme le dit le père de Hyacinthe, ce n'est pas une humaine mais une déité, un pur esprit qui vit au-delà du rationnel : elle ne peut pas penser comme une mortelle, aimer comme une mortelle. Toute relation longue durée au sens traditionnel était donc impossible mais ça n'a pas empêché une belle rencontre. ^^
La chute tout particulièrement! J'aime le côté intègre de Hyatt, qu'on pressentait tout du long, j'aime le fait qu'il aime qu'elle lui ai fait ce cadeau (ce cadeau d'accepter son cadeau) et qu'il accepte qu'elle ne lui appartient pas.
Des passages sont un peu crus, mais ils se fondent bien dans le texte, l'ensemble est très équilibré !
C'était un plaisir à lire.
Pour les passages crus, j'ai un peu galéré parce que l'histoire parle d'un éveil à la sexualité quand même, au bout d'un moment il faut appeler un chat un chat. Mais je ne voulais pas non plus être plus explicite que nécessaire ; d'autant que Hyacinthe n'a que dix-neuf ans et que ça impose un peu de distance.
Hyacinthe est sympathiquement décrit. On a envie de le découvrir dans d'autres situations.
Tu devrais lui remettre un prix au "Concours Lépine du sauvetage d'ondéen", mais avec moins de trophées et plus d’écailles.
Je découvre ta nouvelle à l'occasion des histoires d'or et j'ai passé un chouette moment. Cette nouvelle a une ambiance vraiment particulière, il y avait vraiment une sensation de découverte, de fraîcheur. Il y a des moments de poésie, d'humour, de description, de dialogue. C'est vraiment une lecture touchante, mais pas que. Elle questionne aussi sur le rapport à la sexualité, à l'adolescence, le dialogue générationnel... Bref, ça suscite la réflexion, c'est vraiment chouette.
J'apprécie également le développement des personnages, on sent qu'il est travaillé. Je me demande si ces personnages existent en dehors de cette nouvelle ? C'est un peu ma sensation, j'ai l'impression en tout cas que tu es très à l'aise avec l'environnement de cette nouvelle et ses personnages.
Quelques passages que j'ai apprécié :
"Ce n’était que le ramdam du ressac, l’immensité combinée de l’océan et de la nuit. Il n’y avait plus que lui, ici. Lui et son ridicule. Un fidèle compagnon, et le seul. passage" joli et triste
"Ne t’avise pas de juger notre cousin. Tu n’as pas démérité dans ta jeunesse !" xD
"« Merci, cher cousin… pour cette rafraîchissante honnêteté. Notre grandissime suzeraine pourrait prendre exemple sur toi. »" xD
Un plaisir,
A bientôt !
Avec cette nouvelle, j'avais envie de faire un truc plus mignon que ce que j'écris d'habitude ; c'est ma petite romance paranormale à la "Twilight" en quelque sorte ! C'est tout à fait ce que tu décris : l'éveil à la sexualité est surtout un prétexte pour que le protagoniste s'affirme et décide quel genre de personne il peut être. Romance mais aussi récit de formation ("Bildungsroman").
Et oui, effectivement tous les récits que j'ai postés sur Plume d'Argent se passent dans le même univers donc il y a des membres de la famille Sceau dans chacun d'entre eux. Hyacinthe, Azalée et Narcisse apparaissent notamment dans la nouvelle "Belle Plante". La nouvelle "Femme au Foyer" se passe deux siècles plus tôt mais au même endroit (à l'époque où le manoir familial de Virgade n'était qu'une humble chaumière).
Ok, chouette d'écrire plein de récits dans un même univers (=
Au plaisir !
Quelques remarques :
- C'est pas Azalée qui a donné le nom de Hyacinthe. Dans leur conversation ils utilisent exclusivement leurs diminutifs : Zal et Hyatt. En revanche la naïade a entendu un autre ramasseur dire "Môssieur Aubrin-Sceau".
- "Sa poigne se relâchée" : grammaticalement incorrect
- "Attend ! J'ai quelque chose pour toi" : attends
- "Ça ne me dérange pas, la rassura-t-il d’un rire franc" : le rassura-t-elle, c'est la sirène qui parle
"Moi je suis triste pour Hyatt, hésita la petite Anthéa qui avait toujours un mot gentil et maladroit pour chacun. Je suis sûre qu’il ferait un très bon papa, même pour un poisson."
C'est beaucoup trop mignon <3
Et j'aime beaucoup la fin aussi
Et oui, maintenant que tu le dis Azalée ne donne pas le nom complet de Hyacinthe... C'est le reliquat d'une ancienne version où il n'y avait pas ces diminutifs ; je vais corriger ça (avec le reste de ce que tu as souligné).
Si tu aimes Azalée (ou pas), tu pourras la recroiser dans la nouvelle "Belle Plante". Je compte aussi écrire d'autres nouvelles sur cette fratrie, d'ailleurs.