Une étoile amoureuse

Par Beatrix

Que font les étoiles dans le ciel ?

Les étoiles brillent.

Les étoiles dansent, en une ronde si lente qu'il lui faut la nuit pour accomplir un seul tour.

Les étoiles chantent d'une voix si ténue, si cristalline, que les oreilles mortelles n'en perçoivent que l'écho irréel.

La vie des étoiles s'écoule comme un long rêve dont elles ne s'éveilleront jamais. Parfois elles s'en contentent, juste heureuses d'exister. Mais d'autres, plus jeunes, connaissent encore l'ennui : pour s'en distraire, quand la lune leur sert de luminaire, elles contemplent la terre.

Une petite étoile en particulier : ce n'est pas un astre célèbre et flamboyant arborant le patronyme d'une divinité célèbre, mais un obscur petit soleil, connu d'une poignée d'astronomes seulement. Dès que le matin survient, elle est parmi les premières à pâlir et disparaître. Quand les constellations dessinent leurs ballets complexes, elle reste juste au-dessus de l'horizon, à observer le monde.

C'est là qu'elle l'a aperçu pour la première fois au haut d'une butte, à la fois si proche et si lointain, la tête levé vers le ciel, le corps lové dans une position d'adoration. Il ne ressemblait à aucun des êtres qu'elle avait pu voir jusque là : sans pattes, sans ailes, sans poil, sans plume, presque sans queue ni tête... Un être étrange et incompréhensible, qui s'enfonçait dans le sol tendre de la colline dès que paraissait le matin.

Mais chaque soir, quand elle quittait timidement son édredon de nuées pour vivre sa vie d'étoile, elle le revoyait sur le promontoire, la tête levée vers les cieux, se balançant doucement au gré de leur chant.

Les étoiles sont trop vieilles, trop tolérantes pour juger des apparences des créatures de la terre. Aussi, elle ne le trouvait pas répugnant, avec ce corps long et souple, dont la peau luisait doucement, couleur d'albâtre rosé et tout aussi translucide. C'est avec une étrange grâce que ses  anneaux pâles s'étiraient et se contractaient, tandis qu'il se mouvait dans l'herbe rase.

Aussi, à présent, revient-elle chaque nuit le regarder. Elle se demande si c'est elle qu'il regarde ainsi, qu'il attend, qu'il reconnaît nuit après nuit. Elle brille aussi fort qu'elle le peut, espérant qu'il comprendra qu'elle le fait pour lui, cet être à jamais rivé au sol.

Elle ne peut, hélas, quitter le ciel : si elle en descend, ou plutôt si elle en tombe, ce sera pour ne plus jamais y remonter. La vie des étoiles est longue, si longue, qu'à peine poserait-elle ses rayons au sol qu'elle verrait la vie de son aimé flétrir et s'éteindre.

Alors, du haut des cieux, tant qu'elle le peut, elle admire l'objet à jamais inaccessible de ses affections et affronte son destin.

Celui d'une étoile amoureuse d'un ver de terre.

 

La haut, au firmament, reluit un cœur d'étoile,Qui ne bât que pour lui, dans son corps de lumière,Qui gît dans la douleur d'aimer un ver de terre,Qui pour lui donnerait jusqu'à l'éternité,Qui pleure de le voir si loin d’elle exister..

 

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Diogene
Posté le 17/03/2014
Coucou Béatrix, <br />
<br />
Hé oui je poursuis ma course de l'imaginaire au travers de tes textes, et c'est à chaque fois un nouveau ravissement. <br />
Vraiment un adorable texte.
dominosama
Posté le 08/02/2013
C'est clair que là c'est carrément improbable. En tout cas c'est plein de poésie.
Beatrix
Posté le 08/02/2013
N'était-ce pas la règle du jeu ? ^^
Merci pour ton commentaire ! :) 
Nascana
Posté le 05/02/2013
Un texte touchant, un peu triste aussi. C'est vraiment un amour improbable.
J'ai bien aimé le lien avec le poème. Bravo.
Nascana  
Beatrix
Posté le 05/02/2013
Merci Nasca ! Oui, improbable, mais qui sait ce que pense les étoiles ;) ?
vefree
Posté le 04/02/2013
Moooooh, c'est mignon !
Un ver de terre, sans blague !!!!!! ça, pour être improbable...
J'aime beaucoup ta description du ciel et des étoiles. Et puis l'introduction de l'être "à jamais rivé au sol" me plait beaucoup aussi. Il n'apparaît pas comme un vilain truc tout terreux qui se tortille dans la boue. Il brille de l'amour que l'étoile lui voue. C'est beau.
Non, vraiment, c'est très joli, poétique et bien fait. 
Beatrix
Posté le 04/02/2013
Oh, je pensais avoir répondu... Merci Vef' ! Un peu de victor Hugo (Un verre de terre amoureux d'une étoile... et pourquoi pas le contraire ?) et pour les histoires, une très vague inspiration de Stardust de Gaiman... Pour le reste, j'aime inverser les codes ! ^^
Seja Administratrice
Posté le 11/02/2013
Oh, c'est joli *o*
Je l'ai déjà dit, mais je le redis - t'as vraiment une plume superbe, Bea. A chaque fois que je te lis, j'ai des images qui dansent devant les yeux. Et ici, cette histoire d'étoile amoureuse d'un ver de terre, ça met plein d'étoiles dans les yeux (haha, le magnifique jeu de mots :3).
Bref, j'aime *o* 
Beatrix
Posté le 11/02/2013
Merci Sej ! Je me disais bien qu'une situation pareille, ça ne pouvait que te plaire ! ^^
Jamreo
Posté le 11/02/2013
Une étoile qui pleure de ne pas avoir l'attention d'un ver de terre, on croirait rêver tellement on attendrait l'inverse. Ca change un peu mais en définitive c'est tout aussi triste! Et voilà, hontamoi je ne savais pas de quels vers il s'agissait, comme de toute façon j'ai jamais lu grand-chose de Hugo. Mais j'aime bien ce que tu as tiré de ces  vers-là, c'était vraiment poétique (improbable, là ça va de soi) et joli. Pas mignon parce que ça garde un côté désespéré mais joli ^^ 
Beatrix
Posté le 11/02/2013
Merci Jam' ! :)
En fait, les vers originaux sont les suivants, ils sont tirés de Ruy Blas :
 " Madame, sous vos pieds, dans l'ombre, un homme est là<br />" Qui vous aime, perdu dans la nuit qui le voile ;<br />" Qui souffre, ver de terre amoureux d'une étoile ;<br />" Qui pour vous donnera son âme, s'il le faut ;<br />" Et qui se meurt en bas quand vous brillez en haut.
Je te rassure, je ne l'ai jamais eu en entier et je dois avouer que le peu que j'en connais tient surtout à la Folie des Grandeurs! XD
 
Cricri Administratrice
Posté le 09/02/2013
J'ai très, très, très honte Béatrix, parce que tu es une auteure que je lis régulièrement et que je ne commente pas. Et pourtant, dieu sait que tu le mériterais, car tu as vraiment une écriture MAGNIFIQUE. Ce drabble est représentatif de cette grâce, cette élégance que tu dégages dans tout ce que tu écris. La seule chose que je regrette c'est que tu aies mis ta note d'auteur au début et non à la fin, car j'ai immédiatement su de quel vers de Victor Hugo tu t'étais inspirée (Ruy Blas, que j'ai étudié pour mon bac de français)  : je n'ai pas eu de suspense pour me demander entre qui et qui se tissait cette histoire d'amour effectivement improbable ^^
Beatrix
Posté le 09/02/2013
Oh merci Cristal, tu vas encore me faire rougir ! Et puis ne t'excuse pas, c'est difficile de tout commenter !
Pour le reste, tu as tout à fait raison, j'aurais dû mettre les vers originaux en note après le texte. A méditer poiur une prochaine fois ! ^^