Il était une fois, dans un ouest fort lointain, un petit cow-boy qui n’aimait rien de plus que galoper à travers les espaces sauvages du désert pour mener son troupeau à la recherche des herbes les plus vertes et tendres des environs.
Chaque semaine, il rentrait se ravitailler dans son ranch. À cette occasion, il ne manquait pas de soigner son mustang et laver son linge. Depuis qu’il était devenu un cow-boy, il avait le même fidèle compagnon, un bel alezan vif et espiègle. Tous les jeunes acolytes du petit cow-boy n’appréciaient pas ce cheval tempétueux et imprévisible. Lui l’avait apprivoisé et se sentait plus vivant que jamais lorsqu’il le chevauchait.
Depuis qu’il était devenu un cow-boy, il avait également le même pantalon : un jean qu’il portait jour après jour. Il était tellement confortable que le cow-boy ne le quittait plus. Au fil des années, c’était devenu plus qu’une habitude, presque une seconde peau.
Ainsi, à chaque départ du ranch, le petit cow-boy enfilait consciencieusement sa même paire de jeans pour monter son magnifique alezan. Et, au galop, il menait fièrement son troupeau à travers les canyons, déserts et vallées.
Jour après jour, mois après mois, année après année.
L’allure du mustang ne diminuait pas au fil des randonnées. En revanche, la solidité du jean, elle, déclinait progressivement. Mais le petit cow-boy n’y prêtait pas grande attention, tant il se sentait vaillant dans ces vêtements.
C’est ainsi que les chevauchées se poursuivirent. Le petit cow-boy souriait. La couture, elle, s’affaiblissait.
Puis le galop s’accéléra. Le sourire du cow-boy avait mûri. Le jean s’usait dangereusement.
La cadence perdura. Le cow-boy continua à parader bravement. Les coutures se mirent petit à petit à craquer.
Avant que le mustang ne passât au pas, le sourire du cow-boy s’était estompé et le jean, un beau jour, se déchira.
Quels ne furent pas la tristesse et le désarroi du cow-boy devant ce désastre ! Tenace, il essaya de recoudre son vêtement fétiche. Mais aucun fil n’était assez solide pour supporter son usage répété. Il demanda conseil à ses amis du ranch, mais personne ne comprenait pourquoi il s’entêtait à garder le même jean élimé : il suffisait de le changer ! Il se rendit à la boutique où il achetait ses vêtements : l’établissement renommé assura que le pantalon avait complètement rempli sa mission et qu’il le renouvelait gratuitement si nécessaire. Produit garanti à vie. Le cow-boy, bien incapable de jeter son tout premier jean, finit par être convaincu que la seule solution était de continuer à le porter tel quel.
C'est ainsi que, pendant encore de longs mois, il persévéra, pansant soigneusement les blessures que son bel alezan faisait endurer à ses jambes insuffisamment protégées par son malheureux jean troué.
Le cow-boy et son cheval continuaient leurs tournées. Le visage du premier de plus en plus crispé tandis que le second se mettait lui-même à boitiller. Le jean, lui, s'était décomposé.
Vint un jour où, durant l’une de ses chevauchées, le petit cow-boy rencontra un Indien au milieu du canyon bordant la réserve des Sioux.
Le vacher le salua, poli. Son vis-à-vis l’observa, l’air avisé. Il lui posa alors une question, entre deux bouffées tirées du calumet :
« Pourquoi avoir enfilé cette chemise à carreaux, ce chapeau et ces santiags avec notre traditionnel brayet ? »
Déconcerté, le cow-boy mit pied à terre et observa son reflet dans le ruisseau qui courait au fond du canyon. Dans l’eau claire, il aperçut un homme à la peau mate et aux rides creusées par le soleil. Cet homme portait, en guise de pantalon, deux carrés de tissus râpés tenus à la taille par une ceinture en cuir délavée. Son jean s’était tellement effiloché qu’il ressemblait à une sorte de pagne, avec de longues franges qui recouvraient partiellement sa peau meurtrie.
Devant le constat de son allure incongrue, le cow-boy décida d’ôter ses bottes, son chapeau et sa chemise. Il accepta avec précautions la peau de bison et les mocassins que lui tendait le vieux Sioux et se dirigea vers son mustang pour le délester de sa selle avant de lui sauter sur le dos. Instantanément, son fidèle compagnon se mit au galop.
C’est ainsi que le cow-boy qui n’en était plus un continua ses chevauchées dans son jean bien-aimé qui ne le faisait maintenant plus saigner…