Une vision mystérieuse

Par Dorian

La nuit était calme sur Lépidolia.

Un silence feutré recouvrait les ruelles pavées du village endormi seulement troublé par le souffle du vent dans les branches et le murmure régulier d’une ancienne fontaine. Dans une petite maison en pierre à l’orée d’un bois, un petit garçon dormait, le front perlé de sueur, agité par un rêve étrange.

 

Liam. Pas encore douze ans, frêle et un peu trop petit pour son âge mais avec ce regard profond que seuls ceux qui ont vu la solitude de trop près possèdent. Abandonné à la naissance, il avait été recueilli par Maître Olwen, un vieil érudit respecté, enseignant dans la modeste école du village. Liam n’avait jamais connu ses parents et s’était toujours senti différent. D’abord à cause de son manque de famille mais depuis bientôt deux ans à cause d’une chose bien différente.

 

Dans un monde où chaque enfant développe un don magique le jour de son dixième anniversaire, Liam lui demeurait désespérément ordinaire aucune affinité avec le feu, l’air, la terre ou même la lumière ne s’était déclarée. On se moquait donc de lui à l’école et il se murmurait même dans le village que cet enfant était maudit. Liam s’efforçait de ne pas s’en soucier allant jusqu’à faire semblant de ne pas les entendre.

 

Mais cette nuit là tout changea, il s’éveilla en sursaut, haletant, le cœur battant la chamade. Ses draps étaient trempés, son souffle était court comme s’il venait de fuir les brutes de sa classe venues le martyriser une fois de plus. Les yeux écarquillés vers le plafond en bois, une lumière blanche dansait encore devant ses paupières comme un écho de rêve. Ou de vision, car ce qu’il venait de voir n’avait rien d’un simple songe.

Personne ne rêve de guerre, or Liam se souvenait de champs dévastés, des silhouettes encapuchonnées se faisant face et des éclairs de lumière noir et blanc se croisant dans le ciel. Ce qui le perturbait le plus était ce jeune garçon, debout au milieu du champ de bataille. Ce jeune garçon, c’était lui, tenant dans sa main droite une sphère éclatante comme l’aube et dans sa main gauche une sphère sombre comme une nuit sans lune. Il y avait aussi cette voix, grave, si ancienne qu’elle arait pu être plus vieille que le monde lui-même. Une voix qui semblait résonné en lui et lui rappeler qu’il était la clef, qu’il était l’équilibre.

Il frissonna et son regard glissa vers la fenêtre. Le ciel était chargé de nuages mais la lune s’était frayé un passage entre eux projetant une lumière pâle dans la pièce. Ce n’était pas la première fois qu’il faisait ce genre de rêve, depuis plusieurs nuits des fragments similaires revenaient mais jamais aussi nets, jamais aussi… urgents.

 

Liam sortit de son lit en silence et ouvrit doucement la porte de la chambre. Maître Olwen dormait dans la pièce voisine. Il descendit le vieil escalier en essayant tant bien que mal de ne pas faire grincer les marches et se faufila jusqu’à une petite pièce qui servait de bureau, là où l’érudit entreposait ses parchemins et ses vieux livres. Il alluma une bougie et s’assit devant la bibliothèque. Il devait comprendre, il le sentait dans ses os, dans sa poitrine, il sentait que quelque chose était sur le point de changer. Il se souvenait d’un symbole apparut juste avant son réveil, deux cercles imbriqués, un blanc et un noir. Liam les dessina maladroitement sur un bout de papier, bien que ce fût la première fois qu’il voyait ce symbole, il lui parut familier comme s’il l’avait déjà vu auparavant ou… comme s’il faisait partie de lui.

Qu’est-ce que cela signifie ? murmura-t-il pour lui-même

D’un geste instinctif, il tendit la main vers une vielle carte du royaume accrochée au mur, son doigt glissa lentement de Lépidolia vers le nord, là où les montagnes formaient une barrière naturelle avec les terres interdites, les anciennes ruines. Son doigt glissa encore plus vers le nord là où la guerre entre les mages blancs et les mages noirs avait tout ravagé. Au centre de cette zone oubliée, un nom était à peine lisible : Amblygonia.

Ce mot lui avait échappé pourtant maintenant qu’il le voyait, il était sûr de l’avoir entendu dans sa vision. Il n’aurait su dire pourquoi mais il savait qu’il devait s’y rendre. Il continua ses recherches et épuisé, fini par se rendormir sur le sol du bureau.

 

Le lendemain matin, le soleil peinait à percer à travers les nuages comme s’il hésitait à éclairer le monde. Liam, lui, avait pris sa décision. Il rassembla quelque affaire dans un sac de toile qui lui servait de cartable : une couverture, du pain sec, une flasque d’eau et un vieux couteau émoussé. Il savait qu’il ne reviendrait pas avant longtemps… s’il revenait.

Dans le silence su petit salon, Maître Olwen était déjà assis, un livre ouvert sur les genoux. Il leva les yeux vers Liam et haussa un sourcil.

Tu pars tôt. Dit-il simplement

Liam hésita. Il aurait pu lui mentir, dire qu’il allait se promener mais il n’en avait pas envie.

J’ai eu une vision. Murmura-t-il. Ce n’était pas un rêve j’en suis sûr, quelque chose m’appelle, là-bas, au nord et je dois comprendre ce que cela signifie.

Le vieil homme referma lentement son livre, l’air grave.

Les visions ne viennent pas à ceux qui ne sont rien, Liam. Je t’ai toujours dit que tu étais spécial.

Personne d’autre ne le pense.

Parce que personne ne regarde au bon endroit. Dit-il en souriant doucement. Mais fait attention car les routes sont dangereuses et les terres que veux traverser le sont encore plus. La guerre a laissé des cicatrices profondes et tu croiseras des abominations créées durant celle-ci, certaines faites de chair d’autre plus redoutable créées à partir de magie.

Liam hocha la tête, il s’attendait à ce que Maître Olwen tente de le retenir, de le convaincre de rester mais au lieu de cela il se leva et alla fouiller dans une vieille commode. Il en ressortit un petit paquet enveloppé dans du tissu qu’il tendit à Liam.

Ce bijou appartenait à ta mère, elle me l’a laissé quand elle t’a confié à moi. Je ne l’ai jamais ouvert mais peut-être aurais-je du te le donner plus tôt, quoi qu’il en soit il est temps que tu en sois le gardien.

Les mains tremblantes, Liam défit les liens du paquet. A l’intérieur, un médaillon d’argent en forme de cercle, parfaitement rond, orné d’une pierre claire et d’une autre beaucoup plus sombre ce qui lui rappela les sphères de sa vision.

Il leva les yeux vers le vieil homme, stupéfait.

Tu savais…

Je ne savais rien mais j’ai toujours senti que tu n’étais pas destiné à vivre une vie ordinaire. Va Liam, suis cette vision et trouve ta vérité.

Maître Olwen resta silencieux un instant, observant le garçon qu’il avait élevé comme son propre fils. Le feu dans l’âtre se mourait lentement, projetant sur les murs les ombres vacillantes d’un passé qui semblait déjà s’éloigner. Liam, lui, tenait toujours le médaillon entre ses doigts, la pierre claire scintillait faiblement à la lueur des braises tandis que la plus sombre semblait absorber la lumière. Deux moitiés d’un tout, deux forces contraires, liées dans un équilibre fragile.

J’ai peur. Murmura-t-il. Pas de ce que je vais trouver mais de ne pas être à la hauteur de ce qui m’attend.

Olwen s’approcha et posa une main ridée mais ferme sur son épaule.

Personne ne l’est jamais au début, mais c’est en affrontant l’inconnu que l’on découvre ce que l’on porte en soi.

Le vieil homme repris d’une voix plus douce

Quand tu seras loin, souviens-toi ce que je t’ai appris. Les livres te guideront un temps mais c’est ton cœur qui te mènera là où la raison s’arrête.

Liam hocha la tête incapable de répondre. Il aurait voulu dire merci ou simplement adieu mais les mots restaient coincés dans sa gorge. Alors il se contenta de serrer brièvement Maître Olwen dans ses bars.

L’homme eut un léger sourire.

File, avant que je ne change d’avis et t’oblige à rester.

Liam esquissa un rire nerveux, essuya discrètement une larme et rangea le médaillon autour de son cou. Il jeta un dernier regard à la petite maison, à la table couverte de livres, au feu mourant. Tout semblait paisible, immobile comme s’il quittait un rêve dont il savait qu’il ne reviendrait plus jamais.

Le vent du matin lui giflait le visage, vif et presque pur. Derrière lui, les premières maisons disparaissaient dans la brume. Devant lui s’étendait la route, étroite et sinueuse, encore perlée de rosée. Le soleil commençait à percer la brume, projetant des nappes de lumière sur les collines. Chaque pas faisait craquer l’herbe humide sous ses bottes et le froid du matin s’insinuait dans ses vêtements mais Liam n’en avait cure, son cœur battait trop fort pour qu’il sente vraiment le vent.

Le silence du monde l’enveloppait, il n’y avait que le chant hésitant d’un oiseau perché quelque part dans un arbre nu et le clapotis ruisseau qu’il ne parvenait pas à voir pour casser se silence pesant. Tout semblait étrangement paisible comme si le royaume lui-même retenait son souffle à son départ. Il s’arrêta un instant au sommet d’une butte. De là, il pouvait apercevoir tout Lépidolia, les toits couverts d’ardoise luisaient d’un éclat bleuté, les volutes de fumées montaient paresseusement des cheminées. Il reconnut aussi la maison de Maître Olwen, minuscule au loin. Un pincement lui serra la poitrine.

Merci. Murmura-t-il.

Liam resta un moment immobile, les yeux tournés vers l’horizon. Ce qu’il laissait derrière lui, ce n’était pas seulement une maison ni un village, c’était l’enfance. Les certitudes fragiles, les rêves simples. Désormais, chaque pas le rapprocherait d’un monde dont il ignore tout et quelque part cette idée l’effrayait autant qu’elle le grisait.

Une bourrasque soudaine fit claquer sa cape comme pour lui dire de se remettre en route. La brume se dissipait peu à peu, dévoilant une immense vallée bordée de forêt sombres, les montagnes du Nord se dressaient au loin, hautes et majestueuses leurs cimes encore couvertes de neige, leurs flancs semblaient respirer, animés d’un voile mouvant de nuages. C’était vers elle que son instinct le poussait, vers ce territoire interdit où nul ne s’aventurait sans folie ou courage ou peut-être un peu des deux.

Il inspira profondément et reprit sa marche, l’air sentait la mousse et la terre humide avec cette odeur âpre des matins de printemps où tout recommence. Chaque souffle l’enracinait un peu plus dans cette décision qu’il ne comprenait pas totalement mais qu’il ressentait comme nécessaire. Le soleil montait lentement, dessinant sur la route son ombre qui s’allongeait, il se demanda un instant si cette ombre n’était pas celle d’un autre lui-même, celui qu’il allait devoir affronter pour découvrir la vérité et cette pensée le fit sourire.

A mesure qu’il avançait les bruits du matin s’intensifiaient, le croassement des corbeaux, le bruissement des feuilles, le clapotis d’un ruisseau qui serpentait entre les racines. Le monde semblait s’éveiller comme si la nature elle-même lui souhaitait la bienvenue. Le monde s’ouvrait enfin à lui, immense, mystérieux, vibrant. Ce monde vaste et dangereux l’accueillait.

Il savait qu’il allait devoir être prudent et rester sur ses gardes mais pour la première fois de sa vie, il n’avait plus peur. Il n’était plus l’enfant sans don, le garçon dont on riait. Il était quelqu’un. Même s’il ignorait encore qui.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez