Une étrange sensation de vide me réveille. Le cœur battant plus rapidement que la normale, je me redresse d’un mouvement précipité pour reprendre mes esprits. Mes yeux parviennent à percer la semi-obscurité après un court laps de temps et me rassurent. Je suis bel et bien dans ma chambre, dans mon lit, en pleine possession de mes moyens. Ce dernier point ne résulte pas d’un constat, mais d’un souhait nourrit d’espoir. Mon corps ne semble pas me répondre correctement – mes mains tremblent sans que je puisse y exercer un contrôle et mes jambes s’avère sous l’emprise de douleurs inexpliquées – et mon esprit se délecte à mettre en déroute mes vaines tentatives de rassembler mes idées.
Suis-je réellement en plein possession de mes moyens ? Cette question me taraude depuis mon réveil et devient presque viscérale. Avec une précaution et une douceur qui ne me ressemblent pas, je m’extirpe des draps avec grande difficulté et effleure le parquet de mes pieds nus. Ce simple contact me fait comme une décharge électrique et plusieurs vagues de frissons s’emparent de mon corps. Ce simple contact me permet de revenir à la réalité. À ma réalité. L’épaisse couche de brume qui s’était saisie de mon esprit commence à se dissiper. Tout comme cette sensation de vide qui s’était accrochée à tout mon être.
Je comprends rapidement que ce n’est pas tant cette sensation et ce potentiel cauchemar qui en est la cause qui a participé à mon réveil que les incessants miaulements de mon chat derrière la porte et ses coups de pattes contre celle-ci. Ce comportement trahissant une impatience mêlée d’affolement ne lui ressemble pas, lui d’habitude si calme. La première tentative pour quitter mon lit et m’enquérir de son état est un échec. À peine débout, mes jambes se dérobent sous mon poids et je manque de finir face contre terre. Mon visage se crispe en sentant de vives douleurs musculaires aux cuisses et aux mollets. Pourtant, ma pratique de l’activité physique est proche du néant et il ne me semble pas avoir couru un marathon ces derniers jours. Derrière la porte, les miaulements se font de plus en plus insistants.
À tâtons, je cherche à attraper la vieille béquille entreposée dans un coin qui ne sert maintenant qu’à tirer le rideau sans avoir à sortir du lit ou à chasser le chat lorsqu’il tente une approche pour s’approprier une part de pizza. Mon corps semble apprécier cette aide supplémentaire et, d’une démarche lente, je finis par ouvrir la porte. Le reste de l’appartement est plongé dans la même semi-obscurité. Je parviens à peine à distinguer le canapé de la télévision et la table de la cuisine de la commode. Toujours à tâtons, je cherche à atteindre l’interrupteur. Il ne répond pas. J’avance prudemment, pour ne pas me prendre les jambes dans un meuble et accentuer mes douleurs, en direction d’un autre. Pas de réponse. Je jette furtivement un regard vers l’extérieur. Pas de sources de lumière. Le quartier est plongé dans l’obscurité la plus totale.
Mon chat me guide vers la cuisine. Sa gamelle est vide. Sans chercher à comprendre, je la remplie. Et sans demander son reste, il se jette dessus. Mon regard balaie la pièce et s’arrête instinctivement sur l’écran tactile du réfrigérateur qui baigne l’atmosphère d’une lumière bleutée. 29 février, 16:24. Mon sang ne fit qu’un tour. C’est tout d’abord l’heure qui me figea sur place. Comment pouvait-il faire aussi sombre en plein milieu d’après-midi ? Pourquoi étais-je toujours au lit à cette heure-là ? L’animation qui régnait habituellement dans le quartier en pleine journée s’était tue. Je ne pouvais entendre ni voitures, ni passants, ni rires enfantins venant de l’école d’à côté, ni le ballet incessant des trains de marchandises passant derrière l’immeuble. Dans un deuxième temps, la date s’imposa violemment à mon esprit déjà bien ébranlé.
J’ai toujours eu l’impression qu’il me jouait des tours… Qu’il se jouait de moi. L’apposition successive du « 29 » et du « février » résonnait comme un oxymore. Comme une aberration. Comme un non-sens. Était-ce dû à un souci technique ? Était-ce dû à une hallucination ? Mes oreilles se mirent à bourdonner en prenant conscience de la profondeur du silence. Je ne parvenais même plus à entendre le bruit des croquettes brisées dans la mâchoire de mon chat. À l’extérieur, un flash lumineux me fit sursauter. Mon lien avec la réalité qui s’était rétabli depuis le contact avec le parquet s’effondrait. Mon corps se mit à trembler et la béquille, fragilisée par des années d’inattention, se brisa. Suite à ma lourde chute, mon chat émit un feulement d’effroi et prit la fuite.
Les ténèbres m’entourèrent. Cette sensation de vide refit surface. Pourquoi l’écran du réfrigérateur était-il allumé alors que toutes les autres sources électriques ne fonctionnaient plus ? D’où provenait ce flash lumineux qui exerçait ce contrôle sur mon propre corps ? Mon regard glissa inexorablement vers la pendule. La trotteuse reculait. S’arrêtait. Puis reprenait sa course. Et s’arrêtait à nouveau. Et ça, sans fin.
Quelque chose passa dans mon champ de vision. Un nouveau flash se produisit. Bien que bref, cet apport de lumière me permit d’apercevoir une ombre près de l’évier. Il y avait bien quelqu’un, ou quelque chose, dans l’appartement. Mon corps ne répondait plus. Aucune issue de secours. Un trou béant s’ouvrit devant mes yeux. Le vide. Et là, je finis par comprendre. Je n’aurais pas dû me réveiller aussi tôt, n’est-ce pas ? Je n’aurais jamais dû me retrouver face à tout ça, n’est-ce pas ? Mais… Pourquoi m’empêcher de vivre ce jour ? Pourquoi me prendre mes souvenirs ?
L’ombre bondit. Et ce fût le noir. Je me réveillerai le lendemain. Le 1er mars. Dans mon lit. Sans douleurs. Et sans souvenirs.
Eh bien, le moins qu'on puisse dire, c'est que c'est glaçant.
J'ai vraiment adoré ta nouvelle, tu développes vraiment bien l'idée de base dans un mystère qui perso ne me laisse pas indifférente. À la fin, on ressent vraiment le besoin d'une suite, on veut des réponses pour ces questions en suspend !
En ce qui concerne la rédaction, j'ai noté il me semble quelques erreurs d'accords et quelques tournures de phrases qui m'ont buggée dans ma lecture, mais malheureusement je serais incapable de les ressortir.Tu as un d'ailleurs un sacré lexique !
En bref, j'ai vraiment accroché, j'ai vraiment cru qu'en fait elle allait disparaître, j'ai bien flippé.
Bonne continuation à toi !!
J’ai remarqué que tu commences la nouvelle au présent et qu’elle termine au passé... est-ce que ça ne serait pas intéressant de rester au présent jusqu’à la fin ? Si tu crées une sorte de répétition des actions entre le 29 février et le 1er mars sans qu’il dise qu’il ne se souvient pas mais qu’on le perçoit, nous, lecteur, qu’en dirais tu ?
Merci pour ce texte, l'idée de base de l'intrigue est juste géniale, je trouve presque dommage qu'elle ne soit pas plus exploitée. En plus le titre me parle.
Attention au 'résumé' qui précède l'entrée dans la lecture, je trouve qu'il spoile un peu... Pour un récit très mystérieux, le plus prudent est peut-être de remettre l'incipit en guise de résumé.
Aussi, c'est grâce au résumé qu'on comprend (à l'avance) que le personnage ne connaît pas le 29 février. Sans le résumé, dans le texte, il se peut que de lecteurs ne comprennent pas très bien pourquoi il s'étonne de cela. Mais après c'est difficile d'être plus explicite sans alourdir...
Dernier feedback : je pense que tu peux alléger un peu les phrases. Les faire plus courtes. Exemple : "Le cœur battant plus rapidement que la normale, je me redresse d’un mouvement précipité pour reprendre mes esprits." pourrait devenir : "Mon coeur bat plus rapidement que la normale. Je me redresse d'un mouvement précipité. J'essaie de reprendre mes esprits." Bon je propose ça à chaud mais ça se travaille.
Et pour "plus exploiter" l'idée, je me dis que tu pourrais réduire un peu l'histoire du chat (ou la saupoudrer comme un fil rouge), et la description des sensations physiques, et à la place aller plus loin dans ce qui pourrait se passer pour quelqu'un qui se réveillerait en ce jour de vide.
En tout cas j'espère que tu continueras ce texte !
Une nouvelle qui s'affranchit des explications et se drape dans son mystère, ça me plaît toujours assez. A nous de faire nos suppositions.
Tu as une belle plume en tout cas !
Ce récit, qui conserve le suspense jusqu’à la fin, est bien mené. L’idée est originale et bien exploitée. Quand on voit ce qui se passe durant ces journées « inexistantes », on peut se dire que finalement, ce n’est pas si mal que le ou la protagoniste ne s’en souvienne pas. Le chat est peut-être casse-pieds, mais il semble être le seul élément qui reste ancré dans la réalité.
Coquilles et remarques :
— mais d’un souhait nourrit d’espoir [nourri]
— – mes mains tremblent sans que je puisse y exercer un contrôle et mes jambes s’avère sous l’emprise de douleurs inexpliquées – et mon esprit [pour éviter d’avoir deux fois « et », tu peux remplacer le premier par une virgule (avant « mes jambes »)]
— Suis-je réellement en plein possession de mes moyens ? [pleine]
— Je comprends rapidement que ce n’est pas tant cette sensation et ce potentiel cauchemar qui en est la cause qui a participé à mon réveil que les incessants miaulements de mon chat derrière la porte et ses coups de pattes contre celle-ci. [Cette phrase est vraiment longue et plutôt lourde ; j’ai dû la lire deux fois.]
— À peine débout [debout]
— Mon visage se crispe en sentant de vives douleurs musculaires [Rupture de syntaxe : ce n’est pas le visage qui sent les douleurs ; je propose « Mon visage se crispe à l’apparition de vives douleurs musculaires ».]
— qui ne sert maintenant qu’à tirer le rideau [ne me sert]
— Le quartier est plongé dans l’obscurité la plus totale [« la plus totale » est un pléonasme ; « total » a déjà une valeur absolue]
— Sans chercher à comprendre, je la remplie [remplis]
— Je ne comprends pas pourquoi tu passes au passé à partir de « Mon sang ne fit qu’un tour » alors que tout ce qui précède est au présent.
— le bruit des croquettes brisées dans la mâchoire de mon chat [Je dirais « par la mâchoire »]
— fragilisée par des années d’inattention, se brisa [de manque d’attention ou de délaissement ; dans ce contexte, « d’inattention » est ambigu]
— Suite à ma lourde chute [À la suite de]
— Et ce fût le noir [ce fut (passé simple) ; « fût » est la forme du subjonctif imparfait]
Bien flippant ta nouvelle ! Je la vois bien comme premier chapitre d'un livre d'épouvante (tellement de questions encore en suspens !).
Le mystère et la tension sont vraiment bien menés, bien joué !
Joli texte, bravo a toi !
L'atmosphère est prenante... y'a vraiment un côté angoisse nocturne qui est très bien rendu.
Ce témoignage de cette étrangeté est bien menée.
Joli ce que tu nous proposes et qui nous laisse sur notre faim !
Cette atmosphère de l'étrange, comme une faille spacio temporelle ça me parle.
Et ça donne envie qu'il y ait une suite à cette histoire !