Adélaïde ne dit rien lorsque le chevalier Miland donna un ultimatum et rejoignit l’armée ennemie. Elle ne ne réagit pas quand Elarwin lui secoua le bras et lui hurla quelque chose. Elle demeura silencieuse lorsque le Commandant la gifla si violemment qu’elle en tomba à terre.
Le Commandant tourna vers le reste des soldats son regard de glace :
— Mettez-vous tous en ligne. Douze ici, quinze au côté sud…
— Vous allez vous battre ?
Elarwin se tenait juste à côté du Commandant, le contemplant avec un air songeur. Il n’avait pas réagi quand Elden avait frappé Adélaïde. Ses yeux bleus semblaient percer Elden de part en part.
Elden n’aimait pas voir un Inquisiteur aussi pensif :
— Nous allons tous nous battre.
— Pensez-vous avoir une chance de gagner ?
— J’ai survécu à des situations bien pires.
Il avait parlé assez fort pour que tous les soldats l’entendent. Ils échangèrent entre eux des regards interrogateurs et désabusés : eux n’avait pas beaucoup d’espoirs, et Elarwin le remarqua bien :
— Vous peut-être, mais vos soldats ? Vont-ils survivre ?
— Seul un imbécile prometterait ça en tant de guerre, Inquisiteur.
— N’allez-vous donc pas accepter de vous rendre ?
— Et vous ?
La voix du Commandant était fière, semblant résonner à travers tout le fort. Elarwin regarda autour de lui : tous les soldats Elfes le regardaient comme s’il était un animal. Elarwin pouvait lire en eux les émotions propres à ceux qui savaient que leur fin approchait : la peur, le regret, le désespoir, la colère, l’incompréhension, l’acceptation.
Mais tous étaient résolus à mourir : le mort plutôt que le déshonneur. C’était là tout l’esprit guerrier des ceux qui ont passé toute leur vie à suivre les ordres.
Il changea d’angle d’attaque quand il entendit Adélaïde bouger et que certains soldats portèrent sur elle un regard mauvais. Ils sont capables de la lyncher maintenant.
— Très bien Commandant. Je vois que vos soldats sont bien entraînés, et qu’ils vous suivront jusqu’à la mort. C’est admirable.
— Il va fuir ! hurla une voix.
— Il s’inquiète plus de la putain humaine que de nous !
— C’est un traitre à notre race !
Ils se firent plus bruyants, plus hostiles. Tant pis, pensa Elarwin, je vais leur donner ce qu’ils veulent. Tous les soldats virent l’Inquisiteur s’approcher avec détermination d’Adélaïde et, dans un mouvement si rapide qu’il parût surnaturel, lui assena un coup de pied dévastateur à l’abdomen.
Les soldats se turent alors que Adélaïde hoqueta de douleur, le souffle coupé. Elarwin lui prit son poignard Elfe, la souleva par les cheveux, adressa son plus beau sourire et la gifla si violemment que le bruit de la claque résonna.
Adélaïde grogna de douleur, les larmes aux yeux, reculant sous le choc. Bien, pensa Elarwin alors qu’il demandait d’une voix mielleuse, assez fort pour que tout le monde entende.
— Alors, princesse, dîtes-moi maintenant qui vous êtes.
— Inquisiteur, il faut… glissa Elden.
— Ça ne durera qu’un instant, répliqua Elarwin en frappant avec sa paume le nez d’Adélaïde.
Une gerbe de sang en jaillit, spectaculaire, cathartique. Tous les soldats Elfes, Elden compris, contemplèrent en silence la fausse princesse en sang, misérable, hurlant de douleur et reculant à nouveau face à l’Inquisiteur.
Une sorte de communion sadique et impitoyable s’était emparée d’eux : la grande défaite approchant, il fallait savourer cette petite victoire.
Ils regardèrent avec avidité Adélaïde tomber à terre, rampant sur le sol pour s’éloigner le plus possible de l’Inquisiteur enragé. Ils jouirent du spectacle de l’Inquisiteur rattrapant la princesse, la repousser d’un autre coup de pied douloureux. Sans se rendre compte, tous s'étaient écartés de la princesse et l’Inquisiteur, formant un cercle macabre et insensé.
La princesse continua de ramper, sans succès : l’Inquisiteur la rattrapa, commentant d’une voix douce :
— Vous vous êtes bien moquée de moi, n’est-ce pas ? Ça vous a amusée de berner ainsi un Inquisiteur ? Ces sornettes sur la famille royale, sur vos conseillers militaires, sur votre patriotisme… Très convainquant, bravo.
— Je suis la princesse Adélaïde Arris ! parvint-elle à répondre dans un râle de douleur.
— Et vous continuez ! Quelle dédication à votre couverture ! Cela est si amusant de tromper vos ennemis ?
— Je suis la…
— Mais je sais me montrer clément : donnez-moi votre réelle identité et je vous tuerai rapidement.
Adélaïde hésita, et d’un geste aussi rapide que précis, l’Inquisiteur poignarda son visage, lui laissant une longue entaille sanglante.
Les soldats hurlèrent de joie, le sang coula, Adélaïde retint ses larmes : « Mon nom est Adélaïde, fille de…
— Ne me ment pas ! hurla l’Inquisiteur en donnant un coup de pied dans son aine.
— Fille du roi décédé…
— Vous êtes un imposteur ! Dîtes-le !
Sans attendre, Elarwin la repoussa avec un coup de pied fulgurant à la poitrine, propulsant la princesse sur un mètre. Une flèche se figea à l’endroit où était la princesse une seconde plus tôt.
Un silence choqué se fit, et tous les soldats se retournèrent vers la provenance de la flèche : le Commandant tenait un arc, impassible.
L’Inquisiteur le fusilla du regard en retour :
— Qu’est-ce que vous foutez ?
— Je pense que vous en avez assez profité, répondit Elden en encochant une autre flèche. Nous avons une bataille à…
— Vous allez la laisser mourir aussi facilement ?
Il était rare de voir un Inquisiteur aussi enragé. Leur politesse glacée avait fait toute leur réputation méprisée, mais leur rage était jusque là chose inconnue, inimaginable, propre à faire naitre des légendes terrifiantes. Toute la consternation d’Elarwin se répandit rapidement sur le rempart, et les soldats tournèrent à leur tour un visage renfrogné à leur supérieur. Comment le spectacle pouvait-il déjà se finir ?
Le Commandant leur renvoya un regard si brûlant que personne n’osa ajouter quelque chose. Un Inquisiteur enragé était une chose : les histoires que l’on racontait sur le Commandant, elles, étaient reconnues de tous. Vaut mieux mourir plus tard de la main de son enemi plutôt que maintenant de la main de cet Elfe.
Elden leva son arc, visant calmement Adélaïde qui se remettait à ramper, étant dorénavant à quelques mètres de la porte menant à l’escalier descendant dans la cour.
Sans attendre, Elarwin tint fermement son couteau et se rapprocha d’Adélaïde. Son regard était aussi meurtrier que la lame.
Elden grogna : Elarwin s’était mis sur la trajectoire de la flèche. Il soupira, débandant son arc. S’il veut tant en finir lui-même… Au bout du compte, vaut mieux avoir un Inquisiteur de son côté.
Cependant il ne put s’empêcher de se sentir mal à l’aise.
Elarwin était maintenant au-dessus d’Adélaïde. Il la souleva brusquement, l’étranglant d’une main, posant le poignard sur son ventre d’une autre. Adélaïde pleurait, le nez brisé, le visage tailladée, les lèvres crispées de douleur. Tous les soldats contemplèrent sa douleur dans une jubilation collective. L’inquisiteur grogna :
— Dîtes-moi qui vous êtes.
Non, quelque chose ne vas pas, pensa Elden
Les paroles de l’Inquisiteur étaient aussi froides que la mort. Adélaïde lui renvoya un regard implorant. Un silence passa.
Pourquoi veut-il à tout prix savoir son identité ? C’est une espionne, que faut-il savoir de plus ? Tout enragé qu’il est, il reste Inquisiteur, et doit bien comprendre la futilité de cet interrogatoire. S’il la torture ainsi elle ne répondra que ce qu’il voudra, peu importe si cela est vrai ou non. Il le sait bien.
Elden pensa à toute allure. Il se remémora tout, de l’attitude d’Elarwin aux blessures spectaculaires qu’il infligeait à l’imposteur, de l’attention sadique de ses soldats à l’attaque imminente de l'armée ennemie. De ce qu’avait dit le messager.
Adélaïde ouvrit la bouche tandis qu’Elden se déplaça sur le côté pour pouvoir la viser.
Comment s’appelait le messager ? Le Chevalier Miland. Ce nom m’est familier…
Elarwin appuya sa lame sur le ventre d’Adélaïde qui essaya de parler plus fort, mais ne parvenant qu’à émettre un grognement pitoyable.
Oui, c’était dans les rapports de l’Inquisiteur. Miland est un conseiller proche de la princesse, problablement son amant, selon les dires de la prisonnière.
Elden banda son arc.
La princesse aurait des relations compliqués avec ses frères et sœurs. Intrigues, assassinats. Les ordinaires affres de la succession royale. Et avec le projet du rassemblement des différentes armées des terroristes…
Elden visa calmement, retenant son souffle.
Le chevalier Miland a miraculeusement convaincu l’officier Orland de laisser la soi-disante princesse de se rendre. Et le voilà ici, prétendant que la princesse gouverne les armées…
Adélaïde hurla de douleur quand Elarwin taillada son ventre.
Sans lui laisser de blessures sérieuses.
Elden comprit tout, et le choc le fit légèrement hésiter.
Il tira sa flèche au même moment qu’un fracas et un tremblement spectaculaires retentirent, désequilibrant le Commandant et tous les autres soldats.
La flèche fila en sifflant et passa à quelques centimètres du visage d’Adélaïde.
— Aux armes, soldats ! hurla le Commandant.
Les archers se mirent tous en ligne, au bord du rempart, préparant leurs flèches, rassemblant leur courage. Elden constata les dégâts : les terroristes avaient une fois de plus fait usage de leur redoutable canon, et un trou béant dans une des tours du fort commentait cruellement son efficacité.
Un hurlement bestial retentit, et l’armée ennemie se mit en marche.
Des flèches furent tirées des deux côtés, et le ciel se constella d’une pluie meurtière. La mort arrivait.
Ils n’ont même pas attendu la fin de l'ultimatum, pensa Elden, souriant malgré lui. Il ne prit même pas la peine de vérifier où se trouvait l’Inquisiteur et la prisonnière : ils avaient profité du chaos pour fuir par la porte. La porte dont la princesse n’avait cessé de s’approcher en rampant, aidée par les coups de l’inquisiteur.
Vous m’avez eu, Inquisiteur.
Le commandant hurla des ordres alors qu’il vit que la pluie de flèches ennemies allaient bientôt s’abattre et que les soldats se retranchaient près des ou brandissaient des boucliers.
J’espère que vous mourrez tous les deux dans d’atroces souffrances. C’est avec plaisir que je vous retrouverai en enfer.
Le chaos qui suivit couvra le rire euphorique d’Elden.
« Ne perdez pas conscience. Ces blessures sont superficielles. Focalisez-vous sur ma voix. »
Sur le dos de l’Inquisiteur, Adélaïde répondit par un grognement de douleur. Elarwin descendait les marches aussi vite qu’il le pouvait, et chaque saccade se répercutait sur son corps, chaque secousse appuyant ses blessures. Jamais elle n’avait autant eu mal, et cela n’était que pas du aux multiples coups que lui avait porté l’Inquisiteur.
Ce qu’avait dit Miland avait fait plus mal que toutes les tortures qu’elle avait enduré.
L’Inquisiteur parcourut rapidement les escaliers et multiples couloirs, se figeant toujours dès qu’il entendait des bruits de pas, se méfiant à chaque coin, n’hésitant pas à prendre plusieurs détours pour éviter de croiser d’autres soldats Elfes.
Les bruits des combats retentirent au loin, couvrant les respirations haletantes d’Elarwin. Parce qu’elle ne put rien faire d’autre, Adélaïde repensa à l’ampleur de son échec.
Tout était un piège, organisé par le chevalier Miland sûrement avec l’aval de mon frère, ou de ma sœur, ou des deux. Je comprends comment il a pu convaincre l’officier Orland : la perspective de se débarasser de moi et de mes visées pacifistes…
Elarwin ne dit rien quand il sentit quelque chose coulait sur son dos. Si c’était du sang ou des larmes, il ne voulait pas le savoir.
C’est pour cela que le chevalier Miland en personne est venu négocier au bas des remparts. Il devait vérifier si j’étais bien morte et silencieuse. Moi vivante et toujours capable de dévoiler son complot, il fallait à tout prix lancer l’attaque et assurer ma mort.
Ça, l’Inquisiteur l’avait bien compris.
Et après, sa stratégie était juste de gagner du temps. D’abord en essayant de parlementer avec le Commandant et de provoquer une émeute parmi les soldats, puis quand il avait constaté qu’ils étaient résolus à se battre, il fallait protéger Adélaïde. Les empêcher de la tuer sur-le-champ. Il fallait les occuper en leur donnant ce qu’ils voulaient depuis le début : l’humaine se faisant humilier et torturer en public.
Flairant quelque chose, le Commandant avait failli la tuer tout-de-même : Adélaïde ne l’avait jamais rencontré auparavant, mais jamais elle ne l’oubliera. Quel adversaire.
Elarwin s’arrêtera soudainement au détour d’un couloir, préparant son poignard. Adélaïde leva la tête, redoutant le pire.
Un soldat Elfe se tenait devant eux. Il était seul, accroupi, au milieu du couloir, la tête dans les mains, tremblotant en silence.
Tout lentement, Elarwin et Adélaïde se rapprochèrent de lui, parcourant le couloir. Leurs pas étaient rythmés par les sons de la distante bataille.
Le soldat leva la tête et darda un regard larmoyant et vide sur Adélaïde et Elarwin alors qu’ils passaient devant lui. C’était le soldat Aeryn. Adélaïde ne dit rien, et Elarwin sentit qu’elle lui serra les épaules.
Ils se remirent en chemin sans un mot, laissant Aeryn, seul et brisé, derrière eux.
Ils finirent tous les deux dans la clairière, essouflés. La porte n’avait pas été facile à trouver : Elarwin avait du faire de multiples détours, et avait failli complètement oublié le trajet qu’il avait emprunté avec le Commandant, des jours plus tôt. Cela lui paraissait si loin…
Les sons de la bataille semblaient se répandre partout. On pouvait entendre des cris, des insultes, des armes qui se percutaient, des flèches qui étaient tirées. Un nouveau tir de canon retentit, suivit tout de suite par le fracas du fort qui se brisait.
En comparaison, la forêt semblait silencieuse, accueillante même. Elarwin s’avança et posa doucement Adélaïde aux pieds d’un arbre, cherchant à reprendre son souffle, attendant de s’adapter à la pénombre nocturne.
— Et maintenant ? interrogea Adélaïde.
— On rejoint les humains. Vous arrêtez l’attaque. Et vous les ordonnez de ne pas tuer les Elfes s’il en reste. Il va falloir faire le tour du bastion par la forêt et rejoindre le commandement ennemi.
— Et qu’allez-vous faire une fois arrivés là-bas ?
— Vous allez leur parler. Qu’est-ce que je peux faire d’autre… Ça va ?
Adélaïde venait de se plier en deux une gerbe de tripes mêlées à du sang. Elle tremblait incontrôlablement, son regard se floutant. Elarwin se pencha à côté d’elle, témoin de sa douleur incommensurable, conscient qu’il en était responsable. Il n’osa pas la toucher, par peur d’aggraver ses blessures.
Elarwin ne put que lui chuchoter dans un ton qu’il voulait paraitre rassurant.
— Adélaïde. Focalisez-vous sur ma voix. Nous y sommes presque, vous allez vous en sortir. Prouvez moi maintenant que vous êtes digne d’être une princesse.
Au prix d’efforts incommensurables, Adélaïde leva la tête, croisant le regard de l’Inquisiteur. Il souriait, mais ce n’était pas un sourire de politesse glacée et impitoyable qu’il lui avait sans sans cesse montré lors des interrogatoire.
Adélaïde se concentra sur le visage de l’Inquisiteur. Elle voulut lui répondre, mais ne put que sourire faiblement.
C’est à ce moment qu’Elarwin fut violemment projeté en arrière.
Il tomba à terre en hurlant de douleur.
Adélaïde mit une séconde pour réagir : une flèche était logée dans l’épaule de l’Elarwin. Une flèche qui était tirée depuis la forêt.
C’était une flèche de construction humaine.
Rassemblant toutes ses forces, Adélaïde se retourna, leva les mains en l’air et hurla : « Je suis humaine ! Ne tirez pas ! »
Un court silence, puis Adélaïde entendit les sons de craquements de branches et le frémissement de buissons. Plusieurs hommes émergèrent furtivement de la pénombre de la forêt dans un mouvement mortellement organisé. Adélaïde plissa les yeux, et parvint à distinguer une dizaine de soldats, plusieurs tenant des arcs pointés dans sa direction.
Soudainement, Adélaïde comprit : elle portait un uniforme militaire Elfe. Elle se redressa sur ses jambes vacillantes, l’adrénaline pulsant dans ses veines, et parla le plus vite possible :
— J’étais une prisonnière ! Et lui m’a aidé à m’enfuir en profitant de la bataille ! indiqua-t-elle en pointant Elarwin du doigt.
— C’est qui, lui ? demanda une voix méfiante. C’est un humain aussi ?
— Non, répondit Adélaïde en se mordant les lèvres.
— C’est des vêtements elfes que tu portes ?
— Oui, mais…
— Putain de merde c’est une Elfe ! »
Adélaïde distingua les humains se rapprocher d’elle, l’air plus menaçant. Mais s’ils n’ont pas encore tiré, c’est qu’ils hésitent encore. Elle tira ses cheveux de ses mains tremblantes pour dévoiler ses oreilles rondes :
— Je ne suis pas une Elfe. Je fais partie de la Résistance.
— Menteuse. Tu cherches à protéger ces Elfes.
— Derrière-moi se trouve une porte ouverte menant directement au cœur du fort. Je peux vous indiquer le chemin pour attaquer directement les remparts des elfes. » Elle laissa les soldats laisser des regards circonspects entre eux. Elle vit le monde tanguer autour d’elle, la douleur de ses multiples blessures revenant petit à petit. Il fallait faire vite : « Je suis la princesse Adélaïde Arris, cheffe de la première armée de la Résistance.
— Putain, qu’est-ce que tu racontes ?
— De quelle armée faites-vous partie ? D’Alwenn Arris ? D’Alan ? Je peux détailler tous vos mouvements militaires et batailles jusqu’à l’année dernière si cela peut vous convaincre.
— On vient de l’armée de la princesse Adélaïde.
Le soldat avait parlé d’une voix sèche, dans le but de la déstabiliser. Dans l’ombre, il ne perçut pas le sourire d’Adélaïde :
— Dites-moi, votre cheffe avait-elle pour habitude de discuter directement avec le plus de soldats possibles ? De se promener entre vos tentes ?
— Tu ne fais que tout inventer !
Menteur. Et si tu ne me crois pas, pourquoi ne tires-tu pas ? Adélaïde cligna des yeux, essayant de chasser les points noirs qui brouillaient sa vision.
— Dites-moi, poursuivit Adélaïde, à quand remonte la dernière fois que vous avez vu la princesse Adélaïde en personne ? Il y a quatre semaines au mieux n’est-ce pas ? Vous avez appris qu’elle était partie diriger les opérations dans un autre quartier général, avec son frère ou sa sœur ?
Un autre silence en suivit, uniquement perturbé par les grognements de douleur d’Elarwin qui se tordait au sol. Puis Adélaïde entendit une voix plus grave et plus haineuse :
— C’est une espionne. Elle vend des informations aux Elfes. Elle cherche à gagner du temps.
Personne n’approuva ses dires ni ne chercha à contester. Adélaïde parvint à distinguer une silhouette plus grande avec une lame à la main.
Qui se rapprochait rapidement.
Adélaïde réfléchit à toute vitesse. Elle ouvrit la bouche, mais un râle de douleur en sorti, et sous le vouloir elle tomba à genou. Ses blessures drainaient ses dernières forces. Le monde se flouta autour d’elle, elle sentit sa respiration s’accélérer. Que dire, que faire ?
Dire qu’elle avait été piégée par le chevalier Miland et ses frère et sœur ? Ils ne l’a croiraient pas.
Chercher à les apitoyer sur ses blessures ? Ce sont des soldats. La pitié était un fardeau qu’ils avaient abandonné il y a longtemps.
Citer plusieurs moments marquants des batailles que seuls les Résistants peuvent connaitre ? Ils l’accuseraient d’être une espionne à nouveau.
Le soldat était à deux mètres d’Adélaïde. Elle pouvait distinguer avec une cruelle acuité ses vêtements sales, sa peau en sueur, la lame dans sa main et le regard métallique, décidé, du soldat qui est prêt à tout pour survivre. Le cœur d’Adélaïde s’arrêta de battre.
C’est fini.
C’est alors que le soldat se figa, fixant quelque chose derrière Adélaïde.
Avant qu’elle puisse réagir Adélaïde sentit une main lui agripper faiblement les cheveux et le fer froid d’un poignard sur sa gorge. Puis le souffle rauque d’Elarwin caressa sa gorge tandis que celui-ci ordonnait d’une voix haineuse :
— Ne bougez pas, sales humains. Un mouvement et je tranche la gorge de votre princesse.
Un silence de mort passa après qu’une confusion totale s’empara des soldats. Certains avançèrent un peu, on entendit des cordes qui se bandèrent, mais personne n’osa agir. Adélaïde regarda le soldat en face d’elle : son regard alors froid était maintenant tordu par une incompréhension terrible, de celle qui précédait une épiphanie plus cruelle encore.
Mais surtout, Adélaïde entendit le chuchotement quasi-imperceptible d’Elarwin :
— Maintenant.
D’un mouvement rapide, Adélaïde agrippa la poignée d’Elarwin et la tordit dans un craquement sinistre. Le poignard s’éloigna de sa gorge. Elarwin hurla tandis qu’Adélaïde se retourna et lui asséna un coup de pied dans l’abdomen.
Elarwin tomba à terre. Adélaïde se jetta sur lui en hurlant, en pleurant. Elle le frappa, le griffa, le mordit, l’étrangla. Puis plusieurs mains l’agrippèrent et la tirèrent en arrière, l’éloignant de l’Inquisiteur désormais inconscient.
Adélaïde vit alors un autre soldat s’approcher d’Elarwin.
Il va l’achever. Adélaïde ferma les yeux et employa ses dernières forces pour hurler.
— Non ! Il s’agit d’un Inquisiteur Elfe, sous les ordres directs du Conseil. Il nous peut donner des informations précieuses, ou tout du moins servir d’hôtage. Laissez-le en vie, soldats.
Elle avait parlé d’une voix autoritaire qui fit arrêter tous les soldats s’approchant d’Elarwin. Malgré la pénombre, malgré la douleur et la fatigue, Adélaïde put voir dans leurs regards qu’ils la croyaient un peu plus.
Elle en profita :
— Faites de moi votre prisonnière si cela vous rassure. Mais conduisez-moi au corps de l’armée de la princesse Adélaïde, et je vous assure qu’on me reconnaitra.
Elle se tourna vers le soldat à la large carrure. Celui qui s’apprêtait à la tuer une minute plus tôt. Il la regardait avec des yeux écarquillés, la respiration sifflante, toujours une lame à la main.
Un instant de mort passa.
Un vent glacial souffla. Tous les arbres frémirent. Les échos de la bataille résonnaient toujours dans la nuit.
Puis, dans un mouvement méticuleux et hésitant, le soldat baissa son arme.
N’en pouvant plus, Adélaïde ferma les yeux et s’évanouit.