Voudriez-vous fleurir ?

Par Puzzle
Notes de l’auteur : Cette nouvelle était à l'origine une participation à l'AT Octobre imaginaire. Cependant, suite à une erreur de ma part lors de l'envoi du document, elle n'a pas pu être retenue... (quel étourdi je fais !) Je la poste quand même ici, pour que tout le monde puisse la lire si l'envie lui prend ^^

Il était un vieil homme qui ne connaissait que la solitude. De toute sa vie, jamais il n’avait connu l’amour, si bien qu’il n’eut ni de femme, ni d’enfants, ni même d’autre famille que ce soit. Le pauvre homme était en effet fils unique, comme ses parents l’avaient été avant, ainsi que ses grands-parents. Esseulé, il ne se plaignit cependant jamais de sa condition. Celle-ci lui convenait même puisque, étant peu bavard, il n’aimait point devoir entretenir des relations.

N’ayant rien à faire de ses vieux jours, il passait ses matinées à balayer les feuilles mortes dans son jardin, créant alors un imposant tas de feuilles. L’après midi, il allait s’asseoir sur les bancs du parc d’à côté, afin de regarder les passants. Parfois, une vieille dame, seule, venait s’asseoir à côté de lui. Bien qu’ils soient de parfaits inconnus, ils étaient l’un et l’autre la seule compagnie qu’ils puissent s’apporter. Ils ne se parlaient pourtant jamais, mais le vieil homme et la vieille dame se comprenaient sûrement mieux que quiconque, aussi n’avaient-ils aucun besoin de converser.

Pourtant, un beau jour d’automne, le silence, si habituel qu’il était presque sacré, fut rompu. La voix de la vieille dame, douce et lasse, était tel un soupir laissant s’échapper toutes les peines d’une vie menée en solitaire.

« Aujourd’hui encore, nous sommes bien seuls, dit-elle.

S’il s’agissait de la première fois qu’elle parlait en présence de son compagnon de banc, elle ne s’adressait pas directement à lui.

– Voilà qui est bien vrai » répondit-il tout de même, d’une voix si discrète qu’elle se confondait presque au murmure du vent d’Octobre.

L’interprétation que le vieil homme fit de cette première conversation était qu’ils énonçaient là un fait. Celui-ci s’énonçait pourtant déjà de lui-même à travers le silence qui régnait entre eux. Aussi, cet événement, si inhabituel soit-il, ne changeait rien aux habitudes, alors les deux retraités restèrent assis sur le banc encore un moment, à regarder silencieusement les promeneurs passer du bon temps dans le parc. Enfin, tandis que l’après-midi prenait fin et que le froid s’installait, ils se quittèrent, sans un mot.

 

Le lendemain, un événement bien plus singulier que la conversation de la veille eu lieu. En effet, tandis que le vieil homme balayait les feuilles de son jardin, le tas de feuilles qui s’était formé au fil des jours se mit à parler.

« Ô vieil homme, toi qui es si seul, que tu dois être triste ! » dit-il, d’une voix qui se voulait emplie de pitié.

Si le vieil homme fut surpris de voir un tas de feuille parler, il n’en fit pas mine. Le tas de feuilles continua alors :

«  Ô vieil homme, ta solitude est si grande que j’ai n’ai pas pu m’empêcher de me manifester devant toi, afin de venir à ton secours. »

Silencieux, le vieil homme continuait de balayer, envoyant encore quelques feuilles sur le tas. Frustré d’être ainsi ignoré, celui-ci s’ébroua violemment, envoyant voler le feuillage aux quatre coins du petit jardin. Vraisemblablement, cela attrista le vieil homme, qui s’arrêta alors de balayer, avant de finalement répondre à son étrange interlocuteur.

«  Qui êtes-vous donc, pour me déranger ainsi ? dit-il.

Bien que devenu ridiculement petit, le tas de feuilles se souleva pour former ce qui ressemblait à un sourire.

– Voilà une question pertinente ! Je suis une dryade, et votre immense solitude m’a réveillée. C’est pourquoi je souhaite aujourd’hui vous aider.

De fait, les dryades étaient des êtres vivant dans les arbres, et celle-ci reposait dans ceux du quartier depuis déjà bien longtemps, ne se réveillant qu’en de rares occasions. Tandis que le tas de feuilles continuait de sourire, le vieil homme le fixait, perplexe.

– Jamais la solitude ne m’a dérangé, lâcha-t-il finalement, d’un ton las.

– Allons, allons, pas de ça entre nous. Regardez donc les arbres autour de vous : En hiver, ils sont si seuls, dépourvus de leur feuillage. Pourtant, dès que le printemps arrive, ils ont l’immense joie de fleurir, et alors ils ne sont plus seuls. Ne voudriez-vous pas fleurir, vous aussi ?

Le vieil homme, appuyé sur son balai, sembla réfléchir un moment aux paroles du tas de feuilles.

– Peut être l’avez-vous oublié, dit-il, mais je ne suis pas un arbre. Maintenant, laissez-moi tranquille.

Furieuse que sa proposition soit ainsi rejetée, la dryade s’ébroua une nouvelle fois.

– Soit, je vous laisserais tranquille pour aujourd’hui, mais à une condition : répétez ce que je vous ai dit à la vieille dame du parc. »

Devant cette condition qui lui semblait sans conséquences, le vieil homme hocha les épaules, puis il se remit à balayer, comme si rien ne s’était passé.

 

Comme à son habitude, le vieil homme se rendit au parc dès le début de l’après-midi. Cette fois ci, il s’assit sur un banc situé au centre d’un square au sol sablonneux, entouré par les arbres. Il avait plu entre temps, et des enfants s’amusaient à sauter dans les flaques et à éclabousser les oiseaux. La vieille dame le rejoignit plus rapidement qu’à l’accoutumée, mais le vieil homme n’en fit pas cas. Elle s’assit à côté de lui et, comme à chaque fois, ils restèrent silencieux, regardant les enfants s’amuser.

Le vieil homme n’avait pas oublié la condition que lui avait imposé la dryade. Seulement, il ne savait pas comment aborder le sujet, puisqu’il n’avait presque jamais échangé de mots avec sa voisine de banc. Il ne se passa donc aucun événement notable, jusqu’à ce que, à la même heure que le jour précédent, la vieille dame dise à nouveau :

« Aujourd’hui encore, nous sommes bien seuls. »

Ainsi se présentait la seule occasion pour le vieil homme de respecter son marché.

– Eh bien, regardez les arbres autour de vous, dit-il. En hiver, ils sont si seuls, dépourvus de leur feuillage. Pourtant, dès que le printemps arrive, ils ont l’immense joie de pouvoir fleurir, et alors ils ne sont plus seuls.

Il marqua une pause, se disant qu’il devait avoir l’air bien ridicule. Enfin, il termina :

– Ne voudriez-vous pas fleurir, vous aussi ?

Devant cette métaphore inattendue, la vieille dame eut un rire léger.

– Hélas, nous ne sommes pas des arbres, répondit-elle.

N’ayant plus rien à dire, le vieil se contenta de terminer la discussion comme au jour précédent, en disant :

– Voilà qui est bien vrai. »

Les deux retraités passèrent alors le reste de l’après-midi sur le banc, dans leur agréable silence. Aujourd’hui encore, les promeneurs semblaient prendre du bon temps. Le soir venu, le vieil homme et la vieille dame se quittèrent, sans même se dire un dernier mot.

 

Lorsque le vieil homme fut rentré chez lui, le tas de feuilles avait bougé. En effet, celui-ci ne se trouvait plus dans le coin du jardin, mais juste en face de l’entrée. Cela était très certainement l’œuvre de la dryade, et celle-ci semblait de toute évidence attendre du vieil homme un compte-rendu des événements de l’après-midi. Cependant, celui-ci décida de l’ignorer de nouveau, aussi se contenta-t-il de contourner le tas de feuilles avant de continuer son chemin.

« Alors ? demanda la dryade d’un ton impatient, faisant légèrement se soulever ses feuilles.

Le vieil homme ne s’arrêta point pour lui répondre. Il ouvrit la porte de sa maison, mais n’eut pas le temps d’entrer : Un violent courant d’air fit voler de nombreuses feuilles devant lui. Lorsque le vent se calma, le tas de feuilles se trouvait désormais dans l’entrée, bloquant ainsi le passage.
– Des enfants jouaient à sauter dans les flaques d’eau, répondit le vieil homme sèchement, mettant ainsi la dryade au défi d’en demander plus.

Elle releva le défi :

– Et la vieille dame ? Vous lui avez dit ? qu’a-t-elle répondu ?

– Je lui ai dit. Elle a répondu que nous n’étions pas des arbres. Maintenant, laissez-moi tranquille.
Le ton du vieil homme était tranchant, et celui-ci s’apprêtait à continuer son chemin, peu importe que le tas de feuilles se dresse devant lui. La dryade prit tout de même le risque de continuer :

– Eh bien, mon cher ami, sachez que pendant que vous n’étiez pas là, j’ai pensé que la condition fixée n’était pas assez conséquente…

Le vieil homme fit un pas en avant. Le prochain serait fatal.

– Voulez-vous bien m’écouter ? Dit la dryade, d’une voix aiguë. J’aimerais que vous répétiez la même chose demain aussi, après quoi je ne viendrais plus chez vous.

– Vous promettez ?

– Oui, répondit-elle.

– Bien. Maintenant partez, je ne veux plus vous voir. »

La dryade ne se fit pas prier. Un violent courant d’air souffla de nouveau, et l’instant d’après le tas de feuilles avait disparu. Désormais seul, le vieil homme soupira, se demandant où allait le mener toute cette histoire.

 

Le jour suivant, le vieil homme passa sa matinée à ramasser les feuilles qu’avait dispersées la dryade. Cet après-midi encore, il devrait répéter ce qu’il avait dit à la vieille dame et, étonnamment, il redoutait le jugement que cette dernière aurait, à le voir radoter de la sorte. Il se rendit au parc alors que l’après-midi commençait à peine, et s’assit sur le même banc que la veille. Étant un lundi, le parc était bien moins fréquenté que d’habitude. Dans le petit square, il n’y avait que le vieil homme assis sur son banc, ainsi qu’un employé de la mairie qui rassemblait les feuilles en un gros tas, à l’aide d’un souffleur.

Cette fois ci, la vieille dame mit un certain temps à rejoindre le vieil homme, aussi l’après-midi s’était déjà presque à moitié écoulé lorsqu’elle s’assit à côté de lui. Les deux retraités restèrent silencieux, comme toujours, et regardaient les feuilles voler sous l’impitoyable souffleur. Quand l’employé de mairie eut terminé son travail, et qu’un tas de feuille plus grand encore que celui du jardin du vieil homme se fut formé, la vieille dame dit enfin :

« Aujourd’hui encore, nous sommes bien seuls.

C’était le troisième jour depuis qu’elle avait dit cela pour la première fois, et chaque fois depuis elle s’était répétée, comme attendant une réponse bien particulière du vieil homme.

– Regardez donc les arbres autour de vous, dit ce dernier. Ils sont si seuls, en hiver, lorsqu’ils perdent leur feuillage. Pourtant, dès que le printemps revient, ils ont l’immense joie de fleurir… Ne voudriez-vous pas fleurir, vous aussi ?

– Hélas, nous ne sommes pas des arbres, répondit-elle encore.

Le vieil homme soupira. Enfin, la dryade ne viendrait plus chez lui, puisqu’il avait tenu sa promesse. Cependant, la vieille dame ajouta, d’une voix plus forte qu’à l’accoutumée, comme pour être entendue par une autre personne :

– Ah ! Si seulement nous étions des arbres !

Le tas de feuilles se mit à frémir. N’ayant pas vu l’infime mouvement, le vieil homme répondit comme à son habitude :

– Voilà qui est bien vrai.

A peine eut-il terminer sa phrase qu’une voix, reconnaissable entre mille, s’éleva dans les airs :

– Qu’entends-je ? Y a-t-il quelqu’un ici qui souhaiterait devenir un arbre ?

Le vieil homme eut à peine le temps de cligner des yeux que le tas de feuille qui se trouvait au fond du parc l’instant d’avant se tenait désormais devant le banc, plus imposant que jamais. Il s’agissait de la dryade, et celle-ci donnait au tas de feuilles une forme qui laissait entrevoir un sourire plein de malice.

– Eh bien, que votre vœu soit exaucé » souffla-t-elle, ne laissant pas au vieil homme le temps de répondre.

À ces mots, les pieds de ce dernier le démangèrent. Lorsqu’il baissa les yeux, ce qu’il aperçut n’était plus des pieds, mais des racines. Noueuses, celles-ci prenaient de l’ampleur tandis que ses jambes se recouvraient d’écorce. À cet instant, il comprit que, depuis le début, la dryade n’avait pour seul but que de le transformer en arbre. Affolé, il tourna son regard vers la vieille dame. Celle-ci se transformait aussi, mais, contrairement au vieil homme, elle semblait plus heureuse que jamais. Elle se tourna alors vers lui et lui pris la main en disant, d’une voix rassurante :

« Désormais, nous ne serons plus seuls. »

Ce fut la dernière chose que le vieil homme entendit.

 

Satisfaite, la dryade regardait leurs vieux corps se transformer en deux magnifiques cerisiers. Les jambes étaient devenues de profondes racines, le reste du corps s’allongeait pour former un tronc robuste, et leurs mains, qu’ils tenaient toujours l’un et l’autre, devinrent un magnifique entrelacs de branches. Les deux arbres encadraient ainsi le banc, donnant à ce lieu un romantisme extraordinaire.

« Lorsqu’ils fleuriront, ils seront sans aucun doute les plus beaux arbres du quartier » dit-elle.

Elle resta un moment pour les observer, puis retourna enfin dans son sommeil millénaire, laissant le tas de feuilles qu’elle habitait se faire disperser par le doux vent d’octobre.

 

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Prudence
Posté le 04/10/2020
Quelle fin (réussie) ! Ça m'a fait drôlement penser à Philémon et Beaucis (pas trop de fautes d'orthographe ? XD)
J'ai beaucoup aimé la dryade et ses description et la solitude du vieux monsieur est touchante malgré tout. La veille femme m'a fait rire.
Avec un petit air d'automne en toile de fond qui nous berce tout au long de la lecture. Les mots sont assez simples, l'histoire aussi mais menée avec délicatesse. Bravo !


Petite remarque : je ne crois pas qu'il y est besoin de mettre une majuscule après les deux pitits points (:).
Prudence
Posté le 04/10/2020
DescriptionS * =.=
Puzzle
Posté le 04/10/2020
Merci ! 😊
Je n'ai jamais entendu parler de Philémon et Beaucis, je vais de ce pas faire une recherche pour voir de quoi il s'agit !
Pour les deux petits points, il me semblait que la majuscule devait se mettre, merci pour l'info 😉
Puzzle
Posté le 04/10/2020
Je viens d'aller voir, en effet ma nouvelle ressemble énormément à Philémon et Baucis ! C'est un drôle de hasard, mais c'est sûrement l'image (sacrément romantique avouons le) des arbres centenaires dont les branches s'entremêlent qui a créé cette similitude ^^
GabrielleAsNa
Posté le 01/10/2020
Tu as une jolie plume ! J'espère qu'ils feront de beaux arbres, comme dit la dryade ! La seule tristesse, c'est que le vieux monsieur n'a pas disparu tel qu'il le désirait et n'a ressenti comme dernier sentiment que de la peur... Je suis déçue pour lui x)
Mais c'était tout de même très sympathique à lire :)
Puzzle
Posté le 01/10/2020
Merci ! ^^
En effet le vieil homme ne souhaitait pas particulièrement fleurir, et la dryade (ainsi que la vieille dame, qui sait ?) lui ont un peu forcé la main... Ça fait tout de même plaisir de savoir que mon objectif a été atteint, puisque le but était d'avoir une "happy end" pas si joyeuse.
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