— Alors ce soir, tu seras là pour célébrer avec nous, n’est-ce pas ?
La question plane puis s’abat et Kalika plonge dans le silence. Ses grands yeux s’ombrent de noir. Son esprit se brouille des refus polis et fermes cogités la veille et qu’elle s’est crue capable d’exprimer. Mais les mots se pressent dans sa gorge et s’enroulent sur sa langue puis gisent là, engoncés, sirupeux, telle une épaisse mélasse amère.
— Bien sûr !
Un rictus mouillé étire ses lèvres noires. Au-dedans sa voix crie : « Tu avais dit non, tu t’étais dit non ! Tu t’étais promis ! KALIKA ! » Elle glisse une main dans ses cheveux ; une petite main machinale et blanche, toute tachée de traces de potions et de fruits.
— Super, s’exclame la femme avec un sourire au goût de soleil chaud, tu pourras savourer mes tourtes citron-potimarron ! C’est grâce à toi si elles sont si belles, cette année encore.
— Ho, tu sais, je ne fais que mon travail, répond Kalika.
Elle ponctue sa phrase d’un geste négligé pour sembler détendu.
Kalika protège de ses charmes et sortilèges les habitants du village de la clairière, éloignant les créatures, répartissant les territoires entre hommes et bêtes. Lorsqu’elle revient au sein du bois, on la sollicite comme arbitre des conflits qui agitent les trois populations. De la sylve, elle est l’harmonie. Femme, créature et animale. Elle parle toutes les langues et sait écouter. Sorcière du bois de la Garenne, en cette journée de Samain, elle a beaucoup à faire. De l’ail dans les ronciers. Des panneaux d’herbes tressées. Trois chaudrons d’eau et de sel rose. Des charmes gravés, des fleurs brodées, des sortilèges, pour préserver le village des intrusions venues de la forêt et attirer les esprits, avides d’énergie, vers les lieux où ont été déposés à leur intention les mets enchantés. Cette organisation lui a demandé de longues journées de préparation en amont de la fête.
Une fois son devoir achevé, elle n’a plus rêvé que d’une chose : se reposer chez elle.