La sonnette retentit, tout le monde s'arrête net, Cécile tourne la tête en direction de la porte d'entrée et son regard fixe un court instant l'immense suspension en macramé accrochée au plafond. Je lis dans son regard à la fois de la joie et de l’amertume. Son père va ouvrir la porte avec empressement. Un grand homme aux cheveux blancs apparaît dans l’entrebâillement. Les trois enfants se précipitent autour de leur grand-père, l'embrassant et le serrant dans les bras, heureux de le revoir après quasiment six mois de séparation. Je dis bonjour en restant en retrait, étant toujours mal à l'aise avec les personnes que je ne connais pas. En plus, je n'avais pas prévu d'être encore là, ne voulant pas m'immiscer dans la vie familiale de mon amie. Mais quand nous jouons toutes les deux ensemble, nous ne voyons pas le temps filer. Passé les étreintes avec ses petits-enfants et leurs parents, le grand-père de Cécile se tourne alors vers moi en demandant à sa petite-fille de nous présenter.
— Papi Marcel, voici Lucie, ma meilleure amie. Je t'avais parlé d’elle en début d’année. On s'est trouvées assises côte à côte pour notre premier jour de collège, et depuis, on ne se quitte plus !
— Ah oui, c'est bien vrai ! Content de faire ta connaissance, Lucie, me dit-il en me regardant avec ses grands yeux marron.
— Bonjour, Monsieur, balbutiè-je timidement.
Le grand-père de Cécile me sourit, et essaye de me mettre à l’aise en me disant de l’appeler par son prénom et de le tutoyer. Ayant l’âge d’être mon grand-père, il me dit que je peux me comporter avec lui comme je le fais avec mes grands-parents. Cette phrase résonne amèrement en moi, mais j’acquiesce.
Marcel et toute la famille s’échangent alors des nouvelles sur tout ce qu’ils ont fait depuis qu’ils ne se sont pas vus, et, avant que je n’aie le temps de dire au revoir à tout le monde pour les laisser entre eux, Marcel s’éclaircit la voix et s’adresse à tous solennellement.
— Pour les vacances de cette année, j'ai eu une idée formidable !
Tout le monde se regarde, se demandant bien ce que Marcel va leur sortir cette fois. Cécile m'a expliqué que chaque été, quand leur grand-père venait les voir pour quelques semaines, il avait toujours des idées farfelues d’activités à faire avec ses petits-enfants. L’année dernière, il les a emmenés à un atelier de macramé de quatre jours au cours duquel ils ont tous œuvré ensemble, et l’année précédente, il les avait emmenés à un stage pour apprendre à construire des mots-croisés. Alors Cécile et ses deux frères retiennent leur souffle, craignant de découvrir encore une fois une activité déconcertante à faire avec lui.
— Nous allons faire de la généalogie aux archives départementales !, s’exclame Marcel, enthousiaste.
Les trois enfants restent pantois. Marcel précise qu’il a commencé quelques recherches généalogiques sur sa branche paternelle, et qu’il a découvert que l’une de ses arrière-grand-mères était née à quelques dizaines de kilomètres d’ici. Il voudrait chercher son acte de naissance et tous les actes d’état civil de ses parents et de sa famille. Marcel demande alors à ses petits-enfants ce qu’ils en pensent.
Les trois frères et sœur ont les yeux fixés vers le sol pour ne pas croiser le regard de leur grand-père, aucun n’osant répondre. Finalement, le père de Cécile prend la parole pour arrêter ce blanc qui devient pesant. Il encourage l’un ou l’autre de ses enfants à acquiescer à la proposition de leur papi, expliquant que partir à la découverte de sa famille et de ses ancêtres est sûrement passionnant. Sa femme renchérit en disant qu’elle accompagnerait bien son beau-père si elle avait quelques jours de vacances. Finalement, le frère aîné de Cécile prend la parole. Âgé de seize ans, il argumente qu’il n’a pas vraiment le temps pour ça, prétextant devoir commencer à lire ses livres pour le bac de français de l’année prochaine. Le second prend sa suite, expliquant ne pas avoir très envie de s’intéresser aux morts de sa famille, et qu’il préfère rester avec son frère pour vérifier qu’il lit bien ses livres. Je vois bien que la proposition de son grand-père n’enchante pas plus Cécile que ses frères, mais, moins inventive qu’eux pour se trouver des excuses bidons, elle tourne autour du pot et finit par botter en touche. Visiblement, Marcel s’était préparé à cette éventualité. Il n’a pas l’air trop déçu, et leur explique que comme ils sont grands maintenant, ils peuvent s’occuper tout seuls à la maison, et qu’il ne veut pas les obliger à l’accompagner si cela ne les intéresse pas.
Après quelques secondes d’hésitation, je prends timidement la parole.
— Je veux bien t’accompagner, Marcel, si tu veux. Je crois qu’une grande partie de ma famille est originaire d’ici. Si cela ne t’embête pas, on pourrait aussi faire mon arbre ? J’aimerais bien découvrir les membres de ma famille.
Cécile et ses frères me regardent, interloqués. Avant qu’ils n’aient le temps de dire quoi que ce soit, voire de se moquer de moi, Marcel me répond, un grand sourire aux lèvres :
— Avec plaisir Lucie ! Je serai ravie de t’aider avec le peu que je sais. Je ne doute pas que tu seras aussi maligne que moi pour débusquer les actes !