Un jour d’été 2003.
La question ne m’est pas adressée, mais la proposition de Marcel m'interpelle tant, que je ne peux pas la laisser de côté. Quelle chance pour moi que ses trois petits-enfants n’y aient pas répondu favorablement !
— Je veux bien t'accompagner, lui dis-je avec entrain.
Les yeux rivés sur moi, ma meilleure amie Cécile et ses deux frères paraissent abasourdis par ma réaction. Avant qu’ils n’aient le temps de répliquer ou de se moquer de moi, Marcel s’enthousiasme, un grand sourire aux lèvres :
— Volontiers, Lucie ! Je serai ravie de t’aider avec le peu que je sais. Je ne doute pas que tu seras aussi maligne que moi !
Quelques minutes plus tôt, la sonnette avait retenti. Cécile avait tourné la tête en direction de la porte puis croisé, en tiquant, l’imposante suspension en macramé accrochée au plafond. Son père était allé ouvrir avec empressement. Un grand homme aux cheveux blancs apparut dans l’entrebâillement. Cécile et ses frères se précipitèrent autour de leur grand-père. Ils l’embrassèrent et le serrèrent dans les bras, heureux qu’il vienne après six mois sans l’avoir vu. Je dis bonjour de loin, toujours mal à l’aise avec les personnes que je ne connais pas. En plus, j’aurais dû être partie depuis un moment déjà, mais, quand nous jouons et papotons entre copines, nous ne voyons pas le temps filer. Passé les étreintes avec ses petits-enfants et leurs parents, le grand-père de Cécile s’était alors tourné vers moi, en demandant à sa petite-fille de nous présenter.
— Papi Marcel, voici Lucie, ma meilleure amie. Je t’avais parlé d’elle en début d’année. On s’est trouvées assises côte à côte pour notre premier jour de collège, et, depuis un an, on ne se quitte plus !
— Ah oui, c’est bien vrai ! Content de faire ta connaissance, Lucie, me dit-il en me regardant avec de grands yeux souriants.
— Moi aussi, monsieur, dis-je timidement.
Le grand-père de Cécile me répondit avec douceur de l’appeler par son prénom et de le tutoyer. Il me signifia de me comporter avec lui comme je le faisais avec mes grands-parents. Ces derniers mots résonnèrent amèrement en moi, mais j’acquiesçai.
Marcel et toute la famille commencèrent à s’échanger des nouvelles sur leurs activités respectives depuis leur dernière rencontre. Alors que je m’apprêtais à dire au revoir à tout le monde pour les laisser à leurs retrouvailles, Marcel prit la parole d’une voix solennelle.
— Pour les vacances de cette année, j’ai eu une idée formidable !
Tout le monde se regarda, se demandant bien quelle idée insolite Marcel leur réservait encore cette fois. Cécile m’avait expliqué que chaque été, quand leur grand-père venait les voir pour plusieurs semaines, il leur proposait toujours des idées étranges d’activités à partager. L’année dernière, il les avait emmenés à un atelier de macramé de quatre jours au cours duquel ils avaient œuvré ensemble. Et l’année précédente, ils s’étaient rendus à un stage pour découvrir comment concevoir des mots croisés. Alors, Cécile et ses deux frères craignaient qu’il ne propose encore une fois une activité déconcertante.
— Nous allons faire de la généalogie aux archives départementales !, s’était exclamé Marcel, enthousiaste.
Devant ses trois petits-enfants pantois, Marcel précisa qu’il avait commencé quelques recherches généalogiques sur sa branche paternelle. Il avait découvert que l’une de ses arrière-grand-mères était née à quelques dizaines de kilomètres d’ici. Il voudrait chercher son acte de naissance et tous les actes d’état civil de ses parents et de sa famille. Marcel demanda alors lequel de ses petits-enfants voudrait l’accompagner.
Aucun n’osa répondre. Face à ce blanc qui devint pesant, le père de Cécile finit par prendre la parole. Il encouragea l’un ou l’autre de ses enfants à acquiescer à la proposition de leur grand-père, un voyage passionnant s’ouvrant à eux. Sa femme renchérit qu’elle accompagnerait bien son beau-père si elle avait davantage de vacances. Alors, tour à tour, les enfants prirent la parole. Chacun avait ses bonnes raisons pour ne pas venir et pour décliner l’invitation de leur grand-père. L’aîné devait commencer à lire ses livres pour le bac de français. Le cadet voulait surveiller son frère et prétexta un stage de foot décisif pour sa future carrière. Cécile, la benjamine, tourna longtemps autour du pot, et finit par dire ne pas s’intéresser aux morts de sa famille.
Avec un soupir de résignation, Marcel comprit que ses petits-enfants pouvaient désormais s’occuper tout seuls à la maison, sans les forcer à l’accompagner s’ils ne se sentaient pas concernés par sa proposition.
J’avais alors pris la parole. Ma mère m’avait dit qu’une grande partie de ma famille était originaire des environs. C’était l’occasion rêvée pour moi de faire mon arbre et de découvrir quelques-uns de mes ancêtres. À défaut de les avoir connus, les rencontrer sur le papier m’apporterait sûrement beaucoup.