0. Avant-propos

Par _julie_

Manu et Élise ne se connaissaient pas et n'avaient pas besoin l'un de l'autre.

Ils vivaient dans la même ville, l'une de ces grosses et laides villes de banlieue, où l'on trouve de tout et où l'on n'aime rien, l'une de ces villes suffisamment grandes pour voir des foules sans connaître personne, suffisamment riches pour financer tout un tas d'affreuses infrastructures, suffisamment proches de Paris pour que les habitants emploient les termes "duplex", "team building" et "poke bowl", mais suffisamment éloignées pour ne pas souffrir de la même flambée du prix de l'immobilier.

Cette ville s'appelait Sersun. Elle ne vous dit rien mais vous la connaissez sûrement, inscrite sur un panneau publicitaire le long du périph', en dessous du logo d'un fast food ou d'un magasin de bricolage, sur lesquels vos yeux ont glissé sans y prêter attention.

 

Si vous vous aventuriez au rez-de-chaussée du 58, rue Bobillot, à gauche, vous trouveriez l'appartement de Manu.

De la même manière que les chiens ressemblent à leur maître, les appartements ressemblent à leurs propriétaires - ou, pour ce cas précis, à leurs locataires.

L'habitat de Manu, du fait de son orientation vers le nord, était un peu sombre, mais les couleurs chaudes et éclectiques des murs compensaient le manque de lumière par de la gaieté. L'appartement était étroit, surtout pour le mètre quatre-vingt-douze de son occupant. Pour éviter de se cogner à tous les angles des meubles et des parois, Manu avait décidé d'abolir la dictature des cloisons et du mobilier sur les habitations modernes. La pièce principale remplissait les fonctions de cuisine, salon, salle de sport, scène de concert, terrain de foot, chambre d'amis, salle à manger et Assemblée Locale - pour tous les débats politiques de comptoir qui s'éternisaient, accompagnés de saucisson et de chips au paprika. La deuxième et dernière pièce était composée d'une douche, de toilettes, d'un lavabo et du lit de Manu (lorsqu'il n'y avait pas un inconnu bien imbibé qui s'y effondrait à 21 heures). Manu n'était pas matérialiste et possédait peu de choses. Les armoires, les placards, les tiroirs étaient selon lui un gaspillage d'espace et d'argent, alors il se contentait d'éparpiller ses effets personnels, de les empiler ou de les fourrer en boule dans un coin. Il passait la moitié de son temps chez lui à chercher ses affaires et à ne pas les retrouver, ce qu'il pouvait mettre sur le compte, selon son humeur, soit de son étourderie, soit de celle des ribambelles d'amis d'amis d'amis de passage, le temps d'une soirée, d'un week-end, ou de cinq mois pour le cas d'Antoine, son colocataire non locataire, surnommé "le Co", qui dormait sur le canapé ou sur le palier, selon son taux d'alcoolémie. L'autre moitié casanière de son temps était employée à des tentatives culinaires plus ou moins réussies mais qui ravissaient toujours Antoine, dont la situation financière l'obligeait à revoir ses exigences à la baisse. Les dimanches, pendant que le Co jardinait sur le minuscule balcon, Manu s'abandonnait à sa passion, la musique, ou plutôt, pour reprendre ses propres termes, il musiquait, mot générique englobant l'écoute, la pratique, l'improvisation et la composition. Installé sur un pouf orange aux motifs orientaux, il fermait les yeux et écoutait religieusement un de ses vinyles préférés, ou simplement sa playlist du moment diffusée par une puissante enceinte. Le plus souvent, la musique agissait sur lui comme un catalyseur. Elle le stimulait tellement qu'il finissait, après un long état de torpeur, par bondir sur ses pieds et se mettre au piano, saisir son saxophone ou gratter sa guitare. Incapable de tenir en place, il ressentait le besoin d'être actif, de faire la musique, de la posséder, de la contrôler, de la moduler. Et il le faisait très bien. Ses longs doigts agiles parcouraient les instruments avec une vitesse et une précision rares. La finesse de sa peau semblait caresser, séduire les objets pour qu'ils produisent les sons les plus mélodieux. Antoine s'arrêtait parfois pour l'écouter, les mains encore pleines de terre, et le remerciait en lui lançant une tomate cerise à moitié verte, un petit trésor issu de ses prouesses potagères qui faisait oublier les échecs successifs de ses plantations de cannabis. Depuis peu, Manu s'était mis au chant, à voix basse et timide, du moins quand il était sobre. Comme disait le Co, il y avait encore du travail, mais Manu était un passionné et ne se décourageait pas si facilement quand il avait une idée en tête, au grand dam de ses voisins insomniaques. Été comme hiver, la seule règle en vigueur dans l'appartement était de se déplacer en claquettes. Les risques liés au parquet étaient bien trop élevés pour se risquer à le fouler pieds nus ni même en chaussettes. On y trouvait certainement moins de bois que de cendres, de mégots, d'alcool séché et d'éclats de verre de bouteille incrustés entre les lattes. Chaque pas s'accompagnait d'un léger bruit de ventouse. Manu avait renoncé à laver le sol collant, en se disant que les litres de bière qui avaient dû couler depuis son emménagement étaient un moyen comme un autre de le désinfecter. Il essayait de se persuader que le parquet avait toujours été aussi sombre, et attribuait, par mauvaise foi évidente, les tâches sur le canapé à la myopie qui le trompait. Manu avait des lunettes, de grandes lunettes marron et carrées aux bords arrondis, dont il n'avait pas fait changer les verres depuis un bon nombre d'années et ne lui servaient pas à grand-chose. Il les gardait sur son nez par habitude, à cause de cette impression de nudité ou au contraire de déguisement lorsqu'on ne porte pas un de nos attributs qui font que l'on se sent soi-même. De la même manière, il arborait toujours un petit chignon croulant au-dessus de son paquet emmêlé de mèches blondes et châtain qui formaient un carré.

Vous vous demandez sûrement si Manu était beau. Vous vous doutez bien de la réponse que vous feraient Antoine, ses proches, sa famille, ses amis ; de toute évidence, leur point de vue manquerait d'objectivité. Maintenant, en demandant à quelques-uns de ses détracteurs - anciens profs de lycée ou de la fac, rares amis avec lesquels il s'était brouillé, patrons éternellement insatisfaits, ex-petites amies -, ils vous soutiendraient le contraire, et cela ne nous avancerait pas à grand-chose, de même qu'il serait inutile de poser la question au principal intéressé, dont la réponse dépendrait uniquement de sa personnalité. Or, Manu est une personne modeste, et les personnes modestes, comme chacun sait, sont les cancres de l'objectivité. Quant à mon avis personnel sur la question, il ne vous garantit pas que vous trouviez Manu à votre goût, malgré tout le bien que je pense des personnages que j'invente. Notez quand même qu’il remplissait quelques critères des canons de la beauté actuelle, notamment celui de la taille : il frôlait le mètre quatre-vingt-dix. Finalement, à vous de décider si Manu est beau ou non. Quelle que soit votre opinion sur lui, croyez-moi, il ne s'en vexera pas. Il y a peu de chance qu'il soit au courant de votre existence.

Dans la vie agitée de Manu, on pouvait trouver deux constantes : la première était son refus de fumer, d'abord par conviction, ensuite par principe. Cette décision émanait probablement d'une interdiction parentale lorsqu'il était jeune, doublée d'une peur vague aux images de dents pourries et de poumons poussiéreux, et qu'il avait voulu faire passer comme un choix très personnel auprès de ses amis cool qui avaient toujours la clope au bec. A présent, il suivait cette résolution avec la fierté de celui qui se raccroche à un détail pour passer sous silence une hygiène de vie plutôt douteuse. Il ne faisait pas vraiment de sport, à part de manière ponctuelle, lorsqu'il était en retard et qu'il devait attraper le bus, ou lorsqu'il allait, dans une inspiration subite, courir quelques kilomètres pour éliminer des calories et sa culpabilité. Il revenait alors en nage dans l'appartement, prenait une douche et se préparait un petit festin pour se récompenser. C'est fou le plaisir que l'on peut éprouver à détruire tous ses efforts, pensait-il en mordant dans une pizza décongelée sans avoir pris le temps de la découper.

En dépit des apparences, Manu ne vivait pas aux crochets de ses parents ou d'une vieille tante qui financeraient ses apéros et ses quelques mètres carrés d'habitat. Non, Manu, comme on dit, gagnait sa vie. Il était in-dé-pen-dant. Autonome. Peut-être pas encore responsable. Mais il avait toute la vie pour le devenir. Pour l'instant, il oscillait depuis une poignée d'années entre plusieurs petits boulots en attendant de trouver mieux. Il avait fait des études. Il avait un diplôme, un bac +5. En soirée, ça faisait hocher la tête des gens d'approbation, comme si le chiffre 5 avait une valeur intrinsèque qui lui garantissait argent et bonheur éternels. Et ce signe +... Il évoquait l'ajout, la plus-value, voire la supériorité... Ce n'était qu'après coup, au moment d'envoyer des CV et de faire des entretiens d'embauche, que Manu s'était rendu compte avec étonnement qu'un master finance ne menait à rien d'autre qu'à la finance. Toutes les portes qu'il pensait ouvrir sont restées fermées - portes dont il avait une image très floue, comme un oncle qu'on ne connaît pas bien mais qui a toujours été présent, dans le décor de notre vie. En attendant de trouver sa voie, il faisait son bonhomme de chemin dans la vie professionnelle et tentait des directions au hasard. Jusqu'à présent, il avait essayé à peu près tous les métiers possibles dans un supermarché, dans l'hôtellerie et dans la restauration, mais il lui restait à explorer bien des domaines : la jardinerie, la petite enfance, et pourquoi pas le monde du spectacle ? Enfin, pas sur les planches, plutôt en coulisses. Pour le moment, il jonglait entre la permanence de la mairie de Sersun en semaine, et les cuisines d'un restaurant bon marché le week-end.

En bref, Manu était un humain banal et sympathique, globalement bordélique, un vieux vingtenaire ou un jeune trentenaire - selon le public et les circonstances - du vingt-et-unième siècle.

 

A quelques gros pâtés d'immeubles de là, au 3, rue de la Liberté, quatrième étage troisième porte à droite, s'était établie Élise. Elle aussi vivait seule, mais elle avait de ce mot une définition plus catégorique que celle de Manu. Personne ne végétait sur son canapé, son lit deux places n'avait de place que pour elle, ses chaises servaient avant tout de décoration, et ses dizaines de couverts étaient une manière comme une autre de remplir ses tiroirs. Ses murs étaient soigneusement peints en bleu-gris, et son mobilier était fait de bois de chêne, d'imitation bambou et de céramique pour les petits pots et vases qu'elle collectionnait. Certains étaient moulés en forme de corps de femmes. Ce motif revenait également sous forme d'affiches et de tableaux, pour des raisons esthétiques et progressistes - elle se faisait un devoir de normaliser les formes féminines, dans leur diversité et leur beauté. Son engagement allait plus loin. Elle dévorait des livres d'autrices sur l'écriture inclusive et l'avortement, et se faisait un plaisir de détruire le patriarcat à coups de jambes poilues et de slogans imprimés sur ses tote-bags ou collés sur son frigo. Des flyers de collectifs féministes traînaient un peu partout, sur la commode, le buffet, le guéridon. Parfois, son téléphone sonnait et elle partait coller des affiches revendicatives dans les rues, se casser la voix dans des manifestations ou faire les permanences d'une des associations à laquelle elle était adhérente. Pour Élise, le mot "bobo" n'était pas une insulte quand il impliquait de sauver la planète en mangeant bio, local, végétarien - enfin pas tout à fait, elle n'avait pas pu se résoudre à abandonner le saucisson et les pavés de saumon -, et en stockant sa nourriture dans de jolis bocaux en verre. Elle n'avait pas honte non plus de manger des salades de quinoa, d'être accro au café et de manger un bol de flocons d'avoine sans sucres tous les matins, après avoir réalisé la posture de la salutation au soleil et du chien tête en bas. Dans ces moments-là, elle se félicitait de vivre seule pour être ridicule en paix, et prenait un malin plaisir à se promener toute nue chez elle, à chanter faux et fort, ou encore à s'entraîner à faire le poirier contre le mur ou des roulades arrières sur ses coussins.

Son âme d'enfant faisait rarement surface en public. Élise, de manière plus ou moins consciente, l'avait bien enfouie sous son visage pâle à l'expression légèrement sévère, comme si tous ses muscles étaient sous tension. Ses traits étaient naturellement anguleux et symétriques comme les cases de ses tableaux Excel. La meilleure preuve de sa belle carrière professionnelle était sa garde-robe. Celle-ci était presque exclusivement composée de tailleurs-pantalons aux coupes strictes fabriqués à partir de filets de pêche ou de bouteilles en plastique, parfaitement repassés, mais dont les couleurs et les motifs étaient plus fantaisistes : on y trouvait du mauve, du vert bouteille, du bleu pastel, des petites fleurs ou de grands soleils. Côté orteils, elle avait, pour se chausser, le choix entre quelques paires de talons plus ou moins hauts achetés d'occasion, et de jolies baskets de ville en cuir de raisin. Pour relever ses tenues, elle peignait ses lèvres d'un rouge écarlate qui mettait en valeur ses cheveux lisses et châtains, soigneusement séparés en deux parties égales par une raie qui traversait le sommet de son crâne. Elle n'avait guère le temps, ni l'envie, de se maquiller davantage, et préférait être au naturel, comme ses légumes bio. Pour elle, le plus beau des bijoux, sa possession la plus précieuse, la pièce maîtresse de sa garde-robe, était incontestablement sa robe d'avocate. Cette dernière pendait majestueusement à un cintre sous sa housse en plastique, sans un pli ni une poussière (si Élise n'avait pas de chat, c'était uniquement pour éviter qu'un de ses poils ne s'accroche à cette parure de satin noir à laquelle elle tenait comme à la prunelle de ses yeux, et plus encore, car on peut encore plaider quand on est aveugle). A chaque fois que la jeune femme revêtait sa toge pour une audience, ses yeux étaient humides de fierté et de reconnaissance d'exercer la profession dont elle rêvait depuis toute petite. Avocate en droit public administratif. Le nom avait de la gueule (Élise adorait les gros mots, elle en usait et en abusait, mais uniquement quand elle se parlait à elle-même), il claquait comme un fouet, il brillait dans ses yeux comme les plaques dorées à l'entrée des cabinets des docteurs ou des notaires. Elle aimait ces mots un peu brumeux qui n'avaient de sens que pour elle et ses collègues magistrats, et qui imposaient le respect et l'admiration quand on lui demandait ce qu'elle faisait dans la vie.

Sans enfants, sans amoureux, son statut de femme libre faisait des envieux. Quand elle recevait de vieux amis - ce qui arrivait rarement -, ils aimaient soupirer en contemplant son salon lumineux, bien rangé et joliment garni de plantes et d'étagères bourrées de livres de cuisine végétarienne et de développement personnel. "Quelle chance tu as", "comme tu dois avoir du temps pour toi", "tu peux faire ce qui te plaît, "j'aurais dû vivre comme toi, sans attaches", étaient les phrases qui revenaient le plus souvent, entre deux gorgées de thé à la verveine. Le plus souvent, elle lâchait un petit rire de circonstance en balayant du regard avec fierté son tourne-disques, son fauteuil en cuir vintage, sa table basse de créateur, tous ces objets qu'elle avait choisis et payés elle-même, grâce à son salaire et son bon goût.

Ce que ne savaient pas ses hôtes, c'est qu’Élise s'asseyait rarement dans ses fauteuils, encore moins pour se détendre. Les vinyles quittaient rarement les pochettes dans lesquels ils étaient rangés, son projecteur haute définition restait éteint et ses bougies ne s'allumaient que pour les invités. Le temps dégagé par l'absence d'obligations parentales ou conjugales, Élise avait vite su l'employer dans toutes sortes d'activités qu'elle casait dans la moindre interligne de son agenda, et elle passait plus de temps dans le métro que dans son appartement. Sa philosophie pouvait se résumer ainsi : elle aurait tout le temps de se reposer quand elle serait coincée dans un cercueil. D'ici là, elle voulait pro-fi-ter.

Pour mener à bien cette entreprise, Élise avait établi un plan d'action. Sa vie était réglée comme du papier à musique, chaque minute lui était précieuse pour réaliser ses objectifs de la journée. Les milliers de post-it colorés, les carnets, les calendriers, les emplois du temps, les alarmes et les réveils fourmillaient dans son logement comme autant de rappels que la vie s'écoulait trop vite, et qu'il lui fallait être toujours plus productive. Élise s'oubliait en rendez-vous, visites, boulot, missions humanitaires, engagement associatif, boulot, cours de danse, de poterie, de krav-maga ou d'italien, boulot, café avec l'un, dîner avec l'autre, soirées, voyages, week-ends, boulot, boulot, boulot... Ses horaires étaient extensibles presque à l'infini, et chacun de ses plaisirs était teinté d'une pointe d'anxiété : celle de ne pas être en retard, de ne pas en profiter trop longtemps au détriment d'une autre chose à faire, qui avait l'air encore mieux, toujours mieux que celle à laquelle elle était en train de s'adonner. Ce penchant vers un éternel ailleurs, vers un idéal toujours atteignable mais jamais atteint, l'empêchait constamment de lâcher prise. Elle compensait en méditant et en faisant du yoga, mais même en position du lotus, elle pensait à tout ce qu'elle aurait pu faire ou qu'elle devrait faire ensuite, à cause de ces quelques minutes volées à la course du quotidien. Elle en ressortait peut-être plus stressée, à s'activer deux fois plus pour contrebalancer le moindre écart, le moindre repos. Derrière l'écran d'une vie sociale bien remplie, se cachait dans son cœur un ténu, mais bien présent, sentiment de solitude. Le ballet des personnes qui allaient et venaient dans sa vie lui donnaient l'impression d'un casting de figurants sans cesse renouvelé, divertissants et jetables. Elle passait un bon moment avec chacun d'entre eux, mais au fond, ne connaissait personne. Il ne lui restait pas d'amis d'enfance, ou alors de vieilles connaissances à qui elle se forçait à envoyer un message pour les anniversaires et le jour de l'an, et à recevoir tous les trente-six du mois. L'odeur de la lessive et de son propre shampooing à la pomme dans ses draps quand elle se couchait, le soir, lui rappelait qu'elle avait fait ses choix et qu'il fallait qu'elle les assume. La plupart des jours, elle se sentait légère, prête à croquer le monde entier. Elle se baladait dans les villes, elle battait la campagne, assoiffée de nature et de culture, et rentrait exténuée et heureuse à son logis à la tombée de la nuit. Mais certains soirs, une bouffée d'angoisse la prenait à la gorge et elle se surprenait à souhaiter que la forme à l'autre bout de son lit ne soit plus celle de son traversin, mais celle d'un véritable humain. Elle humait alors l'air en espérant y déceler quelque chose, sans trop savoir quoi, quelque chose de nouveau qui aurait pu l'étonner, l'émouvoir, la prendre au dépourvu, une odeur étrangère, peut-être même celle de quelqu'un d'autre. Des années qu'elle n'avait plus été surprise. Des années qu'elle avait écarté l'improvisation et le hasard à grand renfort de to-do lists.

Vous l'aurez compris, Élise était une femme pressée : pressée d'être heureuse, de tout connaître, de tout vivre, de tout accomplir. Une femme brûlante de désirs, au risque de prendre feu avec eux.

Manu et Élise n'étaient pas destinés à se rencontrer. Heureusement que le destin n'existe pas ; ainsi, un jour, Manu et Élise, deux êtres humains en orbite autour de deux systèmes de vie différents, se sont croisés. Leurs deux galaxies se sont frôlées au détour d'une rue.

Et l'histoire s'est répétée.

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