0 | Une sacrée comète

— C’est une sacrée comète.

— Hum ?

— Je disais que c’était une sacrée comète, là, au-dessus.

— Oui, oui…

— Vous m’écoutez ?

— Pas vraiment. Nom, prénom ?

— C’est quand même une sacrée comète…

— Oui, magnifique. Nom, prénom ?

— Vous les connaissez pas ?

— Non, puisque je vous les demande.

— Et…

— Oui ?

— On est où, en fait ?

— Ici.

— Mais encore ? J’ai aucun souvenir de comment je suis arrivé là. Et…

— … et ?

— Et en général, je me souviens de comment j’arrive à des endroits.

— Pas cette fois alors. Nom, prénom ?

— Et vous êtes qui ?

— Aucune importance.

— Aucune ? Ca me parait quand même un peu suspect. Vous êtes là, à une table, sur une jetée bizarre, en pleine nuit, avec une comète au-dessus de nos têtes.

— J’ai vu plus bizarre. Nom, prénom ?

— Je donne pas mon nom à des inconnus.

— Non ? Comment vous arrivez à vous faire des amis, alors ?

— Quoi ?

— Eh bien, si on suit votre raisonnement, vous ne donnez votre nom qu’aux personnes qui le connaissent déjà. Elles le connaissent d’où si vous ne le leur avez pas donné quand ils étaient des inconnus ?

— Je…

— Et donc, nom, prénom ?

— Pourquoi vous me demandez ça, en fait ? Ca a un rapport avec la comète ?

— Pourquoi est-ce que ça aurait un rapport avec la comète ?

— Je sais pas. Ca paraissait logique, mais…

— Votre logique m’échappe.

— A moi aussi. Mais vous…

— Moi ?

— Oui, vous, vous êtes qui ?

— Vous voulez vraiment pas me donner votre nom et prénom ?

— Dites-moi juste qui vous êtes.

— Je suis votre guide.

— Ma guide ? Pourquoi vous soupirez ?

— Vous n’êtes pas très rapide, hein. Les portes, là, derrière, elles ne vous intriguent pas ?

— Les portes ? Quelles portes ?

— Ces portes, là.

— Mais… Elles n’y étaient pas avant. Elles… Pourquoi elles sont posées sur le ponton ?

— Vous voulez qu’on les pose où ? Dans l’eau ?

— Non, mais, sur le ponton… Je veux dire, elles mènent nulle part, quoi. Derrière, c’est juste le ponton qui continue.

— Oui… Et donc, nom, prénom ?

— Vous ne m’avez pas donné le vôtre de nom-prénom.

— Je devrais ?

— Bah euh, oui. Comme ça, on saurait comment s’adresser l’un à l’autre.

— Et qu’est-ce qui vous fait penser qu’on va devoir s’adresser l’un à l’autre ?

— C’est vous, là. Vous avez dit que vous étiez ma guide. Du coup, comment vous allez guider si on s’adresse pas la parole ?

— On peut tout à fait se débrouiller. Mais moi, j’ai plutôt besoin de votre nom et prénom pour le formulaire.

— Quel formulaire ?

— Ce formulaire.

— Il était là avant, ce formulaire ?

— Oui, puisque ça fait un quart d’heure que je vous demande votre nom et prénom.

— Alors, pourquoi je l’ai pas vu ?

— Sûrement trop occupé à baver devant la comète.

— Eh !

— Bon, le nom et prénom, vous me les donnez ? J’aimerais bien passer à la suite.

— Et la suite, c’est… ?

— Vous n’êtes pas le couteau le plus aiguisé du tiroir, hein ?

— Je… Déjà, je pense pas être un couteau.

— Je vous ai dit que j’étais votre guide, je vous ai montré des portes. Aucune conclusion logique de votre côté ?

— Bah, les portes mènent nulle part. Donc non, aucune.

— Elle va être longue, cette nuit. Nom, prénom ?

— Ouais, mais quand même, ça me fait bizarre de vous les donner.

— Très bien, j’abandonne. Signez juste ici.

— Ici ?

— Ici.

— Et après ?

— Après, on pourra commencer.

— Mais si je signe, ça m’engage à quelque chose ?

— Ca dit juste que vous acceptez que je sois votre guide.

— Juste ça ?

— Juste ça.

— Et bien sûr, vous ne mentez pas.

— Si ça vous fait plaisir, relisez les trois cent quarante-deux pages du contrat.

— Bon, bon. Là ?

— Là.

— Je… bon, très bien. Voilà.

— A la bonne heure. Allons-y.