01. Cynique Chronique.

Livre 111.

 

Victor Gretchencko disait parfois : « On ne trouve pas forcément la Guerre que sur un pieux champ de bataille. »

Cela, il est vrai, n’a jamais été dans les coutumes de cette dame volage de se trouver là où on l’attendait vraiment. J’ai moi aussi la même conviction que le champ d’honneur n’est finalement pas son terrain de prédilection en matière de chasse. Ma femme prétendait que Discorde était sa favorite, que Solitude et Douleur, comptaient parmi ses enfants (et nul n’aurait su en trouver le père). Dans les trois quarts des cas, (quand elle n’est encore qu’une simple réaction de peur ou d’insécurité), la concubine d’Arès se réfugie et grossit au sein même de foyers soi-disant bien pensant (out tout du moins d’apparence sans histoire), bien a l’abri de toute menace, n’attendant que l’heure de refaire surface.

Pour bien comprendre à quel point les choses ont pu merder sur ce dossier, je vais essayer de vous dresser le topo…

Et il est loin d’être bref. Imaginez-vous simplement une voix lente et monotone que ce soit pour débiter les pires insanités ou des vannes foireuses (quand ce n’est pas les deux à la fois) et vous vous rapprocherez assez de ce que devrait être théoriquement le ton de ma narration de ces lignes…

Bien qu’il ne s’agisse en réalité que d’une « traduction » (si traduire, c’est trahir). Mes archaïsmes chroniques passent à la trappe au profit d’erreurs volontaires (ça l’amuse je crois) et d’un langage un poil trop fleuri (bien que j’assume la longueur démesurée de certaines phrases) : le tribut à payer pour ma paresse je présume. Mais je ne vois même pas pourquoi je précise ce genre de choses.

Oui : à défaut d’être réellement volubile, j’ai la plume plutôt prolixe (pour un amateur) et quand bien même je n’écris plus à proprement parler. Aussi, j’ose espérer que vous pardonnerez mon verbiage pompeux, surtout qu’il est vraisemblablement inutile…

Puisqu’à dire vrai, je dépose cette part de ma conscience pour moi-même, par sécurité donc : au cas où je viendrais à perdre la mémoire (ou la vie), étant entendu que je perds déjà la raison. Mais n’étant pas à l’abri d’une mauvaise surprise, je relaterai ce récit pour le premier quidam qui pourrait (même hypothétiquement) me relire (moi compris de toute façon). Il vous faudra donc entrer à vos risques et périls dans le dédalle de couloirs faits de la brique en désagrégation des souvenirs (bons ou mauvais) qui composent ma mémoire…

J’essayerai cependant de faire passer la pilule en agrémentant mon discours de mon cynisme et de mes sarcasmes (qui n’ont jamais été qu’un épais blindage en somme). Mais je gage qu’ils ne suffiront pas à vous éviter le désagrément d’une rencontre avec un  quelconque minotaure (d’autant que mon humour est loin d’avoir jamais fait l’unanimité). Je tiens à préciser que moi-même, je refoule fréquemment la bête au sein des entrelacs erratiques de ces galeries obscures…

Pour le reste, sachez seulement qu’étant un narrateur distrait, je m’y égare souvent, (désolé d’avance).

Quoiqu’il en soit (et en préambule à pratiquement chaque entame d’un nouveau carnet), je m’oblige à ce bref rappel (autant pour d’éventuels lecteurs que pour moi-même encore une fois), puisqu’après tout, je ne fais jamais que d’essayer de me remettre du simple choc (terrifiant au demeurant) que fut ma prime confrontation avec ce tout nouvel environnement lorsque j’émergeais moi-même pour la première fois des ruines d’anciens empires depuis longtemps disparus : le Vieux Monde n’est simplement plus ! Il s’est consumé pratiquement en une fois (parait-il), lors du cataclysme (aux proportions bibliques) qu’était la chute du météore surnommé la Faucheuse. Je n’étais pas là pour le voir et les membres de cette génération sont tout simplement nés après : plus de cent ans après pour être exact. Et après avoir passé pratiquement un siècle et demi terrée dans les immenses sites enfouis (disséminés sur toute la surface du globe) qui survécurent à la catastrophe, l'humanité peinait encore à reconstruire des bribes de sociétés ça et là en s'articulant sur la reprise progressive des communications entre les survivants de ces gigantesques complexes ensevelis qui sont à l'origine des secteurs autonomes (qu'on appelle plus communément citées-dômes, donc). Les initiateurs de ce timide renouveau ? Techniquement : « le Sector Primus » ! Notre citée (ou en tout cas, mon secteur d’adoption) ! Si certaines de ces mégapoles enterrées s’en sortaient définitivement mieux que d’autres, même longtemps après la chute (à l’image de la Citée 42, dont je proviens en partie), c’est bien après une courte période de guerre (qui devait déboucher sur la première Institution post cataclysme) que le Sector Primus prit sur lui de fonder les Corporations Sectorielles (et avec elles, le futur état global).

Ceci étant…

Puisqu’il va bien falloir que j’approfondisse et comme à l’époque actuelle il est impossible de parler d’emmerdes sans mentionner la Grande Conjurée, il faudra sans doute que je vous entretienne au sujet de Lilith aussi…

Et bien que je ne comprenne toujours pas pourquoi on l’appelait la Grande Conjurée dans les faits : après tout, elle n’a jamais réellement fait partie du système (à l’instar d’un Catilina à qui on faisait référence en la mentionnant ainsi et qui était encore censé siéger au sénat romain, durant l'Antiquité, avant de se faire lourder par lui suite à son complot, si je ne me trompe pas). Elle, n’a concrètement jamais eu une quelconque place dans le tout récent gouvernement des fédérations sectorielles (à l’échelle mondiale)! Encore aujourd’hui, j’estime cette appellation trompeuse (en plus d’être extrêmement dangereuse).

Mais dans l’esprit de beaucoup, étant l’une des premières à avoir pacifié entièrement un secteur (les premiers étant les membres de la citée 42 : mais ils sont pratiquement toujours parvenu à contourner la crise, de ce que j’en sais), Lilith, donc, (toujours elle), a pu passer pour l’initiatrice de ce qui allait devenir les corporations des secteurs autonomes (à laquelle elle n’aurait pourtant jamais pu adhérer).

Il paraît qu’on a entendu parler d’elle pour la première fois dans le courant des Guerres Institutionnelles du Sector Primus, dans notre effort pour fonder le tout premier appareil étatique de cette aube nouvelle (et qui vit la naissance des Corporations peu après, comme je le disais plus haut). L’histoire raconte que son existence a été révélée par un homme de l’influent Khor (ce dernier demeurant l’un des plus puissants seigneurs de guerre du Sector Primus et le rival direct de l’Alliance des Sept Brigades : le corps militaire qui rendit possible la future fédération mondiale à l’époque, par une victoire décisive contre les armées de Khor)…

Gretchencko n’était autre que l’un des généraux de ces sept brigades originelles.

Paraît qu’elle (Lilith, donc) était quelque chose comme une cousine germaine du puissant chef de clan défiant les Sept Brigades, lequel aurait apparemment migré vers notre belle citée (en quête de fortune) à un moment ou un autre (mais fatalement avant l’avènement de Lilith en l’occurrence). Le genre d’information franchement dénuée de tout intérêt en soi (vu qu’en plus, elle créchait dans le Treizième Secteur : à perpète-les-oies de notre belle et accueillante bourgade). C’était sans doute même rien de moins que de l’intox si ça va comme ça (même si, connaissant Lilith, rien n’est moins sûr). En fait, on n’en avait tellement rien à secouer que c’est elle qui a fini par contacter les hommes des sept brigades, lesquels tentaient déjà tant bien que mal de réinstaurer l’ensemble des liaisons rompues (pour la plupart), depuis plus de cent ans, entre les diverses citées-dômes restantes sur cette foutue planète (après le passage de la Grande Faucheuse en tout cas).

Et pour ceux qui demanderaient : si nous avons échappé à l’extinction pure et simple à l’époque, c’est donc en partie grâce à une mesure qui datait de la Seconde Guerre Froide et qui déboucha sur la création des dites Citées-Dômes (bien avant la date fatidique de 2166 qui marque historiquement celle de la chute elle-même du météore). Mesure qui prévoyait (en outre), de maintenir une population minimale dans certaines de ces vastes structures enterrées. En soi, elles ne furent construites à l’origine qu’en prévision de guerres nucléaires (qui n’eurent toutefois jamais lieu).

Mais lorsque la possibilité ultérieure de la version de la fin du monde qui nous occupe, fut finalement  admise, avec la détection de ce gigantesque météore en provenance d’un tout autre système (raison pour laquelle nos meilleures simulations ne purent prévoir la catastrophe avant d’avoir une chance de l’éviter), toute la technologie du monde ne put concrètement sauver nos miches à tous. Dans le chaos qui suivit l’annonce de la chute de la Faucheuse, les états qui s’étaient actuellement dotés de ces sanctuaires automatisés (en parallèle à la course à l’armement durant la Seconde Guerre Froide) se firent fort de les réhabiliter à la hâte. Ces structures pourtant déjà majoritairement oubliées à l’époque (et bien que toujours entretenues par des armées de bots de maintenance aux fonctions diverses) furent bientôt remplies d’un maximum de réfugiés triés sur le volet. 

On retiendra seulement que la société idyllique d’avant 2166, qui avait malgré tout su éclore de cette prime crise mondiale (ayant pourtant eu lieu bien longtemps avant les faits qui nous intéressent  et qui ne faisait jamais que précéder le dit cataclysme), se reposait encore trop sur l’automatisation de toute forme de main d’œuvre. Aussi, quand nous nous sommes finalement mangés le courroux divin dans la face, contre toute attente (même s’il y en a qui disent que c’était couru d’avance), nous avons mis pas mal de temps à nous refaire : au moins cent et quelques années donc (comme précisé plus haut), soit à peu près la durée de l’hiver artificiel créé par les épais nuages de poussières soulevés par la Faucheuse, dans l’atmosphère. Mais je digresse (déjà).

Pour le reste (et pour en revenir à Lilith), faut croire que la dame était en froid avec « son cousin ». Selon ses propres termes, elle était toute disposée à fournir une aide substantielle (quelle que soit sa nature) dans nos efforts pour amener notre jeune démocratie à voir le jour

Je ne sais pas vraiment, pour ma part, ce qu’à bien pu faire ce couillon pour qu’elle l’ait pris en grippe de la sorte, mais d’un autre côté, je crois aussi qu’elle avait des envies de grandeurs et que notre secteur aurait été pas mal sur son tableau de chasse (après celui qu’elle venait de s’offrir, puisqu’elle avait déjà la main mise sur l’entièreté du Saint Treize). Khor n’était simplement pas suffisamment armé pour l’aider efficacement dans sa tâche. Notre contingent si. Et je pense que d’une certaine manière, elle savait qu’elle nous trouverait sur sa route tôt ou tard : il valait mieux jouer la sécurité et prendre les devants. « Gardes tes amis proches, mais tes ennemis plus proches encore » : je crois que c’est quelque chose du genre qu’on dit dans ce genre de circonstance…

Mais l’histoire dira qu’elle ne s’y est pas prise assez tôt malgré tout. Elle a cru qu’il suffirait de nous graisser la patte, de nous caresser dans le sens du poil pendant qu’on se taperait tout le sale boulot. Le pire c’est que je me demande si ce n’est pas en train de marcher (bien qu’elle ne soit plus là pour le voir).

Mais quelle ne fut pas notre surprise quand nous nous sommes aperçus que, de tous les secteurs avec lesquels nous avions réussi à reprendre contact, nous étions pratiquement les seuls à ne pas la connaître. (Mais ils ne la connaissaient pas vraiment : ils n’auraient pas pu la connaître).

Elle se permettait même le luxe de faire du pied au Vatican : la très Sainte « Citée 42 » (mentionnée plus haut). Il faut dire qu’à la belle époque, elle avait une aura « d’élue » (façon Jeanne d’Arc : le côté pucelle en moins).

Je me souviens particulièrement d’une interview ou elle prétendait, experts à l’appui (et les nôtres qui plus est, pas les siens), pouvoir donner naissance sans avoir à « forniquer » (c’étaient ses paroles à elle). Elle savait particulièrement bien jouer sur les mots pour susciter l’attention d’un maximum de gens : c’était sa force. Surtout que les cons de chrétiens (ascendants puritains) dans mon genre ont tout de suite pensé avec enthousiasme à une forme d’immaculée conception (ou une connerie du genre).

J’avoue avoir éprouvé une certaine déception quand on m’a appris qu’il s’agissait juste de conception in vitro. Paraît même qu’on avait ce genre de technologie en stock (chose que j’ignorais totalement) : la médecine a mis un certain temps à se refaire (à l’instar de la physique nucléaire qui se portait plutôt bien à l’époque). Je dois dire que c’est à la suite de cette anecdote débile que j’ai personnellement pris conscience du danger qu’elle représentait réellement.

Le dôme 42 (la cité pontificale donc) n’a pourtant jamais vraiment été dupe (contrairement à ce que je me serais imaginé)…

Bon, après, c’est sûr que son nom faisait clairement tache pour une sainte.

Mais ce qui fait vraiment peur, c’est qu’absolument personne n’a réussi à la confronter au public pour lever ce genre de quiproquo idiot (responsable de la chute de nombreux imbécile, moi hormis toutefois). L’appareil de propagande était déjà bien huilé…

C’était peu avant l’affaire du Bastion BlackJack qui vit la chute définitive de Khor dans une escarmouche stupide et dénuée du moindre intérêt stratégique autre que l’assassinat de l’un de nos plus illustres généraux, à savoir, Gretchencko en personne. Mais le commandant de la première brigade lui-même estimait qu’il était facilement remplaçable (et fut d’ailleurs promptement remplacé par la suite). Et pendant que feu le commandeur Victor Gretchencko, blessé à la cuisse droite, jouait les appâts involontaires dans le vingt-et-unième bunker du premier district (dans le cœur même du Sector Primus), nos envoyés diplomatiques faisaient déjà des vas et viens entre les deux mégapoles en jachères.

Ils revenaient toujours subjugués par ce qu’ils avaient pu voir (ça aurait du nous mettre la puce à l’oreille) et toujours avec les mêmes récits élogieux. Paix, amour « vrai » (ça m’a bien fait rire quand j’ai su de quoi il retournait réellement) et justice (du moins pour ce qu’ils pouvaient en voir)…

Ils ne mentaient pas. Je crois qu’ils n’ont jamais menti (ils ont toujours agit de bonne foi en tous les cas). Ils le disaient d’ailleurs eux-mêmes : le mensonge était foncièrement interdit dans l’enceinte du treizième secteur (à quelques exceptions près toutefois : pour raison d’état notamment et seul les proches de Lilith étaient en droit de l’invoquer bien qu’il ait été établi de source sûre qu’ils ne l’aient jamais fait). Cette société toute entière était construite autour d’un appareil d’état puissant et en grande partie dédié à la vérification des données circulant en son sein, de telle manière qu’aucun de ses citoyens n’aie réellement pu avancer ne serait-ce qu’un pieux mensonge sans en subir les conséquences : avec parfois même la peine de mort à la clef pour certains (selon la gravité de « l’infraction »).

Même des choses aussi banales et inoffensives d'apparence que les fictions populaires, y étaient purement et simplement interdites. Et quand bien même une info référencée n’était pas directement vérifiable, la censure était systématique, sinon.

D’ordinaire, la propagande va de pair avec le mensonge mais on s’est vite rendu compte avec l’affaire Lilith que ce n’est pas toujours le cas. La désinformation marche mieux en général, mais cette doctrine fut poussée ici à son paroxysme. On croit communément qu’un mensonge n’est simplement qu’une vérité fausse dite à la place d’une autre alors qu’en fait, certains parviennent à trouver un moyen de ne rien dire, laissant le silence (vérité par excellence mais faussée dans ce cas précis) masquer une forme de duplicité (se jouant habilement de la stupidité humaine pour que rien de suspect ne soit jamais évoqué : pas vu, pas pris). D’autant qu’un mensonge tient bien mieux s’il s’articule sur un maximum de vérités.

C’est entre autre ce qui nous a trompés : la plus part d’entre nous avaient perdu la notion même de culture, noyée dans le centenaire de marasme qui a englouti pratiquement toute forme de savoir historique latent qui aurait pu nous aider dans ce genre de cas de figure (après la perte concrète de la grande majorité de nos banques de données numériques). Pour autant, je ne suis que trop au fait de ce que les érudits de n’importe quelle époque auront beau étudier l’histoire en long, en large et en travers (dans l’optique d’éviter ce genre de conflits inutiles), cela ne permettra jamais d’éviter de réitérer ce genre d’inepties purement humaines (même quand elles sont aussi prévisibles)…

Par ailleurs, qui pouvait bien se soucier de l’Histoire à une époque où la survie était la seule priorité. Personne ne se faisait vraiment de mouron pour les archives en question, lesquelles avaient simplement disparu en même temps que les trois quart de la population mondiale : des suites du cataclysme de la Faucheuse, donc (car trop souvent numérisées). Gretchencko demeurant l’un des rares qui avait encore le bagage qu’il fallait pour comprendre (vas savoir comment). En fin de compte, le seul à avoir réussi à apporter le « mensonge » au sein du Treizième Secteur (dans une forme peut-être plus noble), fût «l’unique » espion  avec lequel nous avion réussi, par la suite, à infiltrer les rangs de Lilith : son nom était Furius (anagramme de Rufius) D. Domakhol…

Et il y mourut d’ailleurs peu de temps après (mais d’une certaine manière, il a eu la mort qu’il souhaitait, je présume). Peu sont ceux qui l’ont réellement connu. Peu sont ceux qui se souviendront de son nom (puisqu’en fin de compte il n’était jamais qu’un simple exécutant). J’espère que Dieu aura eu pitié de son âme où qu’il soit (ainsi que de la nôtre par la même occasion)…

Que ce soit clair, je vais paraître vieux jeu mais je ne crois pas une seule seconde au mensonge (même nécessaire) : il est en général trop néfaste pour qu’on s’octroie le droit de l’employer…

Mais j’ai fini par apprendre (en voyant le travail de Furius) qu’il y avait pourtant de rares exceptions à cette généralité qui justifient un mensonge (même conséquent). Mais il doit nécessairement y avoir de strictes conditions à son emploi (et Domakhol n’a eu d’autre choix que de souscrire à celles-ci bon gré, mal gré). Il faut d’abord que ce type de mensonge soit absolument nécessaire : quand la vérité seule ne suffit pas à démêler ce genre d’imbroglio. Mais aussi que l’on paye spontanément le prix pour cet écart (qui doit être volontaire) : et il ne nous appartient pas de fixer le montant de cette dette envers l’humanité. Il doit également être nécessairement une riposte à un autre type de mensonge (ou comme ici, une forme de duperie à plus grande échelle) et que la lumière soit finalement faite sur les deux mensonges dès que cela soit possible, ou en tout cas dans les plus brefs délais après la résolution du problème qui aura nécessité de pareilles mesures : de la même manière que l’affaire autours de la cabale de Lilith (qui m’impliquait au moins autant que Furius, même si nous n’étions au mieux, que de simples soldats à la solde du Sector Primus) a été publiquement révélée dans son entièreté dans la presse mondiale (par nos autorités elles-mêmes, sous l’impulsion du Commandeur Gretchencko). C’était peu après le résultat du fiasco qui déboucha sur la destruction du Treizième Secteur (quand bien même Gretchencko savait pertinemment que la divulgation de l’affaire en elle-même allait fatalement être source de conflits ultérieurs qui auraient tôt ou tard raison de sa propre tête).

Le choix était entièrement sien en l’occurrence, mais il s’imposait déjà comme une évidence à ses yeux durant une période pourtant charnière pour l’essor de notre société à peine bourgeonnante (bien que sur les cendres du vieux monde), ne serait-ce que par respect pour ceux qui ont sacrifié leur vie dans cette entreprise…

A l’époque, ils auraient tout aussi bien pu prétendre qu’il s’agissait juste d’un Inside Job impliquant uniquement des citoyens issus du Secteur Treize (ce qui était pourtant en partie le cas) et il ne fait aucun doute que les pontes de la même armée, aujourd’hui, ne se seraient pas gêner pour nous vendre une demi vérité de ce genre dans les mêmes circonstances : parce que c’est bêtement plus simple, parce qu’en apparence, ça ne mange pas de pain. Mais Gretchencko avait déjà mille fois plus de dignité que la plupart des généraux actuels de ce qui reste de l’alliance des Sept Brigades originelles (ce qui l’a perdu au final). Un mensonge qui traîne en longueur ne peut être qu’un mensonge d’intérêt.

Et le hic dans ce cas, c’est qu’il faut souvent en rajouter des tonnes pour protéger un simple secret, ce qui oblige finalement un vrai menteur impénitent à combattre sur trop de fronts à la fois pour un profit qui n’est jamais que relativement immédiat à la base (quand ce n’est pas un état corrompu qui cherche à enterrer purement et simplement ce genre d’affaires, comme cela se fait encore trop souvent aujourd’hui). Le problème des gens de Lilith résidait malgré tout précisément en cela.

Pour autant, ils se contentaient, eux, (pour ne pas avoir à « mentir » : pensant que ce simple fait était forcément synonyme de vérité absolue), de mettre la vérité en strates de sorte qu’il était impossible de connaître la réalité sur le treizième secteur sans accepter de passer par chacune des couches de cette sorte de toile d’araignée gigantesque (et même si cette vérité ne valait pourtant pas mieux qu’un mensonge)…

Mais dans ce cas, qui disait acceptation, disait compromission.

Même si Lilith avait une vision erronée de la « vérité » (qui ne souffrait par ailleurs aucune autre théorie qui aurait pu lui être contraire), elle a toujours réussi par ce biais à imposer la sienne à force de temps. Rien de neuf sous le soleil donc : cela a toujours été la manière la plus commune d’agir dans les régimes dictatoriaux, mais en ce qui concerne le treizième secteur, le concept a été repoussé bien au-delà de ce que l’on pensait imaginable (notamment comme je l’ai dit, parce que personne n’a jamais concrètement pu y instiller le moindre mensonge avant Furius).

Il ne me faut pourtant pas réfléchir bien longtemps pour me dire que le monde n’était pas si différent de l’enfer de Lilith durant ma jeunesse (même si ma femme et moi avons échappé à ses affres un temps). Il y avait des choses qu’on ne disait pas et d’autres qu’on affichait clairement. Tout ce qui était réprouvé par la loi était souvent puni de manière bien pire (prétendument pour montrer l’exemple). En somme, on laissait libre cours aux pulsions les plus noires de l’humanité sous le couvert de lois hypocrites (souvent dictées par des religions aux concepts dénaturés par les hommes au fil des siècles). Les sanctions étaient par ailleurs bien trop inégales selon le rang qu’on occupait (mais ça, ça m’arrangeait plutôt en fait, alors on ne va pas trop se plaindre non plus). Et, seul, on ne peut souvent que constater son impuissance face à ce genre de système. Ce n’est pourtant pas ça qui a tué ma femme puisque comme je l’ai dit, nous jouissions de nombreux privilèges (qui nous ont prémuni au moins pendant un certain temps).

Autant vous le dire tout de suite : quand j’ai moi-même eu vent de l’ensemble de l’affaire concernant le Treize, ça m’a simplement laissé de marbre. Je crois que c’est juste dans la nature humaine (exactement comme les rats en milieu confiné) de s’agresser les uns les autres pour des questions de bouffes et de baise (les besoins de base quoi). On objectera peut-être que je suis un brin blasé…

(Et on aura franchement raison).

Dans les niveaux les plus bas de la hiérarchie sociale du treizième secteur, tout semblait idyllique. Il y en avait pour tous les goûts en quelque sorte (pour autant que l’ont se situe dans les limites de la morale). Mais je ne vais pas vous faire un dessin. Les techniques employées sont vieilles de plus de deux mille ans et ont fait leurs preuves (même si la mise en œuvre à grande échelle peut faire peur).

Tout est basé sur le degré d’ignorance. Ca commence par des fêtes relativement innocentes et petit à petit, à force de cette forme naïve de duplicité et de manipulation diverses (alcool, drogues, chantage et j’en passe : les enfants était un moyen de pression infaillible paraît il), ça finit par des orgies d’esclavagistes. Et encore je mâche mes mots parce que ce traitement en douceur n’était réservé qu’aux étrangers qui avait le malheur de vouloir s’installer, pensant naïvement échapper à une vie de souffrance à une époque où l’affliction était partout (ou parce qu’un abruti les avaient renseignés sur la cité sans y avoir forcément jamais mis les pieds).

Les immigrés n’étaient pas nombreux à l’époque : il y aurait eu des fuites sinon. Leur accès était par conséquent limité, mais strictement définitif quoique l’on fasse (à l’exception des diplomates que l’on prenait un soin particulier à maintenir dans l’ignorance). Le sort dévolu aux natifs du treizième secteur était, lui, bien pire. Disons pour faire simple que l’on sautait pas mal d’étapes avec eux (quoique je me demande parfois tout compte fait si cette forme d’habitude à la souffrance n’est pas plutôt enviable que la destruction soudaine et irrémédiable de toute espérance). C’est une des raisons qui explique le mieux leur violente xénophobie (quand ils avaient autorité pour la manifester).

Et pour faciliter le contrôle, le cœur de la citée, les trois tours piliers qui soutiennent le dôme (semblables à celles du premier secteur) étaient en grande partie dédiées à la natalité (en plus d’être les quartiers principaux de l’état, et donc de Lilith). La crèche, située dans les étages inférieurs et les sous-sols des trois tours, était le centre névralgique de toute la structure du pouvoir de la Grande Conjurée. On y pratiquait la torture, les exécutions (pour bien montrer aux enfants ce qui les attendaient en cas de désobéissance) ainsi que l’eugénisme (accouplement sélectifs : un peu comme les chiens quoi) dans le but d’obtenir une race supérieure (une idée fixe dont la plupart des despotes de toutes les époques ont toujours été friands). On se servait de ces trois gratte-ciels pour l’endoctrinement des générations futures bien sûr, mais aussi comme moyen de pression sur tout parent puisque chaque victime de cette satanée citée devait y séjourner jusqu’à ses treize ans (âge légal de la maturité sexuelle).

Il faut savoir que les étrangers ayant déjà une progéniture n’étaient autorisés à s’installer dans la ville que si la famille venait dans son entièreté (preuve à l’appui) : il ne fallait pas qu’un proche parent puisse signaler une quelconque disparition en dehors (suite à une rupture brutale de contact par exemple). La machine se voulait infaillible : le contrôle devait être total, simple et sans le moindre risque pour ceux qui l’exerçaient. Et lorsque le premier enfant était enlevé dans l’enceinte, il était évidemment trop tard. Il est d’ailleurs arrivé à des parents de devoir convaincre (sous la contrainte évidemment) des amis extérieurs un peu trop prévenant (et qui risquaient donc de se rendre compte de quelque chose à la longue ou simplement de donner un signalement) de leur rendre visite : les autorités payaient même le déplacement en guise de courtoisie (mais un allé simple uniquement).

Le jeu était cruel : seuls ceux qui étaient prêts à abandonner un enfant, une femme, un mari à une fin bien pis que la mort pouvaient espérer s’enfuir de cet enfer, mais c’étaient aussi ceux-là qui étaient les plus dignes de rester. On le sait grâce à Domakhol mais « personne » n’a voulu le croire…

Jusqu’à ce qu’il rapporte des documents vidéos (qui servaient tant de moyens de pression que d’outils de promotion social en temps normal) : on en a retrouvé pas mal d’autres dans les décombres de la cité après son annihilation et les rescapés - essentiellement des enfants en dessous de treize ans -ont « tous » confirmé ce que nous avions toujours autant de mal à admettre.

Il faut comprendre que le moindre individu de cette citée finissait obligatoirement lié à ses concitoyens par la honte et la souffrance. Mais ce n’était pas suffisant pour expliquer le silence des autochtones. La peur de la mort se dilue forcément dans la récurrence des souffrances. A ce stade, beaucoup des résidents de cette ville maudite se seraient battus à mort ou auraient accepté le pire des châtiments dans le seul espoir que cela cesse. Mais dans cette mégapole, il existait essentiellement deux castes : les dominants et les dominés. Ceux qui s’extirpaient de leur statut de victimes en rendant coup pour coup (ce qui les conduisaient à aimer dispenser la souffrance sans quoi le désespoir les faisaient rechuter dans l’autre catégorie) et ceux qui ne parvenaient à lui échapper que dans la mort. Les maîtres tiraient tous les profits de la situation et n’auraient jamais permis qu’un seul de leurs souffre-douleurs vende leur citée. Les tortionnaires étaient d’ailleurs en majorité.

Même si l’on a pu croire que le treizième secteur fût une oligarchie, nous savons à présent que le moindre habitant (pour autant qu’il appartint à la première caste et ce, bien que celle-ci aie une hiérarchie complexe) avait la possibilité de pouvoir parler à Lilith (même si l’entrevue devait être programmée longtemps à l’avance et que c’était souvent aux risques et périls du dit sujet). L’entretien qui se déroulait rarement en tête à tête (jamais sans d’importantes mesures de sécurité en tout cas) pouvait faire évoluer un citoyen dans les deux sens de l’échelle sociale. Il est même fréquemment arrivé que la dame Lilith s’offre en personne à de parfaits inconnus. Mais jamais seuls à seuls forcément : comme tous les tyrans, elle ne faisait absolument confiance à personne.

Nota bene : On s’en fout un peu mais elle ne se fiait pas plus aux humains qu’aux machines du reste : elle n’était pas particulièrement à l’aise avec la technologie qu’elle trouvait en grande partie contre nature (même si bizarrement elle donnait aussi volontiers dans les manipulations génétiques de temps à autre, par le biais de certains de ses sbires les plus discrets).                                                                     

Mais pour en revenir à eux, la raison du surnombre des oppresseurs était simple. Un individu qui refusait de se conformer à la norme (c'est-à-dire, entretenir le régime en place : survivre coûte que coûte) finissait inévitablement par être détruit mentalement (cela montrait l’exemple en quelque sorte) avant de se faire détruire physiquement (pour parachever la démonstration).

Dans le treizième secteur, s’il y avait deux catégories d’individus, il n’y avait jamais qu’une seule profession (ou la mort par défaut). Et ce bien qu’il comptât néanmoins des gardes spéciaux habilités à des tâches annexes (lesquelles auraient vaguement pu s’apparenter à une sorte de travail mais jamais que secondaire).

Oui, je sais : ça peut paraître bizarre (pour les outsiders notamment : moi-même, j’ai tiqué quand on me l’a expliqué la première fois). Si l’on prend le simple exemple des Spartiates, le besoin d’hilotes était essentiel pour leur survie puisque les guerriers ne travaillaient absolument pas (ce qui les obligeaient à lutter sans cesse pour assurer le contrôle des esclaves et les empêchaient de s’étendre contrairement à d’autres citées grecques). Mais il faut comprendre qu’il y a très peu de professions légales quel que soit le secteur (puisqu’ils étaient entièrement automatisés à l’origine pour la satisfaction  de tout besoin primaire et même davantage).

Toutefois, ceux qui croyaient trouver le paradis en entrant dans ce genre de structure se fourvoyaient lourdement. A une époque, les accès aux rares fermes automatiques encore en états étaient le théâtre de combats violents (que ce soit pour le besoin direct de nourriture ou pour asseoir sa suprématie sur un domaine). Pour le reste, si la domination était une règle obligatoire de survie, la loyauté était largement récompensée (esclaves, prestige et j’en passe)…

Mais quel que fût sa caste, personne de ceux qui ont su l’entière vérité sur le treizième n’a pu en témoigner sans en mourir tôt ou tard (on peut dire que c’était peut-être le dernier niveau de la vérité de Lilith à laquelle elle a fini par accéder bien après la plupart de ses concitoyens). Même Furius a fini par y succomber…

(Paix à son âme).

On n’a jamais pu que rassembler à la longue les bribes de témoignages comme l’ensemble des pièces d’un horrible puzzle. Et cette vérité prend racine dans l’enfance torturée de Lilith.

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