02. Incubo.

Notes de l’auteur : Les deux chapitres qui viennent sont particulièrement sombres. Ils contiennent des sujets sensibles (touchant notamment au viol, à l'inceste et à la pédophilie) : vous êtes prévenus!

Ce que nous savons de Lilith, c’est essentiellement elle-même qui nous l’a raconté au travers des enseignements qu’elle dispensait à ses concitoyens : dans l’effort d’endoctrinement des jeunes notamment. Les témoignages des rescapés du secteur treize après sa destruction ont été précieux (bien qu’ils ne fussent pas la seule source)…

Elle précisait souvent que tout ce qu’elle faisait subir à ses concitoyens, elle l’avait déjà enduré elle-même.

La vie est un enfer pour certains…

Et ne survit à l’enfer qu’un vrai démon (ou tout être prêt à le devenir)…

Je tiens pourtant à préciser ici qu’aux cours des âges, la plupart des personnes qui ont enduré le genre d’abus que je vais décrire ne font pas subir le mal qu’elles ont elles-mêmes souffert. Mais Lilith, ainsi que l’ensemble de ses sujets (pour ceux qui voulaient perdurer en tout les cas) ont toujours fait exception quelle que soit la règle que l’Homme ait déduite du malheur de ses pairs. Par le biais d’un concept qui ne laissait aucune place à l’humanité (et que ses parents avaient expérimenté sur elle).

En somme, on se rend vite compte qu’elle n’a jamais fait qu’essayer d’échapper à son père toute sa vie durant. Le tuer ne servait plus à rien au moment où elle l’a fait : le monde ne s’en est que mieux porté sans doute mais cela n’a fait que renforcer son emprise par le biais du souvenir qui n’a sans doute jamais cessé de la hanter. Même mort, il continuait de la persécuter et pour le faire taire, elle allait chaque jour un peu plus dans son sens sans s’en rendre compte…

Dans le sens de l’incube comme je l’appelle (puisqu’elle n’a jamais elle-même fait mention de son nom) : ce terme dérive du latin (incubus). Mais je lui préfère la traduction italienne, « Incubo », qui désigne tant un simple cauchemar qu’un type de démon satyre mâle…

D’ailleurs, on dit aussi que ce genre d’entité profite du sommeil de ses victimes pour les violenter…

J’en ai déjà vu…

Et j’en ai combattu : surtout un en particulier. Et faites bien attention vous qui osez vous approprier mes lignes : si l’enfer est pavé de bonnes intentions, je fais peut-être une grave erreur en déposant cette part de ma mémoire…

(Une malédiction ne comptant jamais qu’une séquence de mots mauvais étymologiquement parlant mais qui se développent à la manière d’une blessure qui suppure : si les mots sont des maux). Mais un vaccin est fait de son virus après tout (bien que neutralisé au préalable et en espérant qu’il en aille de même pour ces chroniques).

Comme je l’ai déjà dit, j’ai le tort d’écrire pour moi (en omettant volontairement le fait qu’un capricieux hasard pourrait très bien vous amener à me lire)…

Je relate ces faits pour de nombreuses raisons parmi lesquelles le devoir de mémoire (quand ce n’est pas pour exorciser des démons intérieurs)…

Pour ne jamais oublier, pas même les travers d’une soi-disant humanité : c’est peut-être la seule manière de faire si on ne veut pas la voir réitérer (voir innover). Vous allez peut-être lire ici quelque chose qui ressemble à l’enfer sur Terre. Un endroit où l’on doit toutefois abandonner tout espoir en y entrant (si l’on veut subsister). Une limite humaine qu’il ne faut pas atteindre en tout les cas : même si j’estime qu’il y a pire ou qu’il y a malheureusement toujours moyens de dépasser une limite (ce qu’a d’ailleurs fait Lilith).

Je prie cependant pour que le dépassement s’opère dans le bon sens : vers le bien. Et j’espère à ce propos pouvoir écrire un jour le meilleur…

Mais plus le temps passe, plus j’en doute. (Quoique j’oublie que j’ai déjà abondamment parlé de ma femme dans de précédentes chroniques)…

Pour le reste…

La légende veut que tout ait commencé dans un coin paumé dans le trou du cul de la plaque superficielle du treizième secteur…

Et il faut savoir à ce sujet, qu’à l’époque précédant l’avènement de Lilith, le Treize était l’un des secteurs qui s’en sortait encore le mieux : car il demeurait l'un de ceux qui avaient été le moins impactés par 2166 et la destruction partielle des infrastructures automatiques censées réapprovisionner continuellement tout secteur en main d'œuvre robotisée (qu'elle soit de production ou de maintenance). Bien qu'également sujets aux éternelles guerres territoriales qu'on pouvait voir partout ailleurs (rien que pour les besoins existentielles d'approvisionnement en nourriture notamment), nous pensons aujourd’hui que ce secteur en particulier aurait peut-être même pu être le véritable initiateur des réformes institutionnelles qui ont lié toutes les citées-dômes par la suite. Chose qui aurait potentiellement pu arriver avec le minimum de heurts possible (en comparaison à n'importe quel autre secteur à l'époque en tout cas).

Mais il y restait des zones d’ombres (même s’il y en avait moins qu’ailleurs et qu’elles étaient encore insignifiantes).

Le père de Lilith l’a appelée ainsi pour insulter sa mère (qui était fortement croyante : c’est comme ça qu’ils se sont connus) mais aussi parce qu’il se disait damné…

Et plutôt que de trouver un moyen efficace de lutter contre l’apparente immuabilité d’un destin funeste, il a préféré (par paresse, par orgueil et par luxure bien sûr) invoquer la génitrice de toutes les succubes (et la première femme d’Adam) dans l’espoir (entre autre) de s’offrir un soutien de poids au-delà du trépas. Il paraît que les grands-parents de Lilith étaient des gens biens (c’est son père qui le lui a dit : donc, rien n’est moins sûr)…

Stricts mais honnêtes. Et je crains que le problème ne vint effectivement que de leur progéniture mâle (qui a rapidement pourri toute la communauté).

A la mort des aïeuls (dans des circonstances troubles), le père de Lilith a « hérité » d’une ferme d’élevage automatisée (d’animaux de relativement petite taille toutefois même s’il y avait bien quelques chèvres et boucs pour leur lait malgré tout) couplée à des récoltes en parties hydroponiques qui fournissaient les besoins en légumes notamment. Et je le dis parce que ça a sa petite importance : la production de viande n’était pas issue d’une culture d’organes directement clonés (comme c’est devenu le standard par la suite chez nous pour limiter toute forme de cruauté animale). Pas de steaks imprimés en somme (ce qui aurait largement facilité la vie de la petite Lilith niveau mastication et même digestion). Il s’agissait d’élevage de bestiaux pleinement formés qu’il fallait abattre à la seule fin de consommation. Une bête ferme quoi. Elle se situait dans la périphérie et il la défendait violemment, avec son clan, contre les étrangers qui osaient s’en approcher. Il n’a donc jamais eu, lui, de problèmes pour trouver de la nourriture.

Mais il lui arrivait de s’engouffrer seul ou en groupe restreint, dans la ville : il fallait aussi penser à la défense de leur territoire derrière. Il parlait avec emphase de son paternel qui était pasteur d’une antique secte chrétienne. Aussi se disait-il investi de la mission de perpétuer la tradition en prêchant la bonne parole.

En fait, il était prêt à tous les mensonges pour pouvoir s’approcher assez près de ses victimes. Il lui arrivait de temps à autres de se faire passer pour un missionnaire jésuite : il aurait trouvé la soutane sur un cadavre (le sang séché ne se voit probablement pas sur le noir malheureusement). Il avait un éventail énorme de ruses pour obtenir gîte et couvert le temps d’une nuit : il ne lui en fallait pas plus. Et le soir venu, profitant du sommeil des conjoints trop généreux, il égorgeait le mari et prenait sa femme.

Cela s’est passé à peu près de la sorte pour la mère de Lilith à la différence qu’il ne l’a pas tuée ensuite. Chose assez rare, il a décidé de la ramener dans son camp : je suppose qu’il ne l’aimait vraiment pas en fin de compte. Ils n’ont eu qu’une fille ensemble. Et s’ils n’ont eu qu’un seul enfant c’est sans doute parce que Lilith a rapidement été forcée de remplacer sa mère.

Il paraît que celle-ci ne levait pas le petit doigt quand elle pleurait devant elle sous le poids de son père. De manière cynique, je me dis que c’était peut-être même les rares moments de quiétude que cette femme pouvait espérer (enfin, quand un membre de cette camarilla ne la sollicitait pas déjà). Ce n’était pas son enfant, pas celui de son défunt époux : c’était celui de ce monstre. Alors s’il voulait torturer la chair de sa chair, selon elle, c’était bien son affaire après tout. Mais de toute façon, il ne leur aurait jamais permis de se lier d’une manière ou d’une autre. (Lilith n’a d’ailleurs jamais pu ou su faire mention de la personne qui avait nécessairement du lui donner le sein durant ses premières années d’existence).

La petite était considérée comme un animal : un objet. Elle n’avait pas le droit de faire ne serait-ce qu’un feu et ce, jusqu’à ses treize ans. Elle mangeait ses aliments crus jusque-là. A dire vrai, on lui interdisait d’aller en cuisine de peur qu’elle ne mette sa tête dans le four : le suicide est péché pour tout chrétien mais ce n’était pas la vraie raison (quand, après tout, elle aurait pu aussi se laisser mourir de faim). Ils avaient surtout peur qu’elle ne mette la main sur une lame (et de tous les usages qu’elle pouvait en faire avant de penser à se faire du mal à elle-même).

(Elle n’a pas eu besoin d’un couteau pour tuer son père, ni de force d’ailleurs).

Elle n’avait donc pas même le luxe de pouvoir utiliser le moindre ustensile tranchant sur la viande avant de la manger (Gretchencko était un vrai enfant de chœur à côté si son histoire de régime à base de cafard est vraie). Mais au bout de sept ans de ce traitement, elle s’est arrêtée de pleurer.

D’abords, parce qu’elle a compris que ça ne servait franchement à rien : personne ne s’apitoierait sur son sort ici-bas…

Ensuite, parce que dans la solitude d’une misère profonde qui était devenue « normale », elle préférait se focaliser sur les moindres miettes de vie qu’elle pourrait trouver par terre.

Je suppose que ce comportement ne devait pas être de nature à rassurer son pater. Mais à ce stade, il avait encore le choix de la tuer si elle devenait dangereuse (ce qui était loin d’être le cas). C’est, selon ses propres dires à cette époque qu’elle a compris la part prétendument positive de ce qu’il y avait à comprendre d’une relation sexuelle (oui, je suis parfois - pas toujours - pudibond en la matière : on ne parlait pas de la chose à mon époque, on se contentait de la faire).

C’est pourtant cette part-là qui fait faire un tas de conneries à un tas de gens…

Et la concernant, je ne saurais toujours pas dire si c’est regrettable ou non. J’ai tendance à dire que si bien sûr (à cet âge-là tout du moins : elle n’était même pas pubère).

Ce n’était pas avec son père : elle disait qu’elle n’aurait jamais pu avoir cette révélation avec lui (mais rien n’est moins sûr puisqu’elle s’est livrée à lui dans ce dessein par la suite). C’était avec un de ses cousins en l’occurrence qui était suffisamment ivre pour ne s’apercevoir de rien…

Elle s’est bien gardée de le dire du reste (sachant pertinemment ce qui l’attendait si elle se vantait jamais de trouver quelque forme de réconfort dans son traitement).

Cela était sans doute inévitable du reste : il ne pouvait en être autrement à la longue. Pour peu que l’un d’eux fût plus long à venir que les autres (et suffisamment bourré pour que le fait de ne pas parvenir à la tabasser correctement ait pu passer pour de la tendresse), la récurrence de la chose aurait imposé mécaniquement une réaction « tôt ou tard ». Si ce n’avait pas été avec lui, cela aurait été avec un autre de ses proches. C’est obscène, mais bizarrement naturel toutefois (si on peut qualifier ce genre de relation de naturelle).

En fait, je crois que le déni de Lilith et la peur de son propre plaisir était précisément l’attitude que son père voulait qu’elle adopte (même s’il lui a quand même fait payer par la suite). La plupart des pervers narcissiques (du moins, ceux qui vont jusqu’au viol) recherchent bien quelque chose dans le genre…

Quand ils le peuvent - quand ils ne sont pas pressés par le temps : quand ils ont leurs victimes à leur merci ou quand elles ne sont pas activement recherchées par exemple - ils violentent leurs proies jusqu’à ce que la machine biologique réagisse d’elle-même, tout en espérant dispenser-là une forme d’éducation sexuelle pour laquelle, bien sûr, la victime est sensée être reconnaissante (ou au moins dans leur désirs : malheur à celles qui ne le sont pas). Pour qu’elles finissent par quémander leur attention d’elle-même en somme. Ils tentent donc ainsi de se faire aimer par la force, croyant s’arroger petit à petit la conscience d’un individu. Ce n’est pas plus facile, pas plus rapide : ils pensent que c’est plus sûr. C’est le seul moyen qu’ils ont trouvé pour s’adjuger quelque chose qui ressemblerait à de la fidélité (bien qu’elle soit bâtie surtout sur la peur) ou tout ce qui s’en rapproche (comme une forme de loyauté). Mais les tortionnaires de la petite Lilith étaient, en outre, encore ses proches parents : un lien déjà suffisamment fort pour assurer le contrôle quasi total. Quant à son père, il voulait à dessein surtout qu’elle ait peur, qu’elle se cache. Peur de ses pulsions d’abord au moins autant que de lui-même et malgré le fait que ça n’ait pas marché exactement comme il l’avait prévu : raison pour laquelle il s’est efforcé d’enfoncer le clou par la suite.

Pour le reste, éprouver un sentiment (forcé) de plaisir est sans doute déroutant. Honte et culpabilité peuvent redoubler (mais je crois que c’est le plus souvent, l’apanage des seules victimes malheureusement).

Ouais, je sais : je vous saoule avec ma psychologie de bazar…

Si vous voulez tout savoir, j’ai lu ce genre de conneries en grande partie dans un magazine douteux trouvé au hasard de mes primes pérégrinations dans notre beau secteur et qui s’appelle « Psychopathologies Actuelles » (qui datait d’y a plus de deux-cents ans au moins). Mais son contenu m’apparait quelque peu moisi aux jours d’aujourd’hui.

Toutefois, si le père de Lilith, à la manière de la plupart des manipulateurs violents (bien que ceux qui ne le sont pas ne font que rajouter des étapes pour éviter d’avoir à employer la force), essayait, lui aussi de lui inculquer quelque chose de profondément malsain, il croyait voir beaucoup plus loin dans l’avenir. Pour Lilith toutefois, ce genre d’information nouvelle et troublante qu’était la simple jouissance représentait (malheureusement sans doute) une source de réconfort…

Comme une lueur trompeuse au bout d’un tunnel profond et sombre (un simple spot clignotant de temps à autres qui n’est en aucun cas l’issue), une vague caresse pour elle qui n’en avait jamais connue, la seule chose à laquelle elle pouvait à présent s’accrocher de toutes ses forces de manière désespérée. Elle était prête à tout endurer pour autant qu’elle eût la certitude de pouvoir connaître cette sensation à nouveau. Je me dis d’ailleurs qu’elle avait de la chance d’être une femme à ce sujet…

Faut dire ce qui est, si les femmes galèrent toujours autant dans ce monde, on a nettement plus de mal à leur ôter leurs organes de reproduction - sans risquer de les tuer - et la plupart des mecs préféreraient sans doute mourir plutôt que de subir ce genre de truc, parce qu’il ne faut pas grand-chose pour prélever sans trop de difficultés des parties importantes à ce niveau sur un gars random. Et tant qu’on prend quelques précautions d’usage, il n’y a pas d’énormes risques pour la survie du sujet ce faisant. Après, de nos jours, il est vrai qu’on peut malgré tout greffer pratiquement n’importe quel partie du corps ayant été détruite grâce aux banques d’organes (via clonage partiel) notamment. Donc la mesure est nettement moins radicale à l’heure actuelle : faut juste un pognon monstre pour l’opération (ce qui n’est généralement pas à la portée de toutes les « bourses » non plus).

Je suis donc certes un peu de mauvaise foi sur ce coup parce qu’il est vrai qu’à contrario (et c’est triste, mais je crois que c’est vrai), la quasi-totalité des femmes du camp auraient sans doute tout donné pour une hystérectomie totale (avec occlusion partielle du conduit vaginal). Du moment que l’opération fût sous anesthésie bien sûr.

Nota bene : Je le précise parce qu’on sait que ces salopards pratiquaient aussi une forme d’excision (bien que la mesure fût exceptionnelle). Et si Lilith y échappa, c’est précisément parce qu’elle savait trop bien dissimuler son émoi (ou selon moi et de manière plus certaine, parce que la chose arrangeait bien les affaires de son père).

Ne serait alors resté à ces dames que deux orifices à donner en pâture aux hommes dont celui buccale (ce qui me fait doucement rire en fait). Enfin, Lilith, elle, venait de prendre conscience de son corps et s’attachait désormais résolument à tous les attributs de sa féminité (c’est du moins ce qu’elle disait dans nombre de sources dont nous disposons).

Elle savait que ce que lui faisaient endurer ses proches était destiné à l’unique procréation mais ne savait en rien (puisqu’elle n’aurait jamais pu le déceler sur le visage de ses cousines) qu’il était possible d’en tirer un quelconque profit (au moins psychologique). Elle aurait pu se contenter de faire ça dans son coin, toute seule (d’autant qu’elle explique que ses partenaires n’étaient pas franchement doués et que leur manque d’endurance qui tendait jusque à ses sept ans à lui faciliter la vie ne suffisait plus dès lors à satisfaire son manque)…

Mais elle en voulait toujours plus : tout ce qu’elle pouvait glaner en fait…

D’elle-même, des hommes et plus tard, logiquement, des femmes (même si elle n’usait jamais des pratiques de Sapho qu’en désespoir de cause : faute d’hommes en somme, qu’elle considérait comme le summum du jouet sexuel). D’autant qu’elle, qui trimait jusque-là toute seule comme une chienne, avait une occasion de se servir des autres d’une certaine manière et à leur insu : pourquoi se donner du mal quand quelqu’un peut faire tout le travail à votre place ? De toute façon, ce n’était plus quelques coups qui auraient été de nature à la déranger (surtout qu’elle ne voyait plus de raisons de ne pas carrément manifester de la docilité).

Elle savait en outre qu’elle n’était pas encore fertile : aussi s’était-elle mise bêtement en tête d’en profiter. Elle chercha donc par tous les moyens à connaître ce trouble, source de son unique plaisir et seul intérêt à pourvoir dans son univers morbide, aussi souvent que possible. Mais il lui fallait une bonne excuse pour éviter d’éveiller les soupçons si elle s’offrait trop facilement. (C’est précisément là, où voulait en venir son père à mon sens).

Pour ne pas attirer l’attention, elle s’est mise à l’alcool (ce qui ne pouvait paraître suspect étant donné que la plupart de ses proches se tournaient vers lui pour échapper même illusoirement à leur enfer quotidien).

Attention : elle ne voulait pas de l’alcool, elle demandait de l’alcool : elle insistait particulièrement sur ce point dans ses vidéos éducatives et il est vrai qu’il y a une nuance crucial quand on sait qu’elle n’avait déjà pas le droit de mentir. Et comme elle l’avait escompté (chose sur laquelle son père avait du tablé et raison pour laquelle il s’est sans doute bien gardé de la piéger), l’accès à l’eau de vie de plus en plus fréquent (trop ou en tout cas, par rapport à ses compères qui devaient rationner) a rapidement été mis sous condition. Il ne pouvait bien évidemment y avoir qu’un seul type de monnaie dans le camp…

Elle avait choisi de s’offrir de toutes les manières possibles pour en avoir la moindre goutte (ce qui n’était jamais que l’objectif secondaire : mais elle buvait goulûment le contenu de chaque bouteille jusqu’au bout pour faire croire le contraire). Mais quel choix a-t-on à cet âge-là ?

Elle prétendait qu’elle se serait sentie obligée de répondre par la négative si quelqu’un lui avait proposé de l’alcool : mais comme dans cet univers, chacun ne pensait jamais qu’à soi, cela n’est jamais arrivé (d’autant qu’ils n’avaient pas besoin d’excuses pour la prendre, eux : ça les amusaient juste de jouer avec elle). De la même manière, elle se serait forcément grillée en répondant simplement par « oui » si on lui avait demandé la permission pour ses faveurs. Mais forcément, on ne lui demandait pas son avis en la matière non plus.

Un enfant ment souvent (surtout quand c’est dans son intérêt) : c’est normal…

Mais mentir en l’occurrence ne servait pas à grand-chose : la manipulation assurait une forme de contrôle total. Le père de Lilith posait toujours les bonnes questions. Si elle avait menti, il l’aurait su tout de suite. Il pensait savoir mieux qu’elle ce qui se passait dans sa tête d’enfant : ce genre de cons était d’ailleurs capable d’en faire le sujet favori de ses vantardises dès qu’il le pouvait, comme s’il y avait une quelconque gloire pour un adulte à avoir plus d’expérience qu’une gamine : cela ne faisait que mettre en valeur sa stupidité.

Ces tordus ont un besoin irrépressible de prouver qu’ils sont supérieur à quelque chose je présume. Mais même si ce démon essayait de faire pareil avec les autres femmes du camp, cela marchait nettement moins bien : elles étaient mieux rodées et avaient grandi avec lui pour la plupart. Le rapport était encore équitable dans un combat à un contre un. Alors il se servait de la petite en croyant mettre en évidence l’infériorité féminine.

Il est peu probable qu’il ne se soit douté de rien contrairement à ce que pensait sa fille. Mais pour lors, ça ne l’intéressait pas encore d’intervenir…

A moins qu’il ne préféra fermer les yeux par gentillesse (mais ça ne lui ressemblait pas du tout à mon humble avis).

C’est effroyable de voir sur les enregistrements d’endoctrinement  à quel point Lilith pouvait se vanter du bénéfice qu’elle prétendait tirer de sa sincérité : elle croyait vraiment avoir obtenu quelque chose de valeur en échange de son esclavage (même si en l’occurrence elle cherchait surtout à s’adjuger celui de ses pairs dans les dites vidéos)…

Et comble de la tristesse, elle s’est sans doute réjouie quand, abusant de sa naïveté, les hommes avaient fini par soumettre son régime alimentaire aussi à payement. Jusque-là, les dames arrivaient encore vaguement à faire front commun face aux hommes (d’autant qu’elles étaient alors en surnombre). Bien qu’ils disposassent des armes, les femmes adultes parvenaient même à se liguer face à eux. Et même si elles ne pouvaient pas partir (à cause de la nourriture notamment qui était rare au demeurant), elles avaient encore de quoi suivre. Mais le père de Lilith a voulu pousser le jeu plus loin…

Il a donc réduit le nombre de lionnes petit à petit et en secret, les amenant à l’écart une par une sous des prétextes bidons et les massacrant vraisemblablement aussi par surprise s’il lui arrivait de sentir que sa force ne suffirait pas. Lilith, elle, se fichait pas mal du fait qu’en « instaurant » cette règle stupide d’échange, elle contraignait ses parentes au même sort (bien qu’il fût question de survie en ce qui les concernait). Elle se foutait pas mal d’avoir virtuellement empiré la situation. Ce qui n’était pas vraiment le cas : Les vrais responsables étaient toujours les mêmes. Elle, n’était alors encore qu’une victime. Mais c’est du moins l’image qui en résultait. De toute façon, personne n’avait jamais vraiment rien fait pour elle après tout (étant elle-même la fille d’une étrangère et d’un malade), pas même sa mère qui plus est. Et elle n’avait que sept ans : elle ne pouvait pas comprendre.

Tout ce qu’elle voulait, elle, c’était se délecter de ses instants de vague réconfort. Et ironie du sort, à dater de ce jour, elle a plutôt dû lutter contre les femmes de sa propre famille au lieu de chercher à s’allier à elles contre les hommes. L’idée du père prenait forme tout doucement. Mais en l’état, il lui fallait un autre point d’accroche pour mettre son plan à exécution.

Lilith a prétendu qu’à l’époque où l’improbable s’est produit, son paternel se disputait souvent avec un de ses amants les plus fréquents. J’ai dans l’idée qu’il avait prévu de l’assassiner quand le hasard l’a pris de court (plus pour l’exemple qu’il voulait faire que par réel grief à son encontre : mais ça n’aurait vraisemblablement pas eu autant d’impact que ce qui va suivre). Ils étaient en train de la punir quand il leur est tombé dessus…

L’illustre inconnu, le bon samaritain : bref, la bonne poire (malheureusement). Parce qu’il aurait eu une chance de mourir vite s’il ne s’était pas enfuit avec elle. Au lieu de ça, il a tué quatre hommes avant d’emmener la (plus si) petite Lilith avec lui : elle devait avoir onze ans à ce temps-là. Et même si elle était encore relativement jeune alors, elle avait malgré tout déjà bien poussé depuis ses sept ans, ressemblant de plus en plus à un vrai garçon manqué, n’hésitant pas à se battre corps et âme lorsque la situation requérait qu’elle défende sa vertu (chose qui était loin d’être rare) : non sans un certain succès pardi ! Et tout ça, du haut d’un bon mètre 55 déjà…

Son père était fatalement présent lors des faits (bien qu’entouré). C’était un jour de « fête » pour le clan (même si ce mot sonne faux) : seule raison pour laquelle la surveillance des abords de la ferme n’avait pas été suffisante à empêcher l’incursion du jeune renard. Lui, ne devait probablement chercher que de la nourriture. Les ouailles du père de Lilith la battaient en groupe pour des motifs futiles (ne serait-ce que pour « lui apprendre les bonnes manières » étant donné qu’elle commençait déjà à leur poser tout un tas de problèmes, surtout quand attaquée uniquement individuellement). Le tout, sous le regard des autres femmes (qui, pour le coup, affichaient leur plus beau sourire).

Mais ce brave type était armé et bien que ses opposants le fussent aussi, outre l’avantage de la surprise, il a fait montre (paraît-il) d’une grande expérience (et d’une chance incroyable) pour un gamin d’environ treize ans (selon l’estimation de la Grande Conjurée). Malgré les évènements qu’ils endurèrent par la suite, Lilith n’en démordit jamais au sujet de sa bravoure au combat. En tous les cas, Lilith ne s’est pas faite priée : elle a immédiatement rejoint son sauveur ! Elle n’était pas du genre à rater une bonne occasion…

Je l’ai dit, c’était une morte de faim qui reconnaissait tout de suite une promesse de grand festin : mais manger trop, en une fois quand on est affamé depuis longtemps, est mortel. L’histoire raconte en outre qu’il a failli tuer son père : le coup se serait logé sous la clavicule gauche, non loin d’une artère. Je pense que s’il avait pris le temps d’ajuster un peu mieux son tir, Lilith aurait pu être heureuse pour le restant de sa vie. Certains disent de manière cynique (plus que moi d’ailleurs) que s’il n’était pas intervenu ce jour-là (ou s’il avait été tué durant son assaut impétueux, mettons), Lilith n’aurait sans doute jamais pu devenir le monstre qu’elle est devenue. M’est d’avis que la mort dans l’honneur pour une noble cause aurait été préférable pour lui.

Leur escapade a duré trois jours je crois : trois jours dont on ne sait pas grand chose, et à la suite de quoi, ils se sont fait prendre (à la faveur de l’obscurité qui précédait encore l’aube à venir, des ténèbres qui transperçaient des parties polymériques du dôme) dans la battue qui s’est organisée autour d’eux. Ils pensaient (à tort) avoir filé suffisamment loin. Mais la citée était encore scellée depuis l’hiver séculaire qui avait suivit l’incident de la Faucheuse et l’a de toute façon pratiquement toujours été jusqu’à sa chute. Ils ne pouvaient pas vraiment fuir où que ce soit : seulement se cacher (au mieux). On ne sait même pas le nom du jeune homme (nous n’avons pas cherché à savoir non plus). Nous pouvions seulement nous douter du fait qu’il était le premier à avoir mis enceinte Lilith. On peut en être pratiquement certain pour diverses raisons que j’évoquerai plus tard et parce qu’elle a vraisemblablement abandonné le fruit de leur union : étant donné qu’elle a gardé tous les enfants qu’elle a pu avoir par la suite (dont l’un était de son propre père). En fin de compte, on ne savait pratiquement rien à ce sujet si ce n’est qu’elle a dû accoucher neuf mois après ces faits. Et pas dans le camp qui plus est (ce que le père a laissé faire : il ne voulait peut-être pas d’un bâtard de l’étranger qui l’avait blessé).

Mais pour lors et bien avant la « mise à bas » (comme disaient ses parents), l’occasion qu’attendait le paternel s’est présentée d’elle-même : il devait tout détruire, ne rien laisser. Lui faire bien comprendre qu’elle était sa propriété.

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