02. ❝ En ce jour, la fin débutait. ❞

Si Wu Tingfeng n'avait aucun allié au sein de sa propre famille, ni même des autres, il pouvait compter sur le seul et unique représentant de la famille Han, Han Xiangzhi. Sûrement parce que lui aussi, il était mal vu de la part de ses pairs. Homme de lettres, issu d'une jeune famille noble, il préférait vivre en tant que scribe à la bibliothèque impériale que de s'occuper de potentielles terres ou d'éventuels commerces. Son père était mort de maladie depuis plusieurs années et sa mère était décédée quand il n'était encore qu'un bambin... Mais, parmi toutes ces histoires à son sujets, Han Xiangzhi était surtout connu pour apporter déshonneur sur bien des femmes. Charmeur aux mots de miel, enjôleur au sourire éclatant... Les femmes ayant perdu leur pureté avec lui, n'étaient pas facile à nommer tant elles étaient nombreuses.

Néanmoins, ce n'était aucunement avec une intention de déshonorer une autre femme qu'il était venu rejoindre son ami. Han Xiangzhi avait simplement fini sa journée de travail et il souhaitait décompresser... Comment mieux se reposer qu'en invitant un de ses amis - son seul ami, plutôt - à aller boire un verre ? Il s'était présenté à l'entrée du domaine de la famille, il avait échangé quelques mots succincts avec le servant pour demander à voir son ami et le jeune homme avait tout simplement attendu. Oh, il le savait. Sa présence n'était pas des plus appréciées par les Wu mais bon, tant pis !

"Han Xiangzhi."

Peut-être que non. Peut-être cela avait-il une certaine importance que de ne pas être souhaité ? Car, s'il était bien accueilli, il n'aurait pas eu une coulée de sueur froide en entendant la voix ferme et grave de l'aîné Wu.

"Wu Longwei ! Bien le bonsoir."

Le jeune Han Xiangzhi souriait en se tournant vers l'imposante carrure du, désormais, aîné des garçons Wu. Il le saluait respectueusement, même s'il avait bien envie de venger son ami de ce que son frère lui faisait subir... Mais bon, lui aussi, il semblait frêle et fragile face au dragon des Wu. En fait, personne n'était aussi grand que lui. Personne n'avait d'épaules aussi larges. Personne ne semblait être la réincarnation humaine d'un Yaoguai, certains diraient même qu'il est la réincarnation du fameux roi-démon, Niu Mowang. Personne n'était comme Wu Longwei. Même ses propres frères n'avaient aucune ressemblance. Enfin, aucun des frères n'avait un point commun avec sa fratrie.

Wu Dewei n'avait pas été un homme très grand, avec peu de stature, d'une tête de moins que le patriarche Wu. C'était son charisme naturel et son intelligence qui faisaient de lui l'homme qu'il avait été. Wu Longwei était plus grand que leur père d'une tête, avec des épaules larges et une mâchoire carrée. Il avait tout pour être un soldat mais il avait préféré la voie des lettres. Wu Tingfeng était entre ses deux aînés, musclé par l'entraînement militaire mais qui semblait si fragile lorsqu'on le rencontrait, le visage marqué par des traits fins et doux. Pour tout le monde, c'était un fait normal. Tous les trois avaient une mère différente. Tous les trois avaient eu une vie différente aussi : naître en étant le fils de la femme officielle et en étant le fils d'une des concubines n'était pas la même chose.

Wu Longwei avait eu bien de la chance de devenir héritier après la mort de son aîné... Et cela ne l'avait rendu que bien plus arrogant, bien plus orgueilleux... De quoi rendre malade Han Xiangzhi.

"Didi vient de seulement rentrer, si c'est pour lui que tu es venu. Mais je sais qu'un servant est déjà allé le prévenir de ta présence.

- Je te remercie. - il s'inclinait à nouveau, légèrement, pour montrer sa sincère gratitude avant de reprendre, essayant d'aller dans le sens du poil de cet aîné - Je vous félicite, Ouyang Xinya et toi, pour votre mariage. Il m'a été rapporté que le dîner a été des plus réussis.

- Il paraîtrait, en effet."

Un silence gênant - du côté de l'unique Han, pour le dragon, il avait simplement envie de s'en aller et de laisser cet homme sur place - s'installait entre eux quand un bruit de pas, léger et doux à l'oreille, se faisait entendre.

"A-Qiang ! Ne le laisse pas attendre dehors. pestait la voix douce mais si coupante de Ouyang Xinya.

- Je comptais bien l'inviter à se rendre à l'intérieur le temps que Didi soit prêt."

À contrecœur - cela se lisait dans les yeux bleu foncé, presque noirs, de Wu Longwei -, il lui faisait signe de les suivre, lui et sa nouvelle épouse. Han Xiangzhi avait quelques fois croisé le chemin de cette jeune femme. Jamais il n'avait pu discuter avec elle mais il savait cette vérité : elle était l'une des seules personnes à soutirer des sourires ou des compromis au dragon des Wu. Une femme dont on vantait la force de caractère, celle qui avait étonné la Capitale quand ses fiançailles avec Wu Dewei avaient été annoncées... Comment les Wu avaient-il pu accepter une femme aux idées si différentes de leur époque comme épouse de leur héritier ? Certains y avaient vu le premier pied dans la tombe pour la famille... D'autres pensaient qu'ils devaient être assez arrogants que pour se croire capable de briser la force de caractère de la jeune Ouyang.

Ouyang Xinya lançait un regard amical à son époux, un léger sourire sur les lèvres, avant de fixer leur invité. Elle aussi, elle connaissait la vérité sur cet homme. Beau parleur, des sourires et des regards à en charmer une statue de pierre. Plus d'une femme avait été reniée par sa famille de sa faute et il ne semblait pas en retenir la moindre culpabilité. Non, au lieu de ça, il était là, à quelques pas en arrière, et il affichait un large sourire en coin, ce même sourire qu'il devait servir à toutes les femmes. Même le regard devait être identique à celui qu'il utilisait pour avoir ses proies, usant de ses yeux ambrés et si clairs comme une arme létale pour le cœur des jeunes innocentes.

Elle eut une moue dégoûtée, contenant à peine ce dédain qu'il lui inspirait, et elle se détournait, passant simplement son bras dans le creux de celui de Wu Longwei. À la grande surprise de ce dernier. Il jetait un léger coup d'œil vers elle, peu habitué à ce qu'elle vienne s'accrocher ainsi à lui sans raison. Cela l'inquiétait aussitôt, ce qui était lisible dans son regard, si peu expressif en autre temps.

"Y a-t-il un problème ? murmurait-il uniquement à l'attention de son épouse.

- Rien. Je me demande comment ton frère peut être ami avec un homme aussi..."

Elle ne put terminer sa phrase, un frisson lui parcourant l'échine. Un léger rire secouait son mari avant qu'il n'affiche un sourire en coin, mauvais, arrogant :

"Vois-tu, il paraît que les rats aiment frayer ensemble."

Une remarque acerbe et pourtant, habituelle, un élément touchant autant le dernier des Han que le cadet des Wu. L'un devant se tenir pendant que l'autre prenait sur lui lorsqu'il était présent. Aucun d'eux n'était dupe de l'image qu'ils avaient aux yeux d'autrui et ce qui sauvait Han Xiangzhi de la réputation de son ami, était celle qu'il avait lui-même.

Ce dernier les observait, se demandant tout de même ce que pouvait faire le soldat. Il devait avoir été mis au courant et, malgré tout, son seul allié en ces lieux prenait son temps jusqu'à le voir apparaître. Wu Tingfeng saluait poliment son ainé et l'épouse de ce dernier, connaissant la jeune femme depuis son enfance comme tant d'autres et ayant subi les affres de son caractère de feu. Il se tournait ensuite vers son ami, un léger sourire apparaissant. Naturel.

"Navré pour l'attente."

Quelques mots taisant la réelle raison de celle-ci derrière ce masque souriant, un masque l'empêchant de montrer la douleur qu'il pouvait ressentir à certains moments. Surtout lorsque son corps était parsemé d'hématomes suite aux entraînements... Même s'il arrivait que ce soit, en réalité, bien pire. Han Xiangzhi remua simplement une main afin de lui faire comprendre que ce n'était rien, le regard se perdant à nouveau sur la seule femme des lieux, cet être qui restait accroché au bras de son époux telle une feuille à son arbre.

Un nouveau frisson parcourut le corps d'Ouyang Xinya qui prit sur elle. Elle ne devait pas faire de vagues, ne pas rentrer dans son jeu. Cela serait bien trop aisé pour lui, alors, de trouver une faille, même si le dragon à ses côtés était le plus doué dans ce domaine. Qu'il ne laisserait pas un homme - connu ou non - l'importuner d'aucune manière. Mais elle voulait se défendre seule, avec le peu de moyens qu'on lui laissait.

"Es-tu prêt ? - le scribe observa son ami, se rendant rapidement compte que quelque chose n'allait pas. - Ravi d'avoir pu vous côtoyer quelques instants et d'avoir pu vous saluer."

Une politesse teintée de charme - bien que camouflé - envers la jeune femme pendant que Wu Tingfeng acquiesçait silencieusement. Les dents meurtrissaient l'intérieur des joues de la femme de Wu Longwei, la tête se tournait quelques instants et le regard brilla de malice.

"De même, même si vous devriez éviter d'observer ainsi une femme mariée."

Seul l'amusement persistait chez l'ami de Wu Tingfeng, les deux hommes s'éloignant avant qu'un d'eux ne frissonne brièvement en percevant les quelques mots lui étant décernés : "Ne porte pas préjudice à la famille avec tes mœurs." Seul le fait qu'il ferait attention quitta les lèvres du cadet, un soupir s'échappant de ces dernières lorsqu'ils furent hors du domaine. Il ne comprenait pas de quoi parlait son ainé, il ne voyait pas ce qu'il faisait de mal et une grimace suivit rapidement le fil de ses réflexions.

"Je me suis blessé aux côtes lors de l'entraînement. Rien de bien grave, même si je suis envoyé au front, cela ne me portera pas préjudice, mais je préférais le taire face à Er-Ge et à son épouse.

- Je ne m'étais donc pas trompé. - un souffle quittait le corps d'Han Xianghzi. - Pourquoi le laisses-tu te parler ainsi ? Ses reproches sont infondés.

- Cela ne changera rien et puis, je ne comprends pas moi-même ce dont il parle. Par contre... Tu aurais pu éviter d'essayer de tenter Ouyang Xinya près de lui."

Un rire, la tête se secouant de l'autre côté et les deux hommes se mirent, naturellement, à profiter des rues de la capitale, d'un moment de calme sans se douter qu'au domaine Wu, Wu Longwei et Ouyang Xinya espéraient tout deux que rien ne leur parviendrait aux oreilles. Les rumeurs commençaient, doucement, à se faire entendre un peu partout par rapport au plus jeune, des rumeurs fort embarrassantes... Et nombre de personnes souhaitaient comprendre les raisons faisant qu'il n'avait pas, encore, de fiancée à son bras, se disaient qu'elles étaient peut-être fondées. Que peut-être, enfin, les Wu avaient une faille que l'on pouvait exploiter.

Une faille à laquelle personne ne pensait actuellement, loin de là. Les regards se perdaient sur une délégation, des inconnus qui avaient fait en sorte que les activités extérieures s'arrêtent le temps d'un instant sous la curiosité ambiante. Les messes-basses débutaient également, rendant les deux nobles d'autant plus curieux. Un regard entre-eux suffit pour qu'ils remontent la piste d'un commun accord, chacun d'eux réfléchissant à ce qu'ils avaient pu entendre.

Des questions émanaient des citoyens, l'incompréhension se percevait aisément. Que faisaient des sauvages ici ? Pourquoi se rendaient-ils là où se trouvait l'Empereur ? Les deux amis restaient naturellement sur leur garde, l'un d'eux bien plus que l'autre. Ils savaient qu'en cas de besoin il fallait agir, mais mis à part le jeune soldat, le scribe ne pourrait employer que les mots ou chercher de l'aide.

"On dirait qu'ils se rendent à une audience... murmura Wu Tingfeng, tout en observant les nouveaux venus. J'avais entendu dire qu'il devait y en avoir une, mais je ne pensais pas que ce serait...

- Avec des sauvages ? La diplomatie avant la guerre, probablement."

Même s'il était aisé de savoir ce qu'il se passerait si la diplomatie échouait. Les sens en alerte, les deux hommes entendaient chaque remarque et se doutaient que cela devait, également, être le cas de ceux remontant calmement les rues. La population se faisait entendre : à ses yeux, ils n'étaient pas les bienvenus. Les nomades du Nord devaient rester sur leurs terres. Parlementer était inutile avec eux... Les deux nations étaient en guerre depuis des centaines d'années, pourquoi cela serait-il différent, cette fois ?

Tous étaient habillés dans des couleurs chatoyantes, ce n'était pas les mêmes habits qu'eux. Adieu les hanfu... Ici, c'était ce que l'on appelait des deel. Leurs couleurs étaient d'un bleu frais, clair et doux, au bleu des fonds marins, parsemés de lignes et d'autres motifs argentés. Un homme avait une couleur de plus : du doré. Il était à la tête de cette délégation, un regard vert - si unique, si rare - et des cheveux noirs, ramenés en plusieurs tresses au milieu de cette toison couleur corbeau. Sûrement était-il le chef de cette tribu du Nord... Dans tous les cas, il semblait dangereux, même si le sabre à sa taille n'était qu'un accessoire d'apparat. C'était ce que répétait l'instinct du soldat. L'homme était un sauvage, imprévisible, et il ressentait, au fond de lui, qu'il leur apporterait bien des problèmes.

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