Ils étaient tous réunis, en ce huitième jour du neuvième mois de cette année. Une date choisie pour prédire une grande prospérité sur l'union qui allait se dérouler.
Les deux familles étaient prêtes. Cela faisait maintenant près d'une année que les préparatifs se mettaient en place. Non seulement la famille Ouyang attendait ce jour pour se pavaner, désormais aussi proche de l'Empereur que les Wu le sont, et montrer aux autres - nobles ou pauvres - qu'ils étaient eux aussi puissants ! Mais, la famille du marié avait besoin de ce mariage... Avec la perte "récente" du fils aîné et du suicide de l'épouse légitime du père suite à cet enfant perdu, il fallait qu'ils attirent l'attention et l'envie. Non pas la pitié. Il fallait que la famille Wu redevienne ce symbole de respect et de terreur.
Pendant ces trois années où la succession avait été passée à Wu Longwei, les autres familles les avaient observés. Les nobles avaient attendu le premier faux-pas. Ils étaient tels des chacals, ils tournaient dans un sens puis dans l'autre autour de leur proie avant qu'ils n'aient ce rappel. Si Wu Longwei avait été nommé ainsi par son père, ce n'était pas parce qu'il était un enfant de chœur. De tous ses enfants, il était le plus ambitieux. Le plus agressif, tout en étant horriblement sournois. Ainsi, en devenant son héritier, le dragon sortit de sa tanière et fit comprendre à ses ennemis la pauvreté, la misère... Trois familles tombèrent sous ses griffes, les autres rentrèrent, queue entre les jambes, dans leur horrible grotte sordide.
Aujourd'hui, il asseyait un peu plus sa puissance grâce à l'officialisation de son mariage. Une aubaine pour une personne telle que lui. Mais il était là. Il se massait les mains, prêt à se marier avec la seule et unique fille de la famille Ouyang, cette jeune femme dont il avait été l'ami d'enfance. Aucune joie ne s'exprimait sur son visage. Aucune impatience. Aucune arrogance. Seulement un immense ennui. N'était-ce pas qu'une autre étape dans sa vie de futur chef de la famille Wu ? Une vie où son ambition dominerait son envie, une vie où sa raison ne laisserait aucune place à son cœur.
Le jeune homme était en train de vérifier sa tenue, le rouge et le doré se mêlant et étincelant, quand la porte de sa chambre coulissait.
"Er-Ge, il est temps."
Les deux hommes échangeaient un regard. Un simple instant où le plus jeune finissait par baisser la tête, autant en signe de respect face à son aîné qu'intimidé par ce dragon qui rendait son quotidien pathétique. Ce jeune homme était Wu Tingfeng, troisième fils du patriarche Wu et quatrième enfant. Il était le plus jeune et le plus rabaissé. Il n'était pas grand comme son Er-Ge. Il avait même une stature assez frêle pour un soldat au service de l'empereur. Il n'avait pas la grandeur d'âme de feu son Da-Ge. Même sa Jiejie, connue et reconnue pour sa gentillesse et sa bienveillance, ne le voyait pas comme un être digne des qualités qui étaient siennes. Oui, il était la honte de cette famille.
"J'arrive."
La réponse qu'il lui fallait pour s'éclipser et pour souffler un bon coup lorsque la porte se refermait derrière lui. Il sentait encore le poids du regard de son frère aîné, ses yeux sombres toujours emplis de tant de jugement à son égard... Wu Tingfeng posait sa main sur son torse, il serrait le poing en ayant déjà peur de la suite. Car, lui, il savait. Lui, le vilain petit canard, il portait le secret de son Er-Ge contre son gré. Il savait qu'après ce jour, le comportement de son aîné sera des plus exécrables. Pourquoi était-ce toujours son fardeau ? Pourquoi semblait-il que le sort s'acharnait sur lui ?
*****
La famille Ouyang était une famille noble, une famille connue dans la capitale et proche des Wu depuis bien longtemps. Elle lorgnait sur le fait de fiancer l'un des leurs à un membre de ces derniers. Ce qui était le cas, avec Wu Dewei mais, lors du décès de l'ainé, ils crurent que cela serait compromis. Fort heureusement pour eux, les fiançailles retombèrent sur le deuxième garçon de cette fratrie, un être que leur fille ainée connaissait bien et les préparatifs débutèrent rapidement. Ils se rapprochaient de leur but, se rapprochaient de l'empereur en employant leur ainée dans ce simple but. Un être suivant les directives comme n'importe quelle femme de l'époque, qui savait qu'elle n'avait pas le choix.
Comme tant d'autres avant elle, Ouyang Xinya était apprêtée, maquillée, parfumée par celles la servant depuis son enfance. Son frère l'attendait afin de la mener à cette cérémonie si importante à leurs yeux, même si pour la jeune femme cela ressemblait à des chaînes la reliant à jamais à Wu Longwei, à cet ami de toujours... Cet être qui deviendrait son mari, l'homme qu'elle côtoierait chaque jour et qui permettait aux Ouyang d'avoir un peu plus d'importance. Cela la dégoûtait intérieurement mais elle se taisait, se laissait faire telle une poupée de tissu et entendait ce que chacune disait. Les mots résonnaient dans ses oreilles, ils semblaient si lointains, si faux même si l'orgueil était touché. N'importe quelle femme serait heureuse d'entendre qu'elle était belle, c'était un fait. N'importe quelle femme devrait être heureuse d'avoir un bon parti... Et sa seule joie était que cet être soit son ami d'enfance en qui elle avait confiance bien que beaucoup le percevait différemment.
Affairées autour d'elle, les servantes finirent par la laisser et par s'éloigner. Un léger soupir quittait ses lèvres alors qu'un son, léger, se faisait entendre dans la pièce. Quelqu'un faisait savoir sa présence faisant que la future mariée se tournait dans la direction de cet être, l'observait silencieusement. Une certaine excitation se lisait chez lui et un sourire, factice, apparut sur le visage de la demoiselle. Ils devaient y aller, elle le savait et c'était à contrecœur qu'elle rejoignit son frère, que la fratrie Ouyang se dirigea jusqu'à la chaise l'attendant afin de la mener jusqu'au lieu de célébration. Installée, cet élément porté, elle prit sur elle en entendant pourtant les mots lui parvenant.
"Fais-nous honneur."
Elle ne comptait pas se rebeller, faire de remarque. Ouyang Xinya devait se laisser porter par le courant, subir ce mariage politique tout comme celui qu'elle rejoignait en réalité. Elle n'était pas dupe. Aucun des deux n'avait désiré cela, mais comme tant d'autres ils n'avaient guère eu le choix. Les mains posées sur la robe rouge, elle attendait de parvenir en ce lieu où sa vie changerait à tout jamais, où elle traverserait ce tapis rougeoyant afin de rejoindre la personne auprès de laquelle elle devrait rester à tout jamais malgré que l'amour ne viendrait pas entre eux. Cela était impossible... Mais l'espoir restait présent chez certains membres des Ouyang qui lui rappelaient également qu'elle ne devrait pas tarder à faire un héritier aux Wu.
Elle ne servait qu'à ça. Un lien entre les familles, celle qui permettait aux siens de faire partie de ceux que tous voulaient rejoindre d'une façon ou d'une autre... Ou qu'une partie de la population souhaitait faire sombrer. La jeune femme n'était pas dupe, sa vie ne serait pas un long fleuve tranquille et nombre de personnes tenteraient d'avoir une place aux côtés de Wu Longwei, essaieraient de la faire tomber. Certaines la jalousaient... Et si elle avait pu leur laisser sa place, elle l'aurait fait volontiers. Malheureusement, cela lui était impossible.
Oui, ce mariage allait sceller une alliance. L'une des familles s'élèverait à un niveau supérieur, l'autre renforcerait sa position au sein de l'échelle sociale. Ses membres avaient-ils prévu ce futur des plus sombres ? Certainement pas.
*****
Bien des années auparavant, au moins deux décennies plus tôt...
"Chh, chh..."
La femme présente au bord de cette rivière était si laide. Son maquillage avait été témoin de nombreuses émotions, dont les larmes et les sourires - les rides ayant laissé, à force, des traces dans la poudre blanche -. Ses lèvres étaient rougies par le froid, mais aussi par les multiples sévices infligés par ses dents. C'était encore plus hideux lorsque l'on faisait attention à sa tenue entière : mouillée jusqu'à la taille, suite à un trajet dans l'eau, et la coiffure défaite - ou n'a-t-elle jamais été faite durant ces dernières semaines ? -. Cette vision était suffisante pour faire hurler d'effroi le bambin entre ses bras. Un petit garçon, âgé de quelques semaines, bougeait dans tous les sens.
"Je vais t'enlever à ces sauvages... Tu verras, je vais faire de toi l'équivalent d'un empereur... Toi et moi, nous ne manquerons jamais de rien... Oh non... Ce cher Wu Gao aurait trop peur des retombées, si jamais il nous laissait dans la nature..."
L'inconnue s'éloignait du cours d'eau avec l'enfant, bougeant doucement les bras pour le calmer, pour l'apaiser... Jusqu'à ce qu'il finisse par s'endormir contre sa poitrine. Au même moment, une mère, désemparée, retrouvait le couffin en osier vide, les couvertures volées avec le bambin.