— Donc, si j'ai envie de te parler, tu me parles.
Noah s'adressait à la tortue.
Non. Si j'ai envie de te parler, je te parle, et si tu as envie de m'écouter, tu m'entends.
— Comment as-tu appris notre langue ? Ça en fait, des mots compliqués, pour une tortue. Il n'ont pas tous été prononcés devant toi, c'est… improbable.
Je ne parle pas avec des mots. Je parle avec mon cœur. Tu décodes les mots. Demande au chamane.
— Mais pourquoi j'entends une voix différente quand c'est toi et quand c'est le démon ?
Parce que ma voix est plus belle, assura le démon.
— Oh bordel ! Te voilà de retour !
Je ne t'ai jamais quitté. Je m'inquiète beaucoup pour toi, Noah. Tu tournes mal. Te rends-tu compte que tu parles à une tortue ?
— Parce que c'est moins bien que de parler à un démon ?
Assurément ! Moi, je veille à ton développement alors qu'elle, elle n'en a rien à carrer, de toi. Elle te parle juste pour que tu ne lui chipes pas sa feuille de salade !
— En tout cas, je ne l'entends plus, alors tais-toi.
Pendant les minutes qui suivirent, Noah se concentra. Il n'entendit plus rien, puis sursauta tout à coup.
Bettie lui aboyait dessus tel un chien des enfers. Alphonse la fit s'asseoir à bonne distance et s'approcha de Noah. L'ado voyait tout l'effort qu'elle déployait pour obéir à l'ordre et ne pas lui sauter dessus, comme s'il était une menace existentielle pour son maître. Encore une sale bête ! Noah en était cerné par ici ! Rien que tout à l'heure, l'âne s'était ramené discrètement par-derrière. Heureusement, Noah avait entendu son sabot et s'était relevé juste avant que le corniaud ne lui mâche la capuche de son hoodie.
— Ne t'inquiète pas, Noah. Elle en a après ton démon, c'est tout. Elle ne peut pas les piffer.
Ne pas s'inquiéter, ce mec est fou. Garder sa raison. Garder la raison. Oraison…
— Alors, que donne la télépathie ? demanda Alphonse.
— C'est franchement pas bien fiable. Je pense que je me fais des films et que j'imagine tout ça comme un camé.
Alphonse sourit. Il souriait toujours, ce type. Ça énervait Noah.
— Pourquoi tu souris toujours ?
— Parce que je suis heureux, quelle question !
Ou parce qu'il lit toutes mes pensées et se joue de moi.
— Ou parce que tu lis toutes mes pensées et te ris de moi ? répéta Noah à voix haute.
— Oh ! C'est ce que ton démon te dit ? Ou est-ce que tu crois que c'est là ta propre pensée ?
Noah réfléchit. Un début de migraine lui barra la voie.
— Je ne te connais que depuis quelques jours, Noah, mais il me semble que tu aurais plutôt dit : “Il sourit parce qu'il est heureux. C'est factuel, lorsqu'on est heureux, on sourit. C'est raisonnable. Ce doit être vrai.”
Noah se prit la tête entre les deux mains tant il avait mal au crâne. Alphonse le reconduisit à l'intérieur sous l'œil vigilant de Bettie, puis il lui prépara une tisane.
Un quart d'heure plus tard, Noah avait retrouvé ses esprits.
— Alors, c'est ça, un démon ? Ça nous injecte des pensées qu'on croit les nôtres ? C'est dégueulasse ! Je me suis suicidé à cause de ces foutues pensées, moi !
— Tu t'es suicidé par toi-même, Noah. C'était ton choix. Malavisé, certes, mais c'était le tien. Les entités sont contraintes par ta volonté. Il a pu s'attacher à toi parce que tu nourrissais cette douleur pour le monde. Il a pu renforcer tes doutes, tes peurs, ta souffrance, mais jamais la créer. C'est toi qui l'as créée. Il est juste là pour s'en nourrir et la cultiver, comme le soleil cultive les plantes.
Si Noah avait eu le contrôle de ses mains, il en aurait serré les poings. Comme il ne pouvait pas, il pleura.
Alphonse le prit dans ses bras.
Je suis curieuse d'en savoir plus sur son démon (et ce qu'il va en faire... L'accepter, tenter de le chasser...?). Est-ce que Théo a un rapport avec lui ? Théo aussi me semblait être dans sa tête.
À bientôt !