La sonnerie du lycée annonçant la fin du cours sonna, vite suivie par le brouhaha des affaires qui se rangent, des trousses qui se ferment et des gens qui se ruent en dehors de la salle. Mais cette mélodie avait des nuances particulières ce jour-là : c'était celle qui annonçait les vacances, celle qui sonnait la fin de nos années de lycée. En descendant rejoindre le parking pour attendre mon bus afin de rentrer chez moi, je croisais certains de mes camarades faire des doigts d'honneur aux batiments jaunes qui constituaient notre lycée en guise de dernier adieu. Vu les sourire qu'ils avaient aux lèvres ils étaient visiblement heureux et fiers de quitter cet endroit. Ça y est, ils allaient enfin pouvoir crier sur tous les toits qu'ils étaient grands. Je ne comprenais pas comment on pouvait se réjouir de ça. Ils étaient contents de prendre de l'âge... Et quand ils seront plus vieux ils regretteront cette jeunesse, cette insouciance. On veut toujours ce que l'on n'a pas... Ironie quand tu nous tiens
- Tu es partant Luc ?
Voyant que, comme d'ordinaire, j'étais trop plongé dans mes pensées pour l'avoir entendu, Tom secoua la tête, l'air faussement agacé, un sourire sur son visage mât et une lueur amusée dansante dans ses yeux marrons :
- La soirée chez Ted ce soir. On y va ? Je sais que tu n'es pas fan des fêtes, que tu préférerais rester chez toi à écrire un bouquin que tu qualifieras de merdique d'ici une semaine, mais...
- C'est d'accord !
Voyant son air surpris face à ma réponse si enthousiaste pour une idée que je trouvais d'ordinaire stupide je crus bon de préciser :
- C'est peut-être l'une des dernières fois qu'on a la chance de se voir tous ensemble, autant en profiter, dis-je en riant
- Eh prends pas cet air si fataliste Luc répondit Alexandre debout à côté de Tom, détaillant de ses yeux bleus perçants tout ce qu'il l'entourait il nous reste encore deux mois pour faire pleins de choses, ne crois pas que tu vas être tranquille les prochaines semaines ! Et puis même une fois que ces vacances seront finies on se reverra. Les soirées dans le sup', ça doit valoir le coup d'œil !
- C'est sûr, répondis-je en essayant de paraître le plus convaincu possible
En vérité je ne l'étais pas du tout. A la fin des vacances tout le monde ferra une croix sur cette période, j'en étais sûr. On sera tous plongé dans une autre vie et l'être humain n'est pas doué pour jouer sur plusieurs tableaux. Pour la plupart des gens cette perspective d'inconnu, de renouveau était passionnante, intrigante, excitante. Ce n'était pas mon cas. Je détestais le changement. La nostalgie était une couverture dont je m'enveloppais très régulièrement. Si j'avais pu répéter cette année scolaire en boucle je l'aurais fait. Ça peut paraitre ennuyeux à mourir j'en conviens. Mais je préférais largement ça au stress et aux déceptions induites par le changement. Tout ça pour dire, je comptais profiter de tous les derniers moments qui nous séparaient du supérieur... Même si cela induisait d'aller au soirées !
J'ai regretté cette décision au moment où je me suis retrouvé devant la porte d'entrée de la maison où se déroulait la soirée. La musique sonnait à mes oreilles comme une alarme qui hurlait « sauve toi pauvre fou, cours pour ta vie ! ». Je n'étais pas un grand fan des musiques que les gens de mon âge écoutaient en soirée. Mon téléphone était rempli de musiques réputées pour leurs textes, en gros exactement l'inverse des musiques qui passaient en ce moment, celles qui avaient pour objectif de faire oublier les problèmes quotidiens et d'ambiancer une cinquantaine d'étudiant. En relisant ces lignes je me suis rendu compte que depuis le début du récit je me place en opposition des gens de mon âge. J'aimerais préciser quelque chose tout de suite : ce n'est pas pour parraitre stylé, ou me donner un air de martyr, d'artiste incompris par la société non loin de là. Être comme les autres aurait pu m'attirer moins de problèmes. C'est simplement que je me sentais comme ça, en décalage, que se soit par rapport aux goûts musicaux, aux loisir ou autre. Enfin bref passons. En vérité c'était la deuxième fois que je me rendais compte que j'aurais dû réfléchir un peu plus avant de m'enthousiasmer autant face à cette soirée. Le premier moment était arrivé à vingt heure tapante, lorsque la voiture d'Alexandre était venue nous chercher, mon appréhension et moi, devant ma maison. Que je vous explique la cause de cette appréhension : le slogan préféré de mon ami Alexandre était que rien n'était grave... du moment que personne ne le savait. C'était un véritable casse-cou, le genre de personne capable de monter sur une maison avec un vélo pour « voir ce que cela fait ». Vous vous en doutez, on avait un tempérament assez... opposé. La plupart du temps ce côté aventurier ne me dérangeais pas mais le problème c'était qu'il se ressentait également sur sa conduite : Alexandre avait déjà roulé à 230 kilomètre heures sur une nationale pour « voir ce que cela fait ». Et le pire, comme c'était moi qui montais en dernier, c'était moi qui « gagnais » la place du milieu, celle où vous sentez bien toutes les accélérations et les freinages violents. Tout ça pour dire que j'appréhendais pas mal cette soirée... mais en réalité il fallait déjà que j'y arrive en un seul morceau.
En fait, comme souvent, des plans catastrophes avaient défilés dans ma tête mais en réalité tout c'était bien passé. On était arrivé en un seul morceau et on se trouvait maintenant devant la porte de la maison de Ted. On sonna et attendit que quelqu'un vienne nous ouvrir mais c'était peine perdu, personne ne vint : la musique était sans doute trop forte pour qu'ils entendent une quelconque sonnette. Alors on entra. Tandis qu'Alex et Tom allaient dans le jardin où se passait le gros de la soirée je me suis éclipsé dans la cuisine. Je préférais largement me tenir au calme au début des soirées, de manière à pouvoir observer les gens. En plus quelque fois dans la cuisine il y avait deux trois personnes avec qui parlaient, l'idéal pour commencer une soirée. Ce soir-là il y avait une personne dans la cuisine : Maelys qui fut tellement surprise de me voir qu'elle faillit recracher la gorgée de bière qu'elle venait de prendre :
- Ça alors dit-elle monsieur je déteste les soirées... en soirée. Je suis déjà ivre ?
- Je n'ai jamais dit que je détestais les soirées, répondis-je en riant.
- Bien sûr. Ce n'était pas toi non plus qui m'as dit que « c'est un moyen de se donner l'illusion que l'on vie » ou encore que « je préfère trouver des solutions à mes problèmes plutôt que de faire des fêtes pour essayer de les oublier ».
- J'étais vraiment aussi snob ?
- Encore plus que ce que tu crois.
Quand nos rirent se turent je repris :
- Enfin, le fait qu'on sera tous séparés dans quelques mois me terrifies alors autant profiter du temps qui nous reste ensemble.
- C'est la seule chose qui te terrifie pour la suite ?
- Comment ça ?
- Ta seule préoccupation pour l'année prochaine c'est que tu ne verras plus tes amis de lycée ? Tu as bien de la chance de n'avoir que ça comme problème dit-elle avec un sourire triste, les yeux rivés sur sa cheville qui était enfermé dans carcan de bandage. Et c'est à cet instant, trop tard, que je compris à quoi elle faisait référence.
Cette année, Maelys avait eu de graves problèmes de santé : elle ne pouvait plus se déplacer sans béquilles et n'était pas sûr que sa cheville se rétablisse assez pour qu'elle puisse marcher à nouveau un jour. Ces problèmes l'avaient bien molesté, ils avaient considérablement réduit ses perspectives d'avenir, l'empêchant de faire des métiers comme aide-soignante, métier qu'elle avait toujours voulu faire. Le pire, c'est que ce n'était sûrement que les débuts de ses problèmes si l'on en croyait les dires des médecins. Alors je devais passer pour un gosse pourri gâté à me plaindre d'un problème aussi dérisoire face à une personne qui affrontait avec courage les nombreuses merdes qui lui arrivaient :
- Je suis désolé
- Non ne t'excuses pas, dit-elle en secouant la tête ce qui fait virevolter ses boucles châtains pour appuyer sa désapprobation. Tu n'as rien fait de mal. Je ne voulais pas t'engueuler parce que tu parles de tes problèmes. Je voulais simplement te faire relativiser : tu as trop de chance pour te laisser désespérer face à des choses aussi ridicules, trop de chance pour ne pas y penser.
- Tu as sans doute raison, mais dorénavant je ferais plus attention à ne plus t'embêter avec mes problèmes.
- Tu ne m'embêtes pas ne t'en fais pas, dit-elle en rigolant doucement.
Elle reprit une gorgée de bière en regardant par la fenêtre qui donnait sur le jardin. De là on voyait les autres qui dansait au rythme de la musique jouée par les enceintes répartie au quatre coins de la pelouse :
- Tu te souviens de la toute première soirée que l'on ait faite ?
- T'en as de drôle de question, répondis-je en éclatant de rire.
- Désolé, dit-elle en joignant son rire au miens. Je suis juste dans un délire nostalgique et tu es la seule personne qui était avec moi au collège et qui est toujours à mes côtés aujourd'hui.
En effet, Maelys et moi on était amis depuis bien longtemps. La plupart des choses qu'on avait fait pour la première fois, c'était ensemble : le premier film d'horreur, la première soirée la première nuit blanche, la première cuite... Aujourd'hui nous étionsles deux seules personnes du groupe avec qui toutes ces premières fois avaient eu lieu à être à cette soirée. Les autres étaient dans des bandes d'amis différentes, voir dans d'autres lycées.
- Oui,répondis-je, je doute que se retrouver à cinq devant un film à manger des bonbons puisse être définie comme une soirée mais je m'en souviens.
- C'est drôle quand on y pense, on est passé de petites fêtes entassés sur un canap' à des soirées de ce genre. Mais en vérité... Il me manque, notre ancien groupe...
- Si tu savais comment je suis d'accord avec toi ! J'y réfléchissais tout à l'heure : tout le monde ne cesse de répéter que le changement c'est génial. Ils ont tort !
- Ne dis pas ça il y a quand même eu des trucs chouettes ces trois dernières années. Et puis tu regrettes ce que tu appels le passé, mais bientôt se sera ses instants là le passé que tu regretteras.
- Ouais... répondis-je peu convaincu.
Elle rit :
- De toute façon tu n'as pas le choix : si tu n'acceptes pas le changement il arrivera quand même. Mais ne t'en fais pas : tu as un été pour changer cette vision des choses. Aller vient, allons voir que quand même on a rencontré de chouettes personnes durant ces années. Je ne vais pas te laisser désespérer ici toute la soirée comme à ton habitude.
- Tu viens de m'arracher à ma meilleure perspective de soirée répondis-je en riant.
Depuis le début je me suis placé en opposition avec les autres mais je me souviens que je m'étais vraiment sentit à ma place lors de cette soirée. Certes la musique n'était pas celles que j'aimais, certes je trouvais le principe même des fêtes débile, certes je me suis vite retrouvé au milieu de gens complétement bourrés et donc complètement stupides.... Mais mes amis étaient là. C'était un des moments d'insouciance qui nous font apprécier la vie. Et puis... Elle était présente aussi, resplendissante comme toujours. Et si les moments où nous nous verrons étaient comptés alors je ferais en sortes qu'ils soient tous mémorables. Alors ce soir-là je la regardais, je l'enveloppais de mon regard afin de graver chaque grains de peau, chaque mèches de cheveux de jais, chaque étincelle qui brillaient dans ses yeux marron au plus profond de ma mémoire. Apparemment Maelys qui était toujours à mes côtés, l'avais remarqué :
- Quand est-ce que tu lui diras tout ce que tu ressens Luc ? me dit-elle.
- Et toi quand est-ce que tu décolles pour Mars ? répondis-je sarcastique.
- Je veux justes t'aider c'est tout. Je ne veux juste pas qu'elle te surprenne en train de la fixer de la sorte. Elle risquerait d'avoir peur glissa-t-elle en riant.
La personne que nous désignons depuis le début par « elle » c'était Thaïs, une fille de notre classe. Même si en réalité pour moi elle était plus que ça. J'avais toujours reparti les gens en deux catégories : mes proches et les autres. En vérité c'était une classification un peu stupide parce qu'une personne pouvait au fil des échanges et des fous rires devenir un proche et un proche pouvait, suite à une dispute, devenir un autre... enfin bref tout ça pour dire que Thaïs ne rentrait dans aucune de ces catégories. Quand je pensais à elle ce n'était ni un proche ni un autre c'était simplement... Thaïs. Cette fille cassait toutes les logiques sur lesquelles j'avais basé ma vie et ça ne me plaisait pas du tout. D'où ma réticence à aller lui parler comme me le conseillais Maelys. Attention, je lui avais déjà parlé. Mais je lui parlais comme je parlerai à un proche. Elle ne savait pas qu'elle me fascinait à ce point. Je vous raconte tout ça déjà pour casser l'image d'un amoureux transi et observateur, pur cliché des comédies romantiques, que Maelys était en train de me coller, et ensuite pour que vous ne soyez pas surpris que plus tard dans la soirée elle me fasse signe de la rejoindre. C'était un des moments creux de la fête, ce genre de moment où tout le monde se sépare en petit groupe afin de se reposer et de discuter en laissant la piste de danse vide. Je la suivi donc jusque dans la cuisine ou elle s'assit sur la table avec un air espiègle. Tout son visage semblait sourire. Ses lèvres rosées tirées en demi-lune, ses yeux marrons en amande s'étaient plissés et une étincelle de rire brillait dans ses pupilles. J'ai même cru que sa robe bleu roi souriait mais ça s'était sûrement à cause du verre de mojito que j'avais dans la main. Amusé, je tirais une chaise et m'assis en face d'elle, le torse appuyé contre le dossier :
- Ça y est, dit-elle les yeux perdus dans le vague, c'est fini. C'est le moment où on est censé être heureux d'être libre de pouvoir faire ce que l'on veut de notre avenir... Et pourtant j'imagine que tu n'as jamais étais aussi paumé pour ce que tu veux faire l'année prochaine ?
- Si tu savais... C'est ironique quand on y pense. Durant toute cette année nos profs, nos parents les adultes qui nous entouraient nous ont rabâcher sans cesse qu'il fallait trouver quoi faire à l'avenir... Ce même avenir qu'ils nous ont détruit il y a bien longtemps à grand coup de crises diplomatiques et de chocs pétroliers.
- Se faire passer pour un rejeté de cette société pour justifier le fait qu'on a aucune idée de ce que l'avenir nous réserve... Tu sais il y a plus simple pour expliquer ça : être paumé face à notre destin ça s'appelle tout simplement être humain, me répondit-elle en riant.
- Tu as raison, dis-je en souriant. Mais bon... Ils nous demandent de choisir ce que l'on veut faire du reste de notre vie alors qu'on a que 18 ans. Tu parles d'une mission suicide...
- Il y en a qui ont réussi tu sais ?
- Oui je sais... Et je les envies. Les gens qui savent parfaitement ceux qu'ils veulent faire, ceux qui sont éperdument passionnés par un sujet... Ils ont tout mon respect.
- Contente d'avoir tout ton respect alors, dit-elle en souriant.
- . Bah oui tiens-toi par exemple : en début d'année tu m'as dit « je vais faire une prépa scientifique ». Moi je t'avais répondu que je voulais faire une école de journalisme. Aujourd'hui tu es admise dans une prépa et moi... Moi j'hésite entre une carrière de professeur d'historien ou de physicien.
- Eh bien prends une année sabbatique pour faire le point
- Toi tu ne connais pas mes parents... Et ça n'aboutirais pas: je resterais chez moi à jouer au jeux-vidéos pendant un an. Pas top pour tenter de comprendre qui l'on est et ce que l'on veut. Enfin à défaut de savoir où aller je sais ce que je ne veux pas faire : pas de prépa. Je prends les choses bien trop à la légère pour y trouver mon compte.
- Tu aurais pu faire une ... Si tu ne te dégonflais pas totalement durant les examens me charia-t-elle
- Que veux-tu... Les profs m'ont dit toute l'année qu'ils ne comprenaient pas comment je pouvais autant survoler les cours et avoir d'aussi mauvaises notes. En vérités c'est le stress... Et le fait que les cours me paraissent être un jeu et les examens un putain de calvaire.
- En tout cas ce n'est pas ta faute n'est-ce pas ? Ça n'est jamais ta faute ironisa-t-elle
- Evidemment que non : je suis bien trop parfait pour être fautif répondis-je sur le même ton.
- Toi qui critiques sans cesse cette société, tu ne te prives pas pour toujours remettre la faute sur les autres et ça c'est exactement l'une des valeurs de ce monde.
- A croire que je suis aussi hypocrite qu'elle.
- Ah ça je n'en ai jamais douté.
Le son de nos rires fut bientôt couvert par le bruit de la musique qui reprenais. Le creux était terminé, il fallait y retourner.
- J'ai hâte de voir ce que tu vas nous faire durant ces deux mois Luc, glissa-t-elle avant que l'on ne se sépare pour rejoindre nos groupes d'amis respectif.
« Et moi donc » pensais-je.
A l'heure où j'écris ces lignes je me souviens que cette soirée avait était géniale. Thaïs avait raison, sur certains points j'étais aussi hypocrite que cette société : je disais que je n'aimais pas les fêtes du genre et pourtant aujourd'hui... Aujourd'hui je me souviens de cette fête comme l'un des meilleurs moments de ma vie. Un moment teinté de rire, de bonheur et d'insouciance. Ce genre de moment qui font les joies de l'existence
J'ai beaucoup apprécié le fait que le narrateur glisse des commentaires aux lecteurs ! Cela donne une dimension toute personnel très agréable :)
On cerne bien le caractère de Luc et les discussions qu'il a avec ses amis sont assez juste et m'ont même un peu rappelé ma propre fin de lycée !
Sinon je te conseil de faire attention à ton ponctuation ! Par exemple : C'est sûr répondis-je en essayant de paraître le plus convaincu possible -> C'est sûr, répondis-je ...
Je lirai la suite avec plaisir ! Que vas donc leur réserver ces deux mois d'été ?
Il y a peu de descriptions de l'environnement en effet mais cela n'est pas gênant car les pensées de Luc sont vivantes :)
Hâte de voir tes retours sur la suite :P