08. Bande d’enfoirés !

Elle souriait…

Elle me regardait de temps à autre de ses yeux d’un bleu « acier » ornant un faciès d’apparence angélique. Un minois des plus doux, doté de quelques traits d’un caractère pourtant bien marqué, dont l’allure générale la distinguait encore très clairement du commun des mortels : sa fossette au menton, ses cheveux blonds mi-longs, laqués vers l’arrière (elle devait mettre une tonne de gel pour que ça tienne) ! Sa beauté était tout simplement d’un autre monde (il faut l’avouer). Pour lors, elle semblait avoir déjà totalement oublié notre petit « différend » survenu au mess quelques temps plus tôt. Je suppose qu’elle était juste contente qu’on ait été affectés ensembles sur cette affaire.

Elle souriait « bêtement » (comme toujours en de pareilles occasions).

Il faut dire que nous ne bossions plus ensemble depuis longtemps : nous n’étions pratiquement plus jamais sur les mêmes affaires en fait (sans doute parce que je faisais clairement tout mon possible pour que cela arrive le moins possible).

Miss Dana Marlo se tenait en face de moi et arborait cet air niais d’enfant gêné qui m’insupporte. Elle ne l’avait pas quitté depuis le début du trajet en blindé (cela faisait moins de cinq minutes que nous roulions).

Et il fallait bien que quelqu’un y mette un terme (au risque de la voir me coller deux fois plus au sortir du fourgon).

 

— Y a-t-il un quelconque problème, caporal ?!

 

Le ton se voulait froid (mais neutre) et eut l’effet escompté : son expression s’est vite décomposée en une moue qui trahissait le désarroi et l’émoi naissant alors même qu’elle croisait les bras (tout en détournant le regard).

Nous sommes toujours en l’an 2313 (le soir même du meurtre de Magnus). En l’occurrence, nous roulions sur l’avenue principale qui menait en droite ligne à la périphérie pour renforcer les effectifs déjà en faction au Neuvième Cercle. Un peu de trafic, mais moins que d’habitude (à cette heure). A la base, nous étions simplement censés doubler les effectifs en charge de l’établissement d’un périmètre de sécurité (lequel devait assurer le bon déroulement de l’investigation en cours)…

La mort d’un émissaire du Vatican n’est pas rien : l’état-major entendait prendre toutes les précautions nécessaires. Et une fois de plus, je devais me coltiner cette bande d’abrutis qui me servaient de sous-fifres.

Dana avait plus de chance : elle avait Archibald Samson sous ses ordres. Je n’avais pas le luxe d’avoir un seul gars dit « normal » dans ma putain d’escouade (depuis que Butor s’était fait descendre). Moi, je n’avais que des psychopathes endurcis…

Parmi lesquels, une certaine Black Widow de surnom (qui commençait sérieusement à me courir sur le haricot elle, aussi).

 

Lili…

 

Quoi ?! Fit-elle d’un air faussement ingénu.

 

Fous la paix à ste foutue bleusaille !

 

Ma voix était toujours aussi placide bien que sensiblement impérieuse (mais forte et claire).

Lili (qui était alors occupée à faire la causette avec le gars d’en face) a l’apparence d’une fille simple et gentille : une grande perche légèrement rachitique aux cheveux couleur de paille et au visage parsemé de tâches de rousseurs. Elle est très sympathique en fin de compte…

Le seul truc à ne pas faire, c’est coucher avec elle. La baiser, c’est mourir…

(Paraît-il).

C’est en tout cas la rumeur qui court (et j’ai plutôt tendance à la croire : rapport au nombre de morts suspectes qui ont suivi de simples flirts avec elle). Après tout, l’indicatif qu’elle s’est choisie veut dire veuve noire en anglais…

Elle se serait d’ailleurs vraisemblablement engagée dans les brigades pour l’amnistie offerte d’office aux nouvelles recrues. Mais bon, l’effacement de l’ardoise, tu ne l‘as jamais qu’une seule fois et je me demande comment elle ne s’est pas encore faite prendre par la suite (si les cancans disent vrais). Je suppose qu’il y a toujours un peu d’exagération aussi : mais elle y tient à sa réputation !

 

Qu’est-ce que j’ai fait ? Demanda-t-elle d’un air vaguement outré.

 

Touche à ce môme et je te fais une ligature des trompes façon neuf millimètres.

 

Mais, on fait que parler !

 

Prends-moi pour un con ! Johnny et toi m’avez déjà dézingué Butor y a pas longtemps, alors oublie ce bleu tu veux (vu que la section en a encore besoin) !

 

Chef, z’êtes lourd : Butor, c’est pas nous » crut bon d’intervenir Charon.

 

Ouais. Et vous avez du bol qu’il ne se souvienne plus de rien (rapport aux nombres de neurones qu’il a perdu) » précisais-je.

 

En vrai, le dénommé Alexander Butor s’est mangé une bastos en pleine trogne durant une période de service avec les deux autres (le problème étant qu’il est resté sur le carreau une bonne demi-heure sans soin). Les autres disent qu’ils n’y sont pour rien mais on n’a pas de témoins non plus pour attester de leur version des faits : un groupe les aurait agressés à hauteur d’une impasse avant de se barrer fissa en véhicule. Je n’y crois pas des masses mais bon.

Techniquement, lui (Butor s’entend) y est mort.

Mais la mort au vingt-quatrième siècle n’est pas forcément une chose irréversible. D’aucuns prétendent que l’évolution a fini par doter une frange de la population relativement diversifiée de la faculté de résurgence (même si « la Pythie » a nécessairement dû donner un sacré coup de pouce à ce sujet). La résurgence en question, même partielle, dépend pourtant du laps de temps qui suit le décès.

Ca existe depuis un certain temps en quelque sorte : ce n’est pas parce que tu te manges une balle dans la tête que tu vas forcément en crever à tous les coups. Une fois sur cent, y a un gars qui s’en sort. Avec une moitié de cerveau d’accord, mais quand même : de toute façon on leur regreffe parfois l’autre moitié (clonée) au bout d’un temps (s’ils ont le blé pour l’opération toujours) et même si il y a toujours une rééducation nécessaire qui s’ensuit.

Paraît qu’il y en a qui vivent très bien avec seulement un demi encéphale malgré tout : d’autres (du genre de mes gars) vivent aussi très bien sans cerveau tout court. Après, des gens comme Johnny Charon sont carrément revenus après plus de quatre jours (explosant facile le record homologué il y a deux mille ans) : il est d’ailleurs revenu le jour de son enterrement. Lequel se déroulait à l’extérieur puisque Charon était à l’origine un outsider : c’est l’incinération obligatoire sinon…

Et je me dis qu’il aurait mieux valu (pour tout le monde) qu’il ne revienne qu’après sépulture…

(Oui, pour ceux qui en douteraient encore : je ne l’aime vraiment pas).

Il n’en avait rien à carrer, mais Charon se fit fort d’en remettre une couche : « au fait, comment va-t-il (Butters, je veux dire) ? »

 

A peu près comme un légume : il ne baragouine toujours pas grand chose d’intelligible mais il n’a pas complètement perdu la parole, c’est déjà ça. Pour sa motricité c’est autre chose, répondis-je…

 

Ces enfoirés avaient amputé le peloton de son meilleur élément sur les cinq (moi compris) que comptait alors l’unité. Le dernier s’appelait Brut et avait le Q.I. rasant la moyenne (mais par le bas) : si vous voulez une liste des mesures de recrutement à la con pondues par nos estimés généraux à l’heure actuelle, on peut s’assoir et se faire un café parce qu’on est là jusqu’à demain. Dans le courant du vingtième siècle, aux Etats-Unis, on appelait ce genre de recrues, les « McNamara’s Morons ».

Brut n’était pas méchant, du reste : mais trop facilement influençable par ses deux autres comparses. Je suppose qu’il les a suivi pour Butor (si ma version des faits est la bonne). Il avait de toute façon déjà fait des trucs pas très nets avec et à cause d’eux auparavant.

Et puis, il y avait ça aussi qui me taraudait : « pourquoi tout le monde appelle Butor, Butters? ».

Il y eut un léger blanc entrecoupé par le son des cahots absorbés par les amortisseurs. Et pour le coup, ce fut Dana qui me répondit :

 

Bin : Stan, Kyle, Cartman, avant d’ajouter : « z’avez jamais vu le dessin animé ? »

 

Si, effectivement

Tout le monde a vu le dit feuilleton un jour (vu qu’ils repassent les épisodes sans arrêt sur les canaux pirates). Je n’ai moi-même mis le temps à percuter que parce que je pensais bêtement à une possible traduction du mot « beurre » en anglais (si on ne compte pas le jeu de mot crasse qu’évoque fatalement le machin juste après). Et je me dis qu’ils auraient tout aussi bien pu l’appeler Kenny au final…

Mais je suppose que ça partait d’une bonne intention : ils n’avaient pas prévu de le buter à la base.

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