07. Blood omen be the bane of wise men!

— C’est qui, ce type ?!

 

Le « type » dont il est fait mention baignait encore dans son sang, à même le sol d’un bar malfamé de la périphérie, à en croire l’image retransmise par le canal télévisuel que tout le monde pouvait suivre dans le mess de la caserne de la compagnie…

Changement de décor, donc ! Le temps d’une ellipse, nous revenons plus ou moins aux temps présents, au soir même du jour de ma rencontre avec le dénommé Magnus. La voix nasillarde (au timbre extrêmement reconnaissable) qui venait de s’élever sur le ton de l’interrogation était celle de Charon : un de mes subalternes. Et l’un de ceux que j’apprécie le moins (dans l’escouade que je commande, toujours). Après je n’en apprécie aucun à proprement parler (et pour dire les choses franchement). Mais en ce qui le concerne, il faut préciser que ça doit aussi tenir à ses sales lubies « d’anthropophage » : lubies homologuées par un psy qui plus est !

« Oui » : y a d’sacrés cas dans mon unité (je sais, merci !).

Et manque de bol, j’en suis encore le sergent-major…

A l’époque où Gretchencko était encore vivant, on aurait gentiment renvoyé cet ostrogoth de Charon chez lui après sa « première mort » au combat. C’est juste une question de principe : on n’exécute pas deux fois un condamné pour une même peine, même s’il survit à la prime sentence. Mais faut croire que l’état-major d’aujourd’hui met un point d’honneur à donner « une seconde chance » même aux pires rebuts (surtout quand ils ne sont pas si différents de vulgaire zombies assoiffés de sang) : parce qu’apparemment, une goule sans âme, c’est censée être plus servile que le larbin moyen. C’est en tout cas ce qu’on nous répond quand on ose poser la question de la pertinence de ce genre de maintien dans l’armée. Mais bon, on donne bien l’amnistie aux nouveaux engagés aussi (ce n’est pas beaucoup plus reluisant dans les faits). Encore une mesure « contemporaine » pour essayer de regarnir les rangs d’une armée de plus en plus mal vue sinon. Plus personne ne veut s’enrôler et pour cause : si tu t’engages, c’est à vie et la mort pure et simple en cas de désertion. Le service obligatoire dès la majorité ne suffit plus à réguler le manque d’effectif croissant (et lui au moins, reste temporaire « techniquement »). Les huiles tentent bien de compenser avec l’addition d’unités robotisées, mais en dehors de simples drones, toute technologie informatique ou cybernétique d’avant la Faucheuse est toujours aussi casse-couille à réhabiliter : enfin, « sans la Pythie » ! Khor était encore en avance sur nous à ce niveau-là.

Pour le reste, notre gus (pour en revenir à lui) se verrait même carrément plutôt comme une sorte de vampire en l’occurrence. De toute façon, pour nous, c’est kif kif. On nous incite d’ailleurs à éviter de les appeler mort-vivants : paraît que c’est insultant. On préfère le terme « résurgent ».

Enfin, bref : nous nous trouvions pour lors dans le mess de la compagnie (donc) lorsque j’ai cru bon de suivre le regard du trouffion posant cette bête question. Avec quelques uns de ses comparses (dont sa fidèle Lili), il regardait un flash extraordinaire du journal télévisé.

La journaliste faisait état d’une simple baston de bar ayant dégénéré : rien de vraiment folichon en apparence. Nos gars étaient d’ailleurs déjà sur le coup : on pouvait les voir en fond de temps à autres, s’affairant autours de la scène de crime. Ce qui dénotait dans cette affaire, c’était la nature de la victime (ou plutôt son statut). Je crois que j’ai reconnu de suite le « type », rien qu’à sa tenue (plus qu’à son visage que je n’avais pas pu voir en entier). Mais l’intitulé du reportage faisait également mention de son rang d’exécuteur novice.

 

— Magnus De Trente, ai-je répondu (sans me soucier du fait que la question ne m’était pas directement adressée).

 

Un réflexe : je n’ai pas réfléchis (sinon je me serais abstenu). J’ai lâché ces mots un brin machinalement, réalisant au même instant la portée de ma potentielle implication dans cette affaire. J’étais moi-même un peu surpris, je dois l’admettre. Mais j’aurais clairement dû fermer ma gueule pour le coup…

L’envoyée spéciale était occupée à commenter diverses photos du cadavre de l’exécuteur (chose totalement illégale s’il en est, mais il était peu probable que quelqu’un porte plainte de toute manière)…

Et forcément, la plupart des gens présents dans cette pièce se sont de facto tournées vers moi !

Je l’ai sans doute déjà dit, mais il faut savoir que, d’ordinaire, je ne parle pas des masses. Je ne suis pas non plus connu pour mon aisance à tisser des liens (même vagues) avec qui que ce soit. Et ce, même si mon boulot exige d’ordinaire que je me force à travailler « mes connexions ». Alors je présume que le fait que j’eusse vaguement connu quelqu’un de notable (et à fortiori un type originaire du Vatican) avait de quoi surprendre.

 

— Vous le connaissiez ?

 

— C’est écrit dans l’onglet news en bas de l’écran, patate, lançais-je pour ma défense, avant d’ajouter à demi-voix (un peu) par remords.  Mais un pote à moi le connaissait de réputation : paraît que c’était un brave gars » ai-je cru bon d’ajouter in memoriam.

 

Il n’est pas non plus dans mes habitudes de faire ouvertement des compliments et je crois bien que cette bande d’imbéciles a simplement eu l’impression d’avoir vu quelque chose qui se rapproche d’un saint lorsque les regards se sont tournés à nouveau sur le petit écran plat.

Il faut avouer que cette affaire soulevait un certain nombre de questions.

La première qui venait directement à l’esprit était simplement : qui pouvait oser se friter avec un exécuteur. Et la seconde qui suivait immédiatement derrière : de trouver quelqu’un d’assez balaise pour lui faire sa fête (en public qui plus est). Après, ce n’était pas un exécuteur pleinement adoubé.

Mais cela pouvait déjà, en théorie, considérablement réduire le champ d’investigation (même si cela ne m’intéressait pas encore à dire vrai).

 

Un pote à toi, hein ?!

 

La voix inquisitrice était celle du caporal Marlo cette fois...

Miss Dana Marlo…

Elle se tenait sur ma gauche, non loin du mur. Elle, plus que quiconque, aurait dû savoir que je n’avais absolument aucun ami (si on ne compte pas Pandora toutefois). Pour ce qui est de toute compagnie purement humaine, je ne devais pas vraiment fréquenter davantage de monde en dehors de la personne de ce caporal justement (à l’heure actuelle, en tout cas).

Cette ravissante demoiselle était plutôt gentille (en règle générale). Mais elle prenait facilement la mouche si le moindre individu (femme, homme ou animaux confondus) daignait me gratifier du moindre intérêt.

Mais là, le gars en question était mort. Je suppose, donc, qu’elle se faisait surtout du souci pour ma pomme en fait.

 

— D’où tu l’as connu ? Ajouta-t-elle en se permettant de froncer les sourcils.

 

J’avais la main droite sur la crosse d’une de mes armes de service et je confesse que, sur l’instant, j’aurais bien répandu la cervelle de cette conne sur la cloison derrière elle : mais vas savoir pourquoi, j’ai estimé en mon âme et conscience que le mur ne méritait pas pareille offense…

 

— Le type m’a filé un coup de pouce (par personne interposée) quand je bossais sur une affaire d’enlèvement : ça te va ? Balançais-je sans état d’âme avant d’ajouter, en dehors des heures de bureau je veux dire.

 

Mais je n’aurais même pas dû lui répondre : elle risquait juste de me foutre dans la mélasse à remettre le machin sur la table en fouinant comme ça, même à supposer que ce fût pour me protéger…

Le problème avec Dana, c’est que la moindre parole est toujours sujette à caution : on ne peut pas se permettre de péter le moindre mot de traviole sans risquer de sévères représailles !

Et je ne sais toujours pas ce qu’elle n’a pas compris dans ma réponse (qui se voulait pourtant claire) mais elle s’est finalement contentée de quelque chose se rapprochant d’une moue d’exaspération avant de se barrer (ce qui n’était pas plus mal). Je crois que le pull d’un des secondes classes en faction dans la pièce a bu son café à sa place lorsqu’il a eu le malheur de la croiser en entrant (alors qu’elle-même essayait de sortir). Je ne suis pas psychologue, mais je sais vaguement ce qui cloche avec elle !

En gros, je suppose qu’elle a simplement du mal à comprendre qu’il ne se passera absolument jamais rien entre nous : rapport à ma défunte épouse notamment ! Elle a beau se faire du mouron à cause de Magnus, ça n’y changera pas grand-chose. Et elle le sait !

Elle est légèrement érotomane je crois…

Enfin, c’est ce que m’a dit le médecin du détachement quand je l’ai entretenu de la nature des avances répétées d’une certaine amie (sans pour autant la nommer bien entendu). Mais vas-y pour le lui faire comprendre à elle !! Et ce n’est pas à moi de lui demander de changer d’unité. Elle est assez grande pour comprendre qu’elle est extrêmement gênante à force.

Pour ma part, j’ai déjà essayé de me tirer ailleurs : actuellement je suis dans la compagnie Epsilon du bataillon écarlate (originairement la garde prétorienne de feu le commandeur Gretchencko comme je l’ai déjà dit précédemment). Elle n’a pratiquement jamais arrêté de me coller de prêt (et ce, depuis qu’on se connait)…

Ce n’est pas difficile : je suis le seul débile de cette putain de ville à pouvoir se targuer d’avoir une adresse « vraiment fixe ». Mon appart, je l’ai encore acheté (ce que peu de gens peuvent se permettre par les temps qui courent). Mais je n’en ai rien à battre : je ne changerai pas de crèche simplement à cause d’elle!

Et impossible de faire un rapport non plus. Surtout parce que j’aurais l’air malin si quelqu’un apprend que je rejette les faveurs d’une nana mille fois mieux gaulée que n’importe quel mannequin à l’heure actuelle : on passe vite pour un cave quand on refuse une bonne occas’ dans ce monde. Quel que soit le sexe d’ailleurs : c’est plus comme à une époque ! M’enfin, je mets quiconque au défit d’insulter la mémoire de ma femme devant moi à ce sujet. D’ailleurs, ceux qui me connaissent savent à quoi s’en tenir (y a que Dana, en fin de compte, qui entrave que dalle à ce que je dis)…

Ensuite (et elle pourrait faire un effort pour comprendre que je lui fais une fleur à ce sujet), parce que certains pontes risqueraient fort de lui rendre la pareille (niveau harcèlement, je veux dire) s’ils apprenaient jamais qu’une de leurs poules est du genre à jouer l’allumeuse, même si généralement, ils ont besoin de bien moins que ça pour faire chier les auxiliaires féminines. Un maximum de profits pour un minimum d’effort : telle pourrait être la devise de notre glorieux état-major aux jours d’aujourd’hui…

Pour en  revenir à elle, je ne souhaite ce genre d’embrassement à personne (même pas à cette idiote).

Mais je suppose que j’ai tort de me soucier de son cul : elle a prouvé qu’elle était assez grande pour le défendre toute seule. J’ai tendance à croire que je le fais pour ses parents (dont je n’ai pourtant connu que les cadavres pour ainsi dire). Il n’empêche que cette excitée pourrait essayer de se mettre à ma place par moment : parce qu’il y a des moments où ce n’est vraiment plus possible…

 

— Tenez, c’est pour vous !

 

La personne qui m’interpellait alors, m’extirpant de force de mes ruminations, était un simple soldat (de seconde classe). Un type du nom d’Archibald Samson si vous voulez tout savoir. Il avait toujours cet dégaine, l’air de dire : « je ne suis que troufion, mais j’ai été votre adjudant tout de même ». Et je suppose que c’est dommage, parce qu’il était plutôt bon comme officier. Mais c’est bien là le problème quand on est à n’importe quel poste de responsabilité : il faut être prêt à en payer le prix aussi. C’est entre autre, l’une des raisons qui m’ont toujours poussé à refuser tout type de promotion au dessus du grade de sergent-major (depuis ma « réintégration » dans l’armée en tous les cas) : trop de mauvais souvenirs !

Il était planté plus ou moins comme un piquet, me tendant les dernières instructions écrites du lieutenant de l’air le plus désabusé qui soit.

A priori, il s’agissait d’un envoi d’effectif en renfort dans une enquête sur un homicide. Le meurtre en question était survenu environ une heure plus tôt dans une boîte plutôt louche de la périphérie. Je n’ai pas mis longtemps à faire le rapprochement en voyant s’afficher à l’écran le visage d’une danseuse (flouté cette fois : privilège réservé aux vivants je suppose) dont le témoignage semblait éveiller mes soupçons quant au lieu probable de l’interview en question.

 

— Comment s’appelle ce bar ? Demandais-je à tout hasard en indiquant la télé à qui voudrait bien me répondre.

 

— Heu, le Neuvième Cercle, déclara Johnny Charon (en plissant les yeux pour mieux lire le texte défilant en bas d’écran) avant d’ajouter, pourquoi ?

 

L’adresse correspondait au lieu du crime mentionné dans le rapport.

Je me contentais d’un long et pensif « eeet meerde » à mi-voix pour toute réponse en laissant basculer ma tête en arrière dans une brève contemplation du plafond.

La paperasse que j’avais cru éviter par mon laxisme me retombait sur le coin de la gueule en définitive.

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