1.01 (part 3)

Par Feydra

La salle des serveurs était quasiment silencieuse. La moitié étaient inopérants à cause de la surtension due à l'explosion du portail. Shayn poussa un soupir de frustration alors que pour la cinquième fois, le même message d'erreur apparut sur son écran. Non. Ce satané serveur ne redémarrerait pas.
Il jeta un coup d'oeil sur l'horloge et se rappela la réunion d'urgence prévue dans cinq minutes. Tout juste le temps de remonter au niveau 9. Adieu son caf !
Il attrapa son ordinateur personnel et quitta son siège en grimaçant. Sa main gauche le lançait toujours au moindre mouvement et il n'avait pas été tendre avec elle toute cette journée. La plupart des implants étaient inutilisables et cela le ralentissait particulièrement. Pourtant, les remplacer n’était pas la priorité.
Quand il atteignit le couloir, il fut accueillit par une fragrance qui lui mit l'eau à la bouche : Trevor était là, adossé au mur du couloir, une tasse à la main.
— Tu me surveilles ? lança Shayn.
Trevor leva les yeux au ciel en une expression de fausse innocence.
— Et moi qui était là pour t'apporter un caf.
Shayn le considéra avec suspicion, mais lorsque le commandant lui tendit le mug, il l'accepta avec plaisir. Il prit une gorgée chaude et bienfaisante.
— Tu es là depuis combien de temps ? fit Shayn, en lui emboitant le pas.
— Quelques minutes. Je profitais du calme avant la réunion.
Ils remontèrent le couloir jusqu'à l'ascenseur en silence. Lorsqu'ils atteignirent la cabine, Trevor désigna les portes closes :
— Avec un peu de chance ... ?
Shayn secoua la tête en grimaçant.
— Désolé. L'interface ne fonctionne plus.
Trevor soupira. Ils tournèrent à droite et commencèrent à grimper les larges escaliers en colimaçon. Leurs pas résonnèrent entre les murs épais et lisse. Des lumières tamisées et clignotantes guidaient leurs pas. Trevor les observa d'un air inquiet.
— Les circuits électriques ont pris un sacré coup. Tant qu'on aura pas réparé les conduits, l'énergie va fluctuer, expliqua Shayn.  
— Au moins, on n'aura pas à supporter ces éclairs.
Shayn acquiesça. Le caf était bu depuis longtemps et l'avait réchauffé, mais il se sentait abattu et épuisé. A peine sorti de l'infirmerie, il avait passé la journée à parcourir la station pour veiller aux réparations essentielles.
Un brouhaha humain les accueillit lorsqu'ils émergèrent au rez-de-chaussée : l'atrium dévasté s'étendait devant eux. Les hommes et les femmes valides étaient tous occupés à déblayer et à réparer ce qui pouvait l'être. Shayn jeta un regard effaré aux vestiges du portail, au fond de la salle et à la passerelle effondrée.
Ils grimpèrent les escaliers et se faufilèrent entre les amas de débris. Ce côté-ci de la rotonde avait mieux résisté. En entrant dans la salle de réunion, ils s'aperçurent que tout le monde était déjà installé : Bernard Difter, à sa place habituelle ; Allegra Sonnenfeld, la responsable du comité d'éthique ; le docteur Scyllae, médecin en chef de la base ; le lieutenant Talla Albarancius, officier en second de Trevor et le docteur Neal Davian, l'assistant de Shayn. Ce dernier sentit son cœur se serrer quand son regard se posa sur le siège vide de la directrice.
— Docteur, commandant, on n'attendait plus que vous, fit Bernard.
— Bernard, le salua Shayn.
Il s'installa en bout de table, Trevor se laissa tomber sur le fauteuil à ses côtés. Le directeur adjoint regarda tour à tour les hommes et les femmes présents : ce petit homme affable, d'une loyauté sans faille envers la directrice et la corporation qui l'employait, était blafard. Des hématomes sur son visage soulignaient qu'il avait été au milieu du chaos, mais il avait eu de la chance.
— Je sais que vous êtes tous épuisés, après ces jours difficiles. Cependant, nous devons faire le point. Des décisions doivent être prises.
Le silence fut sa seule réponse alors qu'ils le fixaient attentivement. Il se racla la gorge et posa les deux mains sur la table.
—  Commençons par vos rapports. Docteur Scyllae ?
Illyane sursauta légèrement, comme si elle s'était endormie. Shayn la considéra avec attention : les cernes noirs agrandissaient ses yeux injectés de sang ; la pâleur de sa peau et la lenteur de sa réaction soulignaient son épuisement.
— Pardon. J'imagine que vous voulez un bilan. Cinq morts ont été à déplorer des suites de l'incident et nous avons encore deux patients en état critique. Le reste des blessés a été libéré. J'ai indiqué aux différents chefs d'équipe les gens pour qui il faut prévoir un travail allégé.
— Et qu'en est-il du moral ?
Illyane le fixa d'un air incrédule et lâcha un bref éclat de rire. Shayn grimaça : cela ne présageait rien de bon. Le visage de Bernard se raidit, mais il ne commenta pas.
— A votre avis ? Les gens sont choqués et ont peur. Beaucoup s'inquiète de ne plus être en contact avec la planète mère et d'être isolés au milieu de nulle part.
— Faut-il prendre des mesures ?
— Pour l'instant, tout est sous contrôle. Tout le monde es très occupé et en mode survie. Cependant, quelques nouvelles, de préférence bonnes, ne peuvent qu'aider.
Shayn ne put retenir un ricanement. Illyane lui jeta un regard noir et il répondit par un sourire contrit. Bernard riva ses yeux sur lui.
— A votre réaction, Docteur D'Lesser, j'imagine qu'on peut toujours attendre les bonnes nouvelles.
— Nous avons stabilisé le circuit énergétique, mais beaucoup de serveurs ont grillé. Nous pouvons maintenir le fonctionnement des systèmes vitaux, mais il va falloir trouver le moyen de réparer. Les patchs mis en place sont fragiles. Mes équipes sont en train de réparer les conduits endommagés. Quand ils auront terminé, cela devrait stabiliser le tout. Voilà les seules bonnes nouvelles que j'ai à vous donner.
— Donc, rien ne va exploser dans les heures qui viennent, intervint Talla d'un ton acide.
Shayn leva un sourcil et répondit d'un ton froid :
— Non, Talla. Rien ne devrait exploser.
Un rictus fut la réponse du lieutenant. Trevor jeta à son second un regard d'avertissement, et elle détourna les yeux.
— Comment réparer ? demanda Bernard.
— Nous n'avons pas assez de pièces de rechange et hors de question d'utiliser l'imprimante 3d. De toute manière, nous n'avons pas assez de matière première. Si Epsilon Sigma ne peut pas nous fournir, je ne vois pas comment on pourra réparer.
— Nous avons perdu le contact, au cas où vous l'auriez oublié.
— Merci de me le rappeler.
— Docteur, intervint Allegra de sa voix douce et mielleuse, avez-vous une idée de ce qui s'est passé ?
Shayn soupira avec agacement.
— Je n'ai pas vraiment eu le temps de me pencher sur la question.
— Vous connaissant, ce n'est pas tout à fait vrai, répondit-elle avec un sourire.
Il la scruta un long moment, l'air mécontent, mais la femme se contenta de le regarder avec sérénité.
— J'y ai réfléchi, c'est vrai. Mais sans faire un diagnostic complet, ce ne serait que des conjectures. Je ne vois pas trop l'intérêt de les dévoiler maintenant.
— Docteur, intervint Bernard.
Shayn leva les yeux au ciel.
— Très bien, si vous tenez à vous miner le moral encore plus, lâcha-t-il. Je pense que ce qui a causé la destruction du portail est une déflagration venue du portail de Palladium.
— Donc, tu veux dire que ..., souffla Illyane.
Il la regarda avec une grande douceur.
— Oui. Cela signifierait que le siège d'Epsilon Sigma n'existe plus.
Un silence de plomb s'abattit sur la salle de réunion. Les regards se firent effarés, terrifiés même.
— Selon vous, il n'y a pas d'autres possibilités, reprit Allegra.
— Comme je vous l'ai dit...
— Oui, oui, je sais, vous n'avez pas eu le temps de faire une simulation. Quels sont vos arguments pour cette hypothèse ?
— Si le portail était entré en surcharge de notre côté, toute la station aurait été vaporisée.
— Comment pouvons-nous savoir ?
— Il faudrait avoir des nouvelles de Palladium, intervint Trevor.
— Nous n'avons aucune moyen de communiquer directement avec la planète-mère, fit Bernard.
— Il y a bien un réseau de communication dans cette foutue station, s'agaça le commandant.
— Ce système solaire n'est pas sur le réseau intergalactique, expliqua Shayn. C'est bien pour ça qu'on est les seuls à avoir découvert cette ancienne station.
— Il y a bien un ancien satellite, fit soudain Neal. Il est en orbite lointaine.
Shayn le fixa d'un air concentré, puis claqua des doigts.
— Oui. Il est désactivé et terriblement ancien, mais si on parvenait à le réparer, on pourrait s'en servir pour se connecter au réseau.
— On pourrait envoyer un message ?
— Non. On pourrait au moins avoir des nouvelles. Une fois qu'on aura découvert et mis en route les systèmes de communication longue distance de la station, on pourra peut-être communiquer.
— On pourrait utiliser la navette pour l'atteindre, proposa Trevor, d'un ton excité.
Bernard consulta du regard Allegra, qui hocha la tête.
— D'accord, on peut essayer. Cependant, commandant, qu'en est-il des réparations et des ressources ?
— Le sergent Seltek a fait  un inventaire de nos ressources en nourriture ; il vous a transmis le document. Selon ses calculs, il nous reste de quoi nourrir la base pendant deux semaines, en rationnant.
— En ce qui concerne les médicaments, intervint Illyane, c'est la même chose. Je suis obligée de restreindre l'usage des anti-douleurs et des antibiotiques aux blessures graves, donc dites à vos équipes de faire attention.
— Ils sont en train de déblayer et de faire des réparations critiques, docteur, fit Trevor. Et ils sont épuisés ; les accidents peuvent vite arriver.
Illyane haussa les épaules d'un air penaud. Shayn fut soudain pris d'une envie de la serrer dans ses bras, tellement elle paraissait égarée à cet instant.
— Ce que vous êtes en train de dire, c'est que dans un peu plus de deux semaines nous sommes morts, et que nous ne pouvons rien y faire, si nous ne reprenons pas contact avec Palladium, résuma Bernard, d'un ton défait.
— Il faut surtout trouver une solution, lâcha Shayn. Il nous reste deux semaines pour trouver une source de nourriture fiable. On peut envoyer du monde sur la planète. Sa végétation est florissante. Et il faut qu’on réactive le noyau de la station.
— Vous avez dit vous-mêmes que c'était trop dangereux, docteur.
— Vous connaissez l’adage, à temps désespérés, mesures désespérés, ou quelque chose comme ça. Avec le noyau originel, nous aurions un meilleur contrôle de la station et peut-être même la possibilité d’activer les autres portails.
— On ne va pas se laisser dépérir dans rien faire, directeur, renchérit Trevor.
A ce titre, Bernard le fixa intensément pendant quelques secondes. Puis, il hocha la tête.
— Très bien. Commençons par ce satellite. Je veux savoir ce qui s'est passé. Docteur D’Lesser, Commandant, je vous confie cette mission. Nous autres, nous allons préparer un plan de survie pour optimiser nos chances.

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