Trevor fut soulagé en s’apercevant que les niveaux d’habitations du niveau 8 n’avaient pas subi de dégâts structurels : heureusement, ils étaient de l’autre côté de la flèche centrale. Cependant, les lumières oscillantes et l’odeur de composite brulé persistante dans l’air lui rappelait sans cesse le désastre et les ennuis qui les attendaient encore.
Trevor s’arrêta devant la porte en métal bleuté et prit une profonde inspiration. Il n’avait pas vraiment envie de voir Shayn juste maintenant, pas si vite après la découverte de sa trahison. Pourtant, Neal avait raison. Le génial physicien était le seul à pouvoir régler le problème des générateurs rapidement. Il plaça son poignet sur la serrure pour déverrouiller la porte. Il n'eut pas à entrer dans la petite chambre pour découvrir Shayn D'Lesser, debout, en train d'enfiler la veste de son uniforme. Il posa sur le commandant son regard confiant.
— Quelle est la situation ?
— Avant toute chose, sache que tu es toujours prisonnier tant qu’Aurora et les dirigeants d’Epsilon Sigma n’auront pas statué sur ton sort.
Une grimace traversa le visage rond du scientifique et un éclair d'irritation ses iris bleus.
— Je sais. Tu veux continuer à perdre du temps avec des évidences, ou m'expliquer pourquoi tu as besoin de moi.
L'agacement faisait déjà son chemin dans l'esprit du commandant, accompagné d'une furieuse envie de repartir, en l'enfermant à nouveau. Il prit une profonde inspiration.
— Bon, j'imagine que je dois deviner tout seul, reprit l'autre. A en juger par la secousse que j'ai sentie et par les lumières vacillantes et les grésillements pas très rassurants que j'entends dans les murs, il y a eu une explosion, qui a causé une surtension dans les systèmes. Étant donné la puissance que j'ai senti - et crois-moi, j'espère mon tromper -, c'est sans doute le portail.
— Tu ne te trompes pas.
Shayn pâlit et sortit de la pièce en bousculant Trevor.
— Tu ne sais même pas ce que ..., appela le commandant, alors que le scientifique s'éloignait dans le couloir.
— Le générateur, lança-t-il, en se tournant vers lui. Je ne me trompes pas ?
— Non, grogna Trevor, en partant à sa suite.
Malgré l'irritation que l'attitude de Shayn provoquait toujours chez lui, il ne pouvait s'empêcher d'être rassuré lorsque le scientifique entrait en mode résolution de problèmes.
Ils descendirent rapidement au niveau inférieur, un immense espace fait dans la matière à la fois minérale et métallique qu’on trouvait partout dans la station. A l’intérieur, plusieurs gigantesques piles à fusion, typiquement humaines, crépitaient d’énergie. Elle baignait dans la lueur rouge des lampes de sécurité et de temps en temps, des éclairs bleutés zébraient l’atmosphère surchargé d’ozone. Dans la salle de contrôle, séparé du reste par une verrière, un homme se tenait le bras, assis contre un mur, alors qu'un autre essayait tant bien que mal de l'aider.
— Colson, emmenez-le à l'infirmerie, lâcha le scientifique à peine arrivé. Vous attendez quoi, qu'il meure d'une infection ?
Le scientifique un peu échevelé sursauta, regarda son supérieur avec de grands yeux, puis hocha la tête, d'un air déterminé. Il aida son collègue à se lever et ils disparurent dans le couloir.
— Hasbin, allez avec eux, continua-il en posant un regard distrait sur le troisième homme, qui s’activait aux commandes sans grand succès.
Le technicien disparut à la suite de ses collègues. Shayn les ignora, concentré sur l’affichage de l’écran holographique. Ses yeux étaient plissés en une expression de concentration, mais son teint blafard soulignait sa frayeur. Un frisson remonta le long des nerfs du commandant. Une telle expression sur le visage de Shayn n’était pas une bonne nouvelle.
— Alors ? fit Trevor en se positionnant derrière le scientifique.
— La surtension due à l'explosion a endommagé de nombreux conduits entre ici et l’atrium. L’énergie ne se répartit plus correctement et les générateurs vont entrer en surcharge.
— Et ?
Shayn se retourna et jeta un regard irrité à son collègue. Celui-ci le soutint fermement. Le scientifique soupira et retourna son attention sur l’écran.
— Je ne peux pas les éteindre pour réparer les circuits, sinon adieu la gravité artificielle et nous allons vite étouffer ou mourir de froid, au choix, lâcha-t-il d’un ton nerveux, en entrant des commandes de ses doigts agiles.
— Shayn …
Celui-ci claqua des doigts d’un air excité.
— Je sais… Je peux contourner les endroits endommagés pour recréer une grille saine… , murmura-t-il, sans faire plus attention à Trevor.
D’un geste agile des doigts, il fit disparaitre l’écran, puis activa une commande sur la console. Une représentation holographique en trois dimensions de la salle des générateurs apparut. Grâce aux implants subdermaux installés dans ses mains, il essaya d’activer une commande. Un message d’erreur clignota.
— Merde, l’interface holographique est endommagée aussi.
Trevor s’approcha de la baie et examina la salle en fronçant les sourcils. Une couronne de lumière rouge illuminait le sommet de deux des quatre générateurs. Les décharges d’énergie à haute intensité devenaient de plus en plus nombreuses.
— On peut fonctionner avec la moitié des générateurs ? demanda-t-il.
— Il faudra éteindre les systèmes non essentiels et passer en mode survie, répondit Shayn d’un air pensif. Ce n’est pas aussi simple qu’appuyer sur un bouton, mais …
Il ramena l’écran holographique et le fixant en fronçant les sourcils.
— Mais … ?
Shayn leva la main, lui coupant efficacement la parole. Il agrippa une tablette, y transféra le plan du réseau et rejoignit Trevor.
— Je vais avoir besoin de toi, fit-il. Je dois intervenir directement sur les générateurs pour réactiver les circuits de secours. Il va falloir que tu les retires du réseau juste le temps que je fasse les manipulations.
— Tu as vu les éclairs à l’intérieur ? C’est de la folie.
— On n’a pas le choix.
Trevor le considéra un long moment, puis il hocha la tête. Il se plaça devant la console. Shayn prit une profonde inspiration, ouvrit la porte et entra. L’air lourd et surchargé d’électricité statique lui oppressa la poitrine et fit se dresser les poils sur ses bras. Des décharges d’électricité reliaient les générateurs entre eux. Les murs en composite couleur olive, gravés de symboles, étaient tâchés de noir là où les éclairs avaient frappés.
— Commence par le premier.
Aussitôt, sa représentation sur sa tablette fut entourée d’une halo rouge et un message d’alerte jaillit.
— Shayn ! fit Trevor dans le communicateur. Le générateur est en train d’entrer en surcharge. Il te reste trente secondes.
— Je sais, lâcha le scientifique entre ses dents serrés.
Il activa l’interface de la pile à combustibles, tapa quelques lignes de code pour passer outre les mesures de sécurité et afficha le schéma de la grille d’énergie. Il activa les conduits secondaires. A son grand soulagement, ils scintillèrent en vert.
— C’est bon.
Sur sa tablette, la pile clignota un long moment, puis redevint d’un joli vert apaisant.
— Je passe au suivant.
Trevor ne fit aucune remarque, mais, à travers le communicateur, il sentit sa désapprobation face à son omission. Il allait en entendre parler quand il sortirait de là. Toutefois, ce n’était qu’une broutille comparée au sentiment de trahison qu’il avait dû ressentir quand il avait appris qu’il travaillait pour les Universités Galactiques.
Shayn repoussa ces pensées parasites et avança vers la pile à combustible suivante. Le grésillement ambiant s’intensifia soudain. Il sentit ses cheveux se hérisser sur son crâne. Levant les yeux vers le plafond, il fit un bond sur le coté, heurta une console et s’y appuya dessus pour éviter de s’effondrer. Un éclair surchargé en énergie frappa le sol juste devant lui. L’électricité résiduelle se répandit le long de la console et frappa sa main. Plusieurs de ses implants subdermaux grillèrent, créant une vague brulante de douleur qui remonta le long de ses nerfs jusque dans son épaule.
Il grogna et recroquevilla son bras contre sa poitrine en crispant les paupières.
— Shayn ! qu’est-ce qui se passe ? fit Trevor dans le communicateur. La décharge t’a touché ?
Serrant les dents pour lutter contre la souffrance, il réalisa que Trevor n’avait pas vu ce qui lui était arrivé. Une fois que la première vague fut passée, il reprit le contrôle de son souffle et rouvrit les yeux. Une pulsations sourde traversait encore son bras et sa main paraissait en feu.
— Shayn ?
— Il n’est pas tombé loin, mais il m’a raté, mentit Shayn.
— Dépêche-toi, grogna le commandant.
Shayn rejoignit la deuxième pile à combustible en s’efforçant de ne pas faire attention à l’orage au-dessus de sa tête.
— C’est bon.
Il répéta la même manipulation et attendit en retenant son souffle que la pile passe au vert. Les décharges d’énergie crépitantes au-dessus de sa tête provoquaient des élancements douloureux dans son crâne.
La pile se stabilisa. Il eut l’impression qu’un orage se calmait, alors que les échanges d’énergie entre les piles à combustibles s’éteignaient doucement. Il vérifia l’état des générateurs sur son outil de diagnostic et sourit.
— J’ai réussi, fit-il à l’attention de Trevor. Les générateurs ne vont pas fonctionner à cent pour cent de leurs capacités, mais cela devrait suffire jusqu’à ce qu’on puisse faire des réparations.
— Bravo ! retentit la voix de Trevor. Il faut que je remonte dans l’atrium.
— Vas-y. Je t’y rejoins quand j’ai terminé de tout contrôler.
Shayn vacilla, soudain envahi par une faiblesse brutale. Il s’appuya au mur.
— Je t’attends.
Le scientifique ne put retenir une bouffée d’irritation. Ayant repris son souffle, il se redressa en grimaçant et remonta vers la salle de contrôle.
— Tu n’as pas besoin de me surveiller, lâcha-t-il. Où veux-tu que j’aille ?
Un long silence s’étira.
— Ouais. Rejoins-moi là haut quand tu as fini. Je t’envoie quelqu’un pour t’aider.
— Ce n’est pas …
Shayn soupira et se tut quand il s’aperçut que Trevor était déjà parti, et que son communicateur n’était plus sur leur canal. Il activa l’ouverture de la porte de sa main valide et se glissa avec plaisir dans la salle de contrôle à l’air pur et frais. Son bras droit le lançait atrocement et il ne pouvait plus bouger les doigts. Il espérait que ses implants sub dermaux n’étaient pas tous détruits.
Il utilisa le clavier de la console pour lancer le diagnostic des piles à combustibles et s’affala dans l’un des fauteuils en attendant son résultat. De la sueur perlait à son front et il avait du mal à garder les yeux ouverts.
Il activa sa radio.
— Neal ?
— Docteur D’Lesser ? Est-ce que ça va ? répondit immédiatement son jeune collègue.
— Ca va. J’ai stabilisé les générateurs. Vous devriez pouvoir récupérer la plupart des systèmes.
Un silence. Puis Neal reprit la parole.
— Oui. Ça fonctionne. Les décharges plasmiques ont stoppé.
— Comment ça se passe là-haut ?
— Les opérations de déblaiement sont encore en cours. Les ingénieurs s’efforcent de stabiliser la structure.
— En ce qui concerne les dégâts ?
— Je viens de lancer le diagnostic. D’après les témoignages, toute la partie droite de la flèche a été gravement endommagée jusqu’au niveau 1. Certaines salles sont soumises au vide.
Un étau serra le cœur de Shayn. Il refusait de penser au nombre de victimes.
— Trevor est arrivé ?
— Oui. Juste à l’instant.
— Dis-lui que ce n’est pas la peine qu’il m’envoie quelqu’un. Je vous rejoins dans cinq minutes.
— Très bien.
La silence se fit dans son communicateur. Il le désactiva et l’enleva. Lorsqu’une sonnerie lui indiqua la fin du programme, il se leva et observa les résultats. Ce n’était pas l’idéal, mais cela tiendrait un moment.
Pris d’un vertige, il vacilla et se laissa glisser contre la paroi rugueuse et froide. Il remonta les genoux contre sa poitrine et laissa son front brulant reposer dessus.
Shayn se laissa aller au silence de la pièce. Pendant qu'il attendait dans sa chambre devenue prison, il avait rempli ce silence par tout ce qu'il avait trouvé. Mais après avoir supporté le grésillement de l’électricité dans la salle des générateurs, il aspirait à l'absence de bruit.
— Tu es encore là, fit une voix douce.
Il sourit et ouvrit les yeux. Illyane, debout juste devant lui, le regardait en fronçant les sourcils.
— Trevor m’a envoyé voir ce que tu faisais.
— C'est gentil de sa part, commenta-t-il. Il n’est pas très patient.
— Tu es resté là quarante cinq minutes, Shayn.
Il cligna des yeux, surpris. Son esprit semblait fonctionner au ralenti.
— Il m’a dit : « Va voir ce si cet idiot va bien. »
— Typique.
— Shayn ?
Le scientifique rouvrit les yeux, surpris de les avoir fermés.
— Allez lève-toi.
Il attrapa la main tendue et se laissa tirer vers le haut. Il grimaça quand le mouvement tira sur les chairs brulés de son bras. Illyane le soutint en passant son bras valide par-dessus son épaule.
— Alors tu nous as encore sauvé la mise aujourd'hui, fit la jeune femme, malicieusement.
Shayn se laissa entrainer en direction de l'infirmerie. Il sentait les effets secondaire du choc qu'il avait reçu s'installer dans son corps et ce n'était pas très agréable.
— C'était un travail d'équipe, souffla-t-il.
Un petit rire accueillit sa réponse. Lorsqu'ils atteignirent l'infirmerie, cependant, Illyane prit une expression plus sombre. La plupart des lits étaient occupés par des blessés. Au fond, à même le sol, plusieurs civières accueillaient des corps recouverts de draps.
— Combien ? murmura Shayn d'une voix rauque.
— Cinq, répondit Illyane. Et une dizaine de blessés plus ou moins graves. Mais on n’a pas terminé de vérifier les niveaux inférieurs.
Le scientifique ne répondit pas, se contentant de laisser son regard errer sur le centre médical en chaos. Au moment où Illyane l'aidait à s'installer sur un lit libre, Trevor apparut.
— Je vais m'en occuper, fit-il, en regardant le docteur.
Celle-ci consulta Shayn du regard. Il hocha la tête. Elle déposa un baiser sur sa joue.
— Je reviens dans quelques minutes pour m'occuper de toi.
Elle s'éclipsa pour aller rejoindre un autre patient. Shayn s'allongea, maintenant son bras blessé contre sa poitrine. Trevor s'assit sur le lit à côté et se frotta les yeux en grognant.
— Tu verrais l'atrium. Une vraie catastrophe. Et plus de portail.
— Aurora ?
— Elle venait de prendre le couloir quand il a explosé.
Shayn grimaça.
— Et merde.
— Je ne te le fais pas dire. Mais bon, ça t'arrange.
Shayn braqua un regard acéré sur lui, l'expression fermée.
— Tu crois vraiment que je pourrais me réjouir de sa mort ...
— Je ne sais plus que croire, Shayn. Tu travaillais pour l'ennemi.
— L'ennemi ? Tu t'entends ? Je suis un agent des Université Galactiques, pas de l’Eglise Apocalyptique.
Le commandant pinça les lèvres.
— Tu sais très bien que l'espionnage corporatiste peut s'y apparenter.
— Ouais. Sauf que dans cette histoire, je ne faisais que chercher à rectifier un vol.
— On ne pourra jamais le prouver.
Shayn soupira.
— Tu es si loyal à Epsilon Sigma que tu ne peux envisager une seconde qu'ils puissent voler à leur rival. Alors même que tu viens de me parler de guerre.
Trevor ouvrit la bouche, puis hésita. Il n'avait pas tort, aussi irritant que cela soit.
— Alors, que vas-tu faire ? Tu vas me garder enfermé ?
Le commandant se passa une main dans les cheveux. L'épuisement se lisait sur ses traits, mêlé à de la peine. Trevor pouvait se montrer dur, violent même parfois, mais il était loyal et avait à cœur la protection de ses hommes et de ses compagnons.
— Cela ne servirait pas à grand chose. De toute manière, tu ne peux pas aller bien loin.
— C'est vrai.
— Mais ça va me rester en travers de la gorge encore un long moment.
— C'est ton droit le plus strict.
Trevor tapota l'épaule de Shayn :
— Allez, repose-toi. Tu vas avoir du pain sur la planche.
Il s'allongea sur le lit et croisa ses bras derrière la tête. Shayn le fixa un long moment, une expression impénétrable sur le visage, puis il ferma les yeux.