1.05 Les chemins de l'univers (Partie 2) [Part 2]

Par Feydra

Talla avançait en silence, concentrée sur le sol recouvert d’humus et de champignons violets. Les arbres serrés rendaient la progression difficile. Dans son souvenir, ils étaient bien plus éloignés et rachitiques lors de l’attaque. Au bout de deux-cents mètres, elle s’arrêta.

— Vous êtes certains qu’ils se sont enfuis par là, avec des otages ?

Trevor hocha la tête avec impatience.

— Je ne trouve aucune trace.

Peter grogna.

— Dans un sous-bois aussi dense, c’est pas étonnant.

Le sergent plaça les poings sur ses hanches et toisa l’homme. Dans l’obscurité, ses tatouages tribaux luisaient doucement.

— Ces gars étaient combien ? Six. Et ils étaient baraqués, d’après ce que j’ai vu à l’infirmerie. Ils auraient déchiré les écorces, arraché des feuilles, marqué le sol. Trainer les prisonniers auraient laissé des traces. Là, il n’y a rien.

Trevor se massa la nuque, frustré.

— Ils n’ont quand même pas disparu comme ça !

— Il faut croire que si ! lâcha Talla, aussi tendue que lui.

— Ça ne sert à rien de rester ici, concéda Peter. Retournons à la pyramide. Peut-être que la doctoresse aura trouvé quelque chose.

À son regard abattu et ses lèvres serrées, on lisait sa déception. Trevor le comprenait. Perdre ses hommes et ses amis, il l’avait vécu il n’y a pas si longtemps, sans pouvoir rien y faire. Ils rentrèrent au village en silence.

Lorsqu’ils pénétrèrent dans la pyramide, fourbus, le soleil était haut dans l’horizon. Une demi-journée était déjà passée depuis que le second groupe s’était posé sur la planète. Bientôt, la longue nuit commencerait, et cela déprimait davantage le commandant.

Ils déposèrent leurs armes dans l’armurerie de fortune qui avait été aménagée près de l’entrée. L’une des habitantes, une femme au visage couturé et à la carrure féline, les agrippa et immédiatement et entreprit de les nettoyer.

Peter rejoignit ses hommes pour les avertir, tandis que Trevor et Talla s’apprêtaient à retrouver les scientifiques. Neal surgit à ce moment-là en courant.

— Le cosmologue soit loué, vous êtes là !

— Quoi encore ?

La mauvaise humeur de Trevor était en train d’emporter la meilleure part de lui-même. Talla lui jeta un coup d’œil prudent.

— C’est Altarius et Shayn. Ils sont en train de se disputer.

Trevor jura.

— C’est pas vrai !

Sa compagne se contenta d’une grimace et suivit les deux hommes. Lorsqu’ils pénétrèrent dans la salle de contrôle de l’installation, ils virent Altarius et Shayn au fond de la pièce. Seth, l’un des agents de Trevor, s’était interposé et s’efforçait de repousser un Altarius furieux.

— Virez-moi cette abomination de nos systèmes ! hurla celui-ci.

Trevor les rejoignit.

— Qu’est-ce qui se passe ?

Altarius pointa le scientifique du doigt.

— Cet hérétique a introduit une intelligence artificielle dans les machines.

Shayn se figea et serra les poings. Hérétique. Le mot traversa son esprit et y laissa une trace brulante. Il repoussa les souvenirs qui tentaient de se frayer un chemin. Altarius, enragé, paraissait incapable de se calmer. Trevor se plaça juste devant le chef et planta son regard dans celui-ci.

— Vous savez que je ne vous laisserai pas lui faire du mal, Altarius, lâcha-t-il d’un ton glaçant. Vous savez ce que je peux faire.

Tremblant, Altarius le considéra pendant de longues secondes. Puis il fit un pas en arrière. La colère irradiait de lui par vagues. Trevor garda les yeux rivés sur l’homme furieux.

— Shayn, tu m’expliques ?

Son ami se décala, afin de maintenir Trevor et Altarius dans son champ de vision, et il eut la bonne idée de se mettre hors de portée.

— Ce n’est pas une IA. C’est tout au plus une intelligence virtuelle. Elle est en train de scanner les systèmes pour traquer les dysfonctionnements et chercher …

Il se mordit les lèvres et détourna les yeux.

— Shayn…

— Il ne va pas aimer …, lâcha-t-il, en pointant Altarius, qui le fixait d’un regard noir.

— Shayn !

— J’ai discuté de cette installation avec … notre amie … à la station. Elle est à peu près sure qu’il devrait y avoir une IA ici, sans doute dormante.

Altarius pâlit. Shayn inspira profondément.

— Écoutez, fit-il, en se rapprochant de l’homme. Je peux effacer le programme quand je veux. Mais c’est le moyen le plus efficace et rapide pour comprendre ce que fait cet endroit et quelles sont ses particularités. Si IA il y a, vous ne pourrez pas le faire fonctionner sans elle.

Altarius se détourna et s’éloigna. Les bras croisés, tendu, il garda le silence. Shayn et Trevor échangèrent un regard.

— Tu es certain de ce que tu fais ? chuchota Trevor. Avec notre IA ?

Shayn, un brin irrité, lui jeta un regard noir.

— Certain ? Pas vraiment ! Qu’est-ce que tu crois ? Depuis que ce foutu portail a explosé, on navigue à vue. La station dépérirait sans son IA. Et cette installation ne doit pas être différente. Voilà tout ce que … j’espère.

Le dernier mot fut prononcé en un souffle presque inintelligible. Trevor haussa un sourcil et observa son ami. Il paraissait épuisé ; sa force mentale ne tenait qu’à un fil, sans doute supportée par sa massive arrogance, mais même celle-ci s’effritait sous le poids du chagrin et du doute. Il posa une main sur son épaule.

— Hey, tu devrais peut-être souffler un peu. Depuis combien de temps tu n’as pas dormi ?

Un rire amer jaillit de la gorge de Shayn. Il se frotta les yeux et les tempes.

— Je ne sais plus.

Altarius revint à ce moment-là.

— Nous n’avons pas le choix, affirma-t-il.

Sa voix épuisée démentait la détermination de ces paroles. Pourtant, son regard paraissait plus ferme et apaisé. Un rictus étira ses lèvres.

— Les biais que l’Église nous a forcés à entretenir depuis notre plus jeune âge ont la peau dure. Je suis désolé de vous avoir traité d’hérétique, docteur.

— Il n’y a pas de mal.

— Je veux juste avoir le maximum de contrôle sur l’installation.

— Je mettrai en place toutes les procédures de sécurité imaginables, assura Shayn.

Altarius hocha la tête, et toutes les personnes présentes respirèrent plus facilement. Shayn rejoignit Neal à l’immense console de commande. Trevor les observa un moment. Ils examinaient leurs tablettes, et de temps en temps, les machines. Faite dans le même matériau ocre que le reste du bâtiment, elle était gravée de signes et de boutons, dont le soldat ignorait la fonction. Au-dessus flottait un écran holographique noir.

Trevor se rapprocha d’Altarius, qui la mine sombre et les bras croisés, surveillait les scientifiques.

— Nous n’avons trouvé aucune trace dans les bois.

Une grimace dépara les traits fatigués de l’homme.

— Ce n’est pas une surprise. C’est comme s’ils se volatilisaient. Après chaque attaque, on a cherché, à chaque fois la forêt ne portait aucune trace de leur passage.

— Vous n’avez pas songé à vous éloigner, vous installer ailleurs ?

— On y a pensé. Mais Samara nous a fait promettre de percer les secrets de cet endroit. Et puis, c’est ici que nous avions construit notre chez nous. Le système de sécurité fonctionnait jusqu’à présent. Et puis … nous avions toujours l’espoir d’apprendre ce qui était arrivé aux nôtres et de les retrouver…

— L’espoir, hein …

Altarius sourit avec tristesse.

— Il est un moteur et parfois une malédiction.

Une exclamation triomphante attira leur attention. Trevor scruta Shayn : à son expression, il sut que cela avait fonctionné. Les deux hommes se rapprochèrent. En les voyant, Shayn leur montra sa tablette.

— C’est la liste des systèmes qui ont été repérés et …

Au centre de la console, une lumière bleutée scintilla et s’éleva, formant un tourbillon lent et fascinant. Un sifflement en émana et tout le monde se couvrit les oreilles en grimaçant. Cela dura quelques secondes, puis ils discernèrent des sons qui cherchaient à se frayer un chemin.

— Sarskat deb illig miras …

Shayn fronça les sourcils, en essayant de traduire les mots mycélliens.

— Je ne comprends pas. Nous ne parlons pas votre langue. Nous sommes humains. Persdam.

Le silence plongea sur la pièce. Les photons continuaient leur course folle. Enfin, la figure se calma et se figea en une arabesque harmonieuse qui tournait doucement sur elle-même.

— Intelligence virtuelle de niveau 2 en attente…, fit une voix en commun, dysfonctionnements en chaines … réparations et redémarrage des systèmes sensibles … chrono en attente …

Tous les regards étaient fixés sur le phénomène. Puis les quantums de lumière se réagencèrent une nouvelle fois.

— Je suis IV X-Béta-9, en charge de la station B-44, sur la planète B-2, dans le système solaire Erigan. Mes systèmes ne sont pas à cent pour cent opérationnels. Requiert réparations.

— C’est ce que nous essayons de faire, répondit Shayn.

Des tourbillons carmin entrèrent en collision avec les photons bleus.

— Programme espion repéré. Mise en quarantaine. Destruction …

— Attends ! Il s’agit d’un programme dérivé d’une autre intelligence comme toi. C’est un utilitaire de diagnostic.

— Analyse.

Shayn jeta un coup d’œil sur les spectateurs derrière lui. Un silence tendu avait envahi la pièce comme si l'IV risquait d’exploser à tout moment. Le scientifique ne comprendrait jamais les réactions de ses congénères face aux intelligences artificielles.

— Code très ancien. Plusieurs milliers d’années. Mais utilisable.

La forme étincela avec plus d’intensité. Les lignes de code sur la tablette de Shayn s’affolèrent. Il fronça les sourcils.

— Elle est en train de réécrire l’IV…

— Et c’est une bonne chose ? intervint Trevor.

Shayn allait répondre quand la console entière luit et bourdonna avec force. L’écran holographique inerte s’éclaircit et se divisa en plusieurs parties.

— Fusion terminée. Diagnostic des systèmes en cours. Demande d’information …

— Euh … Oui ?

— Besoin de l’empreinte du …recherche du mot adéquat … directeur.

Shayn se tourna vers Altarius. Ce dernier, interdit, le fixa.

— C’est une procédure sans danger, expliqua-t-il, qui vise à vous identifier auprès d’elle. Elle suivra vos instructions.

Il jeta un coup d’œil à Trevor qui hocha la tête. Alors il s’avança.

— Je suis Altarius, le chef des habitants.

Il tressaillit quand une lumière le frappa et l’engloba pendant quelques secondes.

— Enregistrement de l’empreinte terminée. Altarius, vous êtes maintenant mon directeur.

— Nous avons besoin que la pyramide soit opérationnelle pour être en sécurité.

— Station de recherche et protection en attente. Relais 4 et 6 inopérants. Rémanences subspatiales détectées…

— Où ? intervint Shayn sur un ton inquiet.

— Analyse… Qui êtes-vous ?

— Un technicien …

— Autorisation, directeur ?

— Euh … Oui, fit-il, en hésitant.

— Voix enregistrée.

Une carte de leur secteur apparut sur le côté gauche et ils virent tous plusieurs petits points rougeâtres, au centre de la forêt.

— Est-ce que l’entrée d’un couloir subspatial se trouve ici ? Un portail ?

— Il s’agit d’un corridor naturel.

— Naturel, répéta Shayn, les yeux écarquillés.

Il se tourna vers Trevor et Altarius.

— Je crois que les gens qui vous attaquent sont capables d’utiliser des couloirs subspatiaux naturels.

— C’est possible ?

— Des théories ont été exposées en ce sens, mais nous n’avons jamais été témoins de leur apparition. Certains scientifiques pensent que tout un réseau menant à des endroits très éloignés les uns des autres existe dans la dimension subspatiale. C’est extraordinaire !

— Pas pour mes frères et sœurs qui ont été emportés, docteur, lui rappela Altarius, d’un ton glacé.

Shayn lui jeta un coup d’œil et grimaça.

— Alors ça veut dire que ces êtres ont trouvé le moyen de les traverser sans la protection d’un portail, remarqua Neal.

— Ils doivent avoir une technologie qui le permet. Mais si ces couloirs existent, pourquoi les portails ?

La voix déformée de l’IV retentit.

— Ils forcent un passage direct entre deux points et créent des conditions de vie propices à toutes les espèces l'utilisant. Le réseau de voies est complexe à suivre sans carte et n’est pas adapté aux êtres de notre dimension.

— Ça veut dire que ceux qu’ils ont emportés sont peut-être vivants ?

— Je ne peux spéculer, directeur. Je n’ai pas accès aux bases de données centrales pour vous apporter des informations sur ce peuple. L’une des fonctions de la pyramide est d’empêcher le couloir de s’ouvrir de ce côté.

— Alors active-la !

— Comme je vous l’ai dit, deux des relais dont j’ai besoin pour établir la résonance nécessaire sont inopérants. De plus, le réseau énergétique est instable. Des conduits sont abimés.

Un plan de l’installation s’afficha. Une zone clignota en rouge juste sous leur pied, puis le point de vue s’éloigna et ils aperçurent une salle profondément enfouie. Plusieurs signes écrits en langage fondateur apparurent en rouge.

— Les générateurs sont en fonctionnement minimal. Et plusieurs intersections doivent être réparées.

— Peux-tu utiliser les nanites ?

— Analyse… Aucune n’est disponible ; les caissons biomécaniques sont désactivés.

Shayn se tourna vers Altarius et Trevor.

— Nous avons du travail devant nous.

— Nous allons former des équipes. Mes électriciens devraient pouvoir réparer les conduits, si on leur montre où ils se trouvent.

— Alors je m’occupe des relais avec Richard. Neal, tu restes ici pour soutenir les hommes d’Altarius.

— Talla et Jeff t’accompagneront.

Shayn hocha la tête. Son communicateur grésilla soudain et la voix nerveuse d’Illyane envahit son oreille.

— Des systèmes s’allument. C’est toi qui as fait ça ?

— Euh … Attends. IV ? Que se passe-t-il à l’infirmerie ?

— Tout a été réactivé, répondit-elle. Vous n’avez aucune raison de vous inquiéter, docteur ?

— Je ne suis pas inquiet, maugréa-t-il. Tu as entendu, Illyane ?

— Oui.

— Si vous souhaitez que j’apporte mon assistance, vous n’avez qu’à demander…

— Illyane ?

Des voix inintelligibles échangèrent pendant quelques secondes.

— Cela ne sera pas de refus. Et Trevor et toi devriez venir voir.

— Bien reçu.

Trevor croisa les bras et lui jeta un regard interrogateur. Shayn toussota.

— Désolé. Illyane a l’air d’avoir trouvé quelque chose.

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