Au même niveau que la salle de contrôle, l’infirmerie était une pièce carrée, remplie d’équipements d’origine et d’installations de fortune construites par les colons. Sous la lumière tamisée bleutée, les murs ocre révélaient des entrelacs et des symboles incompréhensibles.
Lorsque Shayn, Trevor et Altarius entrèrent, ils découvrirent les appareillages clignotants le long des parois. Sur un lit d’examen gisait le corps de l’un de leurs attaquants. Penchée au-dessus de lui le docteur Scyllae observait l’intérieur de la combinaison qui avait été découpée. Des tâches d’un liquide noir et épais salissaient l’équipement et le sol. Sur un meuble roulant près d’elle étaient posés plusieurs appareils qui avaient été arrachés à la créature. Non loin d’elle, debout devant un établi, un homme aux cheveux hirsutes, vêtu de la tenue hétéroclite typique des réfugiés, avait l’œil rivé à un microscope. La silhouette mouvante d’IV flottait au-dessus d’une console. Seth, adossé à la paroi la plus éloignée, ne quittait pas le xenobiologiste des yeux.
Les trois hommes rejoignirent le médecin.
— Vous vouliez nous montrer quelque chose, docteur ? intervint Altarius, visiblement impatient.
Illyane releva les yeux. Ses mains gantées étaient recouvertes de fluides visqueux noirs et verts. Shayn ne put retenir une grimace. Le biologiste se retourna vers eux.
— C’est fascinant, lâcha-t-il. Cet être n’est pas humain !
— Mais encore ?
Illyane étendit les mains pour englober le corps.
— Il s’agit bien d’une sorte de combinaison biotechnologique. En l’ouvrant, nous avons mis au jour la dépouille de son possesseur. Son armure est en totale symbiose avec lui ; il est impossible de la lui enlever si l’on ne respecte pas les procédures.
— Si vous le souhaitez, docteurs, je peux scanner le sujet pour en donner une image complète, intervint IV.
— Dans une seconde, répondit le médecin, avec un regard en coin à l’amas de photons. D’après mes observations, la physionomie de cet être est très différente de la nôtre. Il est humanoïde, mais c’est bien le seul point commun que nous avons.
— Nous pensons que la combinaison lui permet de survivre dans un environnement auquel il n'est pas adapté.
— Donc, leur planète ne possède pas les mêmes conditions de vie que les nôtres ? demanda Shayn.
— Peut-être.
Illyane reprit.
— Pour l’instant, j’ai pu repérer des organes, des veines, des os et des muscles, mais leur disposition ne ressemble à rien de ce que j’ai connu. La peau est recouverte d’écailles.
— On sait déjà qu’on peut les tuer, fit Trevor. Mais j’aimerais bien voir de quoi ils ont l’air.
Illyane s’éloigna du corps et retira ses gants qu’elle jeta dans un récipient. Shayn se plaça à ses côtés et posa une main légère sur son épaule. Elle leva les yeux vers lui et sourit d’un air fatigué.
— Lance le scan, IV, s’il te plait, ordonna-t-il.
— Bien, docteur. Si vous voulez bien vous écarter …
Des plaques du plafond se décalèrent sur une longueur de deux mètres, pile à la verticale du lit. Un projecteur en émergea. Une lumière verdâtre plongea sur le corps et l’enveloppa. L’engin fit plusieurs aller-retours, alors qu’une image holographique était générée dans l’air au-dessus de lui. Puis il s’immobilisa au centre.
Tous les regards convergeaient sur la représentation particulièrement détaillée. Les lignes formaient un corps puissant et musculeux, humanoïde au premier abord : deux jambes, aux pieds longs et minces, deux bras, dont les mains se terminaient par de fines griffes, un torse et une tête portée par un cou épais. Le crâne était ovale sur l’arrière et plat sur le sommet. Le front bombé avançait au-dessus des yeux enfoncés dans leurs orbites, sans paupière. Deux cavités correspondaient aux narines et une large bouche sans lèvres complétait le visage.
— J’ai trouvé une corrélation dans ma base de données, commenta IV. Elle n’a pas été mise à jour depuis des milliers d’années. Cependant, les informations du scanneur se rapprochent à 99,5 %. Il s’agit sans aucun doute d’un Scérépath, une espèce vivant dans un système solaire de la bordure de la galaxie de Pegasus.
— Pegasus ? Elle est située à plusieurs centaines de millions d’années-lumière de notre espace ! s’exclama Shayn.
— C’est exact. L’analyse des radiations résiduelles de la bio armure indique un fort taux d’énergie subspatiale. Ils ont dû utiliser un couloir pour venir sur cette planète.
— C’est dingue, souffla Shayn.
— La combinaison doit leur permettre de survivre dans la dimension sub spatiale, remarqua Illyane.
— Oui, renchérit le biologiste. En simulant leurs conditions planétaires à l’intérieur. C’est fabuleux ! Vous imaginez si nous arrivions à adapter cette technologie à nos physiologies.
— Ce n’est pas le moment de penser à ça, objecta Altarius, les sourcils froncés. Si je lis entre les lignes, il y a peu de chances que les nôtres aient survécu ?
— Pas nécessairement, répondit Shayn. Il est fort possible qu’ils aient des combinaisons similaires pour leurs prisonniers. Il faudrait surtout comprendre pourquoi ils enlèvent des gens d’une autre galaxie.
— On leur posera la question la prochaine fois qu’ils débarqueront, commenta Trevor, sarcastique.
— Je peux vous donner des informations sur ce peuple, fit IV. Mais comme je le disais, elles sont obsolètes.
— Tout ça est sans doute passionnant pour vous autres scientifiques, mais ma priorité est la protection de ce qui reste de mon peuple, rétorqua Altarius, le visage fermé. Les empêcher de rejoindre cette planète et savoir comment nous défendre contre eux, c’est ça qui m’intéresse.