Lilah
Si tout n'avait été qu'un rêve, et si tout n'était qu'un cauchemar. Si... Mais non, il ne peut y'avoir de si car le passé reste inchangé et le présent demeure sombre. L'abîme se dérobe sous mes pieds et m'engouffre dans un tourbillon de pensées plus obscures les unes que les autres.
Je sombre. Je me noie. Je me perds.
La chute semble inévitable, mais j'essaye de résister en tentant désespérément de maintenir ce fil qui pend dans le vide sans aucune attache. Je lutte pour me sauver et m'échapper mais des mains invisibles semblent me tirer vers le bas, encore plus bas. Je résiste encore et encore avant de me résigner et d'accepter que je suis faible... Mais je n'abandonne pas, j'appelle à l'aide mais les mots se perdent dans le vide et résonnent lentement au creux de mes oreilles. Me rappellant que je suis seule contre tous...
— Lilah, réveillez-vous.
Une pression exercée sur mes épaules me fait sursauter de peur. Ces quelques mots qui me parviennent tel un murmure tentent de me ramener à la réalité. Une réalité encore plus tortueuse que mes sombres cauchemars. Je lutte pour ne pas me réveiller afin de réussir à vaincre mon ennemi invisible qui n'est personne d'autre que moi... Seulement, le rêve s'envole, me quitte et disparaît pour ne devenir qu'obscurité.
— Lilah, ce n'est qu'un cauchemar. Ouvrez les yeux.
Non, ce n'est pas un simple cauchemar, c'est également la matérialisation de ma vie par mon subconscient , ai-je envie de répondre, mais les mots meurent dans ma gorge et se perdent dans le flot de mes pensées. Je ne veux pas quitter ce monde bien qu'il soit maussade et triste; je le préfère à ma vie actuelle, car dans celui-ci, je peux appeller à l'aide et me laisser aller aux larmes sans tenir compte du jugement des autres... Dans ce monde, je suis seule comme je souhaite l'être depuis le début de ce calvaire...
— C'est l'heure de la visite avec votre grand-mère, insiste à nouveau la voix sans cesser de me maintenir fermement les épaules.
Mes cils se dérobent sous l'impact de la révélation. Le brusque virement des ténèbres à la lumière m'aveugle quelques instants au point où je suis obligée de refermer les yeux pour mieux les rouvrir. Mon regard cherche celui de mon interlocuteur qui me maintient toujours les épaules, certainement inquiet à l'idée que j'explose pour me plonger dans une nouvelle crise.
— Ma mamie ? Où est-elle ? Réussis-je à prononcer la voix patellante et grellotante certainement dû aux médicaments qu'ils m'ont administrés.
— Elle est juste là, dans la salle des visites. Elle n'attend plus que vous, me répond une voix que je reconnais maintenant clairement du fait de ne plus complètement être en état de transe.
Le docteur Charlotte Durois déserre lentement la pression sur mes épaules, se rendant bien compte de mon état d'esprit plutôt calme. Je ne veux pas guerroyer, enfin pour le moment, ma mamie est bien plus importante. Elle est la seule à me comprendre sans jamais me juger; à me réconforter sans jamais m'acculer de questions; à me regarder dans les yeux pour m'avouer m'aimer malgré tout. La seule de mes connaissances que mes yeux acceptent de regarder sans me provoquer des accès de colère...
— Vous pensez pouvoir vous rendre dans la salle des visites ? me questionne le docteur face à mon silence prolongé.
Pour lui donner une réponse, j'essaye maladroitement de me relever, seulement je suis forcée de constater que mon corps ne m'appartient plus, enfin pas complètement. Un léger vertige me fait basculer en arrière lorsque je tente à nouveau de me mettre sur mes pieds. Le docteur passe ses mains derrière mon dos avant que celui ne bascule dans le vide, pour me remettre convenablement sur le lit – je suis aussi légère qu'une plume.
— Vous n'êtes pas en état de vous relever, décrète-t-elle en remontant les couvertures au dessus de mes genoux. Il vaudrait mieux qu'elle viennent ici vous voir, car sa visite d'aujourd'hui est une phase importante dans votre récupération.
Une fois ces mots dits, celle-ci rebrousse chemin vers la porte. Me laissant à nouveau seule...
Phase importante. À chaque séance le même discours et le même refrain. Mais jamais de résultat. Malgré tous ces conseils, tous ces médicaments et tous ces procédés; La douleur est toujours aussi vive au fond de mon âme, la rancoeur ne cesse de me ronger intérieurement, et les événements sont toujours aussi frais dans ma mémoire... Je sens encore son odeur, ses mains sur nos corps, sa voix qui hérissent mes poils... Tout, rien n'est oublié ni pardonné, et ne le sera sûrement jamais...
Ma gorge sèche me fait quitter mes sombres pensées, m'invitant à me servir un verre d'eau. Je tends mon bras gauche à la recherche de la petite carafe d'eau qui trône sur la petite table de chevet. Une fois la carafe entre les mains, difficile pour moi de remplir un verre d'eau. Je m'hasarde à nouveau pour me redresser du lit, en tentant de faire l'impasse sur la douleur lassive qui me torture le crâne.
— Ma chérie, m'interronps une voix en faisant irruption avec vivacité dans la pièce.
Je me stoppe net dans ma lancée pour braquer mon regard à celui de l'intrus. Une sensation intense me comprine la poitrine et un mince sourire se dessine sur mes lèvres lorsque le visage bienveillant de ma mamie se dessine devant moi. Un large sourire sur le visage, les bras tendus devant elle, elle avance vers moi.
— Mamie, murmuré-je la voix emplis de joie.
Celle-ci s'arrête à quelques centimètres de moi pour m'examiner du regard, cette fois-ci avec sérieux, avant de m'enlasser tendrement. Je sens une légère pression s'échapper de mes épaules lorsque mes narines s'imprègnent de son odeur si familière. Du haut de ses soixantes trois ans, cette femme aussi joyeuse que sensible, représente désormais la personne la plus importante de ma vie. Celle pour qui je lutte en sachant que le combat est perdu d'avance. Celle grâce à qui je me sens quelque peu aimée.
— Madame Michot, vous devez lui dire, intervient le docteur resté en retrait les quelques secondes pendant lesquelles la pièce était envahie par un calme apaisant.
— Me dire quoi ? M'affolé-je en quittant promptement le corps si rechauffant de mamie.
Le regard que cette dernière me lance suffit à me mettre encore plus sur mes gardes. En position assise sur le lit, mon corps essaye de se reculer instinctivement d'elle craignant le pire lorsque mon regard plonge dans ses yeux vairons embués de larmes.
— Que dois-tu me dire mamie ? Reprené-je.
Son silence m'interpelle et m'intrigue. Rien n'est normal dans son comportement. Cléodine Michot, n'est pas du genre à ne pas avoir de réponse et rester calme. Ça a toujours été elle qui me faisait sourire avec ses anecdotes de jeunesse, qui trouvait toujours une réponse à mes questions. Mais ce silence ! L'inquiétude me gagne peu à peu avant de laisser la peur s'installer. Ma respiration devient de plus en plus saccadée et les battements de mon coeur s'affolent. Et s'ils étaient revenus... Non, ils ne peuvent plus me faire de mal. Non.
— Non. Non. Non. Non...
Les mots m'échappent sans que je ne puisse les empêcher d'exposer ainsi ma confusion. Je passe nerveusement mes mains sur mon visage en ne cessant de répéter le même mot afin de me convaincre et ne pas sombrer dans une crise qui je le sais me détruit à petit feu.
— Ma chérie calme-toi, je suis là. Calme-toi.
Malgré ces mots rassurants de ma mamie, la méfiance se fait plus pressante et l'inquiétude plus grandissante.
" Tu as toujours été là mamie mais ça ne les a pas empêchés de me briser... À jamais ".
— Dites-lui, intervient à nouveau le docteur toujours en retrait en s'adressant à ma mamie.
Le ton de sa voix est plus sévère que d'habitude. Elle l'emploie uniquement lorsque la situation est sérieuse, en deux ans en sa compagnie, j'ai sû apprendre à distinguer ses changements d'humeur. Et celui-ci n'augure jamais rien de bon. L'appréhension, la frayeur et le doute s'immiscent en moi à une vitesse filgurante, me provoquant de légers tremblements de peur.
— Que d- dois tu me di- dire ? Bredouillé-je à nouveau en proie à une nouvelle récession.
— Ma chérie, je suis là, tente-t-elle à nouveau de me rassurer en m'agrippant par les épaules.
— Dites lui madame Michot. Vous lui faites du mal avec votre silence.
Nos deux regards dévient vers le docteur qui arbore toujours sa moue sérieuse.
— Elle veut te voir.
La soudaine prise de parole de mamie m'oblige à me retourner vers elle. Mon cerveau s'attèle à analyser le sens de ces quatres petits mots. Le ton hésitant avec lequel, les paroles ont franchi ses lèvres, me renseigne sur la potentielle gravité de la situation.
Elle veut te voir. Qui ? Il n'y a qu'elle qui pourrait mettre ma mamie dans cet état... Oui c'est elle.
— Non, hurlé-je en m'extrayant brusquement d'entre ses bras.
Cette fois-ci, j'explose réellement. Je bascule dans ce passé avec elle. Les coups. Les injures. Les rabaissements...
— Non.
Non. Non. Non... Elle ne peut pas être là, pas après toutes ces années, passé-je en boule dans ma tête luttant pour ne pas plonger dans une crise. Ma tête se repose entre mes deux mains, que j'agite pour ne pas céder à la panique. Mon palpitant se fait plus pressant, et respirer devient trop difficile.
J'étouffe. J'agonise. Je me noie.
— Ta maman est juste derrière la porte, m'achève-t-elle. Laisse lui une chance de te parler.
Cette révélation finit de me faire perdre la tête. Et le choc est tel que, ma vision se brouille, et les battements de mon coeur redoublent d'intensité.
— Non, je ne veux pas la voir, me déchaîné-je en m'agitant sur le lit pour essayer de m'extraire du trou noir qui se profile devant moi.
Elle est devant moi, me regarde souffrir :
— Maman, aide-moi.
Mais non, elle s'enfuie, s'éloigne pour se réfugier et se sauver elle. Elle m'abandonne.
— Non, maman aide-moi s'il te plaît...
Je gémis de douleur, mais elle s'en va et disparaît derrière la porte qui s'est refermée.
Quelques brides de souvenir m'assaillent pour me torturer et me rappeller ma douleur. Je la vois encore me laisser à mon propre sort, s'enfuir et m'abandonner.
— Non, elle ne peut pas vouloir me voir. Non, je ne veux pas la voir.
Je souffrais, j'appellais à l'aide mais elle n'est jamais venue.
Je deviens hystérique et la colère remplace la peur. Ma mamie connait bien le mal qu'elle m'a fait. Le docteur est au courant de la tragédie qu'est notre relation. Elles ne peuvent pas me demander de la voir. Non, elles n'en ont pas le droit...
Mes bras se débattent dans tous les sens, renversant tout sur leur passage. Les bruits de verres brisés raisonnent pour se mêler aux paroles de mamie et du docteur. Mais je ne les entends plus, ni les vois d'ailleurs.
La salle devient plus bruyante et de nouveaux échos de voix s'élèvent dans la pièce me rendant encore plus paniquée. Mon corps s'enroule sur le lit à défaut de se redresser. Je sens les larmes m'échapper, et s'échouer sur mes joues. Je ne les empêche plus de couler, me laissant aller aux pleure.
Je n'en peux plus de tout ceci...
Mes larmoiements redoublent d'intensité et les reniflements se font plus bruyants. Je m'engouffre dans mon malheur, mes souffrances et mon passé.
— Lâchez-moi, me débatté-je en sentant des mains essayer de me maintenir immobile sur le lit.
Je lutte, résiste contre eux pour ne pas perdre. Hélas, ils sont plus forts que moi. Deux personnes ? Trois personnes ? Dix ? Aucune idée, mais j'ai la nette impression qu'une vingtaine de main m'aggrippe le corps bien que je ne distingue pas clairement les visages au dessus de moi. Je vois double et mes yeux embués de larmes ne jouent pas en ma faveur.
Je résiste encore et encore. Je me bats , me tortille sur le lit. Hélas, la bataille se solde en échec pour moi, comme toujours. Je sens une aiguille s'enfoncer dans mon bras droit. À quel niveau exactement ? Je ne saurais dire. Mon corps se libère des mains qui le maintenait immobile, mais ne peux plus se débattre. Mes paupières deviennent lourdes, mes lèvres peine à bouger. Je me sens partir lentement...
— Ma chérie, je suis désolée, murmure une voix au creux de mon oreille.
Je distingue néanmoins qu'il s'agit de ma mamie malgré le bourdonnement dans mes oreilles. Elle me prend la main en continuant de chuchoter des excuses et le léger cassement de sa voix me laisse deviner qu'elle pleure elle aussi.
Non mamie, ne pleure pas pour elle .
Elle. Non, je ne veux pas la voir. J'essaye à nouveau de me débattre mais le seul mouvement qu'il m'est donné de faire est d'agiter mes doigts.
Morphée se fait plus pressant, m'appellant à le rejoindre au plus vite. Je puisse dans mes derniers retranchements pour murmurer d'une faible voix :
— Je ne veux pas la voir...
Avant de sombrer et de m'abandonner entre les mains du marchand de sable.