An 1712 du calendrier Valérian
La crasse.
Elle s'insinuait sous ses ongles, noircissait sa peau, alourdissait les guenilles qui pendaient sur son dos.
La faim.
Elle lui tenaillait le ventre, creusait ses joues, rendait son regard plus perçant.
La peur.
Elle rampait dans les bas-fonds de Coralis, infestait les ruelles, hantait les rêves des enfants.
Mais pas ceux de Nyla.
Nyla n'avait pas peur. La peur, c'était pour ceux qui avaient quelque chose à chérir, pour ceux qui avaient quelque chose à perdre.
Elle, elle n'avait rien.
Rien d'autre que cette volonté qui la faisait tenir debout jour après jour. Et un talent. Précieux, vital, pour les enfants des taudis.
Elle en ferait bon usage aujourd'hui.
Elle se l'était promis : elle ne resterait pas à jamais l'une de ces ombres qui erraient dans la capitale. Elle ne laisserait plus qui que ce soit la prendre de haut, lui jeter une pièce et un regard dédaigneux en espérant la voir disparaître dans l'obscurité.
Un jour, tout serait différent.
Elle en avait la certitude.
La petite fille s'engouffra dans des rues bondées. En ces jours de festivités, des lampions et des fanions colorés flottaient dans la ville. La musique et les rires résonnaient partout. L'odeur des épices, celles du pain frais et des viandes grillées se mêlaient.
C'était un parfum enivrant.
Nyla en avait l'eau à la bouche.
Pourtant, elle ne se contenterait pas de dérober quelques restes au bord d'un étal. Elle visait bien mieux cette fois.
Elle se faufilait entre des bourgeois habillés de soie et des militaires en uniforme rutilants, indifférents à la frêle silhouette en haillons qui se glissait parmi eux. Aux yeux des riches passants des quartiers royaux, elle n'était qu'une petite chose sombre, insignifiante et dégoûtante. Sa tignasse noire et emmêlée semblait ne jamais avoir connu de peigne, la peau de son visage était couverte d'une suie qui dessinait des lignes obscures sous ses yeux et le long de son cou gracile. Seul son regard vif et doré contrastait avec son apparence misérable.
C'était la fête de l'ascendance.
Huit jours de célébrations en l'honneur de la magie et des défunts rois de Valeria. En ce tout dernier jour de festivités, les héritiers des lignées les plus nobles de la ville défilaient en arborant fièrement leurs sceaux.
Ces privilégiés et leur magie...
Nyla les détestait tous.
Elle s'arrêta un instant à l'ombre d'une colonne de marbre, observant la procession qui avançait lentement dans la rue principale. Les fils de la noblesse, vêtus de leurs plus beaux atours, marchaient aux côtés de leurs pères. Ils portaient leur sceau au cou ou à la main : des bagues, des colliers, des broches, qui tous renvoyaient un écusson propre à leur famille. Un faucon aux ailes déployées pour la maison Alarion, un dragon flamboyant pour la maison Morridan ou encore une lune argentée pour la maison Sylmara. Nyla ne reconnaissait pas tous les blasons. Ils pulsaient d'un éclat unique, scintillant avec intensité ou luisant à peine, révélant le degré de pouvoir que les jeunes hommes avaient hérités de leurs ancêtres. Ces sceaux contenaient une magie ancienne, transmise de génération en génération. Ils les exhibaient tels des trophées sous les regards admiratifs ou envieux de la foule. Devenir eux-mêmes l'un de ces sceaux, se vouer corps et âme à l'un de ces héritiers, c'était là ce que ces gens – et les misérables comme elle – pouvaient espérer de mieux.
Ou de pire...
Nyla fixa les bijoux avec un mélange de désir et de rancoeur.
Non, en dérober un ne lui servirait à rien. Elle serait incapable d'en manipuler la magie, et cela serait bien plus dangereux que profitable. Ces bijoux ne répondaient qu'à leurs propriétaires légitimes, à ceux qui avaient du sang noble dans les veines. Un sceau volé serait immédiatement traqué. À quoi bon attirer l'attention de la garde royale ? Elle n'était pas stupide.
Elle inspira et se remit en mouvement. Ce n'est pas le pouvoir de la magie qu'elle convoitait, mais celui de survivre : l'or et les avantages qui allaient avec. Une poche bien garnie, c'était tout ce qu'il lui fallait pour s'acheter du temps, et peut-être, juste peut-être, une petite chance de fuir cette vie de misère.
La procession s'étirait, lente, solennelle, rivière interminable d'apparats qui s'écoulait sous les regards des spectateurs. Ils la suivaient avec une fascination mêlée de jalousie. Peu à peu des murmures, des exclamations choquées, montèrent parmi les badauds. Quelque chose se passait plus loin. Une rumeur qui se propageait comme une onde et agitait la foule à mesure que les héritiers avançaient.
Intriguée, la fillette se glissa entre des jambes, aussi vive qu'une ombre. Elle gravit quelques caisses empilées et grimpa sur une enseigne pour avoir une meilleure vue. De là, elle aperçut ce qui causait tant de remous.
Ils captèrent aussitôt son regard.
Une femme, drapée d'un manteau pourpre bordé d'or, le port altier, la démarche élégante, presque insolente. Elle marchait, indifférente aux murmures, la tête haute comme si elle défiait quiconque de la remettre à sa place. Un garçon se tenait à ses côtés. Droit, fier, le menton légèrement relevé. Comme tous les autres, il portait un bijou. Un médaillon imposant. Mais ce n'était pas un sceau ordinaire. La lumière qui en émanait, puissante, éclatante, projetait un halo rouge vif, presque sanguin, autour d'un blason que tous les sujets du royaume de Valeria connaissaient. Un cœur entrelacé de racines et de veines dorées. Un organe vivant, palpitant, enserré dans une couronne d'or.
Le cœur de Valcor. Les armoiries de la famille royale.
Nyla resta figée. Ce garçon n'était pas le prince Oryn. Il semblait âgé de quatre ou cinq années de plus que lui, et devait avoir environ quinze ans. Nyla était née la même année que l'héritier de Valeria. Elle l'avait déjà aperçu lors d'autres cérémonies. Il avait des traits doux, encore marqués par l'enfance et par une innocence que seuls ceux qui grandissaient dans les palais pouvaient se permettre. Une innocence que les gamins des rues perdaient bien trop tôt, tout comme ce garçon à l'assurance farouche qui avançait parmi les nobles.
Il n'avait rien de fragile ou de naïf. Il avait l'allure de ceux qui devaient lutter pour leur survie. Nyla connaissait trop bien la lueur de défi qui brillait dans ses yeux. Elle disait qu'il se battrait pour ce qu'il voudrait, qu'il n'avait pas peur, qu'il ne se contenterait pas de suivre docilement le chemin que l'on avait tracé pour lui.
La petite fille perçut les murmures qui traversaient la foule. Des mots sales, acides, crachés comme du venin.
Bâtard.
Putain du roi.
Depuis son perchoir, Nyla fronça les sourcils.
C'est vrai qu'il leur ressemblait. Il avait la même beauté froide et saisissante. Une chevelure noire et ondulée qui retombait en mèches soyeuses sur ses épaules. Un regard bleu, captivant, presque déstabilisant. La similitude était si frappante qu'elle était impossible à ignorer. Et la lumière qui pulsait à travers son médaillon ne laissait aucun doute. Cet éclat rouge vif et profond et ce cœur battant ne mentaient pas. Du sang royal coulait dans ses veines. Ce garçon possédait une magie ancienne. Pure. Plus puissante que celles de tous ceux qui défilaient avec lui.
D'ici peu lui et sa mère atteindraient la fin du cortège, là où la grande place s'ouvrait devant le palais. Là où le roi Darius et le jeune prince Oryn attendaient, entourés de leur cour. Tous deux accaparaient déjà tous les regards. Quel choc allaient-ils provoquer ? Quel scandale éclaterait lorsqu'ils se trouveraient face à face avec le monarque et son fils ?
Nyla sentit son cœur s'emballer. C'était l'occasion rêvée.
Une distraction parfaite qui allait lui permettre de devenir invisible.
C'est un début palpitant et qui me paraît prometteur. J'aime bien le parallèle de ce qui est écrit en italique !
Cependant, je ne comprends pas, le petit garçon a quatre ans ou quinze ans ?
Néanmoins, je vais de ce pas lire la suite !
bonne écriture ^^
Anaïs
Nyla parle de deux garçons différents : celui qu’elle aperçoit, à qui elle donne environ 15 ans et elle évoque sa ressemblance avec le prince Oryn qui est âgé de quatre ou cinq année de moins que lui (donc 10/11 ans).