Tous les jours, le marché du Centre accueille tous les marchands ambulants de la cité de Meynard. La place du marché devient une fourmilière géante où tous se bousculent pour obtenir les meilleurs légumes ou l’étoffe la plus fine. Dans certains recoins, quelques mendiants demandent un peu d’attention et une petite pièce, pour manger. Mais la plupart des personnes ne font pas attention à eux. Les mendiants habitent les bas-fonds, et tout le monde sait à quel point cet endroit est mal famé et peu fréquentable. Jamais une personne rationnelle n’irait y mettre les pieds.
Il n’y a cependant pas que des personnes bien intentionnées qui parcourent chaque jour l’immense place. Des personnes qui paraissent aussi normales et pressées que les autres passants, mais qui profitent des bousculades pour détrousser les braves gens. Dans un coin, une silhouette encapuchonnée empoche rapidement une bourse, qui s’efface sous les plis de sa tunique. Une main gantée retire sa capuche et dévoile un visage doux, ovale et lisse, parsemé de taches de rousseur. Aewen ne fait pas son âge, paraissant encore dans l’adolescence malgré ses vingt et un an. Ses cheveux bruns, ramenés en tresses derrière sa tête, contrastent avec sa peau claire et ses grands yeux gris. Beaucoup de personnes la qualifieraient de mince, s’ils la voyaient sans ses vêtements. Mais en réalité, malgré sa finesse évidente, elle est dotée d’une musculature souple. De son regard malicieux, elle suit la personne qu’elle vient de voler et plisse son petit nez en trompette, et un sourire malin se dessine sur sa bouche aux lèvres charnues. Elle n’est ni belle ni laide, suffisamment dans la moyenne pour passer inaperçue, ce qui est pratique quand on exerce un métier, si on peut dire, qui demande de la discrétion.
Elle tâte sa tunique, faisant tinter les trois bourses bien remplies qu’elle a réussi à récupérer avant de sourire à nouveau. Elle avait pensé mettre plus de temps, mais, de toute évidence, elle a fait son travail plutôt rapidement. Elle quitte enfin son coin, cherchant manifestement quelque chose. Elle évite les personnes qui avancent à contre sens avec souplesse. L’odeur alléchante du pain la coupe un moment de sa mission principale. Elle achète trois miches de pain d’une livre et demie chacune, encore chaudes, qu’elle met dans son sac. Elle reprend son chemin quand un mouvement capte son attention. Elle se cache derrière le paravent d’une marchande de tissus, là où elle peut voir sans être vue.
Deux jeunes garçons jouent à la balle, parmi les passants. Habillés de haillons sales, tout le monde essaye de les éviter. Même les enfants des bas-fonds, pourtant nés dans cette ville, sont mal vus par la population un minimum aisée de la capitale. Un des garçons envoie le ballon loin, déstabilisant la plupart des personnes présentes. Alors que le petit part la chercher en s’excusant, le grand, d’à peu près douze ans, s’arrête près d’un homme, qui semble assez fortuné, et, après avoir regardé autour de lui, commence à lui faire les poches. La jeune femme, qui suit tout ce qu’il se passe, lève les yeux au ciel et hoche la tête, en faisant la moue.
Ce qui devait arriver arriva, et l’homme se rend vite compte de ce qu’il se passe. Il attrape la main du petit et prend à parti plusieurs témoins. Aewen sort de sa cachette et fait des coudes pour atteindre l’homme, devant lequel elle arbore un visage contrit et désolé.
– Pardonnez-moi, monsieur. C’est mon jeune frère. Il a vu des gamins des bas-fonds s’amuser ainsi, et depuis, il s’amuse à s’habiller n’importe comment et à faire de même. Il fait honte à mes parents. Vous comprenez, ils sont marchands également, et m’ont envoyée le chercher. Ils se font un sang d’encre pour ce petit… Si vous pouviez… Ne pas ébruiter cela.
Le petit garçon s’excuse, platement, en rendant les quelques pièces qu’il avait pris. L’homme les fixe d’un air sévère. Mais, le petit discours de la jeune femme semble avoir fait son effet et il les chasse, tout en vociférant pour les dissuader de revenir. Aewen entraîne le petit garçon dans une ruelle qui mène aux bas-fonds, où se trouve déjà le petit, serrant sa balle contre lui, tremblant de peur. La jeune femme s’accroupit près des garçons et époussette l’aîné.
– Tu as bien failli te faire prendre, cette fois, Manfred.
Le garçon rosit jusqu’aux oreilles avant de baisser la tête, honteux. Aewen le force à la regarder, avec un sourire doux, maternel.
– Qu’est-ce que je t’avais dit ? Jamais à vue et tout est dans la délicatesse. A dix mètres, je savais ce que tu faisais. Ça aurait été un miracle que personne ne remarque rien. Et les gens ici ne feront pas de compromis, surtout que tu es jeune. Certains marchands sont vindicatifs et n’hésitent pas à lyncher pour l’exemple. Tu vas t’entraîner, et je viendrai voir ce que ça donne dans la semaine, d’accord ?
Enthousiaste, il acquiesce d’un signe de tête avant d’éternuer. Aewen sort un morceau de tissu de sa poche et l’essuie. Les deux garçons la fixent, des étoiles dans les yeux, quand elle sort deux miches de pain de sa besace et les leur tend.
– Vous partagez avec tout le monde, d’accord ? Et Man… La prochaine fois que tu n’arrives pas à voler, demande de l’aide, tu sais que je suis toujours dans le coin.
Elle pose une bourse en cuir noir dans la main du garçon, qui la regarde, émerveillé. Tous les deux enlacent la demoiselle, qui leur rend volontiers leur affection, avant qu’ils ne partent en courant, à travers les ruelles de plus en plus sombres et de plus en plus puantes des bas-fonds. Elle les regarde s’en aller avant de se relever et de rabattre sa capuche sur sa tête. La matinée n’est pas encore terminée et qui sait ce qu’elle trouvera demain. Elle se fond à nouveau dans la foule et se défile de la vue des curieux, se dissimulant habilement, si bien, qu’au bout de quelques secondes, elle est de nouveau introuvable.
Altruiste, en plus, et qui chaperonne les enfants du coin.
Je me demande comment et pourquoi elle a choisi cette voie, si elle est aussi libre qu'elle semble l'être, si elle a des comptes à rendre à une guilde / un supérieur ou pas...
C'est intriguant ^^