Prologue

La nuit est noire, aucune étoile n’apparaît sur l’encre sombre que forme le ciel. Même la lune semble s’être cachée des hommes. Une douce brise fraîche fait danser les feuilles des quelques arbres qu’abrite la capitale du Royaume d’Aylfrond, Meynard. Tout est calme, la plupart des habitants sont plongés dans un profond sommeil dont ils ne sortiront que le lendemain, aux alentours de l’aube. Tout parait tranquille, et quiconque ne connaîtrait ni la ville, ni les maux qu’elle traverse dernièrement, se promènerait ou s’endormirait l’esprit serein.

Cependant, certains savent qu’une ombre plane sur leur cité. Peu de civils ont remarqué que les patrouilles de nuit ont été doublées. Peu sont ceux qui écoutent et croient la rumeur. Celle de cet homme qui hante à présent les cauchemars des plus aisés. Mais son nom, du moins celui qu’on lui a donné, a fait le tour de toutes personnes habituées à la ville. Et tous ceux qui entendent ce nom ne peuvent pas oublier à quel point la sérénité est vaine lorsqu’il est évoqué.

Deux gardes parcourent la grande rue du quartier marchand. Ils savent tous les deux que sa dernière cible était un négociant en vin particulièrement retords, qui vivait dans une immense villa au bout de la rue. Le plus jeune des gardes sort à peine de l’adolescence, il a tout au plus une petite vingtaine d’années. Son air effrayé fait rire son compagnon, plus âgé de quelques années, et apparemment gradé, à la vue des deux étoiles qu’il porte sur l’épaule gauche. Il a un gloussement moqueur.

– Arrête de t’en faire, gamin. Tu ne risques pas grand-chose avec moi. Et si on le trouve, on lui tombe dessus à ce merdeux ! Calme-toi, va.

Le jeune homme sourit, suivant l’enthousiasme de son collègue, sans pour autant s’esclaffer grassement comme lui. L’ombre au-dessus d’eux fronce les sourcils et attend qu’ils se soient un peu éloignés pour se laisser tomber sur le sol. Le jeune homme regarde derrière lui, mais ne voit personne. Il marche le long du mur avant de l’escalader avec agilité, après avoir vérifié qu’il n’y a personne dans les environs. L’ombre se faufile à l’intérieur de la maison, sans aucune difficulté. Seule la lame de sa dague luit légèrement, reflétant les quelques lampes encore allumées dans la demeure, qui n’est pas gardée. Il se glisse dans une des chambres. Les ronflements ne perturbent en rien son attitude ni ses plans. Il s’approche avec lenteur et, d’un geste sec, tranche la gorge de l’homme bedonnant encore endormi. Ressortir de la villa est pour lui aussi simple que d’y entrer. Personne ne l’a vu et personne ne le verra s’en aller. Il disparaît dans la nuit, se fond en elle et part, aussi vite et discrètement qu’il était venu.

Le lendemain, les habitants se lèvent dans une ambiance de stupeur et d’angoisse. Le Vent a encore agi. Neolim, marchand de lainage, a péri de sa main dans la nuit. Il en est à présent à sa douzième victime, en deux ans. Personne n’en parle ouvertement, mais la rumeur court, et la terreur, lentement, s’installe à nouveau.