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Notes de l’auteur : Bienvenu(e) à toi cher(e) lecteur(ice)!

J’espère que tu te laisseras séduire par le facétieux Belzebuth, qui aura été jusqu’à défier son roi dans le but d’avoir ton attention. Lui et tous les démons de la cité de flammes de Drashkar ont hâte de te rencontrer, car l’éternité peut être longue sans humain à tourmenter.
Depuis quelques années que je vis parmi eux, j’ai vu comme ils usent de leur magie pour envoûter les hommes. Et si je ne peux te promettre que ceux qui ont croisé leur chemin en sont sortis indemnes, je peux en revanche te garantir que les démons de Drashkar n’ont pas leur pareil pour tromper l’ennui. C’est pourquoi je t'invite à franchir les portes de leur royaume avec l’espoir que tu t'y plairas autant que moi.
En te souhaitant un séjour des plus tumultueux dans les entrailles de la Terre, j’attendrai tes impressions avec impatience.

Anusha

Du temps où ce qui existait sur et sous la terre inspirait aux Hommes une crainte égale, le Royaume des Entrailles connut son énième effervescence. Il est dit qu’à l’origine, Lucifer, refusant de mettre genou à terre devant Dieu, fut banni du paradis avec les siens. Mais un prince, même déchu, devait régner. Et pour cela, il lui fallait un royaume. Soit que sa disgrâce l’ait également condamné à fuir le soleil, soit que c’était là le lot de toutes créatures du mal, Lucifer quitta la surface du monde et plongea dans ses entrailles avant que l’aube ne se lève sur le premier jour de son bannissement. Il se réfugia ainsi dans l’obscurité suffocante avec l’éternité pour bâtir son domaine, puisqu’anges et démons faisaient malgré tout partage de l’immortalité. En temps d’Homme – le seul qui garde réellement mesure des choses – plusieurs siècles s’étaient certainement écoulés lorsque Drashkar, la cité sans interdit, vit enfin le jour. Ou plus justement, la nuit, car il n’y avait dans ce royaume aucune lumière, si ce n’est celle des flammes.

Lucifer, Roi des Entrailles, régna ainsi longtemps depuis son trône d’ossements. Un règne fait de malice, car c’était le plaisir des démons que de tenter l’âme des hommes. Des hommes que les siècles n’avaient pas changés et qui, désespérés par le silence des anges, finissaient par s’en remettre aux démons pour échapper ou satisfaire leurs vices. Un service que les habitants de Drashkar s’empressaient toujours de rendre, car chacun d’eux avait un prix, et amenait avec lui toujours plus de malice à contempler.

Se serait-il moins délecté du mal dans le coeur des hommes, Lucifer aurait probablement remarqué celui qui vivait dans le coeur de son conseiller. Il avait toujours été là, bien entendu, et il aurait continué à être une vertu démoniaque s’il s’était contenté de diriger ses mauvaises attentions sur les humains. Mais, ce mal-là était différent.

Belzebuth, Seigneur des Mouches et Conseiller des Supplices – plus sujet à l’ennui qu’aucun autre dans le royaume – s’était une nuit éveillé avec l’idée de renouveler ses distractions. Les démons ne s’attachaient que peu à leurs émotions, aussi personne n’aurait songé à Belzebuth comme étant un ambitieux, encore moins un amoureux du pouvoir. Toujours est-il qu’il fut le premier à s’élever contre Lucifer dans la cent millième Guerre des Entrailles.

Il n’eut du reste aucune difficulté à lever son armée : les démons inférieurs de Drashkar, plus intéressés dans le combat en lui-même que son issue, se rallièrent sans réflexion sous la bannière de celui qui leur offrait de quoi pimenter leur éternité. Dans le monde souterrain, les changements d’alliance n’avaient jamais eu grande conséquence ni punition, puisque personne ne mourrait au combat, et que tous y trouvaient une distraction d’au moins quelques décennies. Si le trône d’ossements avait jusque-là été jalousement gardé, toutes les autres positions se cédaient et se reconquéraient avec chaque conflit. Jusqu’à ce qu’on se lasse de la guerre elle-même et que les humains retrouvent un intérêt pour quelques temps encore.

Dans ce cycle de guerres et de tourments, Belzebuth choisit pour le seconder son frère Behemoth, la bête des Enfers. Une créature mi taureau mi rhinocéros que les hommes auraient qualifiée d’hideuse, en comparaison au beau seigneur des mouches, ce démon à l’apparence humaine où se croisaient la blondeur candide et la cruauté d’un regard clair.

Le Roi des Entrailles vit arriver les troupes ennemies depuis son trône. Longtemps avait passé comme toujours entre le début de la guerre et la nuit où Belzebuth marcha vers la victoire aux côtés de son frère. Mais cette guerre-là n’était pas qu’une distraction passagère. Et si les troupes ignorantes avaient failli à le percevoir, Lucifer, père de tout mal, savait reconnaitre les âmes qui appelaient à la destruction, même démoniaques. Vaguement amusé, il accueillit les dissidents.

— Belzebuth, mon ami, dit-il d’une langue sans équivalent. Cinq siècles ont passé. Les Hommes se désespèrent de voir que les démons, comme les anges, refusent de répondre. Il est temps de retourner répandre la malice sur la Terre et plus seulement dans ses entrailles.

— Je m’ennuie, répondit simplement Belzebuth.

— Assez pour désobéir à ton roi ?

— Je m’ennuie et ton trône devrait m’occuper pendant quelques siècles encore. Ensuite quelqu’un d’autre, ou peut-être toi, reprendra ce siège d’ossements et je le servirai à mon tour.

Comme toutes les autres guerres, le général dont les combattants se lassent le plus vite aurait cédé sa place jusqu’au prochain soulèvement, mais cette fois il s’agissait du trône de Drashkar. Et de Lucifer. Il avait été ange autrefois, et il avait découvert auprès d’eux l’orgueil. Un sentiment qui comme tous les autres finissait par s’étioler dans le coeur des démons, mais que Lucifer n’avait jamais oublié.

— Je ne servirai pas.

Les combattants, alors, tous simplets qu’ils étaient, furent insatisfaits. Même immortels, les blessures n’en laissaient pas moins sur eux douleurs et cicatrices, et les plus profondes demandaient des décennies de sommeil pour se soigner. Une victoire restait donc une victoire.

— Tes armées se sont détournées du combat, j’ai gagné le trône d’ossements. « Loi au vainqueur », c’est ce que dit la règle obscure.

— J’ai créé la règle obscure, rétorqua Lucifer, et je la révoque.

L’assemblée se tut, car même la faible intelligence des démons inférieurs avait perçu le blasphème. L’unique règle de Drashkar, gravée sur le portail à l’entrée du monde des Entrailles, ne pouvait pas être contournée aussi simplement, même par son créateur. Belzebuth, jusque-là poussé par l’ennui, sembla trouver un intérêt nouveau dans ce rebondissement. Il sourit à son tour.

— Seul le roi peut révoquer la loi, et tu as déjà perdu ton titre.

— Soit, mais je ne servirai pas. Même pour quelques siècles. Et si je dois mourir aux mains du soleil, laisse-moi au moins vous donner un cadeau d’adieu.

Ses ailes noires se déployèrent dans une bourrasque, inondant la salle de plumes. Puis ces plumes devinrent flèches, innombrables et rapides. Nombreux des démons inférieurs furent touchés, ainsi que le général Behemoth, pour qui la flèche se logea en plein coeur. Lucifer rit en voyant son oeuvre. Un rire qui résonna jusqu’aux portes de Drashkar. Ce fut d’ailleurs là qu’il fut emmené, l’ancien roi, conformément à sa demande. Et Lucifer fut enchainé au premier arbre sur la route vers la Surface, livré à attendre l’aube qui l’embraserait. Car si les êtres obscurs sont immortels, les rayons du soleil sont la seule faille et laissent derrière eux un tas de cendres.

Les autres démons avaient depuis longtemps regagné la nuit perpétuelle de Drashkar. Seulement quand les rires de Lucifer se turent, ils surent qu’il avait brûlé. Alors on fit nettoyer la salle du trône de ses plumes et ses flèches, et les anciens blessés, déjà fringants, installèrent leur nouveau roi sur le siège d’ossements. Un banquet fut tenu pour tout le peuple des Enfers, durant lequel, pour sa participation dans la cent millième Guerre des Entrailles, Behemoth fut proclamé second du royaume.

Dans les nuits qui suivirent, certains des démons furent pris par des maux étranges, les uns amoureux ou désespérés, les autres coléreux ou emplis de compassion. Toute la cour rit en reconnaissant l’oeuvre de Lucifer. Il ne faisait aucun doute que les flèches avaient trempés dans de l’élixir de sentiments. Chacune des victimes, sous l’effet du charme, développa un comportement curieux si proche de l’humanité qu’elle en devint la risée du royaume. Il fallut quelques temps, sans doute longtemps, pour que les effets se dissipent et que les démons retournent à leur dédain des sentiments.

Cependant, un parmi eux restait toujours assis à sa fenêtre, contemplant les tours de feu de Drashkar et soupirant comme une femme amoureuse. Il se languissait à travers la nuit sans fin, sans savoir d’où venait sa langueur. Cet état dura suffisamment pour que Belzebuth s’en lasse, lui qui venait pourtant juste de tromper son ennui. Il fit donc quérir le sorcier borgne Bénir, le plus puissant de la Surface.

— Mon frère a été touché par une des flèches de Lucifer mais il est toujours esclave de ses effets. Soigne-le et tu pourras repartir, assura Belzebuth depuis son trône.

À la demande du sorcier, on lui présenta les flèches devenues reliques de guerre. Puis il fut introduit auprès de son patient. Son diagnostic fut sans appel :

— Le seigneur Behemoth est victime de l’élixir de mélancolie. Il se languit du soleil. Un mal sans remède, car la flèche a éternisé son effet en touchant directement le coeur.

Bénir se laissa enfermer avec le sourire : il tenait enfin sa vengeance. Les Hommes sont mortels, mais les sorciers savent repousser la mort. Bénir avait déjà traité avec Belzebuth, et il y avait laissé un oeil. Ce que le démon avait noyé dans la mer de ses souvenirs éternels, lui n’avait jamais pu oublier.

Behemoth, dans ses quartiers, continuait de se morfondre. Le sorcier avait touché la cicatrice sur son coeur et avait souri. Il connaissait un compromis. Il pouvait lui offrir le soleil sans la mort.

— Si le soleil sourit aux anges et aux Hommes c’est qu’il reconnait dans leur coeur au moins une part de lumière. Transformez l’obscurité dans le vôtre en clarté et vous n’aurez plus rien à craindre du soleil, seigneur Behemoth.

— Comme les anges sont entièrement lumière, les démons ne sont que noirceur. Comment pourrais-je changer ce que je suis ? demanda Behemoth avec mélancolie.

— Faites le bien. Répandez la joie autour de vous et votre coeur rejettera l’obscurité pour embrasser la lumière. Mais Drashkar ne connait que le mal, aussi il vous faudra partir.

Ainsi Bénir laissa germer les graines de sa malice dans le coeur du mélancolique Behemoth, car après tout, les démons n’ont pas le monopole des méfaits. Longuement la pauvre créature se débattit avec son désir de soleil, longuement elle considéra les propos du sorcier et sa propre maladie sans remède. Behemoth savait que seuls ceux qui acceptent le mal en eux avaient droit de cité à Drashkar. S’il partait, ce serait pour ne plus revenir.

Mais l’appel du soleil fut le plus fort et Belzebuth fit malgré tout ouvrir les portes de son royaume. Cette nuit-là Behemoth quitta Drashkar sans intention de retour et prit la route vers la Surface. Sur son chemin, il vit les chaînes qui avaient jadis retenu Lucifer et remonta bien plus loin encore, jusqu’à ce qu’il tombe sur le crépuscule terrestre.

Son apparence bestiale avait fait fuir tous ceux qu’il avait croisés. Or ne restait plus à Behemoth que quelques minutes avant l’aube, et son coeur était toujours aussi noir. Résolu à mourir au lever du jour, l’hybride s’arrêta sous la lune, à la pointe d’une falaise. Là, il rencontra un vieil homme aux yeux aveugles, absorbé dans une prière. Celui-ci avait senti Behemoth et devait avoir deviné sa particularité, car il se mit à parler :

— Mes yeux sont morts et je le serai bientôt moi aussi. Je m’éteindrais serein si je pouvais contempler une dernière fois le monde que j’abandonne.

Peut-être parce que le voeu de cet homme était aussi fou que le sien, il résonna avec la mélancolie de Behemoth.

— Je ne peux te rendre tes yeux, vieil homme, mais je consens à te prêter les miens pour que tu puisses voir le monde comme je le vois.

Si son apparence avait jusque-là retenu Behemoth de quitter Drashkar pour exercer ses tours sur les humains, il n’en restait pas moins un démon, né comme tous les autres avec le pouvoir d’exaucer les souhaits pour mieux les reprendre. Il fit donc prêt de ses yeux, et le vieil homme, ayant contemplé ce qu’il avait à contempler, se tourna pour découvrir celui qui l’avait entendu. Il n’y eut ni surprise ni dégoût, juste une profonde compassion.

— C’est donc ainsi que tu vois le monde, dit-il seulement.

Et sur cette phrase, il mourut.

Une chaleur s’éleva alors en Behemoth qui ne devait rien à l’aube montante. Quelque chose bourgeonnait dans son coeur et apportait avec elle une brusque douleur. À cet instant, un sourire monta sur le visage de taureau de la créature, car il sut qu’il ne mourrait pas. Une étincelle de lumière s’était allumée dans son coeur.

Les dires du sorcier s’étaient vérifiés et Behemoth comprit que sa victoire du jour ne serait pas celle de demain. C’était la question avec laquelle Bénir l’avait laissé : seras-tu capable de faire le bien, toujours et sans relâche ? Il lui faudrait renier sa nature, elle qui essayerait en permanence de reprendre le dessus, de tuer la lumière envahisseuse. Surtout dans les premiers moments, lorsqu’elle serait la plus fragile, que Behemoth lui-même hésiterait à l’éteindre.

Mais Drashkar lui avait fermé ses portes, aussi Behemoth n’eut pas le choix. De jours en mois et de mois en années, il parcourut la Terre à la recherche de bienfaits nocturnes à offrir comme paiement pour sa survie. La créature qui avait tant effrayé les Hommes autrefois eut désormais ses autels et ses rites. La crainte se mua en respect et bientôt on chercha le dieu de la nuit plus qu’on ne le fuyait.

Ainsi le coeur de Behemoth, auparavant entièrement sombre, gagna en clarté. Jusqu’à ce qu’un jour, une égalité s’établisse entre lumière et obscurité. Cette nuit-là, Behemoth se coucha en bête et s’éveilla en homme, car seuls les Hommes avaient en leur coeur un équilibre à maintenir, une propension égale au mal comme au bien. Devenu humain, il dut céder par là même l’immortalité qui revient aux êtres entiers. Et s’il lui fallait toujours lutter pour contrôler sa noirceur, ce ne fut plus une question de survie. La douleur que causait l’expansion de la lumière dans son coeur avait disparu : elle s’était transformée en félicité, maintenant qu’il était capable de ressentir sans entrave.

 

Le monde le connu dès lors comme Zael. D’après ceux qui racontaient les bienfaits de cet homme autrement sans nom, il était adoré de la beauté et de la jeunesse elles-mêmes. Il allait ainsi, heureux d’apporter le bonheur, car ce qui avait été une nécessité pour Behemoth était devenu une joie pour Zael. La lumière qui s’était installée dans son coeur le rendait assez heureux pour qu’il souhaite qu’elle en fasse de même pour les autres. C’était là le but de sa nouvelle existence.

Alors que Zael s’appliquait à faire disparaitre la noirceur du coeur des Hommes, les démons inférieurs de Drashkar étaient affolés. Ceux qui avaient récemment visité la Surface, avaient entendu la rumeur d’un homme avec un rêve de lumière absolue. Il y réussissait d’ailleurs déjà : de moins en moins d’humains se risquaient à invoquer les démons. En un mot, le Mal était en train de disparaitre.

Dépassés par la tragédie, l’un des serviteurs alla trouver son roi en pleurant, car bien qu’ils dédaignent les émotions et les perçoivent comme une gêne éphémère, les démons ne sont pas insensibles à leur propre déchéance.

— Messire, le mal s’en va, les humains deviennent raisonnables. Vous devez réagir avant que la lumière ne les souille tous.

— De quoi as-tu peur, qu’ils deviennent des anges ? dit celui-ci en souriant. Le mal ne pourra jamais disparaitre entièrement, les Hommes aiment bien trop la tentation.

— On dit qu’un prophète les guide, qu’il leur donne le bonheur et la paix. Zael le Joyeux, si près de devenir un ange que la Mort même craint de le réclamer. Sa lumière est telle qu’il porterait en lui celle du soleil.

Belzebuth renvoya son serviteur, mais ses mots l’avaient intrigué.

Lorsque la nuit tomba sur la Terre, le souverain quitta son royaume. Sur sa route, il interrogea hommes, femmes et enfants sur celui dont le nom faisait trembler Drashkar. Devant leur absence totale de méfiance et leur sourire sincère, Belzebuth fut forcé de leur reconnaitre une satisfaction réelle à mener leur existence, aussi pénible soit-elle. Certains, bien sûr, l’étaient moins que d’autres, pourtant tous acceptaient leur part de souffrances avec la même sérénité. L’obscurité n’avait pas entièrement disparu des coeurs, mais elle s’était amenuisée au point que l’on peine à la discerner. Devant tant de lumière qui irradiait de l’intérieur, Belzebuth, indisposé, quitta une nuit qui n’en était plus vraiment une et redescendit sans délai dans les Entrailles.

Il alla directement trouver Bénir, toujours enfermé dans les donjons, car son sort de jeunesse avait perdu son effet il y a seulement un demi-siècle de cela. Le sorcier était désormais un homme mûri par le temps, mais sa langue, néanmoins, n’avait pas perdu son acidité. Il devina au trouble sur le visage de Belzebuth et se mit à rire.

— Ainsi donc mon oeil sera vengé. Behemoth sera bientôt un ange. Alors le mal disparaîtra de la Surface sans qu’il ne reste plus d’humain à tenter pour votre loisir.

— Ce qui a lieu en dehors de mon royaume n’a pas d’intérêt. Les murs de Drashkar sont infranchissables, même pour le soleil.

— Une cité de prisonniers. Car tu l’as vu de tes yeux, la nuit en Surface ne sera plus assez sombre pour vous accueillir. Tous n’ont pas la même maîtrise que toi, et l’éternité peut être longue sans distraction ni liberté. Tu devrais te hâter de sceller tes portes avant que tes sujets n’aillent se jeter en pâture au soleil, ô Belzebuth, roi des fous et des damnés.

Belzebuth sourit, et cette fois, Bénir découvrit tout entier le démon derrière le visage candide. Il recula malgré lui au fond de sa cellule.

— La mort aussi peut être longue, sorcier. Corrige ton erreur et je limiterai la tienne à quelques siècles.

— Le choix est devant toi, répondit seulement Bénir avec nonchalance, tue ton frère ou embrasse une éternité de captivité.

Belzebuth se retira en silence.

Plus tard dans cette nuit sans fin, toutefois, on ouvrit la cellule de Bénir. Une des flèches de Lucifer fut plantée dans son coeur qui embrasa d’autant plus sa haine pour Belzebuth. Au fil des siècles (car le roi s’était assuré qu’il vivrait pour cela), cette haine dont le sorcier avait depuis longtemps oublié l’origine le consuma comme un poison. Une haine qui devint le monde et la raison de Bénir. Si bien qu’haïssant tout et lui-même, il finit par la retourner contre lui.

Le roi était toujours en réflexion quand on lui apporta le corps du sorcier. Un prisonnier qu’il aurait pu oublier si la question qu’il devait trancher ne le faisait pas régulièrement remonter à la mémoire du souverain. L’éternité venait de jouer un autre de ses tours, et Belzebuth, confondant comme souvent siècles et minutes, se décida à régler son problème avec un esprit aussi disposé que lorsqu’il l’avait originellement abordé.

Quand il remonta à nouveau en Surface, l’air y était encore plus vicié qu’il ne l’avait été. L’oeuvre de Zael avait touché presque toute la Terre et la nuit ne serait bientôt plus qu’une obscurité factice, un filtre noir qui teinterait à peine la lumière. Belzebuth traça le prophète jusqu’aux abords de la mer. Zael le Joyeux, si près de devenir un ange qu’il laissait derrière lui des plumes immaculées, tombées des ailes encore invisibles qu’il porterait bientôt.

Arrivé sur le rivage, Belzebuth contempla pour la première fois celui qui avait été Behemoth le Mélancolique. Ses longs cheveux bruns flottaient à la surface d’une eau limpide qui le couvrait jusqu’au torse. La lune elle-même semblait séduite par tant de beauté car sa lumière tombait sur ce semi ange comme un halo, donnant aux plumes qui l’entouraient un élégant éclat nacré.

Belzebuth entra à son tour dans la mer. Un mouvement si léger qu’il n’en troubla pas la surface. Bientôt, il fut lui aussi admis dans le sanctuaire de la lune. Zael avait reconnu son frère le Magnifique, lui qui n’avait pas changé. Il sourit comme lui lorsqu’il sentit son front contre le sien.

C’est également sous le sceau du silence que la lame troua son coeur si plein de lumière.

La clarté qui y était enfermée se libéra brusquement et l’onde balaya toute la Terre. Puis derrière elle vint l’obscurité la plus sombre jamais connue. La lune et le soleil avaient disparu. Seules flottaient à la surface de l’eau quelques particules de cendre bientôt avalées par les profondeurs.

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Alice_Lath
Posté le 19/03/2021
Quel beau début d'histoire ! Et pourtant, tu t'attaques à quelque chose qui est de prime abord assez classique, les anges, les démons, avec Dieu et le démon. Et pourtant... Pourtant tu arrives à donner une vigueur qui t'es propre et qui rend super bien, je me suis trouvée embarquée dans ce mythe qui est cohérent et qui donne envie de croire en lui
Je n'ai absolument rien à redire, j'ai savouré ma lecture, qui était agréable, fluide et portée par une plume propre et nette !
Amusile
Posté le 17/03/2021
Voici un magnifique début de conte. Une plume magnifique, et une narration bien maîtrisée. Ce fut un agréable moment de lecture. On a envie de savoir ce qu'il va advenir du monde, maintenant.
AnushaJey
Posté le 19/03/2021
Bonjour Amusile,
Merci pour ton commentaire chaleureux. Contente de savoir que Drashkar et ses habitants aient su te charmer :) A bientôt pour la suite j'espère.
Maud14
Posté le 11/03/2021
Hello ! J'aime beaucoup ce premier chapitre. Très bien écrit, agréable à lire, ça coule tout seul, c'est doux. Les descriptions des personnages les rend vraiment intriguant, et ça donne envie de lire la suite ! :) J'adore l'univers du fantastique, et ta note d'auteur est géniale!
AnushaJey
Posté le 12/03/2021
Bonjour Maud,
Merci pour ton enthousiasme . Je suis heureuse de voir que tu t'es plue à Drashkar. Le bal est officiellement ouvert et de nouveaux venus (heureusement pas tous démoniaques) ne vont pas tarder à faire leur apparition. Mais mieux vaut ne pas trop s'attacher aux personnages...
Maud14
Posté le 16/03/2021
Tu nous mets l'eau à la bouche... ! Hâte de lire la suite avec impatience :)
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