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Notes de l’auteur : Un étrange black out s'est produit à Droche et depuis, des faits étranges se passent. Alexandre, loin d'être heureux de se trouver là, vient remplacer son oncle, médecin lui aussi, quelques mois. Mais son arrivée, n'est pas forcement vu d'un bon oeil et les patients se font rares...
(Au second degré, toujours)

Deux jours s'étaient écoulés depuis son arrivée à Droche et aucun patient n’avait encore passé sa porte. Alexandre avait eu le temps de faire un large inventaire du matériel à sa disposition et cette fois-ci, il en avait assez, hors de question de passer un troisième jour sans consulter. Il était bien décidé à faire bouger les choses ou à remballer ses affaires. Il prit alors le téléphone pour interroger encore une fois l’agent d’accueil, madame Honnête, au sujet de son planning de rendez-vous.

— Allo, Marie ?

— Oui Docteur Cotelet.

— Pourquoi n'y a-t-il personne dans ma salle d'attente ? Les patients de mon oncle sont-ils bien au courant que je le remplace ?

— Oui Docteur.

— Et bien ? Que se passe-t-il ? Soyez honnê... Dites-moi la vérité.

Marie se racla la gorge comme embarrassée par la question.

— J’ai tout essayé mais les patients habituels préfèrent attendre que votre oncle revienne de vacances.

— Quoi ? Mais pourquoi m'a-t-il demandé de venir alors ? Je vais faire de la figuration pendant deux mois, c'est cela ?

— C'est calme à l'accueil, si vous le souhaitez vous pouvez venir me tenir comp...

— Je vais encore faire du rangement, je pense. Prévenez-moi si quelqu'un arrive, s'empressa-t-il de dire pour ne pas lui laisser le temps de finir sa phrase.

Quelques secondes à peine après avoir raccrocher son téléphone, celui-ci sonna à nouveau. Convaincu de l’insistance de son agent d’accueil, il décrocha un peu exaspéré :

— Marie, je ne viendrais pas...

— Docteur Cotelet ? lui demanda un voix masculine sur un ton officiel.

— Lui-même.

— Bien. Gendarmerie Nationale.

Alex n'avait jamais été à l'aise avec les forces de l'ordre, réminiscence d'une vie étudiante très, trop, agitée et arrosée.

— Euh...Oui, bonjour. Que puis-je pour vous ? demanda t-il d'une voix mielleuse.

— Voilà, nous sommes en intervention à la ferme des Vaillant et je crois que nous avons un nouveau cas, pouvez-vous venir sur les lieux? Cela nous évite d'attirer trop l'attention.

— Pardon, je ne me suis pas présenté correctement. Je suis Alexandre Cotelet, le neveu de Henry. Je le remplace pour un temps.

— Oh euh...Ah...Bon...euh...Il ne m'avait pas prévenu...Je..., balbutia son interlocuteur, très gêné.

— Mais je peux venir...En toute discrétion, si vous le souhaitez, précisa Alex.

En temps normal, Alexandre aurait été plus que retissent à l'idée de se déplacer, mais il s'était tellement ennuyé ces derniers jours qu'il était presque euphorique à l'idée d'un peu d'action. Le gendarme au téléphone accepta son offre et lui donna le nom d’une ferme où Alex devait se rendre au plus vite. Il enleva alors sa blouse, prit ses clés de voiture et se précipita à l'accueil pour prévenir Marie.

— Je sors en consultation extérieure. Dites moi, vous connaissez la ferme des Vaillant ?

— Oui. Ce sont les plus gros producteurs de lait de la ville, pourquoi, il y a un problème là bas?

— Je ne peux rien vous dire pour le moment. Pouvez-vous me donner leurs coordonnées? C'est pour mon GPS.

— Votre ?

— GPS.

Alexandre devina dans ses yeux qu'elle n'avait aucune idée de ce dont il parlait.

— C’est une appli qui est dans mon téléphone, j'entre une adresse dedans et il m'indique le chemin à prendre.

— Ici, on a beaucoup de lieux dits, je ne pense pas que votre truc trouvera quoi que ce soit. Tenez, fini-t-elle en lui tendant une grande enveloppe.

— Qu'est-ce que c'est ?

Marie vida alors le contenu sur le comptoir avant d’ajouter :

— Cela s'appelle une carte routière jeune homme, on cherche soit même et on trouve soit même.

Puis, elle nota l'adresse de la ferme au dos de l'enveloppe et replaça le tout à l’intérieur.

— Mais je serais ravie de vous expliquez où se trouvent les différents hameaux et lieux-dits. On pourrait les souligner sur une autre carte, autour d'un ver...

— Faites donc cela pendant que je ne suis pas là, oui, bonne idée, la coupa-t-il, tout en prenant l'enveloppe de ses mains. 

L’agent d’accueil, un peu vexé, acquiesça de la tête et se rassit à son comptoir tout en ne manquant pas une miette du déhancher d’Alexandre alors qu’il sortait.

Munit de la carte, il fallut tout de même au médecin une bonne demi-heure sur de petites routes de campagne avant de trouver la ferme en question. Lorsqu'il arriva sur place, une voiture de gendarmerie ainsi qu'un camion de pompier étaient déjà sur les lieux.

Et ben, on ne doit pas avoir la même définition du mot discrétion, nota t-il.

L'été était exceptionnellement beau et l'herbe des prés avait déjà commencé à jaunir. Cette grande étendue grillée qui l'entourait, mêlée à la poussière qui se soulevait de la route après le passage de son véhicule, rendaient l'atmosphère étouffante.

Il gara sa voiture à côté de ce qui semblait être une étable moderne où un petit groupe d'hommes en uniforme discutaient. Leur premier reflexe fut de le dévisager avec attention et méfiance. Il n'eut même pas le temps de poser le pied-à-terre qu'un gendarme se précipita frénétiquement vers lui et alors qu’il allait justifier sa présence, ce dernier lui serra la main vigoureusement.

— Vous devez être le neveu d'Henry ? Capitaine Enizan, nous nous sommes parlé au téléphone. Un grand merci de vous être déplacé.

Sans plus de présentation, l'homme à la carrure imposante demanda à Alex de le suivre immédiatement. Ils longèrent alors l'étable, apercevant au passage une femme en pleure entourée de deux pompiers, et traversèrent ensuite un pâturage. Au milieu de celui-ci se trouvaient déjà plusieurs gendarmes et pompiers agenouillés au pied d'un tracteur.

— Attention où vous mettez les pieds, le terrain est miné Doc, plaisanta le capitaine tout en pointant un énorme excrément.

Fin, très fin, pensa Alex avant d'éviter le pire à sa chaussure droite, un peu plus et je faisais une rencontre fatale, se dit-il en souriant.

— Fatal, dit le gendarme en regardant Alexandre d’un air grave.

— Euh... Excusez moi Capitaine, vous disiez ? demanda le jeune médecin, gêné d'avoir laissé son esprit divaguer de la sorte.

— Je vous disais que l'écrasement de Monsieur Vaillant par son tracteur lui a été fatal, annonça le gendarme en lui montrant un homme gisant sous les énormes roues de l'engin.

Alex se pencha par-dessus les épaules des gens déjà présents et aperçu le corps d’un homme, les yeux écarquillés et le visage déformé par la peur, comme il n’en avait jamais vu. On lui fit de la place pour qu’il puisse s’approcher. Il observa quelques instants le corps puis prit son pouls par acquit de conscience.

— Je confirme. Il est mort, lança-t-il d’un ton très professionnel.

Le capitaine Enizan brisa par un petit toussotement le silence d’incompréhension qui suivit cette annonce.

— Merci pour cet éclaircissement doc, ajouta t-il embarrassé.

Alex, accroupit près du mort, releva la tête vers l’assistance et ce n’est qu’à ce moment là que les regards interloqués, presque amusés, des hommes qui l’entouraient lui firent comprendre que sa phrase était superflue. Il se ridiculisait.

Le jeune médecin se remit alors debout, sans perdre son assurance naturelle, et laissa le groupe soulever le tracteur afin de libérer le corps.

— Je ne comprends pas. Pourquoi me faire venir s'il est déjà mort ? interrogea Alex.

— Et bien, il n'y a pas de légiste ici et le temps que celui de la ville la plus proche ne vienne, ce serait trop long vous comprenez. Alors on a un arrangement avec votre oncle, il accepte de s’en occuper. Henry sait être discret, vous voyez ce que je veux dire ? demanda Enizan en faisant un clin d’œil grossier.

— Pas du tout à vrai dire, répondit Alex, un peu effrayé par cette attitude.

Putain, j’espère qu’il ne va pas me demander de l’empailler…ou pire…Ne put s’empêcher de penser le jeune homme.

— Disons qu’Henry a l’esprit ouvert et n’a pas peur de sortir des sentiers battus. Par exemple, là j'aimerais que vous me disiez...

Le capitaine prit Alexandre par le bras pour l'entrainer à l'écart.

—…Que vous me disiez de quoi il est mort, reprit-il en chuchotant.

Hello Captain Obvious….Man vs Tracteur, maintenant tu sais qui gagne, pensa Alex.

— Il a dû faire une fausse manœuvre, tomber et se faire écraser par son tracteur. C'est triste, mais je pense que c'est l’explication la plus probable, commenta Alex tout en retenant un rictus.

— Oui bien sûr. Pourriez-vous tout de même examiner le corps? Voir s’il n’y a pas quelque chose qui sorte de l’ordinaire. Parce que voyez-vous...

Le capitaine hésita à poursuivre :

— J'ai un témoin qui dit avoir vu le tracteur se diriger vers Jean enfin, Monsieur Vaillant, sans qu'il n'essaye de l'esquiver, alors...

— Qu'il n'essaye d'esquiver... Son tracteur ? insista Alex qui ne comprenait pas où il voulait en venir.

— Oui, car le témoin, une personne très sérieuse, dit que le tracteur... Avançait tout seul, avoua le capitaine.

Alex prit un temps avant de répondre.

— Je vois…Et vous ne pensez pas que c’est plutôt le témoin que je devrais examiner parce que de toute évidence c’est lui qui a un souci.

Le visage du Capitaine Enizan resta figé. Il n’était pas du même avis.

— Si seulement votre oncle était là, il aurait comprit lui, bougonna t-il.

— D'accord, d’accord, vous pouvez amener le corps au centre, je le garderais le temps qu'un légiste vienne, céda Alex en s’éloignant.

Son interlocuteur sourit. Sa longue expérience ne l’avait encore une fois pas trahie, il savait que la référence à son oncle allait à coup sûr piquer au vif celui qu’il voyait déjà comme un jeune coq pouvant lui être très utile.

— Cela reste entre nous ! insista le Capitaine qui n'eut comme réponse que le bras levé du jeune homme.

— Ouais, je ne suis pas un fucking légiste non plus, maugréa Alex en retournant vers sa voiture.

Un tracteur qui roule tout seul, c'est ça ouais... Putain de campagne, se dit-il en ouvrant sa portière.

Alors qu’il ouvrait la porte de sa voiture pour s’y engouffrer au plus vite, une voix l'interpella. C'était un homme brun d'une cinquantaine d'années, quasiment chauve sur le dessus du crâne, mais qui avait pourtant formé une queue-de-cheval basse avec le reste de ses cheveux mi-longs et bouclés. Il portait un jean fatigué, une chemisette rouge à carreaux et tenait à la main une sacoche en cuir identique à celle des médecins.

— Excusez-moi... Bonjour, vous devez être le remplaçant, dit-il en trottinant jusqu'à Alex.

Aïe aïe aïe, je refuse de dire au revoir à mes cheveux, bonjour, se moqua intérieur le médecin.

Le jeune homme tourna alors la tête dans la direction opposée pour camoufler son exaspération puis se retourna vers l'homme à l'allure excentrique avec un air plus adéquat.

— Tout à fait, Monsieur. À qui ais-je l’honneur ? répondit-il poliment.

— Ah oui bien sûr pardon, je me présente, François De Jourdan, mais vous pouvez m'appeler Fdj.

— Euh... Non merci, rétorqua son interlocuteur avec étonnement.

— Je suis le vétérinaire de la ville. J'étais avec Jean enfin, Monsieur Vaillant, au moment où... Le drame s'est produit. Avez-vous vu le corps ? Vous en pensez quoi ? pressa t-il le médecin.

— C'est vous qui l'avez vu se faire écraser alors ? Quel terrible accident.

— Accident. Vous en êtes sûr? insista le vétérinaire.

— Le capitaine m'a effectivement prévenu que vous aviez un avis différent.

— Un avis ? Ce n'est pas un avis, c'est ce que j'ai vu. J'étais dans l'étable à soigner une de ses vaches quand j'ai entendu des cris. C'étaient Jean et sa femme qui se disputaient sur le pas de leur maison, en face, expliqua l’homme en pointant la maison. Puis, Jean a traversé le champ pour me rejoindre et là, le tracteur lui a foncé dessus, c'était fou.

La façon dont le vétérinaire peignait la scène et son enthousiasme firent presque sourire Alexandre, mais il fallait qu'il garde son sang-froid :

— Fou, oui? À ce sujet, j'aurais peut être quelqu'un à vous conseiller. Vous connaissez le docteur Daniel ?

— Jacques Daniel, le psychiatre du centre médical?

— Je vois que vous le connaissez déjà. Vous êtes son patient peut être? Si ce n’est pas le cas, je ne peux que vous le conseiller vivement car les tracteurs qui avancent tout seul pour écraser leur propriétaire, ça n’existe pas. Désolé.

Alexandre acheva sa phrase ainsi et entra dans sa voiture sans plus de formalité. Il en avait assez de ces gens qu’il trouvait de plus en plus étranges et avait, en cette seule après midi, utilisé toute la diplomatie dont il pouvait faire preuve. Il laissa donc le vétérinaire sur le bas-côté. Ce dernier semblait abasourdie et surtout outré par le manque de politesse dont son interlocuteur avait fait preuve.

 

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