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Alex regagna rapidement son cabinet pour préparer la pièce où il réaliserait l’examen du corps qu’on aller lui porter. Les choses, ensuite, s'étaient vite enchainées. Dans les deux heures qui avaient suivi, on lui avait apporté le corps. « Pour le mettre au frais » comme lui avaient dit les pompiers. Il l'avait ausculté avec attention, mais rien ne lui avait sauté aux yeux.

D'ailleurs, il allait recouvrir le corps lorsque le capitaine Enizan entra dans la pièce sans prévenir :

— Mais, vous ne l'avez pas ouvert ? dit il, surprit.

— J'ai fait une prise de sang, nous verrons bien s'il a été drogué. Donc c'est officiel, vous enquêtez sur un meurtre ?

— Sa femme et lui... Ça n'allait pas fort. En plus, il venait d'hériter d'une tante éloignée, une grosse somme, révéla le capitaine d'un regard entendu.

— Vous croyez qu'elle a trafiqué le tracteur pour qu'il écrase son mari ? C'est possible ça ?

— Je n'en sais rien. C'est pour cela que j'ai fait appel aux experts de la base militaire. Ils nous donnent un coup de main de temps en temps. Tenez-moi au courant pour les tests, finit-il par dire tout en sortant de la pièce.

Après cette visite éclair, plus personne ne passa la porte de son cabinet, les habitants de Droche, les Droliques, ne l’avaient pas encore adoptés. Alors, plutôt que de rester attendre des gens qui ne viendraient pas,  il décida de regagner la petite maison que ses parents lui prêtaient au fond de leur jardin.

Très confortable, quoi qu'un peu vieillotte à son goût, la maisonnette était pourvue d'un grand salon cuisine, d'une salle de bains et d'une mezzanine qui faisait office de chambre, le tout habillé de meubles rustiques.

Alex posa ses affaires sur la table de la cuisine et s'assit au salon, dans un canapé fleuri à ressorts qui avait fait la fierté de ses parents dans les années soixante-dix. Il prit ensuite son ordinateur et consulta ses mails. Dans sa boite se trouvait un message de Brice, son ami également fraichement médecin, qui venait prendre de ses nouvelles. Alex savait très bien que son aventure dans les champs ne le laisserait pas indifférent alors il lui raconta sa journée en détail dans un mail intitulé : les mystères de Droche.

Il venait d’envoyer le message lorsque son téléphone sonna. C’était le capitaine. Il avait la voix fébrile et semblait nerveux. Un peu sur la réserve, ce dernier demanda à Alexandre de le rejoindre dans un endroit appelé le Paravent. Persuadé d'avoir un nouveau cadavre sur les bras, le jeune médecin se précipita donc au centre ville. Celui-ci n'était pas différent des autres bourgs de France : une mairie, une place avec des commerces et une église. Cependant, juste derrière celle-ci, se trouvait une petite ruelle pavée qu'Alex eut du mal à découvrir. Au numéro que lui avait indiqué le gendarme, il se trouva face à une porte blindée avec une petite trappe fermée. Il frappa, intrigué, et l'encoche s'ouvrit pour laisser apparaitre des yeux :

— La phrase magique, fit une voix féminine.

— De quoi ?

— Quelle est la phrase magique ? répéta la femme

— Tu sais quoi ? J't'emmerde, marre de ces conneries ! éclata Alex en tournant les talons.

La porte s'ouvrit alors dans un bruit sourd. Une femme, d'environ quatre-vingts ans et voutée, apparue alors sur la ruelle.

— Ben, qu'est ce que tu fais gamin, tu m'as donné la phrase, tu veux plus entrer ?

Alex poussa un soupir d'exaspération avant de se retourner pour faire face à cette femme maquillée à outrance, les cheveux courts, gris violets, et un boa doré autour du cou.

— Tu rentres mon chou ? insista t-elle du haut de ses taillons aiguille.

Le jeune homme finit par rire nerveusement et s'avança vers celle qui ne devait pas mesurer plus d'un mètre cinquante.

— Et ben voilà, c'est beaucoup mieux quand tu souris garçon, dit-elle en lui pinçant les fesses

— Géranium, qu'est-ce que tu fous ? lui demanda un homme qui avait remarqué la mine déconfite d’Alex alors qu'ils passaient la porte d'entrée.

— J'accueil ce petit mignon, tu permets ? répondit-elle en pointant Alex, mets toi à l'aise surtout. Bienvenue au Paravent, Bienvenue chez moi, finit-elle.

L'endroit était sombre à l'exception de la scène en face de l'entrée, qui elle, était très éclairée. Des rideaux rouges vifs de velours en tapissaient le fond et se refermaient une fois le spectacle fini. De chaque côté de la pièce, se trouvaient un bar et son comptoir, éclairés de néons bleus pour que les barmen y voient. Au centre enfin, étaient disposées des tables rondes en bois, accompagnées de leurs chaises. Chacune disposait d'une bougie, car sans cela, le spectateur était plongé dans le noir. Libre à lui de l'allumer ou non. L'ambiance du Paravent était étrange et feutrée. La musique des années vingt qui résonnait n'y était pas étrangère. Instinctivement, Alex s'assit sur l'un des tabourets du comptoir à sa droite.

— Excusez moi, je cherche le capitaine Enizan, il m'a demandé de le rejoindre ici, dit il au barman qui lui tournait le dos.

Ce dernier sorti de la pénombre pour se faire voir d'Alexandre.

— Mais c'est Monsieur Courtoisie. Comme on se retrouve, lança t-il.

— François De Jourdan, ça alors, s'étonna le jeune médecin.

— Je vous en prie, Fdj.

— Non, toujours pas. Que faites-vous ici?

— Cela ne vous semble pas assez clair, petit génie ? Je sers au comptoir.

— Le métier de véto ne paie pas assez ou vous êtes incompétent ?

— Mais quel humour, vous devriez monter sur scène, Monsieur Cotelet. Géranium est ma mère. L'endroit lui appartient, je lui donne un coup de main…

— À vrai dire, les détails de votre vie ne m'intéressent pas des masses, le coupa le jeune homme. Le capitaine a insisté pour que je vienne ici, ça avait l'air important.

Le vétérinaire éclata de rire, il se moquait clairement d’Alexandre.

— Il ne va pas tarder. Il se produit ce soir et avait peur de la salle vide. Avant lui, il y a un autre show, le plus drôle de la région. Vous n'allez pas être déçu.

— Il m'a fait venir pour que je le voie sur scène ? répéta Alex, étonné.

— Crois moi, ça vaut son pesant d'or, intervint alors son voisin. Je suis Cédric, poursuit-il en lui tendant la main.

L’homme semblait avoir son âge et, comparé aux six autres clients du Paravent, il paraissait des plus normal.

— Tu es Alex Cotelet, le remplaçant du doc, non ? J'ai entendu dire que tu as vu le corps du père Vaillant ? continua Cédric.

— Tu es bien renseigné dis moi.

— Tu ne dois pas me connaitre, mais nous étions dans le même collège à deux ans d'intervalles et puis je travaille pour la saison dans la ferme d'à côté. C'est con, il était bien parti pour gagner la course.

— La course ? releva le médecin.

— Oui. Chaque année, en fin d'été, est organisée une course de tracteurs avec les agriculteurs du coin. Le gagnant reçoit pour dix mille euros de matériels. Non négligeable donc. Tous les ans, c'est mon boss qui gagne, sauf que cette année, le père Vaillant criait sur tous les toits qu'il allait gagner grâce à l'aide de sa fille. Elle travaille chez Biostat, du lourd quoi.

C’est alors que Géranium attira l'attention générale en manquant l’une des marches d’accès à la scène. Ce petit incident coupa court à l'histoire de Cédric, qui changea de sujet :

— Ah, voilà Coqueluche le comique. Dans le civil, c'est le maire de Droche. Tu vas halluciner, murmura t-il.

— Prenez-en de la graine Monsieur Cotelet. C'est un vrai comique, lui ! lança le vétérinaire.

— Voici celui que vous attendez tous. La fierté de Droche et de ses habitants. Chacun de ses passages est remarqué...commença Géranium.

— Tu m'étonnes, renchérit discrètement Cédric.

—...et apprécié pour son originalité et sa fraicheur, fini la vieille femme avant de redescendre, aidée par les clients assis aux tables du milieu.

L’endroit fut alors complètement plongé dans le noir à l'exception de la scène. De chaleureux applaudissements retentir et Coqueluche entra sur les planches. A sa stupéfaction, Alex vit entrer sur les planches un sexagénaire bedonnant, le cheveu hirsute, un nez de clown vissé au milieu du visage et portant un bleu de travail. Le jeune médecin en eu la mâchoire décrochée.

— J'avais prévenu, lui chuchota son voisin, un grand sourire aux lèvres. Les mains dans les poches, Coqueluche débuta son spectacle :

— Alors, c'est l'histoire d'un mec...

— C’n’est pas croyable, mais où va-t-il chercher tout ça ! lança le barman, déjà hilare

Laissez moi sortir ou je me pends. Un pousse à l'alcoolisme ce type, se dit Alex.

— Vous êtes sérieux là ? Vous ne voyez vraiment pas d’où il sort son inspiration ? Donnez-moi ce que vous avez de plus fort...Fdj, supplia le médecin.

— Fdj? Il y a du mieux, répondit l'intéressé, toujours enthousiaste.

Deux sketchs plus tard, le jeune docteur était au trente-sixième dessous. Il ne savait pas s'il allait pouvoir en supporter davantage alors que l'assistance en redemandait. Soudain, le mouvement de la porte d'entrée attira son regard. Une jeune femme, la trentaine aussi, venait de pénétrer dans le bar. Habillée d'un jean et d'un pull, ses cheveux étaient coupés au carré. La pénombre ne laissait pas en deviner plus, mais pour Alex, elle semblait quelconque et il n'y prêta pas attention outre mesure.

Avec l'arrivée des trente ans, la soif de conquête d'Alex s'était quelque peu tarie, mais pas ses exigences physiques. Il aimait toujours autant les brunes ou blondes incendiaires aux formes avantageuses. Superficiel ? En matière de femmes, certainement et il ne s'en cachait pas. Le nombre d'histoires sérieuses qu'il avait eu ? Aucune, il n'en voulait pas.

— Bonsoir. Moi, c'est Cannelle, dit la jeune femme en s'assaillant sur le tabouret près de lui.

— Ah ouais. Et tu as oublié ton vrai prénom à la maison ?

Il avala ensuite son verre d'un trait, méprisant la jeune femme.

— D'accord. Tu dois être le médecin remplaçant, toi. Fdj m'a prévenu que tu étais un petit con, lui lança t-elle au visage.

Le jeune homme ne s'attendait pas à cette réponse et ne trouva rien à redire. Les gens osant lui parler de la sorte étaient rares. De toute façon, Géranium était à nouveau au centre de la scène pour annoncer la venue du capitaine Enizan, alias Ambroise.

— Ah tiens, lui aussi a un pseudo ce soir, dit Alex en direction de sa voisine.

— Non, non, c'est son prénom, vous ne le saviez pas ? rétorqua Fdj.

Le jeune homme regarda à nouveau la scène, cette fois-ci définitivement dépité, et alors qu'il pensait avoir atteint un palier avec Coqueluche, il s'avéra que cela n'était qu'une mise en bouche puisque le capitaine apparu sur les planches, une perruque brune frisée visée sur la tête. Ambroise portait aussi une robe noire scintillante et décolletée sur un torse mal épilé.

— Un commentaire doc ? lui demanda Cédric, impatient de voir la réaction de son voisin.

Il n'eut comme réponse que les yeux exorbités d'Alex.

— Comment ? Tu ne savais pas que le capitaine Enizan était aussi transformiste ? s'amusa Cannelle.

Les premières notes d'une chanson de Piaf résonnèrent soudain et Ambroise commença son playback sous les encouragements des spectateurs, à l'exception d'Alex, qui commanda un énième verre.

 

Après cette soirée riche en émotions et en alcool, le jeune homme émergea difficilement. Les verres qu'il avait bu pour supporter le spectacle lui avaient laissé la gorge sèche et le crâne douloureux.

Heureusement que je ne travaille pas le samedi matin... Mais comment je suis rentré au fait ?

Il jeta un regard inquiet dans son lit puis autour de lui, à la recherche d'une présence inhabituelle, se remémorant alors les pubs « tu t'ai vu quand t'as bu ? »

Puis il descendit de la mezzanine avec difficulté et trouva un mot sur sa table de cuisine :

« Tu étais trop cramé pour conduire, voilà tes clés. T'inquiète, je n'ai pas abusé de toi ! Cédric »

Le jeune médecin était soulagé, à priori, il n’avait rien fait de répréhensible la nuit dernière.

 

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