Ma grand-mère Josefa Queffelec, bretonne de surcroît et fière de l’être, était morte d’une rupture d’anévrisme en sortant de chez le coiffeur. Nous allions l'enterrer le 4 avril dans le cimetière de son village à Pléneuf Val André. Laissant derrière elle, mon grand-père Aston Queffelec, 81 ans, sourd comme un pot, têtu et tellement adorable, Josefa allias aussi Nannie, était une bonne vivante, plutôt loufoque et peu pudique. Caractéristiques dont ma propre mère avait hérité… elles étaient faites sur le même moule, tendance anarchistes, rebelles, légèrement hippies sur les bords, têtues (comme des vraies bretonnes en somme), artistes et Wiccanes.
Pour ma part, j'ai toujours tenu de mon père, mon défunt père Patrice. Réaliste, rigoureuse, travailleuse, perfectionniste, mais aussi drôle et pétillante, selon mon entourage en tout cas. De mémoire de femme, je suis passionnée d’Opéras, de ballets classiques et modernes, de peintures impressionnistes, de grande littérature telle que Shakespeare, Boris Vian, Stefan Zweig, Paulo Coelho. A défaut de croire au surnaturel imaginaire, je crois au surréalisme de l’esprit face à l’analyse de la vie elle-même. Je ne tends pas à penser que cela me donne plus de spiritualité que mes semblables, mais je me plais à plonger dans les méandres de l’esprit, avec mes auteurs favoris. C’est une grande source de paix pour moi.
Ma mère Alix et ma grand-mère avaient la même passion pour la spiritualité occulte, les plantes guérisseuses, les pierres semi-précieuses contre les spleens de la vie et autres païennismes, d’ailleurs maman tient encore une boutique du genre, dans la ville natale de papa, Toulouse. Je vis quant à moi à Lyon, exerçant le métier passionnant de bibliothécaire, je suis même gérante de ma propre petite librairie, de livres antiques et anciens. Préservant la rareté des hauts écrits. Un concept qui fonctionnait plutôt bien dans cette ville chargée d’Histoire.
Je déposais mon sac de voyage dans le coffre de mon Austin mini et partis direction Pléneuf Val André, rendre un dernier hommage à ma grand-mère, qui, je devais bien l’avouer, m’avait élevé une partie de mon enfance, quand maman était trop occupée pour le faire. Elle et papa étaient partis un an, quand j’avais 10 ans. Ils étaient allés faire le voyage de leur rêve, papa était déjà malade à cette époque, il fallait qu’il en profite, je ne leur en avais jamais voulu. Du coup, j’avais vécu avec Nannie et Poupi, dans la maison de famille. Cette maison fantastique, mais très vieille maintenant. Si mes souvenirs étaient bons, cela faisait 5 ans que je n’y étais pas retournée : un grand jardin, assimilé à un champs, de grands arbres centenaires le bordant, une maison sur 3 étages, recouverte de lierre sauvage, des papillons un peu partout, la brise marine qui flotte aux alentours. Une maison digne d’un roman de Maupassant, ou d’une peinture de Monet. Je me demandais si la balançoire de mon enfance était restée à la même place et les massifs de lilas, d’iris et d’hortensias… seraient-ils encore là ? Poupi aura-t-il laissé déplié, son transat en tissus usé au milieu du jardin ? Cassiopée, leur petite chatte tigrée sera-t-elle en train de chasser les insectes sur le perron ? Y aura-t-il encore cette odeur sublime de jasmin dans la maison ? Je pensais au pouvoir des lieux que l’on côtoie enfant, je crois aussi au pouvoir des parfums et des odeurs sur notre mémoire et nos souvenirs. J’ai toujours aimé l’odeur du pain grillé le dimanche matin, l’odeur de l’herbe fraîchement coupée dans les champs en été, plus encore l’odeur des branches que l’on fait brûler après le jardinage en automne. Tellement de souvenirs heureux, enrobé dans une note parfumée.
Au coucher du soleil, j’atteignis la Bretagne. Et aux premières étoiles dans la nuit, j’arrivais devant la façade sombre et sereine de la maison de famille « Penn-Araok », qui veut dire 'maison d’avant' en Breton. Je soulevais l’escargot en céramique à droite de la porte d’entrée et y récupérais les clés.
J’entrais sans bruit, ne voulant pas réveiller Poupi, qui dormait au premier. Maman était arrivée la veille et m'avait laissé un mot sur le miroir de l’entrée. Un repas froid m’attendait dans le réfrigérateur. Je regardais ma montre 21h20, la maison était plongée dans le noir le plus complet, maman avait du sortir avec la voisine, une amie de longue date. Je pris mon repas tranquillement sur la table de la cuisine, avec un petit verre de vin blanc. Pas coutumière de l’alcool en mangeant, mais ayant besoin d’un petit tranquillisant quant à l’épreuve qui m’attendait demain. Les enterrements c'était assez compliqué chez moi, je ressentais la tristesse, mais sans verser de larmes. Je restais, là prostrée, le regard dans le vide, mais pas un brin d’eau saline ne coulant de mes yeux. Ce qui, bien sur, exaspèrait maman au plus haut point, selon elle, je n'étais pas assez en communion avec la nature et donc je reniais une partie des émotions humaines. En gros, j'étais un robot à ses yeux. Je comprenais avec aisance sa réaction, mais difficile de se changer, sans savoir comment faire ! je n’y arrivais pas et ça n’était pas les 10 000 000, de psys en France qui auraient pu trouver la solution, j'étais totalement contre ce principe de base : on ne trouvait pas les réponses, en demandant à quelqu’un d’autre de les trouver à notre place. Et puis qu’est ce que ça voulait dire « être perdu » ? Mentalement perdu ? Ça ne rimait à rien, la remise en question était là pour nous aider à trouver notre chemin propre, enfin il me semblait. Tout ça pour dire que je ne pleurais pas aux enterrements, ressentant pourtant la souffrance, la douleur, la colère, la tristesse, je n'étais pas une psychopathe, comme pouvait le croire maman. Je montais dans la chambre bleue et me couchais.
- Tu as bien dormi ?
- Oui très bien et toi ?
Maman me servit le café. Depuis notre lever, Poupi était allongé sur son transat dans le jardin écoutant en boucle et plutôt fort, de vieilles chansons que Nannie aimaient beaucoup. Elle jeta un œil dehors.
- Et bien, j’aurais pu dormir plus, mais papa est … têtu.
- La messe est à quelle heure ?
- 15h, je t’ai mis une robe sur ton lit.
- Merci mais j’ai mon tailleur noir.
Elle insista.
- C’est une des volontés de ta grand-mère, que l’on porte les habits de sa mère. Les robes 1900 de feu Colette.
- Très bien. Capitulais-je.
Je sortis de la maison, me dirigeant vers Poupi. Je posais ma main sur son épaule, il se tourna vers moi, le regard flouté par les larmes. Je m’accroupis dans la pelouse, posant ma tête sur l’épaule de mon grand-père, il déposa sur ma joue sa main fripée et si fraîche. Douceur lisse de la main d’une personne âgée. Je restais un long moment avec lui, écoutant les Piaf, les Brel, les Gainsbourg du tourne disque.
Autour de nous, les massifs de fleurs autrefois bien rangés et uniformément colorés, faisaient place à un amas désordonné de fleurs des champs, mêlées aux restes des anciennes plantations. La nature sauvage avait reprit ses droits, Nannie aurait adoré de voir ça. C’était Poupi qui jardinait, mettant un point d’honneur à ne mélanger aucune fleur, que tout soit parfait à sa manière, ça faisait enragée Nannie, qui elle, rêvait d’un jardin tout fait de folie et de désordre.
- Je t’aiderais demain si tu veux à remettre de l’ordre dans les fleurs. Lui dis-je.
- Ça, pff, c’est une autre volonté de ta grand-mère ! tu sais comme elle détestait mes massifs de fleurs !
Il levait les yeux au ciel. Je ris.
- Toi, Poupi, le plus têtu de la famille, tu vas accepter d’avoir un jardin en friche ?
Il me sourit.
- Ben si je fais comme je veux, j’ai peur qu’elle me jette un mauvais sort d’en haut ! Dit-il en pointant du doigt le ciel.
J’hochais la tête.
- Demain après midi, pelle et pioche, sécateur et gants, arrosoir et graines… le rendez vous est prit. Lui dis-je.
Je l’embrassais sur la joue et l’aidais à entrer dans la maison pour se préparer.
J’enfilais la robe corsetée violette foncée que maman m’avait réservé. Étonnement nous avions toutes le même gabarit dans la famille, petites femmes fines, d’1m65, les yeux verts prédominaient chez les femmes de la lignée, ainsi que la chevelure rougeoyante, des rousses d’origine irlandaise. En effet, la maman de feu Colette s’était mariée avec Ian, un vrai irlandais et donc résonnaient en nous les mêmes gênes. Mes filles seront probablement rousses elles aussi et mes fils seront blonds vénitiens comme papa. J’enroulais mes cheveux longs en un chignon discipliné et abaissait le petit voile attaché au chapeau d’époque devant mes yeux.
- Tu es prête ?
Je regardais maman, elle portait une robe que j’avais déjà vu petite, une robe corsetée en dentelle noire, très tragique, digne d’un beau film d’époque. J’hochais la tête et la suivit, encadrant Poupi en complet 3 pièces. La messe fut discrète et sobre, contrairement au personnage qu’était ma grand-mère en vie. N’étant pas croyante, j’appréciais néanmoins les textes lus, les paroles dites et les personnes qui parlèrent de feu Nannie. Une fois le cercueil mit en terre, maman me regarda. Sa main vint effleurer ma joue.
- Rien ? Dit-elle.
Je ne pus qu’hausser les épaules. Comment lui expliquer que les prochains jours, dès que les larmes m’assailliront, je ne pourrais rien retenir. Je fonctionnais à contre temps voilà tout. Ce soir là, je restais seule, assise sur le fauteuil de Nannie, dans le salon, dans le noir.
Poupi s’était endormit tôt comme à son habitude et maman était sortit faire je-ne-sais-quoi. J’avais trié des boites de photos une partie de la soirée, les photos de jeunesse de Josefa, le mariage de mes grands-parents, la naissance de leur fille unique… la vie rangée dans une boite, sur un papier ternis et jaunit. Je me levais du fauteuil en velours râpé bleu ciel et me dirigeais vers la boite en nacre sur la table basse. Réserve d’herbes peu communes de ma grand-mère… un restant de mai 68 ou de Woodstock, suivant ce qui était le plus hippie des deux. J’inhalais cette odeur particulièrement reconnaissable, je souris, c’était tellement elle.
Elle n’était pas droguée, ni toxico, mais cette étrange cigarette qui fait perdre la tête était son pêché mignon, je me souviendrais toujours la première fois où je l’ai surprise en train de fumer ça. Je ne savais pas comment réagir, à l’aube de mes 16 ans, âge un peu con et cruel où l’on essaie toutes sortes de choses, quoique ça n’était pas mon cas, j’étais plutôt la tête de turc de la classe parce que plus brillante que la moyenne. Ah lala Nannie. Je refermais la boite, caressant le couvercle, songeuse.
- Au revoir Josefa. Murmurais-je à moi-même.
Je refermais le plaid autour de mes épaules et allais refermer la fenêtre, le vent se levait. M'arrêtant un instant, interdite devant le spectacle. Devant moi, à quelques mètres, au milieu du jardin, se trouvait maman, littéralement nue, portant autour de la tête une couronne de fleurs étrangement lumineuses, dansant et chantonnant un genre de comptine.
- Ce n’est pas vrai… Soupirais-je.
Je sortis de la maison en trombe avec une veste à la main.
- Maman qu’est ce que tu…
A y regarder de plus près son visage était peint. Elle me dévisageait.
- Tentée de venir ? Dit elle joyeuse.
- Maman… on est au mois d’Avril et tu es nue… tu… mets ça !
Je lui tendis la veste.
- Je n’ai pas finit fille.
- Fille ?
Elle continuait de tournoyer sur elle-même et autour de ce qui semblait être un autel de culte païen.
- Maman s’il te plaît… enfile ça et rentre dedans… arrête de te donner en spectacle pour faire ce que tu crois être un rite sacré. Ça ne rime à rien !
- Que tu es terre à terre ma fille.
- Non rationnelle maman.
- Ton père était rationnel aussi mais il comprenait mes croyances et ne jugeait pas, il a même essayé une fois.
J’haussais les épaules.
- Très bien, je te laisse délirer, si tu as une pneumonie demain, tu sauras pourquoi !
Elle me criait quelque chose que je n’entendis que peu avec le vent. Je m'arrêtais alors, et attendis qu'elle ne répète.
- Il faut que tu te rendes compte que des choses folles existent sur terre, fille, les Wiccans sont de puissants sorciers et de grands sages, la vie après la mort est saine à considérer… Nannie deviendra un champ de blé…
Je rentrais dans la maison, puis montais dans la chambre. Je la vis encore de ma fenêtre se tortiller au vent.
- Foutaises… soupirais-je avant de rejoindre mon lit.
Je passais ma dernière journée avec eux, puis repartis à ma vie lyonnaise.