La double porte du bureau s’ouvrit brusquement. Un homme musculeux, bien que de petite taille, pénétra les lieux, le manteau en vinyle noir posé sur ses épaules virevoltant dans son sillage. Au travers du tissu de son pantalon, on pouvait deviner que ses deux jambes étaient en réalité des implants faits pour le combat. Si on doutait encore de son expérience au combat, les cicatrices qui recouvraient ses bras et celle qui balafrait son visage ôtait tout doute quant à son mode de vie et sa spécialité. Ses petites lunettes rondes masquaient ses yeux, mais l'expression de son visage montrait un franc mécontentement. Un homme et une femme, le visage recouvert d'un casque tactique recouvert de peintures colorées le suivaient de près. Les parties de peau laissée à découvert par la combinaison dont ils étaient revêtus ne laissaient aucun doute sur le pourcentage non négligeable de prothèses qu'ils s'étaient fait chacun installer. Leur peau brillait d'un éclat peu naturel, leurs yeux brillaient dans la pénombre étudiée du bureau.
— Lenny chérie, ton plan à plus qu'intérêt à être intéressant, s'exclama-t-il d'un ton faussement jovial.
A peine eut-il fini sa phrase qu'une décharge électrique traversa la pièce pour atteindre l'homme casqué à sa gauche. Les deux gardes en costume qui encadraient le bureau de Lennox avaient tous deux le bras tendu, l'arme dégainée et fumante. Leur regard éteint et l'absence totale de différences physiques entre eux deux ne laissait aucun doute sur leur nature. Des clones.
L'homme à lunette s'était immobilisé, sa lieutenant visiblement nouvelle au poste regardant d'un air catastrophé le corps encore fumant de son camarade. Grillé. Elle s'apprêtait à dégainer elle aussi mais son chef lui intima de ne rien en faire. Les deux clones la braquaient déjà. L'atmosphère était électrique.
Lennox, assise dans son fauteuil les pieds sur le bureau, avait observé la scène d'un air impassible, sans se départir d'un sourire trop grand qui lui donnait l'air d'un crapaud affamé. Ce n'était pas ce qu'on pouvait appeler une belle femme, mais elle était indéniablement impressionnante. Son costume trois-pièce en satin de coton bordeaux attestait de moyens financiers plus que confortables, si son bureau recouvert de boiserie ne suffisait pas à cela. Les ressources naturelles étaient rares, et chères. Peu d'implants étaient visibles sur les parties apparentes de sa peau, juste quelques lignes de jointure par endroit. Du travail de professionnel très très compétent. Les professionnels capables de telles prouesses étaient rares à Brysance.
Sans se presser, elle arrêta son regard d'un jaune brillant sur le nouvel arrivant. Son sourire s'élargit encore un peu plus.
— Baen.
Sa voix était grave, enveloppante, mais aussi chargée d'une menace absolument pas dissimulée.
— Oh ça va, c'était une blague, grogna Baen. Il était à deux doigts d'exploser mais se concentrait autant qu'il pouvait pour juguler sa colère.
— Ramène encore une fois tes blagues ici et ce n'est pas ton lieutenant que je crame. Tu avais pourtant progressé ces derniers temps, il était presque possible d'avoir une conversation, si ce n'est agréable, vaguement intéressante. La notoriété te monte à la tête.
Le temps se suspendit un instant puis les deux clones rengainèrent d'un seul mouvement. Baen se détendit imperceptiblement. La tension baissa d'un cran. Il observa avec un dégoût mêlé de curiosité les deux gardes qui encadraient le bureau.
— Ça pu Extremir tes deux machins.
— Bien deviné.
— Comment les as-tu récupérés ?
Le sourire de Lennox fut sa seule réponse. Baen grogna, désapprobateur.
— Bon, et ce plan ? Je n'ai pas toute la journée.
Il s'installa dans un des fauteuils disposés près du grand bureau de bois.
— C'est un petit groupe qui m'a contacté récemment. Je les observais depuis quelque temps, ils ont fait quelques coups remarquables en termes de hacking. Je me suis dis qu'il pourrait être intéressant de vous mettre en contact compte-tenu de tes projets actuels, exposa Lennox.
— Pourquoi je n'ai jamais entendu parler d'eux avant s'ils sont si talentueux ?
— Parce qu'ils sont presque invisibles, exercent depuis pas longtemps, et que tu es complètement concentré sur Extremir en ce moment.
Baen passa la main dans ses cheveux.
— On ne peut pas dire qu'ils y vont de main morte en ce moment. Heureusement que tu es là pour dénicher les talents en quête de contrat, répliqua-t-il d'un ton charmeur.
Lennox lui répondis d'un air entendu et tapota sur sa table. Le signal d'un appel retenti. Les lueurs d'un hologramme apparurent au-dessus à 10 centimètres du plateau de la table, mais aucune forme discernable ne se forma. Seule une voix, métallique, déformée, retenti.
— Everwinters.
— Ici Lennox. Mon contact est ici, prêt à écouter votre offre. Vous avez 5 minutes.
— C'est plus que nécessaire, répondit la voix.
— Nous pouvons vous fournir les profils d'une 10aine de miliciens. Ce sera de la piétaille, mais vous pourrez entrer dans Extremir et en ressortir. Accès garantis pour un bâtiment protégé, peut-être deux.
Baen coupa le micro un instant.
— Ils sont sérieux ?
— Comment tu crois que j'ai pu récupérer mes clones aussi rapidement ? répliqua Lennox en s'enfonçant dans son fauteuil d'un air satisfait.
— Ils sont combien ?
— Une dizaine, à peine. Impressionnants, mais inoffensifs.
— Si tu le dis. Je me méfie de ces nouveaux groupes. Ça commence petit puis ça veut s'attaquer aux anciens.
— Extremir a à ce point affaibli les Vileswaters ?, plaisanta Lennox d'un ton douceureux.
Baen explosa de rire d'un rire sans joie.
— Pourquoi ça te plairais ? Plus si neutre que ça l'Arena, s'esclaffa-t-il. Non, c'est pour eux que je m'inquiète. Enfin, tant qu'ils restent à leur place, il n'y aura pas de soucis, mais s'ils peuvent vraiment faire ce qu'ils disent, ce serait dommage de les perdre. Mais j'ai bien envie de voir ce qu'ils ont dans le ventre.
Lennox lui lança un regard amusé et réactiva le micro.
***
— Mes ami.es ! Nous avons du pain sur la planche. On bosse pour les Vileswaters !
Autour d'Amera, des exclamations de stupeurs fusent instantanément.
— NON ! C'est sérieux ?
— J'en reviens pas !
Un vol de papillon holographique traversa la pièce, virevoltant joyeusement avant de s'évanouir. Amera soignait toujours ses annonces. Si le hacking ne l'avait pas passionné aussi jeune, le monde du spectacle l'aurait sans doute accueilli à bras ouverts.
— On en a pour combien ?
— 40.
— Or ?
— Palladium.
Au fond, Lachlan poussa un cri de surprise. C'était une très, très belle somme.
— Et... On doit faire quoi pour la toucher ? Hacker le chancelier ? ironisa Gwen. C'était de loin la plus pragmatique du groupe. Enfin, quand il s'agissait d'évaluer les risques. Cela faisait d'elle un des atouts des Everwinters. Tous les risques pris étaient calculés soigneusement. D'autant qu'Amera pouvait avoir tendance à s'emporter quelque peu parfois. Pas tant lorsqu'il s'agissait du groupe entier, mais la nonchalance pour sa propre sécurité virait parfois à l'inconscience. Surtout s'il y avait moyen de rajouter du panache.
Devant l'appréhension manifeste de Gwen, Amera commença donc à expliquer le détail de l'opération. Le groupe l'écouta attentivement. C'était leur première grosse, vraie commande. Cela faisait 5 ans qu'ils se faisaient doucement connaître. En tant que groupe du cercle extérieur, c'était compliqué, ils avaient dû se battre pour exister. Monter des coups toujours plus impressionnants, être toujours plus créatif. Le groupe connaissait une croissance intéressante en termes de notoriété. Ils étaient 7.
Amera, à leur tête, visionnaire, son ambition disputait à son caractère très protecteur envers le groupe. S'il devait y avoir un gros risque, c'était son rôle de le prendre.
Gwen était son bras droit. La jeune femme était une hacker compétente et prudente, ce qui l'avais menée logiquement à évaluer les risques bon à prendre pour le groupe.
Lachlan était un des premiers membres du groupe. Un bon hacker, créatif pour trouver des solutions aux problèmes les plus ardus. Surtout quand cela impliquait des interactions humaines. Il n'avait pas son pareil pour amener ses interlocuteurs à lui donner les informations dont il avait besoin.
Amyl, Zelia et Lyn étaient trois amis venus des cercles médians. Ayant grandi ensemble, ils n'avaient pas leur pareil pour travailler en groupe. Ils avaient réussi à coordonner leurs implants et partageaient leurs pensées en permanence. Un vrai atout, rare étaient ceux qui arrivaient à se coordonner à ce point.
Lexi était la nouvelle venue, admiratrice inconditionnelle d'Amera. Les Everwinters, c'était une aubaine inespérée pour elle. Contrairement aux autres, elle n'était pas originaire des territoires centraux de Brysance, mais d'ici, des cercles extérieurs. Là-bas, la qualité des infrastructures étant défaillante, il était compliqué de devenir autre chose que mineur ou forçat quelconque. Au vu de sa carrure, elle ne s'était pas faite beaucoup d'illusions.
C'était d'ailleurs un miracle que les Everwinters, un groupe spécialisé en hacking, ai pu s'installer ici. Il avait fallu une ingéniosité hors-pair, plusieurs mois de travail et des fonds à l'origine plus que suspects pour réussir à tout raccorder avec débit suffisant au réseau. C'était cependant chose faite. Et personne ne penserait à aller les chercher ici. Les groupements de hackers préféraient généralement s'installer dans le centre, proche des grosses artères du réseau. Cet endroit était cependant devenu, pour tous, leur refuge. C'était relativement spacieux, chacun avait une petite cabine personnelle d'1 mètre sur 2, ce qui représentait un certain luxe dans les bas-fonds, où les marchands de sommeil étaient plus que courant. Une part non négligeable des habitants devaient porter leur possession sur le dos en permanence, ou presque. Ce qui représentait un risque continu de se faire braquer.
Amera avait fini d'exposer le contrat.
— Donc, résuma Amyl. Nous devons fournir 10 identités de miliciens bas niveau, un officier et les codes d'accès de trois étages d'une à Extremir. Pour dans trois mois. Tu te rends compte que c'est un boulot de taré qui nous attend j'espère ?
Amera eu un sourire enjoué.
— Absolument ! Mais je ne doute pas de notre réussite.
Zelia et Lyn eurent un soupir de résignation parfaitement synchronisé.
— Et c'est reparti...
— Gwen, tu le sais toi, c'est possible, non ?
— ça me tue de l'avouer mais oui, c'est possible. Clairement, on va bûcher mais pour un contrat pareil...
Ses yeux brillaient. C'était un coup incroyable. S'ils réussissaient, aucun doute que les contrats allaient pleuvoir. Alors que le groupe échangeait avec animation sur les différentes solutions à mettre en place, Amera s'éloigna un peu, l'air pensif. C'était une superbe opportunité, qui allait les mener à une notoriété plus que confortable s'ils réussissaient. En cas d'échec cependant, les retombées allaient être très dures. On n'échoue pas sur un contrat avec un des plus gros gangs de Brysance. Et si on réussit, les risques ne sont pas inexistants : le Sanctum Atrophia allait sans doute venir les chercher aussi. Pour des contrats... pour eux ou sur eux. Il allait falloir jouer intelligemment s'ils voulaient tous s'en sortir indemne.
De l'autre côté de la pièce, Gwen le regardait. Elle avait suivi ses pensées, et partageait ses craintes. C'était ce qu'ils espéraient tous depuis 5 ans, mais c'est maintenant qu'ils entraient vraiment dans l'arène.
Ton univers a l'air vraiment bien développé.
Merci pour ce moment de lecture.