2 - Deuil

Notes de l’auteur : Jour 2 du NaNoWriMo ! ;) (texte "brut" publié au rythme de 1667 mots minimum par jours pendant 30 jours)

La pluie, acide et froide, martelait la vitre sans discontinuer. Le paysage extérieur était difficile à deviner au travers de la brume jaunâtre qui s'enroulait autour des tours immenses. Seules les lumières des néons et des fenêtres éclairées se distinguaient, halos étincelant dans la nuit trouble. La fumée de multiples cigarettes se mêlait à la buée pour venir obscurcir encore ce tableau, empêchant définitivement d’apercevoir quoi que ce soit nettement.

Mais cela lui convenait bien. La tour lui faisant face était encore bien trop visible à son goût, Celle qui avait fini par engloutir son mari, comme tant d’autres, quelques jours auparavant. Son médecin de mari, si fier et idiot, aux premières lignes dans cette bataille contre le virus dévastateur apparu quelques semaines plus tôt, et qui décimait les premiers niveaux d’Extremir. Toujours à se surmener, à vouloir faire la maximum pour tous. Un peu plus et il aurait plongé tête baissé dans les sous-sols de Brysance pour aller soigner la pègre, tant qu'à faire.

Jocaste tira encore sur sa cigarette tandis que son autre main tâtonna vers le reste de whisky dans son verre. Alors qu’elle allait refermer sa main, un éclair de lucidité lui fit réaliser le ridicule de sa démarche. Elle se saisit directement de la bouteille déjà au trois quart vide, porta le goulot à ses lèvres et bu une grande lampée, les yeux fermés. Ses cheveux noirs cours lui tombait dans les yeux mais cela lui était égal. La bienheureuse anesthésie apportée par l'alcool n'était pas encore assez forte à son goût. La seule personne qui avait réussi à lui faire croire en l'humanité, en un monde meilleur, n'était plus.

Cette épidémie, dévastatrice, n'était pas naturelle, elle en était sûr. Certes la densité de la population Extremirienne facilitait la diffusion des infections en tout genre, mais ça, ce n'était pas nouveau. Cette épidémie était tombée à un moment beaucoup trop opportun, juste après les dernières annonces du gouvernement central... Ça n'était pas un hasard.

Et c'était son travail, en tant qu'inspectrice de la milice, de le prouver. Seul les rats de Brysance osaient ainsi attaquer Extremir, et elle trouverait le moyen de nettoyer sa ville de cette engeance.

L'alcool ingurgité fini de faire son effet. Malgré sa résistance dûe à l'habitude, l’horizon, les tours, son appartement, tout vacilla. La dernière vision qu’eu Jocaste avant de sombrer dans un sommeil comateux fut celle de la dépouille de son mari, ce médecin beaucoup trop altruiste, brûlant au crématorium, derrière une bâche sanitaire, plus tôt dans la journée.

***

« Jocaste ? Jocaste ! Ouvre ! »

L’appel de son prénom la ramena brusquement à la réalité. Elle était incapable de dire depuis combien de temps elle était concentrée sur ses recherches, mais la lumière blanche qui filtrait par les persiennes indiquait que le matin était indéniablement avancé. Jocaste se retourna et alla déverrouiller la porte. Le visage de son coéquipier apparut dans l'embrasure, rouge d'avoir couru dans tous les couloirs du poste.

— Mais putain Jocaste, qu’est-ce que tu fous à t’enfermer comme ça ? Je te cherche depuis 30 minutes ! » Il repris son souffle et pris soudain conscience de l'expression fermée de sa coéquipière. Son visage déjà anguleux d'ordinaire paraissait plus dur et creusé que d'ordinaire, et une détermination glaciale brillait dans ses prunelles grises. Il se radoucit quelque peu.

— Mes condoléances pour ton mari… Tu tiens le coup ?

Sa sollicitude était réelle, bien qu’à rebours. Elle le dévisageait, incapable de répondre. Elle opta pour une réponse sobre. « J’arrive. Qu’est-ce qu’il y a ? »

Ian hésita encore quelques instants. Visiblement, le moment n’était pas aux confidences. Il enchaîna donc. 

— Un point est prévu dans 2 minutes il faudrait que tu...

Sa phrase resta en suspends quand il remarqua le désordre de la pièce derrière Jocaste

— Tu ne viens pas juste de reprendre ? On dirait que tu es là depuis des jours...

— Je suis arrivée tôt ce matin, j'avais des recherches à faire.

Le regard de Ian s'accrocha à la bouteille presque vide sur le bureau

— ...Ce matin ? » Son ton était soupçonneux.

— Très tôt ce matin. » La réponse de Jocaste ne tolérait aucune réplique. Ian eu la nette impression que "tôt le matin" signifiait vraisemblablement plutôt tard hier soir. Il soupira.

— Amènes-toi on nous attend.

Elle embarqua sa tablette et lui emboîta le pas.

 

Les deux inspecteurs s'introduisirent dans la salle de conférence. Une dizaine de personnes étaient déjà là, prêtes pour entendre les objectifs de la semaine.

— Ian, Jocaste, nous vous attendions pour commencer. » le ton d'Erwin, l'inspecteur en chef, était réprobateur. Les autres inspecteurs présents se rapprochèrent de la table centrale alors que celle-ci s'éclairait. Erwin s'éclaircit la gorge avant de commencer la présentation de sa voix grave. Comme il fallait s'y attendre, la situation n'était pas brillante. Depuis que le nouveau conseil avait été nommé à la tête du gouvernement, les mesures particulièrement restrictives qui avaient été prises étaient très mal passée dans les bas-quartiers. Et jamais un conseil n'avait été aussi déterminé à mettre au pas le chaos tentaculaire que réprésentait la cité souterraine de Brysance. Les quartiers les plus populaires étaient donc sous pression, et les attaques en provenance des sous-sols plus fréquentes que jamais. Celles-ci n'impactaient généralement que peu les zones les plus aisées, se cantonant aux quartiers les plus accessibles. Les répliques de la milice d'Extremir n'en était pas moins sévères. Certains quartiers auparavant réputés contrôlés par Brysance étaient désormais pacifiés.

Les différents sujets furent ainsi abordés, les missions réparties. Alors que la réunion se finissait et que Ian et Jocaste s'apprêtaient à quitter la pièce avec leurs collègues, Erwin les retint.

— Restez ici vous deux. Jocaste. J'ai reçu des plaintes de médecins à propos, je cite "d'une enquêtrice mal lunée qui n'a eu de cesse de nous harceler la semaine passée". La description te correspond étrangement et ton badge a été utilisé pour entrer. Tu m'expliques ? » Malgré son ton dur et ses sourcils froncés, l'ombre légère d'un sourire planait sur ses lèvres. Il appréciait la ténacité de Jocaste. Et visiblement, les épreuves récentes l'avaient endurcies et raffermie sa détermination à lutter contre Brysance. Cela lui allait très bien.

— Jocaste, tu devais prendre la semaine dernière pour te reposer, pas pour aller terroriser des médecins déjà surmenés ! » s'exclama Ian, réprobateur.

— Je voulais en savoir plus sur l’origine de la maladie. Les chercheurs ont réussi, apparemment, à réduire l’origine des premiers malades à un seul quartier.

— Et on peut savoir pourquoi tu t'es soudainement passionné sur l'origine d'une épidémie d'une maladie qui nous frappe régulièrement ? » interrogea Erwin.

— Ce n'est pas la même que d'habitude, et je pense que tu es au courant. Les médecins que j'ai... interrogé m'ont avoué à demi-mot que même si la ressemblance était forte, ce n'était pas le même virus, celui-ci est beaucoup plus virulent. Le nombre de décès officiel est clairement sous-estimé. Mais ça, je pense que tu le sais aussi » répondit Jocaste d'un ton de défi. Elle dardait sur Erwin un regard perçant. Celui-ci soupira, et alla refermer la porte. La perspicacité de Jocaste était autant un de ses points fort qu'un travers qui pourrait un jour lui coûter cher. Ian était tout aussi intelligent, mais beaucoup plus prompt à suivre le chemin qu'on lui indiquait. Celui-ci avait d'ailleurs suivi l'échange avec intérêt, sans manquer une seule nuance du discours.

— Bordel Jocaste tu aurais pu m'en parler ! On fait équipe oui ou merde ? Quand tu enquêtes, tu m'appelles ! » explosa Ian. Il s'abstint de critiquer Erwin, mais on devina au regard qu'il lui lança qu'il n'en pensait pas moins. Il détestait cette impression d'avoir été laissé sur le carreaux, surtout quand sa coéquipière et plus proche amie ainsi que son supérieur direct étaient au courant.

— L'épidémie a été circonscrite. Ce n'est plus un sujet. » asséna Erwin en s'affalant sur un des fauteuils libres.

— Erwin. Le quartier se situe dans la 3ème couronne Nord.

— La 3ème couronne Nord ? » Ian s’immobilisa, interdit.

Erwin se redressa, soudainement intéressé « Ce quartier est gangrené par Brysance. J'aurait dû m'en douter. »

— Et c’est encore pire depuis que la Skye Esperon, la fille de Peregrine, a pris la suite de sa mère à la tête du Sanctum Atrophia » compléta Ian. Jocaste aquiesça.

—  Si nous voulons des résultats il ne va pas falloir lésiner sur les moyens pour enquêter là-bas. Ils sont déterminés, mais nous le sommes plus encore » conclu Jocaste. Erwin, lui lança un regard approbateur. Il aimait beaucoup la détermination guerrière qui brûlait dans les prunelles de sa meilleure inspectrice.

 

Ian observait Jocaste, plongée dans la lecture d'un rapport médical. Sous sa tenue réglementaire gris antracite, on devinait sa musculature fine et sèche, anguleuse. Il savait qu'elle s'astreignait quotidiennement à des exercices physiques exigeant. Lui-même n'était pas en reste, mais on devinait sans peine en le voyant qu'il était du genre à savourer à leur juste valeur les bons plats proposés par les marchands de rue du quartier. Athlétique mais néanmoins moelleux, c'était un bel homme. Jocaste avait plutôt un charme guerrier. Et si ses traits s'étaient adoucis lorqu'elle vivait avec son époux, les deux semaines de "deuil" avait creusé ses traits.

— Tu as l'air épuisée.

— Comme tu as pu le constaté, je n'ai pas vraiment passé une semaine à dormir.

— Tu aurais dû, ça t'aurait fait du bien.

— Ce n'est pas mon genre de me morfondre. Je préfère l'action. On a dorénavant une vraie piste pour résoudre cette histoire. Si on trouve la moindre preuve qui incrimine un gang, on pourra avoir l'autorisation pour procéder à un nettoyage en règle. Après je me reposerais.

Ian eu une mou sceptique. Depuis 5 ans qu'il travaillait avec elle, il se doutait que ça ne serait pas si tôt. Quand elle s'y mettait, Jocaste était plus proche d'un missile balistique que d'un humain normalement constitué. Et la détermination qui l'animait indiquaient qu'il allait y avoir de l'action dans les semaines à venir. Tant mieux, quand ils bossaient ensemble, rien ne les arrêtaient. Un sourire coin, il se mit au travail.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
CelCis
Posté le 01/06/2023
Coucou Noemie,

Et bien, pour avoir écrit cela en un jour, bravo! Tu as l'air d'avoir déjà une belle idée du monde dans lequel tu nous amènes. Et directement dans l'action, aussi, avec un rythme soutenu.

On a l'impression que Jocaste sera importante. À la fois terrassée par la mort de son mari et efficace comme un limier qui ne lâche pas sa proie. Puis son coéquipier qui s'inquiète, mais pas de trop (il n'a rien demandé pendant son congé :P)

J'ai plein de questions maintenant: que font-ils (à part chercher la provenance du virus)? Dans quelle section sont-ils? Où est-ce que leurs enquêtes vont-elles les mener? Je vais continuer la lecture ;)

À tout bientôt!
Marlène Goos
Posté le 03/11/2022
Ah, voilà Jocaste :D Ben comme je m'y attendais, j'aime beaucoup ce personnage ^^ Je trouve tes descriptions, notamment de personnage fines, agréables à lire ! Et mon besoin de m'accrocher à un perso est satisfaite :p
Vous lisez