Le soupir d’Eugène était dépourvu de toute forme de retenue. Son travail l’agaçait et il désirait que ses collègues de bureau le sachent. Juste avant la fin de l’année, le patron lui avait fait le plus beau des cadeaux de Noel : il l’avait rétrogradé. Juste pour une vulgaire histoire de Saint-Nicolas…
C’est ce qu’on appelle se faire foutre au placard, lui avait balancé sans aucun tact son frère aîné. Depuis maintenant plusieurs semaines, il était enfermé du lever jusqu’au coucher du soleil dans un minuscule open space. Son nouveau boulot consistait à dépanner à longueur de journée des particuliers (pour ne pas dire « des vieux ») qui rencontraient des problèmes informatiques.
Entre ceux qui, paniqués, l’appelaient parce que les icônes avaient disparus -par magie évidemment- de leur bureau d’ordinateur, et ceux qui le consultaient pour comprendre pourquoi leur souris sans fil ne fonctionnait plus, Eugène se posait trente fois par jour la même question : « qu’est-ce que tu fous encore là mon vieux ? ». Il avait décerné la Palme d’Or à une certaine Marie-Jeanne qui ne comprenait pas pourquoi, quand elle branchait des écouteurs sur une imprimante et y glissait un texte à scanner, cela ne fonctionnait pas comme un audiobook … Il avait réellement hésité à répondre à l’e-mail, mais après une bonne poilade, comme on disait chez lui, il avait finalement posé les doigts sur son clavier. D’une part, la charte de l’entreprise était stricte : « tous les clients doivent avoir obtenu une réponse sous 24h maximum » et d’autre part chaque dépannage rapportait à la société 100€ + 30€/heure. Et son patron avait promis de lui reverser un bonus de 1,5% du montant total des commandes qu’il traitait. Charges déduites, naturellement. La réponse l’ayant occupé autant de temps que son fou rire, il avait facturé le tout 110€. C’était toujours un euro et demi de pris !
Ce matin-là, à son arrivée, déjà dix-sept demandes l’attendaient dans sa boîte de réception. Belle journée en perspective, songea-t-il en se laissant tomber sur son fauteuil. A roulettes ET en cuir, tout de même ! Merci patron pour votre gentillesse, ça me touche beaucoup... Si, si vraiment, je vous assure ! Enflure...
Eugène traitait toujours les courriels dans leur ordre d’arrivée. Inutile de faire attendre une minute de plus une mémé dont seule la partie « pavé numérique » était tombée en panne... Qu’adviendrait-il de cette pauvre dame si elle ne pouvait plus faire ses compte pendant plus d’une journée ?
Quand ses quatre collègues de bureau arrivèrent à leur tour, Eugène s’occupait de la onzième demande, tout en dépannant un client par téléphone. De sa main libre il serra les leur puis accepta avec plaisir le café que Maxime lui tendait. De tous, c’était le seul qui ressentait de la compassion pour lui et sa situation professionnelle désastreuse.
En milieu de matinée Eugène s’accorda une pause-café-clope. Sa nouvelle prison se situait en sous-sol, et la lumière du soleil lui manquait. La nicotine aussi lui manquait ; il avait recommencé à fumer au nouvel an. Quel gâchis, il y a plusieurs années de cela, il avait déboursé une sacré somme pour arrêter : médicaments, thérapie, patchs, groupe de soutien… la totale !
De retour à la cave, il s’attaqua au dernier mail arrivé cette nuit. En regardant l’heure de réception il faillit tomber de sa chaise : reçu le 12 février à 27:41. C’est quoi cette blague ?!
- Hé, les gars, vous avez touché à mon pc pendant que j’étais là-haut ?
Ils se regardèrent avant de replonger dans leur travail respectif. Eugène se leva, posa ses coudes sur la cloison qui le séparait de Maxime et insista.
- Ça m’intrigue. Allez, dites-moi comment vous avez fait pour étendre le format de l’heure au-delà de 24 heures ?
- Personne n’a quitté son siège depuis un moment… A part toi bien sûr !
C’est bredouille mais curieux qu’Eugène ouvrit l’e-mail.
De : xyliha_fadem@planvalgor.com
A : eugene.rousset@debugtout.fr
Le : 12/02/18, 27:41
Objet : Aucun
Ô Grand Janus,
Le Père Vanian m’a conseillée de faire appel à vos services. D’après lui, vous avez une solution à tout.
Je suis Xyliha, celle qui apporte connaissances, savoir et soins à la population ici. Hier, soudainement le Flux a disparu, et sans lui, je suis perdue, je ne suis plus personne, je ne peux plus œuvrer…
Je vous implore, aidez-moi au plus vite. Cela m’est très difficile de vivre sans.
Xyliha
Eugène recevait des courriels de toute sorte de population et chacun avait sa propre façon de s’exprimer. Mais là, il dû reconnaître que c’était le pompon. Encore une fois il soupira bruyamment et rédigea une réponse à la hâte.
Madame Fadem,
Tout d’abord laissez-moi vous remercier de la confiance que vous nous accordez.
C’est sans doute votre tour qui doit être empoussiérée, ralentissement très fortement le flux, comme vous dites. Je vous conseille de la nettoyer de fond en comble. Epoussetez chaque pièce de la tour et veillez bien à ce qu’elle soit ventilée en permanence. Normalement, vous ne devriez plus avoir de soucis de flux.
Je reste à votre entière disposition.
Eugène Rousset
Le soir, en passant devant le bureau du patron, il fut pris, comme tous les soirs depuis janvier, d’une irrésistible envie de toquer à la porte. « Monsieur Verdet, bonsoir. Je vous annonce que je ne viendrai pas travailler demain, ni après-demain, ni les jours suivants d’ailleurs ». Mais ça, c’était dans ses rêves. Eugène savait qu’il n’aurait jamais le courage de poser sa démission. Un ingénieur informaticien au chômage, au début du 21ème siècle ? Impensable, honteux. Que diraient ses parents qui avaient économisé toute leur vie afin de lui payer cinq ans d’études à Paris ? Pire, que dirait son grand-frère, qui n’avait pas eu le même privilège et avait suivi une filière manuelle dans un lycée technique de leur ville natale, Limoges ?
Eugène accordait beaucoup d’importance -trop, il le savait- à l’image que sa famille avait de lui. Ce qui est normal quand on peut compter ses proches sur les doigts de la main. Au-delà de sa famille, le trentenaire n’avait que deux véritables amis (Vincent et Eric) qu’il avait rencontrés sur les bancs de l’école et qui s’avéraient être aussi timides que lui. Même si on lui répétait régulièrement qu’il était beau garçon, Eugène n’avait eu que très peu d’aventures avec des filles. Les seules présences féminines dans son entourage étaient sa mère, et sa chienne Zelda.
Sur le chemin du retour, il passa au QG. C’est ainsi que les adhérents de l’association « Aidons-les » appelait leur local. Ancien restaurant asiatique rénové, la devanture ne payait pas de mine, et pourtant à l’intérieur l’entre-aide cohabitait avec l’humanité. Bénévole depuis bientôt deux ans, Eugène appréciait entre autres l’ambiance chaleureuse et bienveillante qui régnait au QG. Le lundi, il aidait les étrangers à effectuer leurs démarches administratives, remplir des liasses de papiers et formulaires plus compliqués les uns que les autres. Le jeudi, il se rendait directement dans des camps de migrants pour enseigner les bases de la langue française. Souvent, il apportait des gourmandises pour les enfants, des anciens vêtements, ou encore du matériel informatique et électronique irréparable : les jeunes pouvaient ainsi découvrir en douceur les nouvelles technologies. Le samedi était son jour favori, il passait la journée au QG et apprenait à un groupe d’adultes en réinsertion professionnelle à se servir d’un ordinateur. Il espérait être un bon professeur, et que ses élèves ne compteraient jamais parmi ceux qui déboursent 120€ à DébugTout pour écouter un audiobook sur une imprimante !
Déjà deux qui ne lisent pas (n'écoutent pas) les notes d'auteur x'D Je voulais juste te dire qu'on ressentait vraiment le côté monotone de la vie de ton personnage, avec une certaine tendance à ce morfondre dans ses habitudes. Je me demande ce que cela va donner quand le quiproquo sera levé ;)
Quelques remarques :
- ralentissement = ralentissant non ?
- je trouve bizarre de mettre vincent et éric entre parenthèses
C'est tout pour ce chapitre, je vais vite voir la suite. Je suis intégrée par ta note d'auteur ;)