Terre-Myroir, fin août 2006
Klaus Mickaelson s’assit rageusement sur la banquette d’un restaurant de l’aéroport, sans égard pour la famille qui allait s’y installer ; le père éleva la voix mais le regard noir qu’il reçut interrompit son flot de protestations, et il s’éloigna avec femme, enfants et valises. Klaus parcourut le hall immense des yeux, tremblant d’énervement. Il avait une envie folle de détruire les énormes piliers qui soutenaient le plafond design et immaculé, et il se demandait s’il n’allait pas commencer par briser d’un bon coup de poing la table en bois massif sur laquelle il était à moitié avachi. Le problème avec l’Inde, c’était que ce pays était beaucoup trop grand et beaucoup trop peuplé : pas étonnant de ne pas retrouver la gamine, c’était comme chercher une aiguille dans une botte de foin ! Joshua avait intérêt à la trouver ! Il aurait eu besoin d’un remontant pour se passer les nerfs, mais il ne pouvait se permettre de vider quelqu’un de son sang dans l’aéroport : le trafic aérien risquait d’en être perturbé et cela n’aurait rien arrangé à ses affaires. Il pianota des doigts sur la table tout en vérifiant une énième fois sur son portable que Joshua n’avait pas essayer de le joindre, essayant de se distraire de la soif de sang qui commençait à lui picoter la gorge.
Il s’appuya contre le dossier avec un soupir impatient ; avec tout ça, il n’était même pas sûr que la gamine allait lui être utile. Il rechercha le message dans lequel ses informateurs lui avaient transmis les renseignements sur elle : Priti Varma, venait d’avoir sept ans, orpheline depuis deux ans, avait manifesté dès sa plus tendre enfance des pouvoirs magiques extrêmement puissants et en harmonie avec les êtres vivants. Klaus observa le visage brun et potelé de la petite fille, doutant de sa capacité à seulement alléger la malédiction millénaire qui l’empêchait de manifester ses gênes de loup-garou ; ceci dit, ça ne pouvait pas faire de mal de garder sous le coude une sorcière aussi prometteuse, et si jeune, il serait facile de la contrôler… S’il parvenait à mettre la main dessus : il n’était pas le seul à s’intéresser à sa magie exceptionnelle…
L’appel de Joshua interrompit ses réflexions, et il décrocha à la vitesse de l’éclair.
« Alors ? aboya-t-il.
– C’est bon, j’ai trouvé la gamine !
– Tu l’as ? Elle est avec toi ? Où es-tu ? questionna Klaus en se levant.
Son interlocuteur lui confirma la présence de Priti Varma à ses côtés et lui transmit sa localisation, une ville à l’autre bout du pays, mais en liaison aérienne directe depuis l’endroit où il se trouvait. Il ordonna donc à Joshua d’attendre son arrivée à l’aéroport et se précipita vers le panneau d’affichage pour trouver le prochain vol. Une heure plus tard, après quelques hypnotisations pour obtenir un billet gratuitement et passer les contrôles, il sirotait un whisky en classe affaires, attendant l’atterrissage avec impatience.
A l’arrivée, il s’arrangea à nouveau pour passer rapidement les formalités, et chercha tout de suite la maigre silhouette de Joshua dans le hall. Il réprima un sifflement agacé en ne le trouvant pas. Qu’est-ce qu’il fichait ? Il se mit à le chercher, se fiant à son odorat pour le repérer, mais même pour lui, les innombrables effluves corporelles des usages de l’aéroport n’étaient pas faciles à démêler. Tout à coup, il perçut une odeur de sang ; mais ce n’était pas du sang humain, c’était du sang de vampire; il ne tarda pas à être quasiment certain qu’il s’agissait de celui de Joshua. Il se précipita pour le rejoindre et le trouva affalé dans un recoin désert de l’aéroport, un pieu en bois planté dans le… pied ? Il n’avait pas été tué, mais alors pourquoi était-il inconscient ? Klaus le secoua, mais il ne fit que pousser un petit gémissement sans revenir à lui, et Klaus fronça les sourcils, perplexe. Puis il examina la blessure et prit un peu de sang du bout du doigt pour le porter à sa bouche. De la verveine, évidemment, et ce devait être une dose de cheval pour terrasser un vampire de quasiment six cents ans. Son concurrent à l’acquisition de la petite sorcière avait dû bien se préparer…
Sans s’attarder davantage, il huma le corps de Joshua pour trouver le fumet de la fillette et de son ravisseur, et cligna des yeux, surpris : il ne trouvait rien ! Avec un claquement de langue énervé, il redoubla de concentration et finit par détecter un parfum extrêmement diffus et discret qui, se trouvant également attaché au pieu, devait indéniablement appartenir à sa cible. Il s’agissait d’une odeur étonnamment difficile à tracer et à caractériser : il n’avait absolument aucune idée de quel type de personne il pouvait s’agir. Il devait se dépêcher : avec une piste aussi ténue, la moindre minute de retard pouvait la lui faire perdre. Il se mit en chasse, et se laissa conduire jusqu’à un comptoir d’enregistrement, ce qui le rassura un peu : ils cherchaient à fuir par avion et non par des moyens magique, cela allait lui faciliter la tâche. Il s’empressa d’acquérir un nouveau billet afin d’avoir accès à la zone réservée de l’aéroport, et suivit la piste jusqu’aux contrôles de sécurité, où le débit de passage brouilla les odeurs. Il vérifia rapidement que la piste ne repartait pas dans une autre direction, dans une tentative de perdre la piste, mais cela ne semblait pas le cas, donc il se fraya un chemin dans la queue des contrôles, espérant récupérer la trace des fugitifs une fois la cohue dépassée.
Mais il ne la retrouva pas. Il eut beau sillonner en long et en large toutes les galeries de l’espace réservé aux voyageurs, la piste s’était évanouie, et il ne repéra pas non plus dans la foule le visage de la gamine. Il passa la main sur son visage, déconcerté : comment avaient-ils pu disparaître sans laisser aucune trace ? Mais il n’allait pas s’avouer vaincu : cela faisait longtemps que pareil défi ne lui avait pas été posé, il était temps de s’en occuper sérieusement. Que ferait quelqu’un voulant lui échapper et ayant au moins une idée de ses capacités à lui, Klaus Mickaelson ? Il chercherait sans doute à mettre le plus de distance entre eux. Klaus s’approcha du panneau d’affichage ; heureusement, il ne s’agissait pas d’un aéroport majeur, et il y avait relativement peu de destinations lointaines. Il prit note d’une demi-douzaine de vol qui partait vers l’Europe ou l’Asie de l’Est, et décida de vérifier en priorité la porte où se faisait le prochain départ, dont l’embarquement venait de commencer. Il se mit à courir dans sa direction, sans cesser de regarder autour de lui pour ne rien manquer. Il se figea en pleine course. A la table d’un café de l’aéroport, assise, Zaltana, une des filles de Tatia ; ou plutôt, une jeune femme lui ressemblant trait pour trait.
Klaus était sidéré : il était sur la piste d’un éventuel moyen d’alléger la malédiction liée à Tatia, la première Sosie, et il tombait sur mille fois mieux, le sosie de la fille de Tatia et certainement sa descendante ! Si ce n’était pas un signe du destin ! Depuis que Katerina Petrova lui avait échappé, il n’avait retrouvé personne de la lignée des Sosies, il ne pouvait pas laisser passer cette chance inespérée ! Il l’observa de loin : il devait d’abord écarter l’éventualité qu’il s’agisse en fait vraiment de Zaltana : Zaltana et sa jumelle Winona avaient disparu vers l’âge de dix-huit ans, et même son frère Kol, qui s’était acharné pendant des années, n’avait pu découvrir la moindre information sur elles. Elles auraient très bien pu avoir été transformées en vampires et survivre jusque-là. Mais la jeune femme ne portait aucune chevalière, ni même aucune bague qui aurait pu porter un sort de protection contre l’action des rayons du soleil. Elle ne devait pas être une vampire. Si elle n’était pas Zaltana, qui était-elle ? Elle n’avait pas l’air d’une touriste, avec ses talons et ses cheveux relevés, mais sa robe légère et pratique, adaptée au climat, ne donnait pas beaucoup d’indices sur son identité. Elle aurait pu être en voyage d’affaires, mais elle n’avait aucun bagage hormis son sac à main ; soit elle avait une valise en soute, ce qui orientait davantage vers la thèse du tourisme, soit elle voyageait très léger parce que ce n’était pas un trajet exceptionnel pour elle, ce qui signifiait qu’elle pouvait être une expatriée vivant en Inde. Il n’avait en revanche aucune idée de son origine, et le roman de gare en anglais qu’elle était en train de lire ne l’aidait pas.
Il n’allait pas tarder à le savoir. Klaus s’avança et s’assit en face d’elle le plus naturellement du monde. Elle leva les yeux de son livre avec un léger froncement de sourcils, et avant qu’elle n’ait une réaction plus alarmante, il se pencha vers elle, le regard fixé sur ses pupilles :
– Tout va bien, je suis une personne de confiance.
Elle se détendit aussitôt sous l’effet de son hypnose, et lui adressa un sourire, qu’il lui renvoya en demandant :
– Comment t’appelles-tu ?
– Laura.
– Laura comment ?
– Laura Ingalls.
– Eh bien, Laura Ingalls, si on quittait cet aéroport ?
– Eh bien, pourquoi pas ? répondit-elle immédiatement en rassemblant ses affaires.
Elle avait un accent assez neutre, mais qui tirait sur le britannique ; elle avait dû passer beaucoup de temps en Grande-Bretagne, mais n’en était pas originaire. Tout en la guidant le long des couloirs de service pour quitter la zone réservée, il continua son interrogatoire.
– Et qu’est-ce qui t’amène en Inde ?
– Je suis venue visiter.
– Toute seule ?
Elle eut un petit rire.
– Oui, j’aime bien voyager seule.
Il lui jeta un regard en coin : malgré ses talons, elle arrivait à peine à hauteur de ses épaules, et, toute menue, elle n’aurait fait le poids contre personne lui cherchant des problèmes. Les femmes n’avaient vraiment plus peur de rien ces jours-ci ! Mais bon, cela l’arrangeait.
Ils atteignirent enfin le hall de l’aéroport, et Klaus se dirigea vers la zone des taxis : la première chose à faire était de se poser au calme, dans une chambre d’hôtel, pour mesurer à qui il avait affaire, et comment il allait pouvoir l’utiliser. La chaleur leur tomba dessus dès qu’ils mirent le pied à l’extérieur, et ils s’empressèrent de monter dans un taxi. Préférant ne pas risquer d’éveiller la curiosité du chauffeur, Klaus remit ses questions à plus tard : il garda le silence, et prit le temps d’observer de plus près sa prise.
Laura avait l’air d’avoir autour de vingt-cinq ans, et elle avait tout le charme d’une jeune femme qui avait déjà vécu, mais pas trop. Ses doigts étaient fins, et son port de tête élégant ; elle dégageait une certaine noblesse, et en même temps son visage exprimait une grande simplicité alors qu’elle regardait avec intérêt les rues animées par la fenêtre. Klaus se félicita d’être tombée sur elle : en plus de lui être utile, elle promettait d’être distrayante, et il s’amusa de sentir sa curiosité monter. Son regard tomba sur sa masse de cheveux disciplinés dans le chignon, s’étonnant encore une fois que Tatia, si brune, ait pu avoir des filles si blondes. Puis il réprima un sourire goguenard en pensant à ce que son frère Kol aurait été capable de faire ou payer pour être à sa place : il fallait dire qu’elle était ravissante, la Zaltana… enfin, la Laura. D’ailleurs, elle n’était pas tout à fait identique à Zaltana : sa peau était plus bronzée que celle de Zaltana, qui, dans son souvenir, possédait un vrai teint de porcelaine, et Laura avait les yeux plus clairs, verts ou bleus, contrairement à Zaltana qui avait hérité des iris de sa mère, d’un brun profond.
Le taxi se gara enfin devant l’hôtel, et après avoir payé, Klaus sortit de la voiture et tint la portière pour Laura. Elle balaya rapidement des yeux les alentours, et son regard se figea sur quelque chose derrière lui, déconcertée. Il se retourna avec un mauvais pressentiment, mais ne remarquant rien, il se tourna à nouveau vers elle pour l’interroger. Elle avait disparu.
Un instant, Klaus se sentit très bête. Puis son instinct de chasseur s’activa et il repéra sa proie qui avait déjà traversé l’avenue bondée et disparaissait dans une ruelle. En une seconde, il fut dans la ruelle, mais Laura était introuvable au milieu du flot des passants… Si tant est que Laura fut son vrai nom… En tout cas, il était quasiment sûr que ce n’était pas Zaltana… Il pesta intérieurement tout en se dirigeant vers une anomalie dans la foule qui indiquait le passage de quelqu’un. Elle l’avait bien eu. Non qu’elle ait beaucoup de chance de lui échapper maintenant qu’il était tombée sur elle… Mais réussir à lui faire croire qu’elle ne savait rien de lui et qu’elle se trouvait totalement sous son emprise pour ensuite lui fausser compagnie ! Cela relevait d’une astuce et d’une maîtrise peu communes.
Il l’aperçut enfin qui s’engouffrait dans une autre ruelle et la suivit sans vraiment raccourcir la distance qui les séparait. L’environnement lui était pour l’instant favorable, mais elle ne pourrait trouver refuge nulle part, il finirait par l’attraper… Comment donc savait-elle qui il était ? Ou alors avait-elle seulement démasqué sa nature de vampire et le fuyait par principe ? C’était plus probable, peu de gens auraient pu lui apprendre qu’il pouvait en avoir après elle. Au cas où, il allait tout de même falloir qu’il enquête à ce sujet. En attendant, autant s’amuser et profiter de cette filature à l’issue certaine : ce n’était pas tous les ans que quelqu’un lui donnait un peu de fil à retordre.
Il se trouva moins amusé quand, débouchant sur les rives du fleuve, il se rendit compte qu’il l’avait perdue.
Un bon chapitre d'introduction, on est tout de suite plongé dans l'action avec la chasse humaine de Klaus du coup on rencontre directement dans l'histoire. Ce premier chapitre nous pose pleins de questions : quelles sont les motivations de Klaus ? Qui est-il ? etc Laura est aussi un personnage intéressant, tu réussis à nous surprendre avec cette fuite puis cette chute de chapitre. Elle semble plus débrouillarde qu'elle en a l'air, je suis curieux d'en apprendre plus sur ce personnage.
Mes remarques :
"pas retrouver la gamine, c’était comme chercher une aiguille dans une botte de foin ! Joshua avait intérêt à la trouver" répétition trouver / retrouver, peut-être : mettre la main dessus ?
"lui confirma la présence de Priti Varma à ses côtés et lui transmis" -> transmit
"Tout à coup, il perçut une odeur de sang ; mais ce n’était pas du sang humain, c’était du sang de vampire, et il ne tarda pas à être quasiment certain qu’il s’agissait de celui de Joshua." phrase un peu longue, peut-être la couper en deux ?
"par des moyens magiques, cela allait lui faciliter la tâche." point après magiques ?
Un plaisir,
A bientôt !
Merci pour tes remarques! Je suis contente que tu te poses autant de questions, maintenant il va falloir que j'y réponde au moment opportun ;)
Je note tes petites corrections et vais aller voir de ce pas !
A très bientôt j'espère !
La, changement de perspective : nous suivons un vampire tres agace qui cherche une petite fille sans la trouver.
J'aime la facon dont tu le presentes : en montrant simplement comment il intimide un pere de famille, on "voit" vraiment le personnage.
Puis il s'egare quand il pense avoir captive une jeune femme dont on a un peu de mal a cerner qui elle est, un sosie, une descendante d'une femme illustre ou les deux, en tout cas on a l'impression d'etre dans un dedale de miroirs....
Petit detail : "la gamine" revient souvent, peut-etre alterner avec des synonymes, enfant, petite fille...?
Ca donne vraiment envie de lire la suite !!
Bon j'ai l'air de réussir à peu près le "show don't tell" sur le personnage de Klaus merci pour ton retour!
Sur l'identité de la jeune femme, c'est pas trop fouilli? parce que, toujours dans la perspective du show don't tell, j'essaie de pas faire trop d'exposition et d'explication car ça ne serait pas naturel dans la perspective de Klaus qui n'a pas besoin de se rappeler à qui elle ressemble et pourquoi elle est importante pour lui. Y a des choses qui vont s'éclairer par la suite, mais j'espère que je perds pas le lecteur là-dessus!
Je note pour les répétitions de "gamine" merci !
Je vais essayer de ne pas te faire trop patienter sur la suite ;)
A très bientôt !!!
A propos des mysteres pas encore eclaircis, sur l'identite de "Laura" par exemple (j'ai l'intuition que ce n'est peut-etre pas son vrai nom?) oui a ce stade, ca ne me derange pas de tout savoir. Ce que je me dis, cependant, c'est que ca pourrait etre positif d'ajouter une ou deux phrases sur ce que Klaus espere recolter de la capture de Laura. En quoi peut-elle etre un benefice pour lui? On comprend qu'il cherche a se proteger avec des personnes aux forts pouvoirs de magie autour de lui?
En savoir un peu plus dans ce chapitre pourrait permettre de mieux saisir les enjeux de cette capture (et donc du sentiment cuisant d'echec a la fin) et aussi d'ecarter une impression d'un fait-divers de notre monde a nous : l'enlevement d'une jeune femme par un sombre individu.
A toi de voir ! :-)
Je note pour le reste: j'éclaircis les motivations de Klaus plus loin, du coup je vais attendre que tu sois arrivée à ce moment-là tu me diras ce que tu en penses ;)